Massacre de l'hôtel-de-ville (4 juillet 1652)

J'ai indiqué en note deux récits imprimés du massacre de l'hôtel de ville, ceux de Conrart et du greffier de l'hôtel de ville de Paris. J'en ajoute un troisième inédit. Le Journal de Dubuisson-Aubenay, qui a été écrit, comme je l'ai déjà fait observer, au moment même où les événements s'accomplissaient, donne, sur le massacre du 4 juillet, des détails qui ne se trouvent pas dans les Mémoires de Mademoiselle :

« L'assemblée de ville se tenant en son hôtel sur la Grève, les princes s'y rendirent. On y lut la lettre du roi portant plainte de ce qu'on avoit, le mardi soir, reçu les troupes des princes en retraite dans la ville contre l'expresse promesse qu'on avoit faite du contraire, et ajoutant que Sa Majesté croyoit certainement que ç'avoit été la canaille et non l'ordre de la ville et la bonne bourgeoisie qui avoit donné cette retraite, qui n'empêcheroit point que Sa Majesté ne continuât ses bonnes volontés à sadite bonne ville, l'assurant qu'elle lui feroit monter des vaisseaux chargés de grain, et venir le pain des environs à l'ordinaire.1

» Les princes sortirent là-dessus, et aucuns de leur suite (on dit que ce fut le comte de Béthune) dirent à la populace assemblée en Grève que ces messieurs assemblés demandoient encore huit jours de temps et de délai pour faire l'union, qu'ils avoient promise aux princes, et que partant c'étoit au peuple à faire ce qu'il aviseroit là-dessus. Notez que le peuple étoit persuadé que l'assemblée se tenoit pour faire ladite union. Alors la canaille commença à crier qu'il falloit égorger et brûler les Mazarins, et aucuns des plus forts et robustes prirent sur leurs épaules les solives qui sont d'ordinaire posées à terre près le pied de la crois de la Grève vers la rue de la Tannerie,2 où l'on met hors de la fange les sacs des échantillons de blé exposés aux marchands, et s'efforcèrent de rompre avec lesdites solives la grande porte de l'hôtel de ville, tandis que les fusiliers et mousquetaires tiroient aux fenêtres. Mais, ladite porte se trouvant forte, ils eurent recours à la paille et aux fagots, et mirent le feu tant à la grande porte qu'aux deux petites, qui furent bientôt consumées. Cela commença à quatre heures après midi que l'on vit la fumée de toutes les extrémités de Paris, où l'on disoit que c'étoit pour brûler les Mazarins.

» La garde bourgeoise, là postée par ordre de la ville pour la conservation de l'assemblée, fut la première qui se mêlant avec la populace tira mousquetades dans les fenêtres de la grande salle de l'hôtel de ville ; ce que l'assemblée voyant quitta ladite salle et se retira dans les autres appartements, se barricada contre les portes, où le feu avoit été mis. La grande brûlant lentement, les petites furent bientôt consumées, et ainsi la foule entra.

» Le maître des comptes, Miron, grand frondeur, y fut tué, et le sieur de Jenveri jeune, conseiller, fils du vieux conseiller de la grand'chambre, Ferrand. Il étoit marguillier de Saint-Étienne-du-Mont. Un marchand de fer, de la même paroisse, et aussi marguillier, demeurant en la place Maubert ; un nommé Yon, épicier, et autres, ont été tués. Le sieur Legras, maître des requêtes, meurtri de plusieurs coups, en est mort le lendemain. Le sieur Doujat, conseiller de la grand'chambre, qui cheminoit avec ledit sieur Legras, fut enlevé dans une maison tout joignant, et là promit dix louis d'or si ceux qui le tenoient le rendoient sain et sauf chez soi ; ce qui fut fait. Le sieur Legrand, fils unique d'un procureur de la chambre des comptes, fort riche, avocat au parlement et bailli de Saint-Victor, fut tué, se retirant de la rue de la Tisseranderie où il étoit, en son logis, rue Barre-du-Bec.

» Le maréchal de l'Hôpital se sauva en habit de l'un de ses gardes, lesquels gardes firent défense et tenèrent plus de vingt [des gens qui remplissoient la place de Grève]. Il n'y eut personne des gardes tué ou blessé que le Maire, qui a quatorze ou quinze coups, sans que pourtant l'on désespère de sa vie.3

Le président de Guénégaud promit dix pistoles à d'autres, qui le tirèrent de là ; mais au premier corps de garde du carrefour des rues de la Coutellerie, Jean-Pain-Mollet, Jean-de-l'Épine, etc., ils le perdirent et furent contraints de l'abandonner ès mains d'autres plus forts qui le menèrent par la place aux Veaux et du Chevalier-du-Guet vers la Monnoie, où se voyant il leur persuada de le mettre en maison bourgeoise, qui fut chez M. Plotard, plutôt qu'en un cabaret où ils le pensoient mener. Mais il fallut encore composer et doubler la dose, et ainsi ils eurent deux cents livres, et bien à boire. Ils, et les premiers avant eux, lui avoient pris son chapeau, et un manteau et pourpoint de taffetas rayé, lui baillant haillons au lieu de cela, pour le déguiser et le faire passer pêle-mêle avec eux, qui étoient cinq, par tous les corps de garde, qui étoient très-fréquents, et sans cela ils ne l'eussent jamais pu faire passer ni conserver à eux.4 Il étoit le troisième recommandé au sacrifice des princes, après et avec le gouverneur de Paris et le prévôt des marchands.

» A la fin, sur les dix à onze heures [du soir], le duc de Beaufort y fut, qui fit tirer des pièces de vin dudit hôtel, et rouler au loin au bout de la Grève, où, tandis que la canaille s'enivra, il fit sortir ceux qu'il voulut. Mademoiselle y fut aussi et sauva, dit-on, le prévôt des marchands,5 qui étoit caché dans une chambre, à la charge de bailler sur-le-champs sa démission de la prévôté des marchands ; ce qu'il fit volontiers.6 »

 


 

NOTES

1. On a vu dans "Lettre du Marquis de Châteauneuf à la Reine, 6 juin 1652" que c'était un des moyens conseillés parle parti royaliste pour gagner les Parisiens.

2. Cette rue était parallèle au quai Pelletier et située à l'ouest de l'hôtel-de-ville.

3. Voy. Mém. de Mademoiselle, Chap. XIV. Son récit ne s'accorde pas avec celui de Dubuisson-Aubenay.

4. Dubuisson-Aubenay, attaché spécialement à la maison de Guénégaud, a eu des renseignements particuliers sur tous ces points.

5. Voy. Mém. de Mademoiselle, Chap. XIV.

6. On peut encore comparer sur le massacre de l'hôtel de ville un journal publié dans la Revue rétrospective, t. IX (3e série), p. 87 et suiv.

 


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