M. L. Castillon (1765) Essai sur les Erreurs et les Superstitions Chapitre XXIII (pp. 337-347)

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CHAPITRE XXIII.

Quel étoit le moyen le plus sûr que Mahomet put mettre en usage pour achever d'asservir les Arabes ?

LE fanatisme. Non que l'Ame éclairée de Mahomet fut susceptible des excès d'un zèle trop outré, d'une conviction aveugle, des passions impétueuses qu'inspire aux têtes exaltées le zèle mal conçu de la religion : non que son cœur ambitieux s'abandonnât aux desirs violens, aux transports effrénés, aux sentimens irrésistibles qu'excitent dans les hommes vulgaires des maximes mal entendues de culte & de dévotion : non que son imagination fut empreinte peut-être de toute l'atrocité qu'il inspiroit à ses sectateurs ; mais parcequ'il lui importoit de donner à ses prosélités une valeur que la nature leur avoit refusée ; parce qu'il lui importoit de les rendre cruels, sanguinaires, féroces ; d'éteindre en eux tout sentiment d'humanité ; de les rendre inaccessibles à la pitié comme à la crainte, avides de carnage, altérés de sang & de crimes, insatiables de conquêtes, de meurtres, de dévastation. Eh quel autre ressort plus puissant que le fanatisme pour opérer cet affreux changement ? Quel serment plus actif pour mettre en action des principes cruels, des préceptes atroces, de noires superstitions ? Ce n'étoit plus que par le fanatisme que Mahomet pouvoit inspirer à ses disciples d'aller, l'Alcoran d'une main & le poignard de l'autre, pleins du Dieu destructeur qu'il leur avoit représenté, sacrifier, assassiner leurs proches, massacrer leurs concitoyens, répandre la frayeur & l'illusion dans l'Orient. Préparés depuis quinze ans à la barbarie des ordres qu'on venoit de leur dicter ; enflammés de desirs homicides, impatiens de signaler leur haine contre les ennemis du Prophète & de ses dogmes ; il étoit tems de donner d l'activité à l'ardeur qui les animoit tous, de faire briller à leurs yeux la première étincelle de l'incendie, qui bientôt excité par le souffle brûlant de cette troupe d'enthousiastes embraseroit la moitié de la terre ; il étoit tems de hâter par la terreur la soumission des peuples & la chûte des Rois.

La plus importante partie de la mission de Mahomet étoit remplie, dès qu'il avoit pu rassembler autour de lui quelques énergumènes : ils suffisoit pour grossir à chaque instant la foule de ses disciples, qui aveuglés à leur tour par les prestiges de la séduction, étourdis par les clameurs, égarés par les transports des défenseurs de l'Islamisme, répandroient, agités comme eux de passions noires & turbulentes, le vertige & l'épidémie dont ils seroient infectés. L'adresse & l'hypocrisie étoient désormais inutiles à l'audacieux Mahomet ; il pouvoit exécuter sans crainte ses farouches projets, & se livrer sans retenue à la perversité de ses penchans, à la corruption de ses mœurs, à la fougue des vices qui entraînoient son âme. Le barbare pouvoit se baigner impunément dans le sang de ses ennemis : Apôtre, législateur, monarque, & sacrificateur, il pouvoit passer impunément de crime en crime jusqu'aux forfaits les plus atroces ; se délivrer par des meurtres secrets, ou égorger publiquement quiconque oseroit condamner ses vices, dévoiler ses fourberies, ou divulguer l'excès de ses débordemens. Quel de ses prosélytes eut été assez téméraire pour douter un moment de la sainteté d'un Prophète, qui, maître impérieux des élémens comme des hommes, signaloit sa puissance par des prodiges éclatans ; qui par le ministère d'une intelligence céleste recevoit chaque jour des parties détachées de la nouvelle doctrine, écrites de la main de Dieu lui-même, & dans lesquelles ses actions les plus bisarres en apparence & les plus criminelles, étoient expressément autorisées ? Eh qui dans cette foule d'enthousiastes eut eu le pouvoir ou l'audace de se refuser aux mouvemens tumultueux qui agitoient tous les esprits, à ces transports qui s'accroissant par le trouble de chaque particulier, augmentoient l'effervescence du délire général ? Quel d'entr'eux eut pu méconnoître le caractère d'Envoyé de Dieu dans celui qui régnoit avec tant d'empire sur les cœurs & les âmes, dont la voix calmoit ou excitoit, à son gré, les passions les plus violentes ; qui élévoit ses auditeurs au-dessus de l'humanité ; qui peignoit avec tant de majesté les attributs & les vertus de l'être unique & suprême ? N'étoit-ce pas à mahomet que les Arabes devoient la connoissance d'un Dieu jaloux, terrible, implacable dans sa colère, & toujours altéré du sang des incrédules, dont il donnoit par avance les trésors & les possessions aux disciples de l'Alcoran ? Tout autre qu'un Apôtre eut-il pu persuader à des hommes qui n'avoient point succé le lait des tigres ni des ours, que c'étoit appaiser le ciel, & s'assurer une éternité de plaisirs & de volupté dans tous les genres, que de massacrer quiconque ne s'empresseroit pas d'embrasser l'Islamisme ? C'étoit donc obéir à dieu que d'aller, dociles à la voix de Mahomet, exterminer les peuples mécréans, ravager leurs contrées, usurper le sceptre de leurs Rois, & les précipiter dans la nuit du tombeau, ou dans l'horreur de l'esclavage.

Quelle digue opposer à ce torrent impétueux ? Les peuples de l'Asie & de l'Afrique réunis s'efforceront en vain d'arrêter dans sa course cette troupe de forcenés. Poussés par le fanatisme, entêtés du dieu de Mahomet qu'ils croyent honorer à force de carnage, la résistance ne sera qu'augmenter les flots de sang qu'ils auront fait couler. Elle accroîtra la violence de leurs sacrilèges succès, & hâtera la propagation des nouvelles erreurs. Bientôt l'épidémie étendant sa funeste influence de Médine & de la Mecque qu'elle aura dévastées, passera de ville en ville jusqu'aux extrémités de l'Inde ; & son venin actif accablera la liberté, portera le ravage & la désolation dans tous les lieux où il pénétrera. Encore quelques jours, & l'on verra les sectateurs de l'ambitieux Mahomet échauffés, éclairés des flammes du fanatisme, se partager la Grèce qu'ils auront dépeuplée, donner de tyranniques loix à l'Asie effrayée, & subjuguer par la force des armes & la terreur des superstitions les peuples Africains. heureuses les contrées que des mers orageuses sépareront des enthousiastes armés par Mahomet ! Heureuses les nations que leur éloignement pourra mettre à l'abride ce cruel fléau ! & plus heureux les Souverains qui n'auront point à combattre contre les étendards de l'Islamisme, ni à redouter les usurpations de l'Empire du Croissant !

Mais quelles mers sont assez vastes, quelle distance assez considérable pour arrêter les pas de l'horrible fanatisme ? Le fanatisme n'est-il pas cette infernale Athé qui marche sur la tête des hommes ? le fanatisme n'est-il pas, comme la peinte le Poëte, ce monstrueux géant dont les pieds touchent aux enfers, & qui cachant sa tête dans les nues, porte ses avides regards sur la terre, où il exhale sans cesse son souffle empoisonné ? N'est-ce pas lui qui plus prompt que la foudre, & plus dangereux qu'elle, parcourt dans un instant toutes les parties du globe, & répand en même tems de l'un à l'autre pôle le fiel qui le dévore ? Du fond de l'Orient, où, à force d'impostures, d'illusions, de crimes il avoit fondé l'Islamisme, ne l'a-t'on pas vû passer chez les nations Européanes, & secouer sur elles ses flambeaux homicides, inviter par la voix de quelques enthousiastes, les peuples trop crédules à rompre les liens de la fidélité qu'ils devoient à leurs Souverains ? Et sans avoir recours au fanatisme, que ne peut point l'excès d'un zèle trop ardent sur l'imagination des hommes ! A ses cris, au prestige de ses motifs, à la rigueur de ses maximes, au zèle saint qui paroissoit l'animer, les Puissances se sont liguées, les Rois ont quitté leurs trônes, ils ont uni leurs armes ; suivis de nombreux bataillons ils ont abandonné leurs Etats dépeuplés, pénétrés de religion & croyant obéir au ciel, ils ont été se perdre, eux, leurs couronnes, leurs Sujets, dans ces vastes déserts où les avoient conduits un zèle respectable, mais trop souvent mal secondé. Guerriers trop imprudens, respectables Hermites, ce fut là votre ouvrage ; peuple pieux, mais trop aisés à émouvoir, vous crûtes obéir à Dieu,& trop foibles pour soutenir une si belle cause, trop entraînés par vos passions, trop indisciplinés pour seconder le zèle & la valeur de vos augustes Chefs, vous allâtes, remplis d'une trompeuse espérance, engraisser de votre sang les champs de la Palestine. Heureux ceux qui en périssant dans ces malheureuses contrées, purent se flatter d'obtenir la palme de martyre.



James Eason or Please use the first address: this one's special.