Boo the Cat. Hoorah.

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CHAPITRE XIII.

(mai-juillet 1652.)

Le maréchal de Turenne assiégea Étampes1 contre son avis, à ce que l'on dit, et il étoit aisé à croire : car, comme il est fort grand capitaine, et qu'il sait fort bien prendre son parti, celui d'assiéger Étampes n'étoit pas bon, son armée n'étant pas assez forte pour la pouvoir assiéger dans les formes ; aussi ne l'attaqua-t-on que d'un côté : car il n'ouvrit de tranchée que de celui d'Orléans. La circonvallation d'Étampes étoit trop grande à faire, n'y ayant que huit mille hommes à l'attaquer (assurément l'on n'estimoit pas celle de M. de Turenne plus forte) ; la nôtre étoit de cinq mille hommes tant cavalerie qu'infanterie. Les troupes françoises de M. le Prince étoient des gens d'élite : il n'y avoit pas un homme de rebut, ni pas un officier de manque que ceux qui avoient été blessés à l'attaque du faubourg ou au combat de Bleneau. L'on peut dire à la louange de nos officiers qu'il n'y en a jamais eu de si braves. Ce siége ne nous alarma pas : le nombre de troupes que je viens de dire que nous avions, et de la manière dont je les ai dépeintes, le doivent faire croire. Ils ne manquoient non plus de toutes les choses nécessaires que de courage ; l'on peut juger par là s'ils en étoient bien pourvus, hors de poudre sur la fin.

Nous en avions tous les jours des nouvelles, et ils mandoient qu'ils n'étoient embarrassés que dans la crainte que nous le fussions à Paris pour eux. Ce siége fit périr une partie de l'armée de M. de Turenne : car nos gens faisoient des sorties épouvantables, et s'acquéroient assez d'honneur parmi les ennemis. Ils perdoient tous les jours du monde : le chevalier de la Vieuville y fut blessé et porté à Melun où étoit la cour, et y mourut de sa blessure ; il fut fort regretté, et particulièrement des dames. Le cardinal Mazarin mena le roi au siége, et y envoya un trompette dire que le roi commandoit à son armée d'Étampes de ne point tirer, et qu'il y venoit.2 Il demanda à parler à MM. de Tavannes, de Clinchamp ou Valon, pour leur faire cette harangue ; mais ils étoient tous trois malades et ne lui surent parler ; de sorte que l'officier de la garde à qui il en parla s'étant trouvé étranger, et n'entendant point le françois, il n'eut point de réponse, et on ne laissa pas de tirer où étoit le cardinal Mazarin : car l'on avoit vu que le roi n'y étoit pas. Néanmoins les mazarins ont toujours dit que l'on avoit tiré sur le roi. L'on s'étonna assez de quoi3 l'on avouoit nos troupes pour être celles du roi, les traitant tous les jours de rebelles ; et, à dire le vrai, celles d'Espagne qui y étoient jointes, étoient quelque chose un peu extraordinaire, et en cette rencontre on ne comprit pas la politique du cardinal Mazarin.

Madame de Châtillon4 discontinua ses plaintes contre M. le Prince ; il lui rendoit visite avec autant d'assiduité que M. de Nemours, et l'on s'étonnoit de l'amitié qui étoit entre eux, parce que l'on les croyoit rivaux ; mais la suite des choses a bien fait connoître que M. le Prince n'étoit point amoureux. Comme il avoit grande confiance en elle, il lui parloit de ses affaires, et donnoit rendez-vous chez elle à ceux avec qui il en avoit, et y tenoit ses conseils ; et, comme il étoit occupé auprès de Son Altesse royale à beaucoup d'autres choses tous les jours, il passoit quasi toutes les nuits chez elle, et ne perdit cette coutume que parce que l'on l'avertit qu'en revenant chez lui réglément à une même heure, l'on lui pourroit faire un mauvais parti, ayant affaire à des gens où il n'y avoit point de sûreté ; cela lui fit changer l'heure de ses visites. Ce qui persuadoit à tout le monde qu'il y avoit de l'amour, c'est que la terre de Marlou,5 que feu madame la Princesse lui avoit donnée, sa vie durant, par son testament, M. le Prince la lui donna en propre ; mais j'ai ouï dire à des gens, qui croyoient le bien savoir, qu'il ne lui avoit fait ce don que parce qu'il croyoit que Marlou tomberoit dans le partage du prince de Conti, qui ne lui feroit peut-être pas cette libéralité. Pour moi, je trouve qu'il lui auroit pu faire cette libéralité sans que l'on eût rien dit, puisque cela est digne d'un grand prince de renchérir sur celle des autres ; mais cela arrive si peu aux Bourbons, que quand ils font des libéralités, l'on les applique toujours à mal. Pour moi, cela ne m'empêchera pas d'en faire, quand j'en trouverai les occasions que je le jugerai à propos.

Depuis que Monsieur s'étoit déclaré, il avoit envoyé plusieurs fois à M. de Lorraine, qui lui faisoit toujours espérer qu'il viendroit ; M. le Prince y envoyoit aussi. Enfin M. le comte de Fiesque arriva, et dit qu'il viendroit tout de bon : ce fut à la considération des Espagnols, et point du tout à celle de Monsieur ni de M. le Prince. Un beau matin l'on vint dire : M. le duc de Lorraine est à Dammartin, qui n'est qu'à huit lieues de Paris, sans que l'on l'eût su en chemin. Aussitôt Son Altesse royale et M. le Prince montèrent à cheval pour l'aller voir6 ; car l'on ne croyoit pas que ce jour-là il dût venir coucher à Paris. J'envoyai un gentilhomme pour lui offrir ma maison du Bois-le-Vicomte, qui est à moitié chemin de Dammartin à Paris. Monsieur et M. le Prince le trouvèrent au delà du Mesnil-Madame-Rance,7 et dès qu'il les eut vus, il résolut de venir avec eux à Paris ; en même temps Monsieur en envoya avertir Madame, qui me le manda.

J'étois au Cours : je m'en allai à Luxembourg en toute diligence ; il arriva très-tard. En entrant dans la chambre de Madame il vint à moi pour me saluer ; je me reculai, ne jugeant pas à propos qu'il commençât par moi, Madame y étant. Il se mit à railler avec elle sur tout ce qui lui étoit arrivé depuis qu'il ne l'avoit vue, ensuite avec moi ; puis il se tourna sur le sérieux, et me fit mille civilités, et me parla de la vénération que les Espagnols avoient pour moi, à cause de l'affaire d'Orléans. Bref, cette conversation fut plus à ma louange que sur nul autre chapitre. Je le trouvai le plus agréable du monde, et l'on ne s'en étonnera pas : car il est assez doux d'entendre dire du bien de soi ; mais tout de bon il l'étoit en tous ses autres discours. Comme il étoit fort tard, je me retirai ; il me vint conduire à mon carrosse, et après que j'y fus montée, il vint à pied jusqu'à la moitié de la rue de Tournon, la main sur la portière, voulant venir jusqu'en mon logis. Je fus fort embarrassée de cette civilité ; enfin il s'en alla.

Le lendemain il me vint visiter : comme c'étoit dans le temps de l'octave du Saint-Sacrement, j'allois au salut, comme il arriva ; il y vint avec moi, et ensuite au Cours. Il trouva madame de Frontenac fort à son gré. Monsieur nous envoya chercher au Cours, et manda qu'il nous attendoit à mon logis avec M. le Prince. Nous y allâmes aussitôt. M. le Prince me dit qu'il étoit assez embarrassé de M. de Lorraine, parce qu'il ne faisoit faire que deux lieues par jour à ses troupes, et qu'il ne témoignoit pas par là d'avoir grande hâte de secourir Étampes ; qu'il avoit de grandes conférences avec les amis du cardinal de Retz, avec madame de Chevreuse et M. de Châteauneuf ; cela ne lui plaisoit guère. D'un autre côté, Madame ne désiroit rien tant que de voir Monsieur séparé des intérêts de M. le Prince. Ainsi toutes ces choses lui causoient assez d'inquiétude ; et quoiqu'il sût que M. de Lorraine avoit promis aux Espagnols de secourir Étampes, néanmoins il craignoit que ses longueurs ne l'en empêchassent, étant assuré qu'il trouveroit assez de prétextes de s'excuser envers les Espagnols.

Il demeura à Paris six jours, pendant lesquels il venoit avec moi au Cours, me divertissant fort, et évitant les conférences avec Monsieur et M. le Prince, de peur de conclure quelque chose. Je me trouvai une fois avec Monsieur, Madame et lui ; l'un et l'autre le pressoient fort sur des nouvelles qui étoient venues d'Étampes ; mais il se défendit le mieux du monde de ne rien faire, et pourtant il leur faisoit comprendre qu'il étoit bien intentionné ; et, quand il ne vouloit plus répondre, il chantoit et se mettoit à danser, en sorte que l'on étoit contraint de rire. Si l'on ne le connoissoit pour un très-habile homme, à voir tout cela, l'on l'eût pris pour un fou.

Monsieur l'envoya querir une fois que le cardinal de Retz étoit dans son cabinet et lui voulut parler d'affaires ; il dit : « Avec des prêtres, il faut prier Dieu ; que l'on me donne un chapelet : ils ne se doivent mêler d'autre chose que de prier, et faire prier Dieu aux autres. » A un moment de là, Madame et mesdames de Chevreuse8 et de Montbazon vinrent ; l'on voulut encore lui parler ; il prit une guitare. « Dansons, mesdames ; cela vous convient bien mieux que de parler d'affaires. »

Comme l'on sut qu'ils manquoient de poudre à Étampes, l'on songea à y envoyer le comte d'Escars,9 qui étoit premier capitaine au régiment de cavalerie de Son Altesse royale. Il se trouvoit à Paris, venant de prison, de Flandre, ayant été pris l'année de devant, servant de maréchal de camp dans l'armée du roi. M. de Lorraine, de qui il étoit prisonnier, le rendit à Monsieur. Il s'offrit à faire passer ce convoi de poudre ; ce qui réussit le plus heureusement du monde : il fit en cela une très-belle action, très-périlleuse et avantageuse au parti ; aussi est-ce un très-bon officier et très-brave. Nos gens faisoient des sorties tous les jours les plus furieuses du monde avec des faux ; tous les officiers de cavalerie y alloient. Le marquis de La Londe y fut tué ; il étoit capitaine lieutenant des gendarmes de Son Altesse royale ; Yolet, capitaine de son régiment de cavalerie, y fut tué aussi. A la mort du marquis de La Londe, Saint-Taurin,10 capitaine dans le régiment d'infanterie, vint à Paris pour demander le guidon11 de la compagnie. L'on le fit parler à M. de Lorraine, pour lui rendre compte de l'état des choses ; et, comme il lui disoit qu'en peu de temps l'on feroit le chemin d'Étampes, marchant jour et nuit, il s'écria : « Quoi ! marche-t-on la nuit en ce pays-ci ? » Saint-Taurin étoit tout étonné de lui entendre faire des réponses et des questions de cette force. Enfin l'on le dépêcha pour aller dire que très-assurément il marcheroit pour les secourir ; et pour donner plus de croyance aux étrangers, il envoya un de ses officiers avec lui.

Comme ces troupes furent arrivées à Villeneuve-Saint-Georges, Monsieur et M. le Prince allèrent voir les troupes dans l'espérance de les faire passer la Seine, le pont étant fait pour cela. Ils me menèrent avec eux. Comme nous arrivâmes à la garde du pont, l'on nous dit : « Son Altesse n'y est pas. » L'on demanda de quel côté il étoit allé ; l'on nous le montra, et nous y allâmes. Nous le rencontrâmes tout seul. Il dit qu'il venoit de pousser un parti des ennemis qui avoit paru ; mais, en effet, il venoit de négocier avec un homme du cardinal Mazarin. Après il se jeta à terre, disant : « Je me meurs : je m'allois faire saigner ; mais comme j'ai su que vous m'ameniez des dames, je suis allé voir si je n'attraperois point quelque courrier qui fût chargé de lettres, afin d'avoir de quoi les divertir ; car que feront-elles à l'armée ? » Madame la duchesse de Sully étoit à cheval avec moi, les comtesses de Fiesque et de Frontenac, et madame d'Olonne, qui est l'aînée de mademoiselle de La Loupe dont j'ai parlé, qui fut mariée l'hiver de devant à M. le comte d'Olonne, de la maison de La Trémouille.12 L'on s'étonna de la voir là, son mari étant auprès du roi, cornette de ses chevau-légers ; mademoiselle de La Loupe sa sœur y étoit aussi. Il y avoit aussi d'autres dames ; mais comme elles étoient en carrosse, je ne les nomme pas.

Après que M. de Lorraine eut été quelque temps couché sur le sable à faire mille contes, Monsieur le résolut à remonter à cheval, et ils allèrent dans un petit bois, où ils tinrent un conseil, où M. de Lorraine leur promit positivement de faire passer la rivière à ses troupes. Pendant qu'ils parloient d'affaires, j'avois passé le pont et j'étois allée voir les troupes, qui étoient toutes en bataille. Sa cavalerie étoit fort belle ; mais pour son infanterie elle ne l'étoit pas trop : il avoit des Irlandois, qui pour l'ordinaire ne sont ni de bonnes ni de belles troupes ; tout ce qu'ils ont de recommandable sont leurs musettes. Comme nous eûmes vu tout, il fit passer la rivière à trois ou quatre régiments de cavalerie,13 qui repassèrent dès que nous fûmes parties.

Il demeura cinq ou six jours en ce poste-là ; tous les marchands de Paris y alloient vendre leurs denrées, et il y avoit quasi une foire dans le camp. Toutes les dames de Paris y alloient aussi tous les jours. M. de Lorraine venoit de fois à autre à Paris, caché, en sorte que l'on ne le pouvoit trouver. Il vit madame de Châtillon, qu'il trouva fort belle : aussi n'avoit-elle rien oublié pour cela ; elle eût été bien aise de pouvoir encore faire cette conquête, ou du moins que l'on l'eût cru. Un jour, après avoir été visité du roi d'Angleterre, il nous manda qu'il étoit fort pressé ; qu'il seroit obligé de donner bataille, et que l'on lui envoyât du secours. Il troubla notre divertissement : car nous allions danser quand cette nouvelle vint.

M. le Prince s'en alla changer d'habit pour monter à cheval et aller au-devant de notre cavalerie : car M. de Lorraine avoit mandé à Étampes que, dès que les ennemis auroient levé le piquet, ils sortissent, et qu'il iroit les joindre ; de sorte que M. le Prince trouva nos troupes la nuit vers Essonne ; elles y demeurèrent le reste de la nuit. M. de Beaufort partit en même temps que M. le Prince pour mener à M. de Lorraine ce qui étoit ici de troupes, qui n'étoit pas bien considérable, n'étant que des recrues. Dès qu'il fut arrivé, il lui dit qu'il étoit si pressé qu'il ne pouvoit plus résister14 ; que le siége d'Étampes étant levé, qui étoit le seul sujet de son voyage, il avoit traité avec M. de Turenne, et avoit un passe-port pour s'en retourner avec ses troupes.15 Il fit escorter celles que M. de Beaufort lui avoit amenées jusqu'aux portes de Paris, et lui marcha pour s'en retourner.

L'on me vint dire cette nouvelle à mon réveil, qui me donna beaucoup d'étonnement et de chagrin des embarras où cela nous pouvoit mettre ; car, pour mon intérêt en particulier, je n'en étois pas fâchée, puisque Madame pouvoit, par lui, faire valoir, dans un accommodement, les intérêts de mes sœurs à mon préjudice.

Quand M. le Prince sut cette nouvelle, il laissa la cavalerie où elle étoit et alla au-devant de l'infanterie ; et il amena le tout camper à Juvisy, puis s'en vint ici, et amena beaucoup des officiers avec lui. L'on peut juger s'ils étoient fiers d'avoir fait lever le siége à M. de Turenne. Je fus à Luxembourg ce jour-là, où j'avoue que j'eus un peu tort : car je gourmandai Madame comme un chien, et je lui dis pis que pendre de son frère ; ce que je ne devois faire, par le respect et d'elle et de M. de Lorraine16 ; mais le zèle du parti m'emporta. Quoique Madame eût beaucoup de crédit auprès de Monsieur, et que l'on l'y crût plus en considération que moi, cela ne parut guère en cette occasion : car il sut comme je l'avois maltraitée, et je lui en parlai avec la dernière liberté, sans qu'il m'en dit un mot, et me traita tout aussi bien qu'à l'ordinaire, c'est-à-dire en apparence, il me fit assez bonne chère ; mais pour la confiance, j'ai dit ce qui en étoit, et il me semble que d'agir civilement n'est pas assez pour un père à une fille telle que moi.

Tout Paris étoit dans des déchaînements horribles contre les Lorrains : personne n'osoit dire de cette nation, de peur d'être noyé. L'on n'en avoit pas moins contre le roi et la reine d'Angleterre, que l'on croyoit avoir fait la négociation entre la cour et le duc de Lorraine.17 Ils étoient renfermés dans le Louvre, où ils logeoient, sans en oser sortir, ni pas un de leurs gens, le peuple disant : « Ils nous veulent rendre aussi misérable qu'eux : » et qu'ils faisoient tout leur possible pour ruiner la France, comme ils avoient fait l'Angleterre. L'on n'est point maître des discours des peuples : ainsi l'on ne les pouvoit pas empêcher de dire tout ce qui leur venoit dans la tête ; mais le roi et la reine d'Angleterre les évitèrent avec beaucoup de prudence, et plus que nous en aurions eu à les faire taire : car Monsieur, M. le Prince et moi, étions un peu emportés contre Leurs Majestés Britanniques.

Monsieur trouvoit fort à redire que sa sœur, avec qui il avoit toujours parfaitement bien vécu et témoigné de l'amitié, et en ayant aussi toujours reçu d'elle en toutes occasions, agit contre lui. M. le Prince étoit persuadé de lui avoir témoigné beaucoup de respect en toutes occasions, et même, si l'on l'ose dire, croyoit que madame sa mère l'avoit assistée dans des rencontres où la cour l'abandonnoit ; enfin il croyoit que tant sa conduite que celle de madame sa mère et de M. le prince de Conti, qui, pendant la guerre de Paris en 1649, l'avoit assistée et lui avoit fait donner de l'argent par messieurs de Paris,18 pouvoit bien l'obliger à être neutre. Pour moi, je ne blâmois pas les plaintes de Monsieur et celles de M. le Prince ; je criois contre eux19 de toute ma force : car je ne croyois pas devoir mettre en compte l'amitié qu'il avoit eue pour moi.

D'un autre côté, l'on leur devoit faire justice, en considérant que, tirant toute leur subsistance de la cour, ils en devoient avoir de la reconnoissance ; mais, tout bien considéré, ils devoient être neutres, et j'ai pris la liberté de le dire à la reine d'Angleterre, et je [lui] ai aussi reproché depuis, sur le détail des choses, qu'il étoit fort fâcheux au roi son fils et à elle d'avoir été le prétexte d'une chose qui n'étoit pas fort honorable, dont ils avoient été les dupes : car c'étoit madame la princesse de Guémené qui avoit obligé M. le prince de Lorraine de ne point aller secourir Étampes, et de s'en retourner comme il fit ; mais, comme elle ne voulut point paroître en cela, de crainte d'être chassée de Paris où elle étoit bien aise de demeurer, elle chercha sur qui l'on pouvoit mettre la chose. L'on manda le roi d'Angleterre, qui alla à Melun, puis à Villeneuve, et qui croyoit avoir fait des merveilles de faire un traité qui l'étoit avant qu'il arrivât, et assurément il s'en seroit pu passer. Enfin M. le Prince et feu madame la Princesse ont donné à la reine d'Angleterre cent milles francs20 en plusieurs années ; ce qui fit dire que le roi d'Angleterre avoit manqué à l'amour, à la parenté et à l'intérêt tout à la fois. L'on jugera aisément par là que l'on entendoit Monsieur, M. le Prince et moi.

Son Altesse royale alla au moulin de Châtillon, qui est entre Montrouge et Paris,21 voir passer cette victorieuse armée qui venoit d'Étampes et s'en alloit à Saint-Cloud, où M. le Prince l'amena, et s'en revint à Paris ; car ce n'étoit pas trop à lui à coucher au quartier. L'armée étant si proche, tous les officiers avoient beaucoup de joie. Ils y venoient souvent ; mais cette commodité ne rendoit pas l'armée meilleure : l'on manquoit au service, et les plaisirs et les débauches de Paris ruinoient fort les troupes. M. de Clincham alloit souvent à Paris et avoit beaucoup de soin de me visiter et de s'informer de moi des choses qui se passoient. Il ne manquoit pas aussi, pendant le siége d'Étampes, de me mander des nouvelles. Comme il avoit beaucoup de zèle pour moi, il y avoit pris une grande confiance : aussi il m'entretenoit de tout ce qu'il savoit de plus particulier. Il me faisoit des compliments de M. le comte de Fuensaldagne, et me disoit que les Espagnols avoient une si forte considération pour moi et une estime si particulière, que, si l'archiduc étoit un assez honnête homme pour moi, ils lui donneroient la souveraineté des Pays-Bas, comme l'avoient eue l'archiduc et l'infante Isabelle, et que c'étoit la chose du monde que tout le pays souhaitoit le plus. Je n'entrois dans ces discours qu'en raillant, et il s'en fâchoit ; de sorte que je fus contrainte de l'écouter dans le dernier sérieux. Il me disoit que c'étoit une affaire à laquelle les Espagnols avoient toute la disposition imaginable, et que, dès qu'il auroit vu le comte de Fuensaldagne, il ne doutoit point que cette affaire ne s'avançât, si j'y voulois consentir.

Cependant que nos officiers se réjouissoient à Paris et dans les belles maisons de Saint-Cloud, madame de Châtillon, MM. de Nemours et de La Rochefoucauld, lesquels espéroient, par un traité, la première cent mille écus, l'autre un gouvernement, et le dernier pareille somme, ne songeoient qu'à en faire faire à M. le Prince, à quelque prix que ce fût, et pour cela négocioient sans cesse avec la cour ; ainsi, l'on ne songeoit point à faire des recrues ni des troupes nouvelles. Le cardinal Mazarin amusoit toujours ces zélés pour leur intérêt plus que pour le parti et pour M. le Prince, quoiqu'il les honorât de ces bonnes grâces, et cependant il faisoit venir des troupes de tous côtés.

Quelque temps après l'arrivée du maréchal de La Ferté, il envoya de ses troupes pour faire un pont sur la Seine vers l'île de Saint-Denis,22 afin de venir attaquer Saint-Cloud. M. le Prince, en étant averti, y alla en grande diligence. Il y avoit huit ou dix jours que je ne l'avois vu chez moi et que je ne lui avois parlé ; il venoit néanmoins tous les jours me chercher, mais à des heures qu'il savoit bien que je n'y étois pas ; M. de Nemours en faisoit de même. Pour madame de Châtillon, depuis mon retour d'Orléans, je l'avois moins vue que je ne faisois l'hiver : aussi avoit-elle beaucoup plus d'affaires. Quand je trouvois les uns et les autres à Luxembourg, ils me fuyoient, et je les fuyois aussi, car, comme je désapprouvois fort leur conduite, ils craignoient que je ne leur en disse mes sentiments trop librement ; et M. le Prince, qui sentoit bien qu'il faisoit une faute de s'amuser à ces gens-là, craignoit que je ne lui en parlasse : car il ne croyoit pas que les choses en vinssent où elles ont été.

Après avoir été voir ce qui se passoit à cette île de Saint-Denis, et y avoir fait dresser une batterie, M. le Prince revint voir Monsieur pour lui dire qu'il jugeoit à propos de décamper de Saint-Cloud et de s'en aller prendre le poste de Charenton, ne pouvant résister, à celui de Saint-Cloud, si l'on l'y attaquoit. Monsieur le jugea comme lui ; de sorte qu'il s'en alla à Saint-Cloud en grande diligence, et fit marcher l'armée,23 et cependant alla à cette île, un tour, jugeant bien qu'il avoit assez de temps pour rattraper l'armée.

Il y avoit deux jours que je n'avois sorti, étant en dessein de faire quelques remèdes par précaution. Je m'en allois me promener ; l'on me dit à la porte de la Conférence,24 où l'on faisoit garde, comme à toutes celles de Paris (et cette garde avoit commencé le lendemain que je fus arrivée d'Orléans ; je croyois que c'étoit moi qui l'attirois partout où j'allois), l'on me dit donc à la porte de la Conférence qu'il y avoit des troupes dans le Cours. Cela ne m'effraya pas : je ne laissai pas de passer mon chemin. Je trouvai le baron de Langue,25 de la maison de Choiseul, qui étoit maréchal de camp, un fort galant homme et bon officier ; et l'on peut dire que lui et le comte d'Escars, avoient soutenu le siége d'Étampes, et étoient les deux meilleurs officiers généraux qu'il y eût, et les plus accrédités dans les troupes françoises. Langue donc menoit l'avant-garde, composée du régiment d'infanterie de Valois et de toute la gendarmerie, et suivie des bagages. Je lui demandai où il alloit. Il me dit que c'étoit à Charenton, mais qu'il avoit bien peur de ne pouvoir pas gagner ce poste fort aisément, et qu'il se trouvoit employé à une méchante commission, d'avoir à conduire les bagages, dont je vis passer une grande partie, tant au Cours que sur la terrasse de Renard,26 où je m'allai promener. J'y trouvai madame de Châtillon, qui se lamentoit et disoit qu'elle avoit peur qu'il arrivât quelque mal au parti, et qu'elle craignoit furieusement un combat, et faisoit la zélée, tout comme si ce n'eût point été elle qui eût mis les choses en état d'en venir là.27

J'étois un peu en inquiétude de cette marche : les ennemis étant plus forts que nous, nous pouvoient aisément tailler en pièces ; car c'est la chose du monde la plus aisée que de défaire une armée en marche et qui montre toujours le flanc28 ; de sorte que cela m'animoit fort contre les négociateurs, que je croyois qui nous avoient mis dans ce périlleux état ; de sorte qu'en termes généraux je fis une grand chapitre tout haut devant beaucoup de monde. Les gens qui ne se mêloient de rien entroient dans mon sens ; les autres commençoient à croire, par la crainte de l'événement, que leur parti n'étoit pas bon, et ne doutoient pas que ne parlasse à eux ; de sorte qu'il y eut du monde embarrassé de me voir parler si librement et si véritablement. Après, je quittai la compagnie et m'en alla à mon logis, et changeai le dessein que j'avois de prendre médecine, jugeant que je pouvois être utile en quelque chose.

Le lendemain, toutes les troupes passèrent toute la nuit le long du fossé ; et, comme il n'y avoit que les Tuileries, qui en sont sur le bord, entre mon logis et ledit fossé, l'on entendoit distinctement les tambours, les trompettes, et l'on discernoit aisément les marches différentes. Je demeurai appuyée sur ma fenêtre jusqu'à deux heures après minuit à les entendre passer, avec assez de chagrin de penser tout ce qui pouvoit arriver ; mais parmi cela j'avois je ne sais quel instinct que je contribuerois à les tirer d'embarras, et même je dis le soir à Préfontaine : « Je ne prendrai point demain médecine : car j'ai dans la tête que demain je ferai quelque trait imprévu aussi bien qu'à Orléans. » Il me répondit qu'il le souhaitoit ; mais qu'il craignoit fort que cela n'arrivât pas.

Le pauvre Flamarin, que j'aimois fort et avec qui j'avois pris grande habitude à mon voyage d'Orléans, me vint voir et me dit : « Je ne suis point en inquiétude de ce qui arrivera demain ; car je suis persuadé que les affaires ne sont point dans l'état que l'on pense ; et pour moi je crois la paix faite, et qu'elle se déclarera demain quand les armées seront en présence. » Je lui dis en riant que le cardinal Mazarin feroit donc comme à Casal : il jetteroit son chapeau pour empêcher de combattre et pour signal de paix.29 « Vous êtes une grande dupe, et nous aussi, de nous être amusés à des négociations, au lieu de mettre nos troupes on bon état. Tout ce qui arrivera de ceci ne peut être que très-désavantageux, et je n'y ose penser, tant cela me donne de peine pour vous, qui croyez toujours tout ce que l'on vous dit. Ce seroit fort bien employé si demain vous aviez quelque bras ou quelque jambe cassée. » Je riois et le disois tout au plus loin de ma pensée. Nous nous séparâmes ainsi ;il disoit : « Nous verrons qui sera trompé de nous deux. »

A six heures du matin,30 le 2 juillet 1652, j'entendis heurter à la porte de ma chambre. Je m'éveillai en sursaut et j'appelai mes femmes pour ouvrir la porte. Le comte de Fiesque entra, qui me dit que M. le Prince l'avoit envoyé trouver Monsieur pour lui dire qu'il avoit été attaqué à la pointe du jour entre Montmartre et La Chapelle ; qu'il avoit été refusé à la porte Saint-Denis, en allant lui rendre compte de l'état où l'on étoit et prendre ses ordres ; qu'il le supplioit de monter à cheval, et qu'il continueroit sa marche, ne pouvant attendre au lieu où il étoit ; que Monsieur avoit répondu qu'il se trouvoit mal, et que M le Prince l'avoit aussi chargé de me venir trouver et de me prier de ne le point abandonner.

Je me levai aussitôt avec toute la diligence possible, et je m'en allai à Luxembourg, où je trouvai Monsieur au haut du degré. Je lui dis : « Je croyois vous trouver au lit ; le comte de Fiesque m'avoit dit que vous vous trouviez mal. » Il me répondit : « Je ne suis pas assez malade pour y être, mais je le suis assez pour ne pas sortir. » Je le priai, autant qu'il me fut possible, de monter à cheval pour aller au secours de M. le Prince ; mais ce fut en vain : car toutes les raisons dont je me servis pour cela ne firent aucun effet sur son esprit ; et voyant que je ne pouvois rien obtenir, je le priai de se coucher, trouvant qu'il devoit faire le malade ou agir, et qu'il y alloit autant de son intérêt que de celui de M. le Prince à en user comme il faisoit. Il n'en fit rien, et mes larmes n'eurent pas plus de pouvoir sur lui que mes discours. Il étoit difficile de n'en pas verser en l'état auquel l'on se trouvoit : quand l'intérêt de M. le Prince et celui de quantité d'amis que j'y avois ne s'y seroit pas trouvé, j'avois grande pitié de force officiers des troupes de Monsieur, honnêtes et braves gens qui me venoient tour à tour dans l'esprit. Madame de Nemours, que je voyois en un état pitoyable où la mettoit l'inquiétude qu'elle avoit de M. son mari et de M. de Beaufort, son frère, augmentoit encore mes peines.

J'avois parmi ma douleur bien du dépit de voir des gens de Monsieur dans une grande gaieté, dans l'espérance que M. le Prince périroit. Ils disoient : « Dans des occasions comme celles-ci, se sauve qui peut. » Ils étoient amis du cardinal de Retz, et c'étoit ce qui les faisoit parler ainsi. Monsieur alloit et venoit : je lui parlois en passant ; je le pressois jusqu'à lui dire : « A moins que d'avoir un traité fait avec la cour en poche, je ne comprends pas comme vous pouvez être si tranquille ; mais en auriez-vous bien un pour sacrifier M. le Prince au cardinal Mazarin ? » Il ne répondit point ; tout ce que j'ai dit dura une heure, pendant laquelle tout ce que l'on avoit d'amis pouvoit être tué, et M. le Prince tout comme un autre, sans que l'on s'en souciât ; cela me paroissoit une grande dureté.

A la fin, MM. de Rohan et de Chavigny vinrent, qui étoient ceux en qui M. le Prince avoit pour lors plus de confiance. La comtesse de Fiesque vint me trouver ; pour madame de Frontenac, elle étoit auprès de son mari, qui étoit malade à l'extrémité. MM. de Rohan et de Chavigny, après avoir quelque temps entretenu Son Altesse royale, la firent résoudre à m'envoyer à l'Hôtel-de-Ville de sa part pour demander les choses qui étoient nécessaires. Pour cela, [il] me donna une lettre à M. de Rohan pour Messieurs de ville, par laquelle il se remettoit à moi à leur dire son intention.

Je partis de Luxembourg, accompagnée de madame de Nemours et des comtesses de Fiesque, mère et fille ; je trouvai le marquis de Jarzé dans la rue Dauphine, qui venoit trouver Monsieur, de la part de M. le Prince, pour le prier de faire passer par dedans la ville des troupes qui étoient demeurées à Poissy et qui attendoient à la porte Saint-Honoré31 qu'on leur ouvrît. Jarzé étoit blessé d'un coup de mousquet au bras, de sorte qu'il l'avoit tout en sang, n'ayant pas eu le loisir de se faire panser. Je lui dis qu'il étoit blessé galamment et qu'il portoit son bras d'une manière fort agréable. Il me répondit qu'il se seroit bien passé de cette galanterie ; car, comme son coup étoit proche du coude, il souffroit des douleurs horribles, quoiqu'il allât comme un autre. Tous les bourgeois étoient attroupés dans les rues, qui me demandoient en passant : « Que ferons-nous ? Vous n'avez qu'à commander ; nous sommes tout prêts à suivre vos ordres. » Ils paroissoient fort zélés pour le parti et pour la conservation de la personne de M. le Prince.

Comme j'arrivai à l'Hôtel-de-Ville, le maréchal de l'Hôpital, gouverneur de Paris, et le prévôt des marchands, qui étoit pour lors M. Le Fèvre,32 conseiller au parlement, vinrent au-devant de moi au haut du degré, et me firent excuse de n'être pas venus plus loin, n'en étant pas avertis. Je leur dis que je croyois bien que ma venue en ce lieu les devoit avoir surpris en toutes manières ; mais que c'étoit l'indisposition de Monsieur qui en étoit cause. Comme nous fûmes dans la grande salle, je demandai : « tout le monde est-il ici ? » Ils me dirent qu'oui.

Je leur dis : « Monsieur s'étant trouvé un peu mal et ayant à tout moment des ordres à donner, n'a pu venir ici ; M. le duc de Rohan est chargé de vous rendre une lettre de sa part. » Il la donna, et le greffier de la ville en fit la lecture ; elle étoit fort obligeante pour moi, en leur témoignant la confiance qu'il avoit en ma conduite par l'expérience qu'il en avoit eue depuis peu. Après la lecture faite, je leur dis que Monsieur m'avoit commandé de leur dire qu'il désiroit qu'on fit prendre les armes dans tous les quartiers de la ville ; ils me dirent que cela étoit fait ; que l'on envoyât à M. le Prince deux mille hommes détachés de toutes les colonelles33 des quartiers. Il répliquèrent que l'on ne détachoit pas les bourgeois comme les gens de guerre, mais que l'on ne lairroit pas d'y envoyer les deux mille hommes que Son Altesse royale commandoit.

Je leur dis que, dès qu'ils auroient donné l'ordre, je ne me mettois point en peine de l'exécution, connoissant l'affection que tous les bourgeois avoient pour nous, et qu'ils seroient ravis de tirer M. le Prince du péril où il étoit exposé ; et que sa personne devoit être chère à tous les bons François, et que je croyois qu'il n'y en avoit pas un qui n'exposât sa vie pour sauver la sienne. Je leur demandai quatre cents hommes pour mettre dans la place Royale ; ce qu'ils accordèrent. Je gardai la grande demande pour la fin, qui étoit de donner passage à notre armée. Là-dessus ils se regardèrent tous. Je leur dis : « Il me semble que vous n'avez guère à délibérer. Monsieur a toujours témoigné tant de bonté à la ville de Paris, qu'il est bien juste qu'en cette rencontre, où il y va du salut de tous deux, l'on lui en témoigne de la reconnoissance ; car il ne faut pas vous persuader que, si le malheur vouloit que les troupes ennemies battissent M. le Prince, elles fissent de quartier à Paris non plus qu'aux gens de guerre. Le cardinal Mazarin est persuadé que l'on ne l'aime pas, et à la vérité l'on lui en a donné assez de marques ; c'est pourquoi, ayant la vengeance en main, l'on ne doit pas douter qu'il ne se satisfasse. C'est à nous à l'éviter par nos soins ; et nous ne saurions rendre un plus grand service au roi que de lui conserver la plus grande et la plus belle ville de son royaume, et celle qui a toujours eu le plus de fidélité pour son service. »

Le maréchal de l'Hôpital prit la parole et dit : « Vous savez bien, Mademoiselle, que si vos troupes ne fussent point approchées de cette ville, celles du roi n'y fussent point venues, et qu'elles ne venoient que pour les en chasser. » Madame de Nemours trouva cela mauvais et se mit à le quereller. Je rompis le discours en disant : « Il n'est point question à qui le cardinal Mazarin en veut, si c'est à ce qui est dedans ou dehors de Paris. L'on peut croire que son intention n'est bonne ni pour les uns ni pour les autres ; mais songez, messieurs, que pendant que l'on s'amuse à disputer sur des choses inutiles, M. le Prince est en péril dans nos faubourgs, et quelle douleur et quelle honte ce seroit pour jamais à Paris, s'il y périssoit faute de secours ! Vous pouvez lui en donner, faites-le donc vitement. »

Ils sortirent sur cela et s'en allèrent délibérer dans une chambre au bout de la salle ; et moi cependant je priai Dieu, par une fenêtre qui regarde sur le Saint-Esprit.34 On disoit une messe ; mais je ne l'entendis pas tout du long, allant et venant pour envoyer hâter ces messieurs et leur demander une réponse, l'affaire, pour laquelle ils étoient [assemblés], requérant diligence ; et que, s'ils n'accordoient pas ce que l'on demandoit, il faudroit voir à prendre d'autre mesures ; et que j'avois tant de confiance au peuple de Paris, que je croyois qu'il ne nous abandonneroit pas. Peu après que je leur eus fait dire cela, ils sortirent et me donnèrent tous les ordres que je demandois. J'envoyai en toute diligence dire à M. le Prince que j'avois obtenu l'entrée de la ville pour nos troupes, quand il voudroit, et que j'avois envoyé le marquis de la Boulaye à la porte Saint-Honoré, pour faire entrer les troupes qui venoient de Poissy.

En sortant de l'Hôtel-de-Ville, je trouva les bourgeois qui s'étoient amassés dans la Grève, qui crioient mille choses contre le maréchal de L'Hôpital. Il y en eut un qui me dit, en le regardant de tout près (car il35 me menoit) : « Comme souffrez-vous ce mazarin ? Si vous n'en êtes contente, nous le noierons. » Il voulu le battre ; je l'en empêchai, et je criai : « J'en suis contente. » Néanmoins, pour le mettre en sûreté, je le fis rentrer dans l'Hôtel-de-ville avant que mon carrosse marchât. Je trouvai dans la rue de la Tixeranderie36 le plus affreux spectacle qui se puisse regarder : c'étoit M. le duc de La Rochefoucauld qui avoit un coup de mousquet qui lui prenoit au coin de l'œil d'un côté et lui sortoit par l'autre, entre [l'œil] et le nez ; de sorte que les deux yeux étoient offensés ; il sembloit qu'ils lui tombassent, tant il perdoit de sang par là ! tout son visage en étoit plein, et même il souffloit sans cesse, comme s'il sût eu crainte que celui que entroit dans la bouche [ne l'étouffât]. Son fils le tenoit par une main et Gourville par l'autre : car il ne voyoit goutte ; il étoit à cheval, et avoit un pourpoint blanc aussi bien que ceux qui le menoient, qui étoient tout couvertes de sang comme le sien ; ils se fondoient en larmes : car, à le voir en cet état, je n'eusse jamais cru qu'il en eût pu échapper. Je m'arrêtai pour parler à lui ; mais il ne me répondit pas : c'étoit tout ce qu'il pouvoit faire que d'entendre.37

Un gentilhomme de M. de Nemours38 vint dire à madame sa femme qu'il l'envoyoit avertir qu'il avoit été blessé légèrement à la main, et que ce ne seroit rien, et qu'il s'étoit détourné de peur de l'effrayer, le voyant tout en sang ; elle me quitta aussitôt pour l'aller trouver. Beaucoup de personnes dirent sur la blessure de ces messieurs que Dieu les avoit punis, et que leurs négociations, étant cause qu'on avoit tout négligé, avoient été celle de ce combat, où ils avoient été étrillés ; et quoique cette pensée me fût venue aussi bien qu'à d'autres, je ne laissai pas d'avoir beaucoup de pitié de M. de La Rochefoucauld.

Après l'avoir quitté, je trouvai, à l'entrée de la rue Saint-Antoine, Guitaut à cheval, sans chapeau, tout déboutonné, qu'un homme aidoit, parce qu'il n'eût pusse soutenir sans cela ; il étoit pâle comme la mort. Je lui criai : « Mourras-tu ? » Il me fit signe de la tête que non ; il avoit portant un grand coup de mousquet dans le corps. Puis je vis Valon, qui étoit en chaise, qui s'approcha de mon carrosse ; il n'avoit qu'une contusion aux reins. Comme il est fort gras, il fallut l'aller panser promptement. Il me dit : « Hé bien, ma bonne maîtresse, nous sommes tous perdus. » Je l'assurai que non. Il me dit : « vous me donnez la vie, dans l'espérance d'avoir retraite pour nos troupes. » Je trouvai, à chaque pas que je fis dans la rue Saint-Antoine, des blessés, les uns à la tête, les autres au corps, aux bras, aux jambes, sur des chevaux, à pied, sur des échelles, des planches, des civières, des corps morts.

Comme je fus près de la porte, j'envoyai M. de Rohan porter l'ordre de laisser aller et venir nos gens au capitaine qui étoit de garde, afin qu'il fit toutes les choses que je lui manderois, les ordres de l'Hôtel-de-Ville portant que l'on fit tout ce que j'ordonnerois. J'entrai dans la maison d'un maître des comptes, nommé M. de La Croix, qui me la vint offrir ; c'est la plus proche de la Bastille, et les fenêtres donnent sur la rue. Aussitôt que j'y fus, M. le Prince m'y vint voir ; il étoit dans un état pitoyable : il avoit deux doigts de poussière sur le visage, ses cheveux tout mêlés ; son collet et sa chemise étoient tout pleins de sang, quoiqu'il n'eût pas été blessé ; sa cuirasse étoit toute pleine de coups, et il tenoit son épée à la main, ayant perdu le fourreau ; il la donna à mon écuyer. Il me dit : « Vous voyez un homme au désespoir ; j'ai perdu tous mes amis : MM. de Nemours, La Rochefoucauld et Clinchamp sont blessés à mort. » Je l'assurai qu'ils étoient tous trois bien mieux, et que les chirurgiens ne les croyoient pas blessés dangereusement, et que tout présentement je venois de savoir des nouvelles de Clinchamp, qui n'étoit qu'à deux portes d'où j'étois ; que Préfontaine l'avoit vu ; qu'il n'étoit en aucun danger. Cela le réjouit un peu : il étoit tout à fait affligé ; car en entrant il se jeta sur un siége, pleurant et me disant : « Pardonnez à la douleur où je suis » ; et après cela, que l'on dise qu'il n'aime rien ! Pour moi, je l'ai toujours connu tendre pour ce qu'il aime.

Il se leva et me pria d'avoir soin de faire passer les bagages qui étoient hors la porte, et de ne pas bougez d'où j'étois, afin que l'on se pût adresser à moi pour tout ce que l'on auroit à faire, et qu'il avoit si hâte qu'il ne pouvoit demeurer plus longtemps. Je le priai instamment de vouloir entrer dans la ville avec son armée. Il me répondit qu'il n'avoit garde de le faire ; que je ne me misse point en peine, et qu'il ne feroit plus qu'escarmoucher ; qu'ainsi il n'y avoit plus rien à craindre pour mes amis, et qu'il me répondoit qu'il ramèneroit les troupes de Monsieur saines et sauves ; que pour lui, il ne lui seroit pas reproché d'avoir fait retraite en plein midi devant les mazarins.

Après qu'il fut parti, le marquis de La Roche-Giffard39 passa blessé à la tête, mais ayant perdu toute connoissance, et étendu sur une échelle comme un mort ; il me fit grande pitié : c'étoit un homme bien fait et beau, et en l'état où il étoit il ne laissoit pas d'être de bonne mine ; ce qui est de pis, c'est qu'il étoit de la religion.40 Tout ce jour-là se passa à ne voir autre chose que des morts et des blessés, et je m'aperçus à la fin de ce que disent les gens de guerre, que la quantité que l'on en voit y accoutume tellement que l'on n'a pas tant de pitié pour les derniers que pour les premiers, et surtout pour les gens que l'on ne connoît point. Il y avoit de pauvres Allemands qui ne savoient où donner de la tête, ni comme se plaindre, ne pouvant parler notre langue ; je les envoyai dans les hôpitaux, chez les chirurgiens, selon leurs grades.41

Tous les colonels des quartiers envoyoient recevoir mes ordres pour faire sortir de leurs soldats.42 Je croyois encore être à Orléans, voyant que je commandois et que l'on m'obéissoit. Je fis filer le bagage, ainsi que M. le Prince m'avoit prié, et j'ordonnai que l'on le menât à la place Royale, jugeant qu'il y seroit fort bien, qu'on le mettroit au milieu et que l'on dételleroit les chevaux pour les faire repaître sous les galeries ; car M. le Prince avoit oublié de me dire où je les enverrois. Ils étoient là en lieu d'aller partout où l'on voudroit commodément : car l'on ne savoit point pour lors là où l'on camperoit le soir.

Les quatre cents mousquetaires, que l'on m'avoit donnés pour être comme un corps de réserve pour envoyer à M. le Prince, selon qu'il en auroit besoin, je les envoyai, la moitié sur le boulevard de la porte Saint-Antoine, et l'autre sur celui de l'Arsenal, où les gens du grand-maître de l'artillerie43 quelques difficultés de les recevois ; mais, à la seconde fois que j'y envoyai, ils y entrèrent. Il me sembla que cela feroit un bon effet, en faisant voir que les bourgeois nous défendoient et se défendoient eux-mêmes ; que les mazarins jugeroient par là qu'ils étoient absolument pour nous : car pour le secours que l'on en auroit pu tirer, je le comptois pour rien. Mais toutes les choses qui faisoient paroître Paris déclaré pour nous, étoient avantageuses. Je me tourmentai horriblement ce jour-là ; mais je n'eus pas sujet de plaindre mes peines, puisqu'elles réussirent si bien.

L'embarras où j'avois vu nos affaires le matin m'avoit laissé beaucoup d'inquiétude, quoique nous en fussions dehors. La conduite que Monsieur avoit eue envers M. le Prince, et qui faisoit tant contre lui-même, me mettoit au désespoir ; de sorte que j'avois l'esprit furieusement troublé, et je ne comprends pas comment je pus faire tout ce que je fis dans cette agitation ; mais ce fut un des effets du miracle que Dieu fit pour nous ce jour-là : car, à moins d'un coup du ciel les choses ne se fussent point passées comme elles firent.

M. le Prince fut attaqué proche le faubourg Saint-Denis ; il envoya de la cavalerie pour amuser les ennemis, cependant qu'il marchoit en diligence au faubourg Saint-Antoine, où il fut attaqué par toute l'armée de M. de Turenne, qui arriva à même temps que lui. Il se barricada dans la grande rue à la vue des ennemis le mieux qu'il lui fut possible, et il envoya des troupes garder les autres avenues. Il est bon de dire (et c'est chose assez connue) que ce faubourg est ouvert de tous côtés, et qu'il auroit fallu deux fois plus de troupes que M. le Prince n'en avoit pour garder une seule avenue. Les ennemis étoient plus de douze mille hommes ; M. le Prince n'en avoit que cinq, et il leur résista sept ou huit heures durant, où l'on combattit horriblement : il étoit partout. Les ennemis ont dit qu'à moins d'être un démon, il ne pouvoit pas humainement faire tout ce qu'il avoit fait : il étoit à toutes les attaques.

les ennemis forcèrent la grande barricade, qui tenoit le carrefour qui va à Picpus et à Vincennes. Notre infanterie fit bien ; mais la cavalerie prit une telle épouvante, qu'elle s'enfuit et emmena tout ce qu'elle trouva en son chemin jusques à la halle,44 devant l'abbaye Saint-Antoine. Mais M. le Prince, étant enragé de cela, retourna l'épée à la main avec cent mousquetaires du régiment de l'Altesse, et ce qu'il trouva d'officiers de cavalerie ou d'infanterie sous sa main, au nombre de trente ou quarante, et quelques volontaires, reprit la barricade et en chassa les ennemis. Elle étoit défendue par le régiment des gardes, celui de la marine, Picardie et Turenne, qui étoient sans doutes leurs meilleurs régiments et les plus forts qu'ils eussent. Enfin il fit des choses qui passent l'imagination, tant par un grande valeur que par la prudence avec laquelle il agit, et un sang-froid que tout le monde admira.

J'étois toujours à voir passer les bagages, les morts et les blessés : il y eut un cavalier qui fut tué et qui demeura sur son cheval, lequel suivoit le bagage avec son pauvre maître ; cela faisoit pitié. Madame de Châtillon vint au logis où j'étois, dans le carrosse de madame de Nemours, qui venoit de voir M. son mari. Elle me dit : « Hélas ! vous êtes bien bonne de faire tout ce que vous faite pour M. le Prince ; car il me semble que depuis quelques jours il n'étoit pas trop bien avec vous, et que vous aviez sujet de vous plaindre de lui. » Je lui répondis : « Si M. le Prince a manqué envers moi, ce n'est qu'un des bagatelles ; je ne lui manquerai jamais, et c'est ici une affaire trop importante pour songer à rien qu'à le secourir. Mais si j'étois en sa place, j'étranglerois les gens [qui] m'y ont mis pour leurs intérêts particuliers. » Elle ne dit mot et demeura auprès de moi ; j'avois bien envie qu'elle s'en allât.

Le président Viole vint ; elle lui [dit] que l'on disoit que Monsieur avoit traité avec la cour, et qu'il savoit bien ce qui devoit arriver, et que c'étoit la cause qui l'avoit empêché de sortir. Il45 le dit au comte de Fiesque, qui me le vint dire. J'en parlai à madame de Châtillon, lui reprochant que, pour une habile femme, elle donnoit bien aisément dans les panneaux, de croire une nouvelle aussi ridicule que celle-là, et que je croyois que, si Monsieur en savoit l'auteur, il le feroit jeter par les fenêtres ; que je trouvois comme elle que Monsieur avoit tort de n'avoir pas monté à cheval ; que je l'avois souhaité passionnément ; que j'y avois fait tout mon possible ; mais qu'il ne falloit pas inférer de là qu'il trompât M. le Prince, et qu'il n'étoit pas homme à en user ainsi. Elle fut un peu embarrassée, et elle avoit sujet de l'être, et se devoit contenter de ce qu'elle avoit fait, sans accuser les autres. Cet embarras lui avoit fait oublier ses charmes : il n'y en avoit pas un d'étalé ce jour-là ; comme elle est fort brune naturellement, cela paroissoit extrêmement en plein jour.

Elle s'avisa de faire écrire un billet à M. le Prince pour lui mander qu'il falloit qu'il vînt absolument, et que tous ses amis et serviteurs [le] lui conseilloient, et que c'étoient Mademoiselle et madame de Châtillon, le comte de Fiesque et le président Viole. Elle me le montra et me demanda si je l'approuvois. Je lui dis qu'il étoit fort inutile de lui rien mander ; qu'il savoit ce qu'il avoit à faire, et que pour son billet il n'en feroit ni plus ni moins. Elle me répondit : « Il verra au moins par là l'inquiétude où l'on est de lui. » Ce zèle me déplut fort,46 et je jugeai que se souvenant que c'étoit elle qui lui avoit attiré cette méchante affaire, il le recevroit mal. Le comte de Béthune, qui est homme de mérite et de probité, me vint trouver ; je lui témoignai le déplaisir que j'avois de quoi Monsieur n'avoit pas fait tout ce que je croyois qu'il devoit faire envers M. le Prince et pour lui-même. Il entra fort dans mon sens, et me dit qu'il s'en alloit trouver Monsieur pour tâcher de le porter à raccommoder les choses.

Le gouverneur de la Bastille, nommé Louvière, fils de M. de Broussel, me manda que, pourvu qu'il eût un ordre de Monsieur par écrit, il étoit à lui, et qu'il feroit tout ce que l'on lui commanderoit. Je priai le comte de Béthune de le dire à Monsieur, lequel [le] lui envoya par M. le prince de Guémené.47 L'abbé d'Effiat,48 qui m'étoit venu voir comme beaucoup d'autres, voyant qu'il étoit tard et que je n'avois sortie de mon logis et par l'heure, que je n'avois mangé et que j'en avois besoin, et même que ne m'en aviserois point, ayant bien d'autres choses dans la tête. Il m'en offrit ; son logis étant tout proche, je l'acceptai, et il m'en fit apporter très-promptement et fort à propos : car j'avois bien faim. Madame de Châtillon dîna avec moi ; elle faisoit des mines les plus ridicule du monde, et dont l'on ne seroit bien moqué, si l'on avoit été en humeur de cela.

Le comte de Béthune me manda sur les deux heures que Monsieur viendroit où j'étois ; j'envoyai à l'instant le comte de Fiesque le dire à M. le Prince. Ce comte fit mille voyages ce jour-là : car il alloit et venoit sans cesse. M. de Rohan, qui avoit été saigné le matin, pensa s'évanouir de toutes les fatigues qu'il eut ; sa femme demeura tout le jour auprès de moi et de lui. M. le Prince vint ; je le vis venir par la fenêtre : je m'en allai au-devant de lui sur le degré. Il me parut tout autre qu'il n'étoit le matin, quoiqu'il n'eût changé de rien ; mais il avoit la mine riante et l'air gai. [Il] m'aborda en me faisant mille compliments et remercîments de ce qu'il trouvoit que je l'avois assez servi. Je lui dis : « J'ai une grâce à vous demander : c'est de ne rien témoigner à Monsieur de la faute qu'il a faite envers vous. » Il me répondit : « Je n'ai qu'à le remercier ; sans lui je ne serois pas ici. » Je me mis à rire, et lui dis : « Trève de railleries ; je sais les sujets que vous avez de vous plaindre de lui. J'en suis au désespoir ; mais, pour l'amour de moi, n'en parlez point. » Il me le promit sérieusement, étant persuadé que Monsieur avoit effectivement de l'amitié pour lui, et que c'étoient les amis du cardinal de Retz qui l'avoient empêché de faire ce qu'il avoit désiré, et qu'il savoit bien le respect qu'il lui devoit ; mais qu'il savoit bien aussi, il y avoit longtemps, à quoi s'en tenir.

Nous entrâmes dans la salle, où la comtesse de Fiesque étoit avec madame de Châtillon et M. de Rohan. Il s'approcha d'eux ; mais il fit les plus terribles yeux du monde à madame de Châtillon et la mine la plus méprisante. J'en fus fort aise, et elle en fut si sensiblement touchée qu'elle pensa s'évanouir ; il lui fallut donner de l'eau ; ensuite elle s'en alla. Comme Monsieur arriva, il embrassa M. le Prince avec une mine aussi riante que s'il ne lui eût manqué en rien. Il lui témoigna la joie qu'il avoit de le voir hors d'un si grand péril, et lui fit conter le combat ; il avoua qu'il n'avoit jamais été en une occasion si périlleuse. L'on plaignit les blessés et les morts. Le marquis de Loyne,49 de la religion, avoit été le matin dangereusement blessé ; le comte de Bossu, Flamand, colonel de cavalerie dans les troupes de Clinchamp, mourut le soir. Sester, neveu de M. le maréchal de Rantzau, qui commandoit un régiment d'Allemands dans l'armée de Monsieur, fut tué sur la place ; je demandai le régiment pour le neveu de la maréchale de Rantzau, qui en étoit major, nommé Baudits, fils du feu général Baudits, qui servoit le roi de Suède. Monsieur lui accorda ce régiment à ma prière. Il y eut beaucoup d'autres officiers morts ou blessés ; mais cela seroit trop long à les nommer. Monsieur et M. le Prince résolurent que l'armée rentreroit sur le soir dans la ville ; de là Monsieur s'en alla à l'Hôtel-de-Ville pour remercier le corps de ville, et M. le Prince s'en retourna à son armée. M. de Beaufort se démena extrêmement, et crut avoir tout fait.

Comme ils furent partis, je m'en allai à la Bastille, où je n'avois jamais été ; je me promenai longtemps sur les tours, et je fis changer50 le canon, qui étoit tout pointé du côté de la ville : j'en fis mettre du côté de l'eau et du côté du faubourg pour défendre le bastion. Je regardai avec une lunette d'approche : je vis beaucoup de monde sur la hauteur de Charonne, et même des carrosses ; ce qui me fit juger que c'étoit le roi, et j'ai appris depuis que je ne m'étois pas trompé. Je vis aussi toute l'armée ennemie dans le fond, vers Bagnolet ; elle me parut forte en cavalerie. L'on voyoit les généraux sans connoître leurs visages ; mais l'on les reconnoissoit par leur suite. Je vis comme ils partageoient leur cavalerie pour nous venir couper entre le faubourg et le fossé, les uns du côté de Popincourt,51 et les autres par Reuilly,52 le long de l'eau ; et, s'ils l'eussent fait plus tôt, nous étions perdus. J'envoyai un page à toute bride en donner avis à M. le Prince ; il étoit en même temps au haut du clocher de l'abbaye Saint-Antoine ; et, comme je lui confirmai la même chose qu'il voyoit, il commanda que l'on marchât pour entrer dedans la ville.

Je m'en revins dans la maison, où j'avois été tout le jour pour voir passer l'armée ; car je savois bien que tous les officiers seroient ravis de me voir. Je ne veux pas oublier de dire que le matin tous les officiers et les soldats étoient fort consternés ; car ils jugeoient qu'il n'y avoit point de quartier. Dès qu'ils surent que j'étois à la porte, ils firent des cris de joie non pareils, et dirent : « Faisons merveille ; nous avons une retraite assurée : Mademoiselle est à la porte, qui nous la fera ouvrir, si nous sommes trop pressés. » M. le Prince me manda de leur envoyer du vin ; ce que je fis avec beaucoup de diligence, et, comme ils passoient devant les fenêtres d'où j'étois, ils crioient : « Nous avons bu à votre santé ; vous êtes notre libératrice. » Il n'y avoit point d'honnêtes gens qui n'eussent dit la même chose, s'ils eussent osé.53 Comme le régiment de Sester passa, j'appelai Baudits, qui étoit à la tête, fort affligé de la perte de son colonel, qui étoit son ami, pour lui dire que j'avois demandé à Monsieur le régiment pour lui, et qu'il me l'avoit accordé.

M. le Prince vint me voir, en rentrant dans la ville ; et, comme j'avois envie de lui reprocher tout ce qui s'étoit passé, je lui dis : « Voilà de belles troupes ; je ne les trouve point déchues depuis que je les vis à Étampes, et si54 elles ont soutenu un siége et essuyé deux combats ; Dieu les garde de négociations. » Il devint rouge et ne répondit rien. Je continuai en lui disant : « Au moins, mon cousin, vous me promettez qu'il n'y en aura plus. » Il me dit : « Non. » Je lui répliquai : « Je ne puis m'empêcher de vous dire que cette occasion vous doit faire distinguer vos véritables amis d'avec ceux qui ne le sont que pour leurs intérêts particuliers, et qui ont exposé votre personne dans l'espérance d'avoir cinquante mille écus. Pour moi, je ne vous en parle que par amitié, pour vous y faire penser ; car d'autres n'oseront vous le dire. » Les larmes lui vinrent aux yeux de colère ; je finis cette conversation en lui disant : « C'est assez pousser l'affaire ; j'espère que vous vous corrigerez. » Il s'en alla, et je demeurai jusqu'à ce que toutes les troupes fussent passées.

Les troupes que MM. les maréchaux de Turenne et de La Ferté avoient envoyées pour pousser les nôtres s'avancèrent près de la ville ; mais l'on tira de la Bastille deux ou trois volées de canon, comme je l'avois ordonné lorsque j'en sortis.55 Cela leur fit peur, ayant comporté un rang de cavaliers ; sans cela toute l'infanterie étrangère, la gendarmerie et quelque cavalerie, qui étoient à l'arrière-garde, auroient été défaites, parce que ces troupes avoient été obligées d'attendre du canon que l'on étoit allé retirer près de l'église de Sainte-Marguerite.56 Cela me donna de l'inquiétude de quoi elles étoient si longtemps à passer ; je renvoyai le comte de Holac, qui m'étoit venu voir, les faire hâter ; et, quand elles furent toutes passées, je m'en allai me reposer quelque temps à l'hôtel de Chavigny.

Je me promenai dans le jardin avec M. de Chavigny pour me rafraîchir57 ; car il faisoit un chaud horrible ce jour-là. Nous parlâmes fort de tout ce qui s'étoit passé ; puis je m'en allai à Luxembourg, où tout le monde me régaloit de ce qui s'étoit passé. M. le Prince me fit mille compliments, et il dit à Monsieur que j'avois assez bien fait pour qu'il me pût louer. Il me vint dire qu'il étoit satisfait de moi, mais non pas avec la tendresse qu'il auroit dû faire. J'attribuai cela au repentir qu'il devoit avoir que j'eusse fait ce qu'il devoit faire ; de sorte que son indifférence, qui m'est si rude à supporter, me consola ce jour-là, le croyant dans des sentiments où j'aurois souhaite qu'il eût toujours été.

Quand je songeai le soir, et toutes les fois que j'y songe encore, que j'avois sauvé cette armée, j'avoue que ce m'étoit une grande satisfaction et au même temps un grand étonnement de penser que j'avois fait aussi rouler les canons du roi d'Espagne dans Paris, et passer les drapeaux rouges avec les croix de Saint-André. La joie que je sentois d'avoir rendu un service au parti si considérable et d'avoir fait en cette rencontre une chose si peu ordinaire, et qui n'est peut-être jamais arrivée à personne de ma condition, m'empêcha d'y faire les réflexions qui se peuvent faire maintenant là-dessus et qui auroient pu troubler [ma joie]. Le marquis de Flamarin fut tué, dont j'eus beaucoup de déplaisir, étant mon ami particulier depuis le voyage d'Orléans, où il m'avoit suivie et très-bien servie. L'on lui avoit prédit qu'il mourroit la corde au cou, et il l'avoit dit souvent pendant le voyage, s'en moquant et le disant comme une chose ridicule, ne se pouvant persuader qu'il seroit pendu. Comme l'on alla chercher son corps, on le trouva la corde au cou en la même place où quelques années auparavant il avoit tué Canillac en duel.

Toute la nuit je ne dormois point : j'eus tous ces pauvres morts dans la tête. Le lendemain je ne bougeai du logis, où il vint quantité du monde, et surtout des officiers de l'armée ; l'on ne parla que de la bravoure de M. le Prince et de toutes les belles actions qu'il avoit faites ; ils en étoient tous en admiration. Il me vint voir et voulut avoir un éclaircissement avec moi sur toutes les choses qui s'étoient passées avant le combat ; et la conclusion fut, qu'il ne souhaitoit d'avantage au parti que pour être en état de pouvoir contribuer à me voir mariée aussi avantageusement qu'il souhaitoit, et que c'étoit la chose du monde qu'il souhaitoit avec le plus de passion.

La bonne volonté que le peuple témoigna le jour du combat fut tout extraordinaire. Ils alloient querir les morts pour les faire enterrer ; ils donnoient à boire aux sains et aux blessés comme ils passoient, et faisoient tout ce qu'il leur étoit possible, et crioient : Vivent le roi, et point de Mazarin ! Nous sûmes que le marquis de Saint-Mesgrin, lieutenant général et lieutenant des chevau-légers du roi, étoit mort ; Mancini, neveu du cardinal Mazarin, blessé dangereusement58 ; et Fouilloux, enseigne des gardes de la Reine. C'étoit une espèce de favori que le cardinal poussoit auprès du roi. Le marquis de Nantouillet, volontaire, y fut tué ; et Saint-Mesgrin le fut à la tête des chevau-légers, en très-galant homme comme il étoit ; il y avoit longtemps qu'il servoit et avoit beaucoup acquis. Mancini n'avoit que seize ans : c'étoit un fort joli garçon et de grande espérance ; il fit des merveilles à la tête du régiment de la marine, dont il étoit mestre de camp ; il fut fort regretté.

Le combat avoit duré assez longtemps le matin et avoit été opiniâtre : ils croyoient à la cour que la victoire leur étoit certaine par l'inégalité des troupes, qui est un coup certain, quand Dieu n'assiste pas le parti le plus foible de sa protection, comme il le fit le nôtre. La reine, qui étoit demeurée à Saint-Denis, envoya de ses carrosses pour y mener M. le Prince, qu'elle crut être prisonnier. J'ai appris d'un homme qui étoit avec le roi, que comme Sa Majesté entendit tirer le canon de la Bastille, le cardinal dit : « Bon, ils tirent sur les ennemis ! » et jugeoit cela par l'intelligence qu'il avoit dans Paris, il ne doutoit pas d'y entrer par la porte du Temple, où M. de Guénégaud, trésorier de l'épargne, devoit ce jour-là être de garde en qualité de colonel de son quartier. Comme le canon tira encore plusieurs fois, quelqu'un dit : « J'ai peur que ce soit contre nous. » D'autres disent : « C'est peut-être Mademoiselle qui est allée à la Bastille, et l'on a tiré à son arrivée. » Le maréchal de Villeroy dit : « Si c'est Mademoiselle, ce sera elle qui aura fait tirer sur nous. » Ils furent quelque temps sans en être éclaircis.

Mais les généraux, qui avoient envoyé, comme j'ai déjà dit, leur cavalerie pour nous couper, marchèrent avec toute l'infanterie pour forcer la barricade, espérant ainsi nous prendre de tous côtés, [et] ne trouvèrent plus personne ; ils ne doutèrent point que nos gens ne fussent entrés triomphants à Paris. L'on l'alla dire au roi et au cardinal, qui le ramena à Saint-Denis, où ils n'arrivèrent qu'à minuit, ayant eu cent fausses alarmes. Ils firent souvent halte, et se mettoient en ordre, croyant que l'on les vouloit attaquer ; enfin jamais gens n'ont tant eu de peur sans aucun sujet. Les troupes étoient si fatiguées, qu'il n'y avoit ni officier ni soldat qui songeât à autre chose qu'à se reposer.

L'on dit à la reine que nous avions été battus, et qu'il n'étoit rentré dans Paris que des morts et des blessés, et que cela n'étoit de rien au roi de quoi l'on avoit donné retraite aux troupes ; que le peu de gens et le mauvais état où ils étoient feroient connoître au peuple de Paris l'impuissance des princes, et que par là il se dégoûteroit d'eux. Le comte de Quinsky (Kinsky), colonel allemand, fut pris prisonnier, et quelques autres officiers. Nous en eûmes aussi quelques-uns, et entre autres des capitaines du régiment des gardes : l'on prit treize drapeaux, dont la plupart étoient des gardes, et comme nos troupes rentroient dans la ville, l'on portoit ces drapeaux à la tête du régiment de Son Altesse royale. Je leur envoyai dire que cela n'étoit pas bien d'en faire trophée, et qu'ils étoient au roi, à qui nous devions tous respect, et qu'ils les fissent porter auprès du leur, afin qu'on les crût être du régiment.

 

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NOTES

1. Turenne fit marcher ses troupes sur Étampes dès le 26 mai 1652.

2. Ce fut le 29 mai que le cardinal Mazarin amena Louis XIV à l'armée qui assiégeait Étampes.

3. On a déjà vu plus haut de quoi pour de ce que.

4. Madame de Châtillon venait de rentrer dans Paris, comme le prouve la Muze historique (Lettre du 28 avril 1652). Loret y exprime en même temps, dans son langage bizarre et presque burlesque, le sentiment d'admiration que faisait naître sa beauté :

La duchesse de Châtillon,
Dont sans amoureux aiguillon,
Le plus sévère et le plus sage
Ne sauroit lorgner le visage
Est revenu en cette ville,
Accompagnée en bel arroi
Des gens, des princes et du roi ;
Mais, outre ces braves gens d'armes,
Dix mille amours, dix mille charmes,
Dix mille attraits, dix milles appas,
La suivoient aussi pas à pas ;
Et ce fut avec cette escorte,
Moitié charmante et moitié forte,
Ainsi que plusieurs m'ont appris,
Que la belle entra dans Paris.

5. Le bourg de Marlou, Merlou ou Mello, est situé sur le Thérain, à peu de distance de Clermont-en-Beauvaisis (Oise).

6. On lit dans le Journal de Dubuisson-Aubenay, à la date du 1er juin : « Le samedi, premier jour de juin, fusées sur le pont Neuf, escopeteries continuelles ès gardes et partout, et réjouissance par tout le peuple beflé [amusé] de la venue du duc de Lorraine Charles…. Les princes furent hors la ville au-devant de lui, et vinrent tous ensemble au nombre de trois cents chevaux. Il vint à cheval, entre le duc d'Orléans et le prince de Condé, descendre et loger avec et chez M. d'Orléans. » Ce passage précise la date de l'arrivée du duc de Lorraine, que M. Bazin, dans son Histoire de France sous le ministère de Mazarin, place au 2 juin. Je signale cette légère erreur, parce que M. Bazin est un historien d'une scrupuleuse exactitude.

7. Ce Mesnil ou Ménil est probablement le lieu qu'on appelle maintenant le Ménil-Amelot (Seine-et-Marne).

8. Madame de Chevreuse était à cette époque dans les intérêts de la cour, qu'elle servait secrètement auprès du duc de Lorraine. J'en trouve la preuve dans une lettre chiffrée du 4 juin 1652, adressée à Mazarin par l'abbé Fouquet, un de ses confidents les plus intimes. Les passages chiffrés sont entre [ ]. Il s'agissait à ce moment de ralentir la marche du duc de Lorraine, qui devait secourir Étampes :

« [Madame de Chevreuse] a tiré parole de [M. de Lorraine] qu'il seroit [six jours dans sa marche] ; qu'après [demain] il [séjournerait tout le jour], et que [aujourd'hui] il n'avoit fait [passer] que la [moitié dans son armée de Lagny], quoiqu'il lui fût aisé de faire [passer] le tout ; que si en ce temps on pouvoit [achever l'affaire d'Étampes], il en seroit ravi ; qu'il étoit tout à fait dans les intérêts de [la reine] ; mais que si on ne pouvoit en ce temps-là, qu'il étoit aisé de faire une [proposition pour la paix générale] de concert avec lui, et qu'il servira [la reine] de la manière dont [elle] le pourrai souhaiter. [Madame de Chevreuse] dit qu'il seroit bon que [la reine] l'en remerciât par écrit. [Madame de Chevreuse] dit que, si l'on [envoyoit ici M. de Laigues], avec une résolution certaine sur [Vic et Moyenvic], qu'assurément on auroit contentement, et dit que celui que [Bregy] lui a envoyé pour s'aboucher [a été tué] ; il est nécessaire d'une réponse précise au plus tôt. Il faut que [V.E.], si [elle] veut songer à cette affaire, fasser témoigner à [M. de Lorraine] qu'elle servira [ses enfants]. C'est là tout son désir. Il serait bon que [V.E.] écrivit à [Madame de Chevreuse] et [la] remerciât. [Elle] a gagné [deux jours] sur l'esprit de l'homme ci-dessus [du duc de Lorraine]. »

9. Ce nom est toujours écrit par Mademoiselle Des Cars ; nous avons suivi l'orthographe ordinaire.

10. Il y a Saint-Orin ans le manuscrit autographe ; mais on ne peut s'en rapporter à l'orthographe de Mademoiselle. Je pense qu'il faut lire Saint-Taurin.

11. C'est-à-dire la charge de guidon, ou porte-drapeau, de la compagnie. Le guidon était, en effet, un drapeau large dans la partie supérieure et se terminant en pointe. On appelait par extension guidon l'officier qui portait ce drapeau. Le marquis de Sévigné était guidon des gendarmes-dauphins. Sa mère, en parlant de la charge de son fils, emploie souvent le mot guidonnage : « Mon fils est désespéré du guidonnage…. Notre pauvre guidon se meurt d'ennui dans le guidonnage. »

12. Louis de la Trémouille, comte d'Olonne, né en 1626, mort en 1686. Il a été question plus haut de sa femme, Catherine-Henriette d'Angennes, fille aînée de Charles d'Angennes, baron de la Loupe.

13. Dubuisson-Aubenay écrit dans son Journal, à la date du mercredi 5 juin 1652 : « Moitié de l'armée du duc Charles va passer la Seine au pont de bateaux pour ce dressé à Choisy, entre Athis et Vitry, où Mademoiselle fut vue aller et venir à cheval sur le pont. »

14. Il y a bien résister dans le manuscrit. Ce verbe est pris ici dans le sens de rester.

15. Le 7 juin, Turenne, à l'approche du duc de Lorraine, s'était retiré à Étrechy. Un traité avait été signé le 6 entre le duc de Lorraine et le marquis de Châteauneuf. On le trouvera à l'Appendice : Traité du 6 juin 1652. La retraite de l'armée royale d'abord, et ensuite celle du duc de Lorraine, y étaient stipulées.

16. Le duc de Lorraine affectait toujours un grand respect envers Mademoiselle. Dubuisson-Aubenay écrit, à la date du 9 juin, en parlant de ce prince : « Le soir, on le voit au jardin des Tuileries et du sieur Renard, vêtu de gris malproprement et faisant plusieurs bouffonneries et batelleries [actions de bateleur] en présence des ducs d'Orléans et de Beaufort, etc., et de Mademoiselle, en présence de qui il étoit toujours nue tête. »

17. On verra à l'Appendice : Traité du 6 juin 1652 que la négociation avait été terminée par le marquis de Châteauneuf.

18. La reine d'Angleterre était à cette époque réduite à une si grande pénurie que sa fille, Henriette d'Angleterre, restait couchée faute de bois pour se chauffer (janvier 1649). Voy. les Mémoires de madame de Motteville à cette date.

19. C'est-à-dire contre le roi et la reine d'Angleterre.

20. Mademoiselle emploie souvent le mot francs au lieu de livres, comme la plupart des auteurs du XVIIe siècle. Les anciens éditeurs ont cru devoir changer l'expression.

21. On a changé ce passage dans les anciennes éditions et substitué la phrase suivante : « S.A.R. alla au moulin de Châtillon, qui est par delà Montrouge. » Quoique Châtillon soit, en effet, au delà de Montrouge, par rapport à Paris, nous n'avons pas cru devoir altérer le texte du manuscrit autographe.

22. Une partie de l'armée royale traversa la Seine le 1er juillet 1652.

23. Ce mouvement de l'armée des princes eut lieu le 2 juillet.

24. Cette porte était situé à l'extrémité occidentale de la terrasse du jardin des Tuileries qui longe la Seine.

25. Le manuscrit porte ce nom et non Lemèque, qu'on lit dans les anciennes éditions. Il a déjà été question plus haut de ce personnage (Chapitre XI, "Languey").

26. À l'extrémité du jardin des Tuileries, vers le lieu où l'on a depuis ouvert la place de la Concorde.

27. Dans les anciennes éditions, on a supprimé ce passage depuis et faisoit la zélée jusqu'à d'en venir là. Je ne sais quel motif a pu porter les éditeurs à cette mutilation du texte. Quant à la trahison de madame de Châtillon à l'égard du parti qu'elle paraissait servir, elle est vraisemblable.

28. On signalait, dans le parti opposé, la nécessité de profiter de l'occasion pour tomber sur l'armée des princes. Un billet écrit de la main de Nicolas Fouquet, qui fut plus tard surintendant et qui se distinguait alors parmi les partisans de Mazarin, est conçu en ces termes : « On donne avis important est pressé que l'armée des princes a passé sous la porte Saint-Honoré, au pied de la sentinelle, par le milieu du Cours et a défilé par la Ville-l'Évêque et va tout autour des faubourgs gagner Charenton [et] passer la rivière. Ils ont sept pièces de canon,que l'on a comptées, et marchent dans le plus grand désordre du monde, les troupes et les équipages pêle-mêle, ensorte que cinq cents chevaux, envoyés en diligence, peuvent tout défaire aisément, si l'on veut. Cependant on amuse le roi avec peu de gens qu'on fait paroître. Il faut se hâter : ils ont deux défilés à passer ; pourvu qu'on parte promptement, on y sera assez tôt. »

29. Ce fut le 26 octobre 1630 que Jules Mazarin, alors officier de guerre au service du pape, se jeta entre les deux armées française et espagnole, et parvint à les arrêter au moment où les rangs allaient se heurter.

30. Voy. l'Appendice : Combat de la porte Saint-Antoine.

31. La porte Saint-Honoré était située à peu près au point où la rue Saint-Honoré est coupée par les rues Saint-Florentin et Richepanse. La construction de cette porte avait été commencée en 1631 ; elle fut détruite en 1733.

32. Antoine Lefèvre, conseiller au parlement de Paris, avait été élu prévôt des marchands en 1652. Il fut remplacé en 1654 par Alexandre de Sève, seigneur de Châtignonville.

33. La colonelle, ou compagnie colonelle, était celle qui était directement commandée par le colonel. C'était ordinairement la première compagnie de chaque régiment, celle qui portait le drapeau blanc. Quelquefois aussi le mot colonelle indiquait le régiment tout entier.

34. L'hôpital du Saint-Esprit, dont il s'agit ici, était situé sur la place de Grève et confinait à partie septentrionale de l'hôtel de ville.

35. C'est-à-dire le maréchal de l'Hôpital me reconduisoit.

36. Cette rue se trouvai au nord de l'hôtel de ville, qu'elle longeait. Elle a disparu récemment, lorsque la rue de Rivoli a été prolongé jusqu'à la place de la Bastille.

37. Dans cette guerre de la Fronde, où tout se tournait en plaisanterie, La Rochefoucauld finit par plaisanter lui-même de sa blessure. On raconte qu'il avait fait mettre bas d'un portrait de madame de Longueville les vers suivants :

Pour conquérir son cœur, pour plaire à ses beaux yeux,
J'ai fait la guerre aux rois ; je l'aurois faite aux Dieux.

Plus tard, se croyant trompé par madame de Longueville, il parodia ces vers :

Pour conquérir son cœur, qu'enfin je connois mieux,
J'ai fait la guerre aux rois ; j'en ai perdu les yeux.

38. On a réuni, dans les anciennes éditions, cette phrase avec la précédente, et on a ajouté au texte après un gentilhomme de M. de Nemours le mot qui. Voici comment la phrase a été construite : c'étoit tout ce qu'il pouvoit faire d'entendre un gentilhomme de M. de Nemours, qui vint, etc.

39. On a imprimé, dans les anciennes éditions, La Roche-Gaillard au lieu de La Roche-Giffard.

40. Protestant.

41. Voy. l'Appendice sur le combat de la porte Saint-Antoine.

42. On voit, par une lettre du secrétaire d'État Le Tellier, en date du 2 juillet 1652, que Mademoiselle avait réellement un grand crédit dans Paris. On y lit : « Il ne faut pas s'étonner si l'armée des princes a passé dans la ville et si l'on l'a souffert. Car Monsieur y étant présent, Mademoiselle et M. de Beaufort, le bourgeois, qui étoit à la porte, n'étoit pas assez fort pour résister. »

43. Le grand maître de l'artillerie, qui avoit son logement à l'Arsenal, était le maréchal de La Meilleraye, dont il a été question plus haut.

44. Les anciennes éditions portent à la butte devant Saint-Antoine. IL y dans le manuscrit à la halle devant l'abbaye Saint-Antoine. Il y avait, en effet, dans ce lieu une boucherie, composée de dix étaux, qui avait été établie en 1643.

45. On lit dans les anciennes éditions : Je le dis, au lieu de Il (le président Viole) me le dit. Ce qui rend la phrase inintelligible.

46. Il y a dans le manuscrit me plut fort ; mais le sens exigeant me déplut fort, j'ai conservé, en avertissant le lecteur, la correction faite dans les anciennes éditions.

47. Louis de Rohan, prince de Guémené, mourut le 17 février 1667, à l'âge de 68 ans.

48. Jean Coiffier, abbé de Saint-Sernin de Toulouse et de Trois-Fontaines ; il mourut le 19 octobre 1698. Saint-Simon, dans ses Notes sur Dangeau, à la date du 18 octobre 1698, l'a caractérisé en quelques mots : « L'abbé d'Effiat étoit riche de bénéfices et de patriotisme, avoit été fort galant, fort du monde et fort magnifique, et l'étoit encore quoique fort vieux, et depuis longtemps aveugle, avec cette manie de se faire avertir des meubles, des habits, des mets ; car il donnoit fort à manger et à fort bonne compagnie, et parloit de tout cela pour ne pas paroître aveugle. » L'abbé d'Effiat était frère puiné de Cinq-Mars, grand écuyer et un instant favori de Louis XIII.

49. On ne peut lire que Logne ou Loyne dans le manuscrit de Mademoiselle. Les anciens éditeurs y ont substitué Laigues.

50. On a mis dans les anciennes éditions charger au lieu de changer, comme le porte le manuscrit. La suite de la phrase indique assez qu'il s'agissait de donner aux canons une nouvelle direction et de les pointer contre l'armée royale.

51. Il y a dans le manuscrit Pincourt.

52. Les anciennes éditions portent Neuilly ; mais il est évident, après les lieux où l'action se passe, qu'il s'agit de Reuilly et non de Neuilly. D'ailleurs il y a Reuilly dans le manuscrit.

53. On lit dans les anciennes éditions s'ils y eussent été.

54. Et si, comme on a déjà vu, est une vieille locution pour et cependant. On la trouve souvent dans les auteurs du XVIIe siècle, et même dans Saint-Simon.

55. Les auteurs contemporains ont presque tous raconté que Mademoiselle avait elle-même fait tirer le canon de la Bastille contre l'armée royale. Je ne rappellerai pas les textes imprimés. Dubuisson-Aubenay écrit dans son Journal, à la date du 2 juillet : « Mademoiselle montant à la Bastille fit tirer du ravelin, qui est devant, sept ou huit coups de canon sur les gens du roi, qui venoient tirer mousquetades jusque dans la porte Saint-Antoine. » Il semble, d'après les Mémoires de madame de Motteville, que Mademoiselle cherchait à atténuer ou même à nier entièrement une action que la cour lui reprochait : « Elle m'a dit, écrit madame de Motteville, que cela n'avoit point été fait par son ordre. »

56. L'église Sainte-Marguerite avait été fondée en 1624 comme succursale de l'église Saint-Paul, ans la rue Saint-Bernard, entre les rues de Charonne et du faubourg Saint-Antoine ; elle existe encore aujourd'hui.

57. Cette phrase a été mutilée dans les anciennes éditions, et est devenue inintelligible par l'omission des mots je me promenai dans le jardin. C'est une des erreurs de copiste que j'ai déjà signalées.

58. On composa plusieurs pamphlets sur la mort de Paul Mancini, neveu de Mazarin. Voyez, entre autres, l'Apparition au cardinal Mazarin, dans Bouillon, de l'ombre de son neveu Manchiny ; la calotte de Mazarin renversée, etc.

 


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris  : Charpentier, 1858. T. II, Chap. XIII : p. 69-116.


 

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