M. L. Castillon (1765) Essai sur les Erreurs et les Superstitions Chapitre VII (pp. 117-141)

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CHAPITRE VII.

De la Sorcellerie, des Sorciers, & des Sortilèges.

CE SONT des méchans bien stupides que ces Sorciers ! ils n'ont qu'un seul moyen pour faire du mal, encore même ce moyen ne leur réussit pas toutes les fois qu'ils veulent l'employer. Quel mètier cependant, quel art, quelle profession plus pénible, quelle condition plus dure que celle des Sorciers ? Les malheureux se donnent des peines infinies, ils se tourmentent, ils s'agitent, ils font des périlleux voyages, ils rendent au démon l'hommage le plus insipide & le plus fatiguant. Leur culte & leur cérémonies sont de la plus étrange grossièreté. Leurs invocations ressemblent plus à des rugissemens, qu'à des prières articulées. Emportés dans les airs par les tems les plus orageux, sur les appuis les plus fragiles, & prêts à chaque instant à se rompre le col ; toujours dans l'épaisseur des ténèbres, dans l'infection du souffre, dans la puanteur des boues, toujours dans l'indigence ; & tout cela, pour faire peur à quelques hommes timides, à des vieilles, à des enfans ; ou tout au plus, dans les grandes occasions, pour tâcher d'obtenir du diable quelque prétendu maléfice, quelque brouillard empesté, quelques tonneaux de grêle, qui les font dérester, & qui le plus souvent se terminent par les forcer d'aller ailleurs exercer leur chimérique puissance. Il y a dumoins quelque chose de noble, un certain ton de dignité & de grandeur dans les fonctions des Magiciens, & dans leur cérémonies : mais dans la sorcellerie, tout est mesquin, ignoble & bas, aussi n'en voit-on guère dans les villes. Cette sçience, qui ne donne ni de l'honneur ni des richesses, ne me semble guère attrayante. Pourquoi donc est-elle, ou la croit-on si puissante & si bonne à étudier ? C'est que dans tous les états on aime à être craint, on aime à dominer, à avoir de l'ascendant sur l'esprit de son voisin.

Il faut avouer que la sorcellerie a éprouvé bien des variations, & qu'elle a bien perdu de son ancienne autorité. Ce n'est plus aujourd'hui qu'un art peu malfaisant, qui, par des invocations excessivement absurdes, emprunte dans l'épaisseur des ténèbres, le secours & le ministère du diable. Autrefois c'étoit bien autre chose ; aussi la superstition donnoit-elle de la considération aux Sorciers, dumoins extérieurement ; car, au fond, il me paroit que cette espèce a constamment été plus méprisée encore & plus avilie qu'elle ne s'est cru redoutée.

Orphée & Tirésias sont, si je ne me trompe, les premiers Sorciers que l'antiquité nous présente. Homère, dans son Odissée, & Virgile dans son Eneïde, nous apprennent que la principale fonction de ces deux Prêtres étoit d'évoquer les ames des enfers : mais on ne trouve point qu'ils aient eu aucune espèce de puissance sur les divinités du ciel. C'étoit à eux qu'il falloit s'adresser, quand on s'étoit proposé de consulter les morts. Or, cette évocation par Pluton & les Parques, n'étoit autre chose qu'un acte de magie noire ou de sorcellerie.

Il y avoit à Lacédémone des Magiciens ; mais il n'y avoit personne qui fût initié dans les mistères de la sorcellerie ; & quand les Lacédémoniens voulurent, au rapport d'Élien, appaiser les manes de Pausanias, qu'on avoit fait mourir de faim dans un temple, ils furent obligés de faire venir des Sorciers d'Italie, pour chasser par leurs cérémonies & leurs évocations, le spectre du défunt. Cependant il me semble qu'il étoit fort inutile que les Lacédémoniens envoyassent chercher des Sorciers si loin, puisque la Thessalie étoit, comme nous l'assure Pline, si féconde en Sorciers, & sur-tout en Sorcières, qu'alors en Italie Thessalienne & Sorcière étoient deux expressions synonimes, deux mots qui désignoient également une femme instruite dans l'art de la sorcellerie.

Il y a beaucoup d'apparence que ce fut Médée, qui des extrémités du Pont-Euxin apporta la sorcellerie en Thessalie. Séneque assure que ce fut Mycale, qui très-versé dans cette science, y forma les Thessaliennes : mais Héliodore atteste qu'il y avoit alors en Egypte, un très-grand nombre de Sorciers & de Sorcières, très-méprisés par les Magiciens, fort détestés par le peuple, & dont toute la sçience consistoit à servir d'un culte ridicule, des idoles qui leur étoient particulières, à errer pendant la nuit aux environs des cimetières, à exhumer les cadavres, à chercher & cueillir certaines herbes, auxquelles ils attribuoient quelques vertus malfaisantes ; à diriger enfin & à commettre quelques mauvaises actions, ou à procurer pour de l'argent, la jouissance des sales plaisirs. Plutarque, Apollonius, & d'après eux, Erasme, ont parlé beaucoup aussi d'une Aglatonice de Thessalie, Sorcière qui s'étoit rendue si célèbre parmi les femmes, qu'elles étoient persuadées qu'à ses ordres & par la force de ses conjurations, la lune descendoit sur la terre ; à moins que par un bruit horrible de voix & d'instrumens, on n'empêchât les paroles mistèrieuses de l'invocation de pénètrer jusqu'au ciel. Cette erreur se repandit de la Grèce en Italie, & de-là dans tout l'univers : comment a-t'elle pénétré dans les forêts de l'Amérique, dans la Chine, au Japon, & dans les Indes ? Je l'ignore, & je crois qu'il seroit très-difficile d'indiquer comment & dans quel tems cette communication a eu lieu. Ce qu'il y a de prouvé, c'est qu'on a vu les Sauvages de l'Amérique & des Indes, le plus récemment découverts, observer, lors des éclipses de lune, exactement les mêmes cérémonies que pratiquoient du tems d'Aglatonice les femmes de Thessalie : ce que m'apprennent encore tous les Auteurs qui ont écrit sur les coutumes & les préjugés de nos peres, c'est que la même erreur a très-long-tems subsisté dans le christianisme, en Europe & même en France, où à force de cris, de hurlemens & de bruit pendant les éclipses, on croyoit donner à la lune un puissant secours contre les conjurations des Sorciers ; tant il est vrai que rien ne peut arrêter & détruire la superstition, qui une fois introduite & reçue dans quelque coin de la terre que ce puisse être, gagne de proche en proche, pénètre dans tous les continens, franchit les mers, & qu'ensuite on la trouve repandue chez toutes les nations, accréditée, impérieuse dans toutes les parties de monde habité.

Les Romains, dont je parlois dans le chapitre précédent, & qu'on a vû pénétrés de respect pour les Magiciens, croyoient aussi à la sorcellerie, & cependant ils traitoient, ainsi que nous, les Sorciers avec un souverain mépris ; ils ne p125 brûloient pas à la vérité, comme on les a brûlés en France & en Allemagne ; mais on les accabloit d'injures, on les tournoit en ridicule ; le peuple les détestoit ; les Littérateurs en rioient, & les Grands, à l'exception de quelques-uns qui pensoient comme le peuple, les regardoient comme une vile espèce. Voyez comme Horace se joue de leur sçience & de leur profession, dans ses vers satyriques sur l'horrible Canidie, qu'il a peint sous les traits d'une vieille fort méchante, acariâtre, & toujours disposée à nuire, à faire du mal, & à tout entreprendre pour de l'argent : en un mot, telle à-peu-près & tout aussi méprisable que ce que nous entendons chez nous par le mot de vieille Sorcière.

J'ai dit que malgré ce mépris pour les Sorciers, les Romains croyoient cependant aux secrets sorcellerie. Tibulle, dans une de ses Elégies, raconte qu'une fois éperdument amoureux de la femme d'un jaloux, il eut recours à une fort habile Sorcière, qui, après quelques conjurations, & beaucoup de cérémonies, le fit jouir de sa maîtresse, sous les yeux même de son mari, qui ne vit ni l'infidélité de sa femme, ni les attentats de l'amant. Ovide a aussi décrit le sacrifice funébre que les Romains étoient dans l'usage de faire pour les morts à la Déesse Taciturne, (Dea Muta). Environnée, dit-il, d'un essain de jeunes filles, une vieille Sorcière remplissoit en cette occasion, les fonction de Prêtresse ; elle prenoit de trois doigts seulement, trois grains d'encens, qu'elle alloit mettre mistérieusement dans un trou de souris, auprès de la porte du temple ; elle portoit alors à sa bouche sept fèves noires l'une après l'autre ; & après avoir collé avec de la poix, la tête d'un petit simulacre, qu'elle perçoit d'une aiguille d'airain, elle jettoit cette tête dans un brasier couvert de feuilles de mente ; ensuite elle soulevoit un vase rempli d'excellent vin ; elle en répandoit quelques goutes sur cette mente, en donnoit très peu à bore aux jeunes filles, & reservoit tout le reste pour elle : puis quand l'îvresse commençoit à s'emparer de ses sens, elle renvoyoit l'assemblée, & chacun se retiroit, persuadé que par ce sortilège la vieille venoit d'enchaîner la langue de la médisance & de la calomnie.

L'indulgence du Sénat, qui peut-être par un excès de crédulité, toléroit des cérémonies, enhardit les Sorciers ; & bientôt à l'exemple des Magiciens, ils rendirent leurs cérémonies plus nobles & plus imposantes : leur audace s'accrut à proportion de l'autorité que leur donnoit la crainte qu'ils avoient inspirée au peuple : leurs assemblées furent plus mistérieuses, & ils s'y occuperent d'objets plus importants. Ammien nous apprend que sous l'empire de Valens, on comptoit dans cette classe, jusqu'alors si fort méprisée, quelques Philosophes & beaucoup de gens de qualité. Curieux de sçavoir quelle seroit la destinée de l'Empereur régnant, ils s'assemblerent pendant la nuit, ajoute le même Historien, dans une des maisons affectées à leurs cérémonies. Ils commencerent par dresser un trépié de racines & de rameaux de laurier, qu'ils consacrerent par d'horribles imprécations : sur ce trépié ils placerent un bassin formé de différens métaux, & ils rangèrent au-tour, à distances égales, toutes les lettres de l'alphabet. Alors le Sorcier le plus sçavant de la compagnie s'avança, enveloppé d'un long voile, des feuilles de verveine à la main, & faisant à grands cris d'effroyables invocations, qu'il accompagnoit de convulsions hideuses : ensuite s'arrêtant tout-à-coup devant le bassin magique, il y resta immobile, & tenant un anneau suspendu par un fil. A peine il achevoit de prononcer les paroles du dernier sortilège, qu'on vit le trépié s'ébranler, l'anneau se remuer, s'agiter rapidement, & frapper tantôt sur une lettre, tantôt sur une autre. A mesure que ces lettres étoient ainsi frappées, elle alloient s'arranger d'elles-mêmes à côté l'une de l'autre, sur une table, & elles composerent de très-beaux vers héroïques, qui furent admirés de toute l'assemblée. Valens qu'on eut soin d'informer de cette opération, & qui n'aimoit pas qu'on interrogeât les enfers sur sa destinée, punit sévèrement les Grands & les Philosophes qui avoient assisté à cet acte de sorcellerie : il étendit même, avec une atrocité sans exemple, la proscription sur tous les Philosophes & les Sorciers de Rome ; il en périt une étonnante multitude ; & les Grands dégoutés d'un art qui les exposoit à de si cruels supplices, abandonnerent la sorcellerie à la populace & aux vieilles, qui ne la firent plus servir qu'à de petites intrigues, des vengeances obscures, des malefices particuliers & peu pernicieux.

Il est très-vraisemblable que de tems en tems les Sorciers tenterent d'usurper de la considération ; mais on les obligeoit de rentrer aussitôt dans leur première obscurité. Justinien décerna des punitions capitales contre ceux qui useroient de sortilèges, pour faire du mal ; & Constantin, qui, malgré ses lumières, ne laissoit pas d'être fort superstitieux, n'ordonna-t'il pas (l. 4. c. de malef.) que ceux qui se serviroient de la sorcellerie pour attenter à la vie des hommes ou à la pudeur des femmes, seroient punis ; mais qu'on ne feroit point des poursuites contre ceux qui employeroient cet art à guérir les malades, ou a détourner les vents, les tempêtes, la grêle, &c.

Pendant qu'à Rome & dans l'Empire on sévissoit avec tant de rigueur contre les sortilèges, cet art fleurissoit dans les Gaules, & surtout dans la Grande-Bretagne, où, comme l'observe Pline, les Druides l'avoient porté à sa plus grande perfection. Mais ces Druides si fameux ne sçavoient faire tout au plus que quelques évocations, & toute leur puissance se bornoit à prier les esprits infernaux d'accourir à leur voix. C'étoit aussi toute la science des Sorciers Romains, Grecs, & Egyptiens : car, à l'exception d'Orphée, de Thésée, d'Hercule, d'Enée, & de quelques autres qui ont vû face-à-face le Prince des ténèbres, l'antiquité ne nous indique aucun lieu de rendez-vous où se tinssent les conférences entre le diable & les Sorciers. Aucun ancien démonographe ne fait mention de ces assemblées nocturnes, connues sous le nom de Sabat. Ce n'a été que bien longtems après que la superstition a inventé ces entretiens nocturnes, ce sabat où se commettent tant d'abominations, tant de crimes, tant de débordemens ; où les démons s'unissent si vilainement à de vieilles femmes, où les incubes & les succubes oubliant la différence des deux sexes, se prostituent les uns aux autres avec tant de brutalité, où regne enfin tant de confusion, tant de bétise, tant d'horreur.

On peut dire, à l'honneur des Ecrivains françois,que parmi eux un seul a cru sérieusement à la sorcellerie & à tous les récits de la superstition au sujet du sabat. C'est Bodin, qui ne se contente pas d'ajouter foi à ces imbéciles rapports, mais qui trouve mauvais & fort impie qu'on ne veuille pas croire qu'il y a une prodigieuse quantité de Sorciers, qui vont réellement au sabat, & qui par la vertu de leurs sortilèges, & le pouvoir exprès qu'ils ont reçu du diable, quand il leur a imprimé la marque de sorcellerie, opèrent des choses surprenantes, font pleuvoir, tonner & grêler, ensorcèlent, envoyent & le diable & la mort à quiconque ose les offenser, & milles autres réveries, mille autres puérilités de ce genre, qu'il a gravement insérées dans son très extraordinaire traité de la Démonomanie.

Cette opinion de Bodin, & qui lui fait si peu d'honneur, étoit aussi le préjugé de bien des gens en France, où 'on crut que le plus sûr moyen d'empêcher les Sorciers de se rendre au sabat, étoit d'en exterminer l'espèce. L'expédient étoit cruel ; il fut mis en usage avec une barbarie qui fait frémir l'humanité. Quiconque étoit soupçonné de sorcellerie, étoit enveloppé dans la proscription : une étonnante multitude de malheureux, qui n'avoient jamais vû le diable, & qui n'avoient jamais fait aucune pacte avec lui, expièrent dans les tourmens le malheur d'être nés dans un siécle de fantisme & de superstition. L'angleterre gémissoit sous le joug de la même erreur : deux factions (car tout est faction dans cette Isle) y divisoient les cœur & les opinions : les uns, &, graces à la raison, leur opinion a prévalu, soutenoient que la sorcellerie étoit une chimère, & les Sorciers, des malheureux qu'il falloit plaindre, detromper & guérir ; les autres prétendoient qu'il falloit les enchaîner, & les faire périr sur l'échaffaud, ou dans les flammes. Scott, Littérateur célèbre, & profond Mathématicien, prouva l'insuffisance de la sorcellerie, la puérilité des sortilèges, le mépris & l'indifférence que les Sorciers méritoient du public. Jacques Ier., qui n'étoit point Sorcier, écrivit contre Scott un traité de Démonologie, dans lequel il prétendit prouver la puissance de la magie noire & le pouvoir surnaturel des Sorciers. Cette dispute ne produisit dans la Grande-Brètagne que quelques écrits polémiques ; tandis qu'en France les bourreaux ne pouvoient suffire au nombre de victimes qu'on leur donnoit à immoler.

On se trompoit en Angleterre, on se trompoit en France. Les Sorciers méritent d'être punis, mais non pas d'être brûlés. La sorcellerie qui en elle-même n'est rien, devient très-dangereuse par cela même que la superstition la croit pernicieuse. C'est déjà un crime punissable que celui de profiter de la foiblesse des petits esprits, pour leur faire du mal ; parceque l'imagination allarmée suffit pour produire réellement tous les pernicieux effets que l'on suppose pouvoir être opérés par la force des sortilèges. Ainsi, s'il existe des gens assés platement stupides pour se persuader qu'en faisant quelque pacte avec le démon, ils pourront nuire & se faire craindre, & s'ils agissent conséquemment à leur erreur ; ce sont des citoyens malfaisans, dont il faut délirer la société, soit en les enchainant, soit en les obligeant à renoncer au vice de leur ame.

Ceux qui ont voyagé en Laponie, sçavent bien qu'il n'y a point de Sorciers dans ce pays, non plus qu'ailleurs : cependant il n'y a pas de Voyageur qui n'ait été frappé des sinistres effets qu'opère sur les Lapons la crainte des Sorciers, & de la grande autorité de ceux-ci sur leurs compatriotes. Mr. Scheffer donne une description très-curieuse de leurs opérations magiques. " Ils se servent, dit-il, pour faire leurs sortilèges, d'un tambour fait d'un tronc de pin, & d'une seule pièce, couvert d'une peau de rhenne, ornée de quantité de figures peintes grossièrement, d'où pendent plusieurs anneaux de cuivre & quelques morceaux d'os de rhenne. Si le Sorcier veut interroger son tambour, c'est-à-dire, se servir de son tambour pour consulter le diable, il se met à genoux, ainsi que tous ceux qui l'entourent ; il commence par frapper doucement sur le tambour avec un os de rhenne, en traçant avec cette baguette une ligne circulaire, & en faisant, à voix basse, ses invocations : ensuite s'animant par dégrés, rédoublant & ses cris & ses coups, il frappe avec violence, pousse des hurlemens affreux, s'agite & se tourmente, écume ; son visage devient bleu, ses cheveux se hérissent : excédé de fatigue il tombe enfin en pamoison, il reste quelque tems immobile & la face contre terre. Lorsque le paroxisme est passé, il se relève, croit avoir vû le diable, & rend compte à l'assemblée de l'entretien qu'il a eu avec lui. Ces Sorciers ont encore un autre sortilège qu'on regarde comme le plus terrible des maléfices, & qu'ils nomment le tyre. Ce tyre est une fort petite boule faite du duvet de quelque animal. Ils envoyent, disent-ils, cette boule où ils veulent, à plus ou moins de distance, suivant l'étendue du pouvoir du Sorcier. Ils croyent qu'elle porte inévitablement la mort à tout ce qu'elle frappe. S'il arrive que ce soit un homme ou un animal, elle le tue aussitôt, & revient à celui qui l'a envoyée: au reste, elle roule avec tant de vitesse, qu'on ne peut pas l'appercevoir ; on voit seulement une petite trace bleue qu'elle laisse sur son passage ; mais si celui à qui le tyre est envoyé, est plus habile Sorcier que son ennemi, il le lui renvoye, sans en être frappé, & le premier Sorcier expire de la même mort qu'il a voulu donner.

Voilà quels sont les préjugés des Lapons, & à quoi se réduit à peu près tout l'art de leurs Sorciers. Les nôtres me paroissent bien plus habiles & plus féconds en sortiléges. Je dis les nôtres, parcequ'il est très-vrai que cette superstition régne encore dans nos campagnes, où elle continuera d'allarmer l'imagination des paysans & des villageois, jusqu'à ce qu'aulieu d'inspirer de la haine contre les Sorciers, & de décerner des peines contre les maléfices, on ait employé le seul remède raisonnable & salutaire pour extirper toute apparence, tout vestige de sorcellerie. Ce remède est bien simple ; c'est de persuader au peuple que sa crédulité fait toute la sçience des Sorciers, qui ne peuvent rien, qui ne reçoivent aucune vertu du démon ; que l'on peut braver impunément leurs sortiléges & les effets de leurs pactes : enfin qu'il n'y a nulle part, & qu'il n'y eut jamais de sabat. Cette vérité une fois bien établie, toute l'autorité des Sorciers seroit ruinée ; ils ne feroient plus craints ; & l'imagination de ceux à qui ils voudroient nuire, ne leur fournissant pas les moyens de faire du mal, on n'entendroit pas plus parler de sortiléges & de Sorciers dans nos villages, qu'on en entend parler en Hollande, à Génève, à Paris, à Londres, &c., où personne n'ajoutant foi à ces superstitions, personne aussi n'y est soupçonné d'aller au sabat, ou de faire du mal en prononçant quelques mots inintelligibles. Alors il ne resteroit plus des anciens préjugés populaires que quelques mauvais enchantemens, quelques songes peu allarmans, & quelques impuissans fantômes, spectres ou revenans.



James Eason, or not this one; use the other one.