M. L. Castillon (1765) Essai sur les Erreurs et les Superstitions Chapitre V (pp. 73-97)

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CHAPITRE V.

De l'Astrologie judiciaire.

L'Heureux tems, la brillante époque pour la gloire des astres que ces jours ténèbreux des 14e. & 15e siécles ! Avec quelle impatience le public attendoit, avec quelle terreur il écoutoit les prédictions annoncées de la part des signes célestes ! Que j'aime à me représenter l'étonnement, l'inquiétude & la vénération de nos peres, quand ils lisoient à leurs familles effrayées les délires astrologiques des Mathieu Lansberg de leur âge ! Que font-elles devenues promesses, ces menaces ? elles se sont évanouies ; on ne lit plus dans l'avenir. Elles ont disparu ces étonnantes prophéties à la clarté des sçiences & des arts. Mais encore, quels biens, quels avantages nous ont dédommagés de cette perte irréparable ? Nous nous sommes civilisés, dit-on ; nous avons étendu la sphère de nos connoissances. Eh ! qu'est-ce que ces connoissances auprès de tant de présages flatteurs, auprès de tant de craintes, de troubles d'allarmes, de terreurs ? nous sommes plus sçavans ? Comment pourrions nous l'être, quand l'empire de l'astrologie judiciaire est tombé en décadence ; quand on en est venu au point de regarder comme des insensés, ou tout au moins comme des imposteurs, les Astrologues, ces mêmes Astrologues si puissans autrefois, reçus, accueillis, consultés avec tant de respect dans les palais des Rois ? Où sont-ils aujourd'hui ces interprètes du destin ? On suit péniblement la course des planêtes ; on prévoit tout au plus quelques indifférentes éclipses ; on fixe, on détérmine les mouvemens des tourbillons : mais pour nous désormais, disent les partisans de l'astrologie judiciaire, & dont j'emprunte le langage ; mais pour nous déformais

Le ciel n'est plus un livre où la terre étonnée
Lise en lettres de feu l'histoire de l'année.

Quelques nations isolées dans les extrémités du Nord ; quelques peuples, heureusement pour eux, séparés de nos par des mers & des déserts immenses, l'on conservé cet art divin. Et nous, Européens polis & philosophes, il ne nous reste plus que le régrèt de l'avoir méconnue, méprisée, anéantie cette sçience admirable ; trop heureux si nous eussions en même tems perdu le goût indestructible que tous les hommes ont pour elle, ce penchant indomptable qui nous porte sans cesse à percer dans l'avenir !

Que des opinions frivoles, continuent-ils, que des sistêmes hazardés passent & tombent dans l'oubli, presqu'aussitôt qu'ils sont créés ; rien n'est plus naturel. Ces opinions fussent-elles fondées ; ces sistêmes fussent-ils démontrés ; de quel droit un homme seul, ou tout au plus quelques Sages conjurés, prétendroient-ils avoir trouvé la vérité ? Eh quand ils l'auroient découverte, seroit-ce assez pour forcer tous les hommes à la recevoir ? Y a-t'il quelque loi qui m'oblige de déférer au sentiment d'autrui ?

Qu'ils se détruisent donc, & qu'ils s'anéantissent tous ces inutiles sistêmes, il importe très-peu. Mais l'art le plus auguste ; mais la plus belle, la plus sûre, la plus sublime des sçiences ; celle que toutes les nations ont honorée, qui a fleuri avec tant d'éclat, & régné avec tant d'empire dans tous les tems, & presque depuis la création jusqu'à nos jours, comment se peut-il faire que nous la méprisons, que nous la regardions comme une sçience vaine, pernicieuse, mensongère ? Qui sommes-nous pour lutter seuls contre les sentimens & la conviction de tous les hommes réunis ? Qu'est-ce que notre siécle, comparé à tous les siécles qui sont passés, & à tous ceux qui doivent s'écouler ? Qu'est-ce que l'Angleterre & la France comparées au reste de la terre ?

en effet, par tout ailleurs je vois l'astrologie cultivée, florissante, gouverner despotiquement les peuples & les Souverains, les flatter par d'heureux présages, ou les glacer d'effroi par d'accablantes prédictions. Et nous, enorgueillis de je ne sçais quelle philosophie, nous rougissons de la crédulité de nos prédécesseurs ; seuls nous osons résister aux preuves démontrées de l'influence des astres, & à l'infaillibilité des oracles qui résultent visiblement de la situation des planêtes, & de leurs différens aspects ?

S'il étoit vrai cependant que l'astrologie n'eut pas, comme on l'a presque toujours cru, le pouvoir d'annoncer les événemens moraux, avant qu'ils arrivent, de prévoir, & de déterminer des faits qui dépendront du hazard des circonstances, de la volonté toujours libre des hommes, du concours & de la combinaison des actions humaines ; s'il étoit vrai qu'emportés par leur tourbillon, & ne pouvant conséquemment régler leur propre course, les astres ne pussent pas non plus diriger notre globe, & tout ce qui s'y passe ; pourquoi dans tous les tems auroit-on consulté le ciel ? Pourquoi auroit-on cru y lire l'avenir ? Quelle seroit la cause de cette erreur, commune à tous les hommes, à tous les peuples ? Il y a mille ans que les Chinois ignoroient qu'en Europe, ou dans toute autre région, on lut dans les planêtes l'histoire des événemens futurs ; ils ne sçavoient pas même si l'Europe existoit. Les peuples d'Amérique, avant l'arrivée fatale de Christophe Colomb, croioient être les seuls habitans de la terre ; & cependant ils n'entreprenoient rien, qu'auparavant ils n'eussent interrogé les astres ; chez eux, comme partout ailleurs, les éclipses les plus légères répandoient la terreur & la consternation ; ils avoient élevé des temples au Soleil, pere de leurs Incas. Qui leur avoit appris à chercher dans l'aspect des planêtes la destinée de l'empire ? La même voix sans dote qui jadis l'avoit appris aux Perses, aux Arabes, à toutes les nations.

L'astrologie judiciaire n'eut-elle en sa faveur que son ancienneté ; ce seroit déjà, ce me semble, sinon une preuve assurée, dumoins une bien forte présomption de sa certitude. Mais si à cette antiquité elie réunit encore le goût & la vénération de tous les peuples, le respect, la confiance & la docilité de tout ce que la terre a produit de grands hommes ; si, malgré le mépris où elle est tombée en Europe, elle conserve ailleurs & son premier éclat & son antique autorité : enfin, si à juger des révolutions futures par les événemens passés, il est probable que dans les pays mêmes d'où on l'a si honteusement bannie, elle sera reçue encore, plus puissante & plus accréditée que ne l'a été avant sa décadence ; pourquoi céderois-je au torrent des opinions nouvelles ? Pourquoi foible, & trop facile à me laisser persuader, irois-je sacrifier une si belle sçience à quelques argumens, forts à la vérité, mais peut-être fondés sur des préjugés & sur des erreurs qui passeront, de même que se sont éclipsées tant d'autres opinions qu'on regarda pendant quelques années, comme d'utiles découvertes, des vérités indestructibles, lequelles pourtant se sont évanouies pour ne plus reparoitre.

Chaque siécle a, s'il est permis de s'exprimer ainsi, son esprit, son génie, son caractère & sa philosophie ; tout cela est détruit par l'esprit,le génie & la philosophie du siécle qui succéde. Il n'y a qu'un très-petit nombre de connoissances vraiement essentielles, qui restent immuables ; & la première, la plus constamment étudiée, la plus généralement respectée de ces sçiences, n'est-ce pas l'astrologie judiciaire ? Partout je vois son empire établi ; &, quelques efforts que je fasse, je ne puis nulle part découvrir son origine : elle se perd dans l'obscurité des tems.

Quel fut celui qui le premier se flatta de trouver dans la rapidité de ces globes de feu, qui roulent sur nos têtes, la prédiction des plus grands comme des plus petits événemens qui se passoient sur la terre ? A qui somme-nous redevables des élémens de cette connoissance ? On a fait bien des recherches à ce sujet ; on a supposé bien des faits, on a imaginé bien des conjectures, on a multiplié les sistêmes & les raisonnemens : mais qu'a-t'on découvert ? Ce qu'on sçavoient déjà ; c'est-à-dire, que du fond de la Caldée, où elle fleurissoit longtems avant les siécles héroïques, l'astrologie a répandu l'éclat de sa lumière, dans le même tems, en Egypte, en Arabie, dans la Grèce, à Rome, dans la Chine, en Amérique, dans les Indes ; que la terre, en un mot, s'est presque toujours éclairée, ou comme on le croit, égarée à la lueur de son flambeau. Eh ! l'on voudroit après un regne si long & si brillant, que cette connoissance fut trompeuse, incertaine, fausse, superstitieuse ? quels hommes, si cela étoit, quels grands hommes elle auroit égarés !

J'ai lû dans les régitres du ciel tout ce qui doit vos arriver, à vous & à vos fils, disoit à ses timides enfans le crédule Belus, Prince de Babylone. alors, comme depuis, on lisoit donc dans les signes célestes ? Alors, comme depuis, chaque planête dominoit incontestablement sur le département qu'elle s'étoit fixé ? Alors, comme depuis, Saturne, par exemple, versoit visiblement ses influences sur les étangs, les cloaques, les cimetières, les vieillards, la ratte, le tanné, le noir, l'aigre, &c. Mais pourquoi repéter ce que personne n'ignore: pourquoi m'arrêter aux principes de cette connoissance ? J'aime bien mieux repondre à ceux qui disent, qui soutiennent que l'astrologie n'a pû avoir quelque autorité, tout au plus que sur les têtes foibles, sur quelques hommes ignorans, & sur la populace, toujours disposée à croire ce qu'elle n'entend pas, & toujours prête à s'entêter du merveilleux.

Pline n'étoit rien moins qu'ignorant & crédule ; cependant il assure, d'après de grandes recherches, que ce n'est point du tout une chose indifférente que l'influence des astres & leur domination sur les objets terrestres. Il s'éléva, sous l'empire de Claude, un essain d'imposteurs, qui osant usurper le nom d'Astrologues, remplirent rome de fausses prédictions ; leurs erreurs & leurs fourberies firent tort aux vrais Sçavans. Sénèque fatigué de l'absurdité des prophéties annoncées, feignit dans sa harangue sur la mort de Claude, d'avoir vu Mercure conjurant la Parque de vouloir bien permettre aux Astrologues de dire enfin la vérité ; preuve très-convaincante qu'alors ce n'étoit point sur le compte de l'astrologie, mais sur celui des Astrologues qu'on mettoit la fausseté des prédictions annoncées.

Dira-t'on que Pompée, que Crassus, que César furent des hommes foibles ? qui ne sçait cependant que ces illustres Romains n'ont jamais rien entrepris sans avoir consulté les planêtes & les étoiles ? Je ne finirois pas si par des faits connus, des récits authentiques, je voulois peindre ici la gloire de l'astrologie dans le sçavante antiquité, son éclat & sa puissance à la cour des Rois de Babylone, dans les palais des Monarques d'Egypte, dans les écoles les plus célèbres d'Athènes & de Rome.

Pour se former une idée de l'autorité sans bornes qu'eut jadis cette connoissance, il suffit de connoître le pouvoir presque illimité qu'elle conserve encore dans la plûpart des cours asiatiques: c'est là qu'on voit les rois s'humilier devant leurs Astrologues ; c'est là qu'on voit des armées impatientes de combattre, attendre que leurs Devins ayent déterminé de la part du Zodiaque, le moment favorable pour engager le combat. Rien ne se fait ici, dit le Voyageur Tavernier, dans sa rélation d'Ispahan, rien ne se fait ici que de l'avis des Astrologues ; ils sont & plus puissans & plus redoutés que le Roi, qui en a toujours quatre attachés à ses pas, qu'il consulte sans cesse, & qui sans cesse l'avertissent de la bonne & de la mauvaise heure, des tems où il peut sortit, se promener, de ceux où il dot se renfermer dans son palais, se purger, se revêtir de ses habits royaux, prendre ou quitter le sceptre &c. Ils sont si respectés dans cette cour, l'une des plus brillantes de la terre, que le Roi Cha-Sephi, accablé depuis plusieurs années d'infirmités, & ne pouvant recouvrer la santé, les Médecins après avoir épuisé les ressources de leur art, jugerent que le Roi n'étoit tombé dans cet état de dépérissément, que par la faute des Astrologues, qui par trop de précipitation, avoient mal pris l'heure à laquelle il eut dû être élevé sur le trône. Les Astrologues reconnurent leur erreur: ils s'assemblèrent de nouveau avec les Médecins, chercherent dans le ciel la véritable heure propice, ne manquerent pas de la trouver ; & la cérémonie du couronnement fut renouvellée, à la grande satisfaction de Cha-Sephi, qui mourut quelques jours après.

Il en est de même à la Chine où l'Empereur, quoique très-despotique, n'ose pourtant rien entreprendre sans avoir consulté son thème natal. Son attention à cet égard est si grande ; ou, pour mieux dire, si superstitieuse, qu'il envoie toutes les nuits quatre Astrologues sur une montagne élevée, près des murs de Pekin : ils y vont contempler les astres, & reviennent ensuite expliquer tous les matins à l'Empereur les décrets des corps célestes, & les évènemens qu'ont annoncés leurs mouvemens divers. La vénération des Japonois pour l'astrologie est plus profonde encore ; chez eux, personne n'oseroit construire un édifice, avant que d'avoir interrogé quelque habile Astrologue sur la durée du nouveau bâtiment : il y en a même qui sur la reponse des astres, se dévouent & se tuent pour le bonheur de ceux qui doivent habiter la nouvelle maison.

Telle est la superstition qui regne, & qui souvent amène d'affreuses révolutions dans les Indes orientales ; & tel étoit aussi l'entêtement de nos ayeux pour les erreurs de l'astrologie judiciaire.

Que les Romains accoutumés à chercher leur destinée dans les entrailles d'un taureau, ayent cru lire dans les signes célestes les événemens futurs, il n'y a là, ce me semble, rien d'extraordinaire. Que ce penchant irrésistible, cette curiosité insatiable que tous les hommes ont de pénétrer dans l'avenir, aient changé en art superstitieux une science utile ; qu'après que des hommes sçavans, ou ambitieux de l'être, ont étudié les mouvemens des cieux, & qu'ils sont parvenus à découvrir les causes, & fixer le tems de quelques phénomènes, des imposteurs ayent persuadé à l'aveugle multitude que la sçience des astres apprend évidemment ce qui est, ce qui a été, comme ce qui doit être ; que malgré son absurdité, cette grossière fourbérie ait ébloui les ignorans ; qu'alors quelques esprits supérieurs n'ayent pû résister à l'attrait du merveilleux, & qu'ils se sont laissé subjuguer par l'empire qu'eut toujours sur l'humanité toute sçience occulte & incompréhensible ; qu'Origène lui même, Pline, Plotin, & le grand Marc-Aurelle; que Tibére, César, Tacite, Tite-Live &c., ayent de bonne foi régardé les cieux comme un livre où l'histoire du monde est écrite, & où l'arrangement des étoiles tient lieu de lettre & d'écriture ; ce systême pouvoit-il leur paroître plus vain plus insensé que la sçiences des augures, & tant d'autres erreurs consacrées par une religion superstitieuse au delà de toute extravagance, minutieuse jusqu'à la stupidité ? Mais que nos bons ayeux, corrigés, éclairés par les erreurs & les fautes de leurs prédécesseurs, ayent cru aux mêmes chimères ; que leurs superstitions pour le astres, leur soumission à l'influence des planètes, leur docilité aux fourberies des Astrologues, ayent été poussées jusqu'au plus haut dégré d'effervescence & de délire; voilà ce qui me prouve & l'extrême foiblesse de la raison humaine, & l'inutilité des efforts réunis des Sages, pour détruire à jamais l'autorité des préjugés populaires, qui une fois accrédités, ne peuvent tout au plus qu'être restraints, mais jamais anéantis dans les pays où ils ont été reçus.

De toutes les religions le christianisme est sans doute la plus incompatible avec l'astrologie judiciaire, & celle qui démontre avec le plus de force & d'évidence la fausseté de cette sçience. Toutefois qui ne sçait avec quelle fureur l'astrologie a dégradé nos peres, avec quelle avidité ils ont reçu & étudié ses principes, avec quelle docilité ils ont écouté les oracles, les prédictions, les prophéties des fourbes qui ont abusé de leur crédulité ? Il n'y a pas plus de deux siécles qu'on n'entendoit parler que d'horoscopes, de présages, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, & dans l'Europe entière. Les astres faisoient tout, ils décidoient de tout ; ils annonçoient la guerre, ils predisoient la paix, ils prédisoient sur les jours des Rois comme sur l'existence des laboureurs : Albert, Evêque de Ratisbonne, ce même Albert à qui son siécle, & je ne sçais à quel propos, la postérité ont accordé le nom de grand, ne publia-t'il pas l'horoscope de J. C. ? & pour ajouter au délire d'Albert, le Cardinal d'Ailly n'alla-t'il pas chercher dans les signes célestes la destinée de la religion chrétienne ? Mathias Corvin, Roi de Hongrie, osoit-il former ou exécuter quelque projet avant que d'avoir consulté les astres ? Sforce, Duc de Milan, voulut-il jamais entrer dans aucune espèce de négociation ; se permit-il de songer à aucune sorte d'affaire publique ou domestique, sans prendre auparavant les avis de ses Astrologues ? Qui regnoit en France, sous le nom de Cathérine de Médicis ? n'étoient-ce pas aussi des Astrologues, qui remplissoient impunément & son cœur & sa cour de terreur & de vices, qui repandoient dans le royaume mille sinistres prédictions, & qui à la faveur des superstitions qu'ils avoient introduites, commettoient mille crimes & mille déprédations ? On sçait que leur audace & leur avidité furent telles, que les Etats d'Orléans & ceux de Blois prirent en vain les plus sages mésures pour en arrêter les efforts. Les rigueurs des poursuites qu'on faisoit alors contre les Astrologues, les peines qu'ils subirent, les exemples, peut-être trop fréquens, qu'on en fit, les décréditerent si peu, qu'ils furent tout aussi puissans à la cour de Henri IV, qu'ils l'avoient été dans celle de Cathérine. Henri, le plus digne des Rois, & l'un des hommes les plus éclairés de son siècle, ne put se garantir du prestige imposant de l'astrologie. On souffre quand on lit dans les Mémoires de Sully, que ce Prince tout grand, tout sage qu'il étoit, ordonna cependant à son Médecin la Rivière, fourbe insigne & grand Astrologue, de travailler à l'horoscope du Dauphin nouveau né, & qui regna ensuite sous le nom de Louis le juste.

De tous les événemens annoncés par les Astrologues, je n'en troue qu'un seul qui soit réellement arrivé, tel qu'il avoit été prévû. C'est la mort de Cardan qu'il avoit lui-même prédite & fixée à un jour marqué. Ce grand jour arriva : Cardan se portoit bien  ; mais il falloit mourir, ou avouer l'insuffisance & la vanité de son art : Caran ne balança pas, & se sacrifiant à la gloire des astres, il se tua lui-même ; car il n'avoit pas expliqué s'il périroit par une maladie, ou par un suicide.

Il est vrai que les François se sont guéris peu-à-peu de cette ancienne foiblesse ; il est vrai qu'ils ont méprisé l'astrologie judiciaire autant qu'ils l'avoient respectée ; je conviens qu'on a cessé de croire aux influences, & qu'on est aujourd'hui généralement persuadé que les astres qui se meuvent avec tant de vélocité, & qui à chaque instant sont emportés si rapidement par leur tourbillon, ne peuvent point fixer nos destinées, eux qui sont si mobiles. Mais cette opinion durera-t'elle autant que l'opinion contraire a existé ? l'astrologie judiciaire ne reparoitra-t'elle pas sur les débris de la philosophie, quand retombés dans les ténèbres de l'ignorance, nos descendans auront éteint la lumière des sçiences, & qu'ils préféreront au goût des arts, & au flambeau de la saine raison, l'amour du merveilleux, le goût des préjugés, & les prestiges de l'erreur ? l'astrologie alors reprendra son empire en France & en Europe, où il lui fera d'autant plus facile de pénétrer, que quand elle s'en est bannie, elle n'a point entrainé dans sa suite l'essain stupide des superstitions quelle y a repandues, & qui s'y sont conservées, si non dans les villes & parmi les Citoyens instruits, du moins dans les campagnes, où elles n'ont presque rien perdu de leur ancienne autorité : je parle de la magie, de la sorcellerie, des enchantemens, des songes, des fantômes, &c.



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