Lettres relatives à la guerre civile de 1652.

La correspondance des agents que Mazarin avait à Paris fait connaître l'impression produite sur la population de cette ville par la prise d'Angers : on y voit surtout combien le parti du duc d'Orléans et de Mademoiselle en furent frappés. C'est là ce qui m'a déterminé à publier les lettres suivantes :


I.

« L'on est depuis cette nouvelle fort étonné à Luxembourg, où le menton a allongé à quelqu'un de plus d'un demi-pied.1 L'on y fait monter les deux canons tirés de la Bastille, et dit-on aux spectateurs que c'est contre les Mazarins. L'on croit qu'ils y demeureront pour la garde du Luxembourg, où quelques capitaines de la ville, sur un avis supposé qu'on vouloit enlever S.A., ont étés s'offrir avec leur compagnies. MM. de Nemours et de Tavannes y arrivèrent bien au soir, avec une escorte de deux cents cavaliers. Les bien-intentionnés s'étonnent du chancelier,2 qui s'est venu fourrer à Paris pour donner des conseils, avec Chavigny et Tubœuf,3 à M. d'Orléans contre le service du roi, et que les trois, qui ont le plus vécu de bienfaits du roi, soient aujourd'hui ses plus grands ennemis. Le passage des Espagnols nous le confirme à l'égard du premier.4 Plusieurs ont trouvé à redire audit passage, pour n'y avoir été pourvu, et quels gouverneurs de Champagne et de Picardie n'ont pas fait plus de diligence de leur faire obstacle. Mais on excuse M. d'Elbœuf, qui est assez occupé à faire danser des ballets et à se poudrer. A quoi je réponds que le passage des Espagnols à Mantes sera leur cimetière, Angers étant rendu, comme il est ; ce que Dieu a permis pour un plus grand bien, et, quand le passage leur auroit été fermé à Mantes, que Monsieur avoit dit qu'il les feroit passer à Saint-Cloud ou même sur le Pont-Neuf.

» Les affaires sont ici en tel état qu'on n'oseroit y crier la lettre du roi à M. le maréchal de l'Hôpital,5 d'autant que les frondeurs tiennent la réduction d'Angers fausse, quoiqu'elle soit très-assurée. quelque colporteur a même ce matin été maltraité pour cela. Il y a aussi quelques jours qu'un Suisse, qui parut tant à la cavalcade de la majorité, pensa être très-maltraité, pour avoir argué un colporteur, qui crioit je ne sais quelle liberté contre Son Éminence. »


II

Un autre agent de Mazarin écrivait le même jour :

« C'est une chose étrange que Paris soit si infecté des mauvaises impressions que l'on donne à beaucoup de gens, que l'on s'opiniâtre à soutenir qu'Angers ne soit pas pris ; ce qui les fortifie dedans cette malice est qu'il y a des lettres de Saumur du 2 et de la ville d'Angers de la même date, qui portent que l'on s'y bat rudement, et que cette ville n'est point rendue, quelque certitude qu'il y ait du contraire. Néanmoins, ils ne laissent pas d'être embarrassés, au palais d'Orléans, de l'approche du roi, et l'on a été voir aujourd'hui aux écuries, si elles étoient bien garnies ; ils commencent d'ailleurs d'entrer en méfiance de M. le Prince, croyant qu'il est dans la pensée de s'accorder. » Me. de Nemours a couché cette nuit chez les Prudhommes,6 et les officiers de l'armée, qu'il a amenés avec lui, ont presque occupé toutes les maisons des baigneux [sic]. Madame de Nemours en a pleuré ayant été fort fâchée de ce mépris. Il s'en va demain, et l'on dit qu'il a fait approcher quelque cavalerie, pour escorter le canon, qui doit partir du palais d'Orléans pour le joindre à celui qu'ils ont. »


III.

Un troisième agent de Mazarin lui écrivait à la même date :

« Les troupes d'Espagne qui ont passé à Mantes sont maintenant à huit lieues d'ici, à Houdan, près de Montfort, où elles doivent se rafraîchir au moins trois jours, en ayant fait vingt-quatre heures de marche continuelle. Il y d'effectif environ deux mille cinq cents hommes de pied et trois mille chevaux. M. de Nemours arriva, hier ici, avec six vingt chevaux, qui l'accompagnèrent jusqu'à la porte du palais d'Orléans. Il fait état de partir dans trois ou quatre jours. Cependant on le régale fort de maint bal et ballet, chez Mademoiselle. Pour le duc de Sully,7 il s'en est magnifiquement acquitté au passage de Mantes. Les officiers de M. le chancelier y ont été envoyés pour aider. Madame la chancelière fit aussi monter à cheval l'écuyer Delcampe, avec ses académistes,8 qui y allèrent en diligence, pour fortifier le duc de Sully contre les habitants. Tout cela est assez remarquable, aussi bien que l'étonnement et le chagrin, que l'on voit depuis deux jours dans l'esprit de M. le chancelier, qui ne laisse pourtant pas d'aller incognito chez M. d'Orléans, lui ayant déjà rendu quelques visites de la sorte, après en avoir reçu une de S.A.R., il y a quelques jours, qui fut très-longue, et la conférence fort particulière. La chose est assez surprenante, et l'on ne croit pas quelle lui puisse être avantageuse. »

 


IV.

La correspondance des frondeurs avec M. le Prince prouve que depuis longtemps ils cherchaient à engager Gaston d'Orléans à se rendre dans la capitale de son apanage.9 L'un d'eux écrivait au prince de Condé le 9 mars 1652 :10

« Le 4 de ce mois, j'écris à V.A. le passage de l'armée à Mantes. Depuis ce temps-là elle est en quartier de rafraîchissement, à cinq ou six lieues de Paris. L'infanterie est logée à Houdan, et la cavalerie ès environs. M. de Nemours, le sieur de Clinchamp et la plupart des officiers généraux sont ici (à Paris). Leur présence, le bon ordre qu'ils ont observé dans leur marche, et au contraire le pillage, le vol, l'incendie et tous les autres désordres, que le maréchal d'Aumont souffre à ses soldats11 dans la vallée de Montmorency, où ils sont logés, ont mis Paris dans la meilleur disposition du monde pour le parti …. L'on avoit espéré que S.A.R. iroit à Orléans. Les plus avisés jugeoient l'importance de ce voyage pour assurer un poste considérable au parti et se rendre maître par ce moyen de la rivière de Loire. Ce qui eût mis le Mazarin dans la dernière confusion. Lui-même en jugeoit bien la conséquence, et nous l'avons vu (Gaston) tout disposé à suivre le conseil qu'on lui donnoit. Cependant la cabale contraire et opposée a prévalu. Elle a appelé à son secours [Madame], qui, sous prétexte de la sûreté et de la conservation de S.A.R., y a très-opiniâtrément résisté, et enfin a obtenu qu'il ne sortiroit point de Paris.

» Outre le mauvais effet, que cette résolution a produit dans la conjoncture présente des affaires, elle en produira encore un bien plus fâcheux dans la suite ; c'est qu'elle empêchera que les troupes de Son Altesse royale ne s'éloignent de la rivière de Loire. Il les voudra toujours avoir proche de lui, afin de couvrir Paris, et ainsi il ne faut point faire état de la faire agir dans les provinces les plus éloignées, quelque raison qu'il y eût de prendre cette résolution.

» Il ne nous a pas caché ses sentiments sur ce sujet. C'est un conseil pris qu'on aura peine à lui faire changer. Votre Altesse ne sauroit s'imaginer avec combien de difficultés il a enfin consenti qu'elles prissent des postes sur la Loire, et comme il étoit préparé à toutes les raisons, qu'on lui représentoit pour le persuader. Ce qui est le plus fâcheux, c'est qu'on nous fait croire que c'est, par un principe de jalousie, que le coadjuteur lui donne des établissements de Votre Altesse et de ceux qu'elle pourroit encore prendre, si la guerre se faisoit dans les provinces proches et à bienséance de votre gouvernement. Néanmoins, l'on est convenu que [M. de Beaufort] s'emareroit de Boisgency (Beaugency) et Gerzea (Jargeau), et l'on lui envoie un courrier qui lui en porte les ordres. Il doit marcher avec tout son corps, et [M. de Nemours] le doit suivre et attend pour cela de ses nouvelles. Nous ne sommes pas encore bien assurés du succès de cette entreprise. Car l'on dit que Paluau est logé vis-à-vis de Boisgency, la rivière entre lui et la ville, et que même [les Mazarins] ont aussi résolu d'y assembler toutes leurs forces. Ainsi, il (ce projet) dépend de la diligence qu'on apportera pour le faire réussir, et de l'inclination des peuples.

» Il est bien fâcheux qu'on soit obligé de vous écrire avec tant d'incertitude d'un dessein, qui devroit être exécuté ; mais enfin il est trop important que Votre Altesse le sache, et je crois qu'elle aimera beaucoup mieux que je lui mande les choses avec [une] vérité, qui l'obligera de travailler à vaincre les difficultés, qu'avec une complaisance, qui lui feroit lire des nouvelles avec plaisir ; mais qui, tôt ou tard, lui seroit fort préjudiciable. »


V.

Le duc d'Orléans était retenu par la crainte, et sa femme le pressait vivement de traiter avec la cour. « Il est certain, écrivait le 15 mars 1652 un des agents de Mazarin, que [Son Altesse Royale] commence à craindre, et que [Madame] désire l'accommodement. Ce qui l'arrête le plus, est qu'on lui a fait entendre que [Digne12] n'aura désormais ni estime ni amitié pour elle. Tellement qu'on me sollicite de demander, si on peut lui donner quelque témoignage du contraire. »


VI.

Tous les contemporains insistent sur les hésitations de Gaston, dont la peur salit toute la vie, selon l'énergique expression de Retz :

« L'on voit l'esprit de M. d'Orléans plus embarrassé que jamais, écrivait un des agents de Mazarin en mars 1652 ; Chavigny et Croissy13 disent bien que Son Altesse ne fait pas tout ce qu'elle peut, parce qu'il n'agit pas selon leurs sentiments. Ces messieurs-là ne manquent pas d'animer l'esprit de M. le Prince. Toute leur visée est maintenant de le rendre maître de toutes les troupes ; ils disposent tout pour cela. Son Altesse royale en a saussi très-grande défiance. Chavigny et Croissy attendent toujours réponse du prince, touchant l'accommodement avec le cardinal de Retz ; à quoi je vois qu'ils ont grande répugnance. Je leur ai ouï dire, depuis peu, qu'il ne tien qu'à eux qu'il ne soit fait. Cependant je vois qu'ils s'embarrassent de ce que madame de Chevreuse tint assez longtemps cabinet, il y a trois jours, avec Son Altesse royale, chez le cardinal de Retz, par rencontre ou autrement. »


VII.

On tenta vainement dans la suite de déterminer Gaston à se rendre à Orléans. Le comte de Fiesque, qu'il y avait envoyé, et dont parle Mademoiselle (Chap. X) insista vainement sur ce point, comme le prouve une lettre d'un partisan de Mazarin, écrite le 24 mars 1652 : « Le comte de Fiesque arriva hier matin d'Orléans et fut au parlement, tout chaud ému et crotté, le fouet de postillon à la main, et fut introduit de la sorte dans l'assemblée, apportant la nouvelle que le duc de Beaufort étoit dans Orléans ; que la ville étoit déclarée et que Gergeau [Jargeau] seroit bientôt assure ; mais nous savons pourtant que c'est pour le roi. Nous savons aussi les délibérations de la ville d'Orléans telles, que Gramont a fait savoir à Son Altesse royale que sa présence étoit nécessaire à Orléans, et que, sans cela, il ne pouvoit espérer de ce côté-là de satisfaction ni d'engagement pour ses intérêts. Fiesque appuie très-fort là-dessus ; aussi fait Chavigny, Croissy et tous ceux, qui sont maintenant dans le conseil de Son Altesse, comme le duc de Sully, Rohan, Flamarens, Fontrailles et nos frondeurs du parlement, qui sont tous des ministres au palais d'Orléans. Ces messieurs avoient donné congé à Son Altesse jusqu'après la fête, et assuré qu'il ne seroit point fait d'assemblée en son absence. Le voyage étoit résolu hier pour demain, et l'ordre étoit donné pour faire avancer cinq ou six cents chevaux à Augerville. Mais aujourd'hui on a trouvé l'esprit de Son Altesse tout changé ; et, quoique le duc de Beaufort, qui est arrivé la nuit passée, avec Tavannes, ait fait les derniers efforts pour émouvoir Son Altesse, elle ne se peut résoudre à quitter Paris. Elle y trouve trop d'inconvénients, et Madame encore plus que lui. Sa nouvelle grossesse ne diminuant pas son crédit, on lui attribue ce changement.

» On ne laisse pourtant pas de presser toujours Son Altesse royale de monter à cheval, pour aller faire cet exploit. Il a promis aujourd'hui que, s'il n'y va, Mademoiselle ira ; à quoi elle est toute disposée. Madame l'y convie de bien bon cœur. Il y a très-grande apparence qu'elle fera le voyage. L'on en fait encore secret ; mais je n'en doute nullement. L'on examine maintenant les moyens de la faire passer avec sûreté. Fiesque partira demain après la dernière résolution prise ; le duc de Beaufort et Tavannes s'en retournent aussi, après avoir ici tenu les grands conseils de guerre. Son Altesse royale a laissé une partie des choses à leur discrétion. J'ai su que l'on a fort examiné le pour et le contre sur le point de la bataille, ou si l'on s'attachera à prendre des postes sur la rivière. Dans leur raisonnement, ils ne considèrent pas Orléans pour une pièce, qui leur puisse servir à autre chose qu'à incommoder le roi ; car ils savent bien qu'ils n'en peuvent faire une place de guerre, et qu'on n'y laissera entrer aucunes de leurs troupes, en quelque façon que ce soit, même pour la retraite en cas de nécessité. Ils ne croient pas aussi qu'ils en puissent tirer grand secours ni contribution pour faire subsister leur armée. »


VIII.

Le 27 mars 1652, on écrivait à Mazarin : « Samedi l'après-dînée (23 mars), arriva la nouvelle de la défaite de l'armée de M. le Prince, qui rabattit bien la joie, que M. le comte de Fiesque apporta, le matin, de l'entrée de M. de Beaufort dans Orléans. Le lendemain, dimanche (24 mars), ledit Beaufort et Tavannes arrivèrent à Luxembourg pour faire aller Monsieur à Orléans, afin d'obliger par sa présence les habitants à donner passage à leur armée pour relever le part du prince. Son Altesse étoit aucunement persuadée par le sieur de Chavigny ; mais le coadjuteur la dissuada aussitôt en lui remontrant la conséquence de quitter Paris, et que c'étoit le moyen de se faire encore une fois pousser en Flandre. Tellement qu'au lieu de Son Altesse, Mademoiselle, accompagnée du duc de Beaufort, s'y achemina lundi (25 mars) avec protestation de faire la pucelle d'Orléans. Il y eut quelques bourgeois et canaille en petit nombre, qui allèrent à Luxembourg crier : Point de Mazarin ! auxquels Beaufort dit que Paris différoit trop à se déclarer, et qu'ils devroient faire comme Orléans, qui a pris les armes ne voulant point recevoir Son Éminence ; et, en partant, Mademoiselle disoit tout haut qu'il n'y auroit point du tout de Mazarins. »

Cette lettre se termine par d'assez mauvais vers sur le voyage de Mademoiselle. On s'adresse à Gaston d'Orléans :

      Prince, modère ton courage ;
Tu reconnoîtras tôt ou tard
Que tu détruis un héritage,
Où tu peux avoir quelque part.

      Ne t'assure point sur tes armes,
Ni sur le nombre des gens d'armes ;
Le roi ne craint point tes soldats.

      Gaston, la force est inutile ;
Sers-toi seulement de ta fille ;
Amour y pourra plus que Mars.


IX.

Un autre correspondant de Mazarin trace l'itinéraire de Mademoiselle dans une lettre datée également de Paris, du 27 mars 1652 : « Vous aurez su comme Mademoiselle partit assez à l'improviste avant-hier et alla faire sa première couchée à Chastres, accompagnée de la comtesse de Fiesque et de madame de Frontenac. Elle a pour frondeurs Croissy et Bermont. L'escorte étoit en chemin.… Son Altesse royale témoigne maintenant qu'une des principales raisons qui l'a empêchée d'y aller [à Orléans], c'est le manque d'argent. Nos bourgeois n'approuvent point tout ceci ; ils connoissent bien que c'est nous plonger dans des abîmes de malheurs. L'on sent ici la misère s'augmenter tous les jours par la cherté des vivres : le blé vaut déjà trente sous le setier, et la viande quinze sous la livre. Les marchands de bétail ont représenté à la police qu'ils ont racheté leur bétail, deux ou trois fois, des gens de guerre, qui en ont beaucoup tué, et que d'ailleurs il en vient peu à Paris à cause des risques. Les pauvres voient bien que, si le roi n'est bientôt maître, ils vont mourir de faim ; ils le chantent tout haut en maudissent bien les auteurs de leur misère.14 L'on voit déjà une atténuation si grande de tous ces pauvres corps, qu'ils périssent à vue d'œil. »


X.

Les agents de Mazarin négociaient toujours avec le duc et surtout avec la duchesse d'Orléans, par l'influence de laquelle on s'efforcoit de ramener le faible Gaston au parti du ministre. L'un d'eux écrivait au cardinal le 29 mars : « J'avois déjà fait savoir à Votre Éminence par deux lettres, comme la négociation dont je vous avois écrit, continuoit toujours, et n'ayant point de réponse de Votre Éminence, ni se sachant que répondre, cela m'embarrasoit beaucoup, et ce matin l'on m'a envoyé querir en diligence pour me dire, comme l'on souhaitoit la paix du côté du palais d'Orléans, et Madame [a obtenu], jusqu'à présent que M. le Prince n'auroit que deux ministres dans le conseil, et que lui ne viendroit à la cour, de cinq ans. Pour moi, je crois qu'ils ne s'en soucient pas beaucoup [de M. le Prince], et l'on me l'a assez fait connoître, et même qu'il seroit bon que la reine écrivît une lettre, qui feroit connoître qu'elle a toujours eu beaucoup d'amitié pour Madame. Voilà les mêmes choses qui m'ont été dites ce matin. J'ai cru être obligé d'envoyer un courrier à Votre Éminence, pour lui faire connoître la joie que j'aurois de le voir un peu en repos, et que la tempête, qui dure depuis si longtemps, se calmât. La peur a saisi le palais d'Orléans, et la défaite de M. le Prince ôte le caquet à bien du monde. »


XI.

L'entrée de Mademoiselle à Orléans (voy. Mémoires, Chap. X) est annoncée à Mazarin dans des lettres de Paris, où l'on s'efforce d'en atténuer l'effet : « Encore que le parti n'ait pas sujet de prendre grand avantage de ce qui s'est passé à Orléans, lorsque Mademoiselle y est entrée, néanmoins le jeudi [28 mars], aux pères de l'Oratoire, durant les Ténèbres, Monsieur fit paroître un courrier fort crotté, par lequel il fit publier qu'elle étoit maîtresse d'Orléans et qu'elle avoit fait chasser tous les Mazarins de la ville et même qu'elle en avoit fait jeter beaucoup dans la rivière.15 Cela n'empêche pas que Monsieur chez lui ne paroisse fort triste et fort inquiet. M. Ménardeau16 tien un homme à Orléans, qu'il y avoit envoyé pour quelque affaire, et que j'ai obligé d'y demeurer, afin de pouvoir, par les correspondances que je lui ai données (en ayant beaucoup dans cette ville), nous mander le détail de toutes choses. Il nous écrit, par la lettre du 28, la forme de cette entrée que V. Ém. sait, et que la ville n'est pas résolue de faire passer aucune troupe de l'armée de M. de Beaufort ; que même elle lui a refusé des blés pour de l'argent ; que cette armée va fort en décadence et qu'elle ne peut plus subsister en corps ; qu'ils vont, tous les jours, en parti pour vivre et que cela cause leur ruine, parce que, la plupart des paysans étant ruinés, les attendent dans les embuscades ; qu'il en fut tué vingt-sept cavaliers, le 26 de ce mois, près d'une abbaye dans les forêts d'Orléans et huit le 27 dans les vignes, qui venoient d'enlever huit chevaux de poste, à deux lieues d'Orléans ; par le moyen de quoi, ils furent recouverts [recouvrés], et dix-sept autres chevaux, que leur prirent les paysans.

» Il nous donne avis qu'il seroit bon, que l'armée du roi, pour subsister, eût du pain de munition, parce que cela éviteroit beaucoup de désordre et que ce seroit le moyen de ruiner les autres troupes. Ce n'est pas que la licence ne donne des soldats ; mais il leur faut donner [de la licence] pour les lieux, qui auront fait rébellion et résistance, et V. Ém. se trompera, si elle ne punit point ; elle ne verra que trop que ce que je lui dis est véritable.

» Mademoiselle, à Orléans, empêche le passage des courriers, et l'on dit que le courrier qui retournoit à M. de Longueville est tombé entre les mains du parti contraire. Elle a arrêté deux jours le courrier de Bordeaux et lui a pris le paquet de la cour et celui de La Rochelle. Nous avons reçu, par ce même courrier, une lettre de Bordeaux, qui marque que nos troupes ont investi Talmont, et qu'ils sont toujours à Bordeaux dedans un grand effroi.

» M. de Villette revenant avec le marquis de Richelieu, à qui madame d'Aiguillon avoit envoyé un passeport de M. d'Orléans, et plusieurs autres, qui en avoient aussi, a été arrêté par M. de Beaufort, parce qu'il n'en avoit point ; et [M. de Beaufort] lui dit, qu'il venoit à Paris cabaler ; mais, comme il a l'esprit vigoureux, il s'en est démêlé, et Mademoiselle dit qu'il le falloit laisser passer. Il m'est venu voir, et nous avons eu un long entretien. C'est un homme de services, à qui V. Ém. devroit procurer emploi considérable. »

 


NOTES

1. C'est probablement une allusion à Mademoiselle.

2. Pierre Séguier.

3. Jacques Tubeuf, président de la chambre des comptes.

4. Le passage de la Seine par les Espagnols avait eu lieu à mars 1652. Voy. la lettre du chancelier Séguier à la reine.

5. Lettre par laquelle le roi annonçait la prise d'Angers au maréchal de l'Hôpital, gouverneur de Paris.

6. Baigneurs célèbre de cette époque. On trouvait dans leur maison tous les raffinements du luxe. Voy. Chap. II, note 52.

7. Gendre du chancelier Séguier.

8. On appelait ainsi les jeunes gens qui suivaient les écoles d'équitation, nommés alors académies.

9. Voy. Chap. X.

10. Les parties chiffrées sont entre [ ].

11. On ne doit pas oublier que c'est un frondeur qui écrit.

12. Ce mot désigne probablement la reine.

13. Conseiller au parlement, nommé Fouquet-Croissy.

14. Il ne faut pas oublier que ces lettres sont écrites par des partisans du cardinal de Mazarin.

15. Les Mémoires de Mademoiselle prouvent la fausseté de ces bruits.

16. Conseiller au parlement de Paris.


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