Combat de la porte Saint-Antoine (2 juillet 1652)

La lettre suivante est un récit du combat de la porte Saint-Antoine, rédigé par un partisan du cardinal Mazarin et adressé à la cour :

Ce mercredi 3 juillet 1652.

« Le lundi au soir, sur les neuf à dix heures, les troupes des princes commencèrent à décamper de Saint-Cloud. Alors MM. les princes se présentèrent aux portes Saint-Honoré et de la Conférence, où, après leurs menaces, prières et soumissions, ils ne purent enfin obtenir de les faire entrer dans la ville pour les faire passer ainsi qu'ils disoient. Voyant cela ils défilèrent au-dessous de Montmartre, où l'arrière-garde fut attaquée par l'armée du roi à la Nouvelle-France1 ; mais enfin ils se sauvèrent dans le faubourg Saint-Martin, aux Récollets, où il y eut conflit. Sur les quatre à cinq heures du matin, ils se présentèrent à la porte de la ville qui leur fut fermée.

» L'armée du roi les poursuivit jusqu'au faubourg Saint-Antoine, les harcelant dans l'espace qui est entre les deux faubourgs ; mais le grand choc fut depuis neuf heures jusqu'à quatre au bout du faubourg Saint-Antoine, où les canons jouèrent pour le moins trois heures assez près les uns des autres. Les princes furent repoussés jusqu'à la porte, et, si celle-là leur eût été fermée comme l'autre, il n'y eût eu que les spectateurs qui en eussent pu dire des nouvelles. M. de Beaufort rentra avec le bagage et cria au secours, et pas un ne sortit hormis quelques étourdis volontaires qui s'allèrent faire tuer ou repousser. Son Altesse royale alla à l'hôtel de ville qui ne lui donna point satisfaction, et fut seulement accompagné de quelque bourgeoisie, qu'on dit qui alla par ordre de la ville sur le boulevart avec Sadite Altesse voir la sanglante tragédie.

»  Il y eut la moitié de Paris qui s'en alla aussi, quand le choc fut passé et que l'on ne craignoit plus, sur le rempart du Temple et autres lieux élevés pour considérer ; mais pas un ne s'avisa de sortir, et ce que quelques-uns faisoient c'étoit de grincer les dents, la plupart ne s'en souciant pas et s'en riant.

»  Je vis sur les onze heures du matin revenir le prince de La Rochefoucauld,2 qui sembloit avoir les yeux hors de la tête, et on ne connoissoit rien en son visage. On dit néanmoins qu'il n'en a qu'un crevé. Le duc de Nemours arriva un peu après chez lui atteint de quatre coups, dont l'un lui a cassé la main ou le bras ; lequel des deux, je ne sais ; Clinchamp est blessé à mort, quantité d'officiers tués, et mêmes les soldats qui en sont échappés confessent que la plupart y est demeuré. Il courut un bruit que M. de Turenne étoit tué, puis blessé, puis prisonnier, puis enfin qu'il s'étoit sauvé ; que Mancini avoit été tué. Pour le neveu de M. Guitaut, il a été vu beaucoup blessé, et on m'a dit qu'on avoit tiré huit ou dix coups de canon de la Bastille. J'ai eu de la peine à le croire, celui qui me l'a dit a été témoin oculaire, ainsi qu'il assure, si ce n'est pour mieux établir son mensonge ; les autres disent du boulevart.3

»  Les reliques du débris passèrent au travers de Paris, en désordre et sans rang, et chacun se trouva au Pré-aux-Clercs, où ils campèrent hier au soir.4

»  Ils font courre le bruit que la ville se déclare enfin en faveur du parti, et que ce qui retarde l'exécution, ce fut le gouverneur et le prévôt des marchands ; qu'on va assommer le premier et changer le second ; que Son Altesse royale a mandé aux députés du parlément qu'ils s'en reviennent. Cela est ridicule et je ne vous l'écrirois pas, si ce n'est qu'on est bien aise d'entendre les sentiments de la populace, dont la plus grande partie avec le gros bourgeois souhaitent la présence du roi pour être délivrés de la tyrannie et de la misère ; sans doute qu'il rendroit vains tous les efforts de la faction. On est désabusé de la puissance des princes ; et pour se maintenir [ils disent que] l'archiduc5 n'est éloigné que de peu de journées, qui amène dix mille hommes ; que pour cet effet il abandonne Dunkerque qu'il avoit bloqué. Voilà le sable sur lequel on bâtit à Paris dans l'esprit changeant de la commune et des dupes.

» Le pain de Gonnesse qui a manqué aujourd'hui fait crier, et un convoi, pour petit soit-il, escorté des troupes du roi, feroit beaucoup à son avantage. La pillerie n'est pas fort à appréhender, et il semble que le calme soit assez grand pour s'y fier. Il est vrai que le bourgeois est en résolution de se garder et d'être neutre, si le roi ne vient à Paris. Beaucoup parleront qui sont muets et qui attendent l'opportunité du temps, parce qu'ils ne sont pas soutenus. On m'a dit que la plupart des conseillers de la cour étoient en résolution de prier Sa Majesté d'interdire le parlement, afin de ne plus s'assembler, et d'éviter la fureur des uns et des autres.

» Hier ils étoient à l'audience en la grand'chambre ; mais entendant qu'on donnoit combat ils détalèrent bientôt, comme aussi au Châtelet. »

 


Mazarin parle de ce combat avec rapidité et simplicité dans une lettre datée de Saint-Denis (3 juillet 1652), et adressée à La Croisette, gouverneur de Caen :

« J'ai été depuis deux jours à l'armée avec le roi. Les nouvelles que je vous puis donner, c'est qu'il n'y auroit plus de troupes des princes, si les diligences de M. le duc d'Orléans, assisté de Mademoiselle et de M. de Beaufort, n'eussent fait agir le menu peuple, qui contre le gré et la bonne volonté des bourgeois fit ouvrir la porte Saint-Antoine pour sauver lesdites troupes, qu'on avoit attaquées. Girardin m'a dit qu'il vous en a déjà mandé les particularités ; ce qui m'empêche de le faire, et je vous dirai seulement que, hors M. le Prince et Tavannes, presque tous les autres chefs, tant François qu'étrangers, sont tués ou blessés. Ce qui leur reste, qui ne se monte au plus qu'à deux mille hommes, est à présent au delà de la rivière de Seine, qu'elles ont passé sur le pont au Double.6 »

 


 

NOTES

1. On appelait Nouvelle France un terrain alors inhabité, compris entre les rues actuelles des Martyrs, du Faubourg-Poissonière et Saint-Lazare, la place Saint-Georges et les boulevards extérieurs.

2. Voy. Chapitre XIII des Mémoires de Mademoiselle.

3. Voy. Chapitre XIII.

4. 2 juillet 1652.

5. L'archiduc Léopold, gouverneur des Pays-Bas.

6. Le pont au Double, ou pont de l'Hôtel-Dieu, aboutissait d'un côté à l'archevêché, situé alors près de la cathédrale, et de l'autre à la rue de la Bucherie. Il tirait son nom de ce que tous les piétons devaient payer un double pour y passer.

 


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