Boo the Cat. Hoorah!

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CHAPITRE XVII.

(novembre 1652-février 1653)

M. le Prince, après avoir eu de mes nouvelles de Pont, et sachant que je ne voulois point aller ailleurs qu'à Saint-Fargeau, prit, en passant chemin, Château-Portien, Rethel et force autres petits châteaux. L'armée de M. de Lorraine prit Bar-le-Duc et des châteaux aussi, où Foye, l'un de ses généraux, fut tué ; ensuite ils assiégèrent Sainte-Menehould.1 La cour avoit dessein que Son Altesse royale fît revenir ses troupes d'auprès de M. le Prince. Pour cet effet, Monsieur envoya Gédouin, enseigne de ses gendarmes, les querir. Il arriva comme les troupes de Son Altesse royale faisoient un logement, après lequel on devoit donner l'assaut. M. le Prince consentit que les troupes partissent le lendemain ; mais les officiers ne voulurent pas. Après avoir fait leur logement avec toute la bravoure et le bonheur possibles, ils dirent à Gédouin : « Nous voulons donner l'assaut. » Ce qu'ils firent ; et, après que la place eut capitulé, au lieu d'entrer dedans ils prirent congé de M. le Prince, avec tous les regrets imaginables de le quitter et toute la reconnoissance des honneurs qu'ils en avoient reçus. Pour lui, il leur témoigna avoir beaucoup d'estime des officiers et des troupes, et de déplaisir de quoi ils le quittoient.

Hollac fit mettre son régiment en bataille, et leur dit : « Vous êtes à Son Altesse royale : vous avez l'honneur de porter son nom ; allez le trouver. Pour moi, je demeurai à la compagnie de Mademoiselle. » Son régiment, à l'instant, au lieu de marcher avec les autres, rentra dans le camp, et celui de Baudits le suivit, qui dit à Gédouin qu'il étoit inutile à Son Altesse royale, et qu'il pouvoit servir M. le Prince ; qu'il croyoit qu'il n'en seroit pas fâché. Pour le comte d'Escars, qui n'avoit de troupes que ma compagnie, il y demeura.

La cour étoit à Paris, accablée de harangues de tous côtés, qui n'avoit point assez d'oreilles pour écouter tous les gens qui demandoient pardon. M. le cardinal de Retz salua le roi et la reine, et se croyoit le mieux du monde à la cour, lorsqu'un beau matin qu'il venoit faire sa cour, Villequier, capitaine des gardes du corps, l'arrêta2 et le mena, par la galerie du Louvre, monter en carrosse au pavillon, et de là au bois de Vincennes. Depuis que l'on avoit pris ce dessein on avoit été quelques jours sans l'exécuter, parce qu'il ne venoit guère au Louvre. Car, quand l'on y entre, l'on n'échappe guère, et rien n'est de si véritable qu'un vers de Nicomède, qui est une tragédie de Corneille, qui fut mise au jour aussitôt après la liberté de M. le Prince, où il y a3 :

Quiconque entre au palais porte sa tête au roi.

Comme la reine envoya querir Villequier pour lui donner l'ordre, il n'y avoit avec elle que le roi et M. Le Tellier, à ce que je lui ai ouï conter depuis. Villequier lui dit : « Mais, Madame, c'est un homme qui a toujours quantité de braves avec lui ; s'il se met en défense, que ferai-je ? le prendrai-je mort ou vif ? » Tout le monde se regarda. Il répliqua : « Enfin, Madame, que le roi me donne un mot de sa main de ce que j'ai à faire. » Le roi écrivit qu'il lui ordonnoit de prendre le cardinal de Retz de quelque manière que ce fût. J'ai appris ceci de la reine, sur ce qu'en causant avec elle des choses passées, elle me dit souvent que M. le Prince a l'âme bonne ; que l'on lui a souvent dit qu'elle avoit fait une grande faute de ne s'en être pas défaite au bois de Vincennes ; mais qu'elle ne s'en repentiroit jamais ; qu'elle étoit incapable, quelque mal qu'il lui eût pu faire, d'avoir cette pensée, ni M. le cardinal non plus.

A l'arrivée de la cour à Paris, M. de Beaufort fut exilé,4 aussi bien que madame de Montbazon, madame de Bonnelle, et Frontenac eut une lettre5 pour sa femme ; mais elle étoit partie avec moi. La comtesse de Fiesque eut le même ordre ; mais, comme elle étoit malade, on lui donna des gardes, et elle ne voyoit personne.

Il se passa une affaire à la cour moins importante que celle de la prison du cardinal de Retz, mais qui se fit autant de bruit : ce fut le mariage du marquis de Richelieu avec mademoiselle de Beauvais,6 fille de la première femme de chambre de la reine. Ce garçon étoit jeune et bien fait, de l'esprit, du courage, et nourri dans l'élévation où sont d'ordinaires les gens en faveur. Son frère aîné7 n'a point d'enfants et est fort malsain : ainsi toute la dépouille de cette faveur le regardoit et le regarde encore, mais beaucoup moins qu'en ce temps-là, parce que madame d'Aiguillon lui en ôtera apparemment tout ce qu'elle pourra. Ce mariage surprit tout le monde : car quoique cette fille soit jolie, et aimable, elle n'est pas assez belle pour faire passer par-dessus mille considérations qu'il devoit avoir de ne se pas marier ainsi. Dès le lendemain madame d'Aiguillon l'enleva et l'envoya en Italie, pour voir s'il persévéroit à l'aimer. Mais au bout de quelque temps il revint, et l'a toujours fort aimée. Elle disoit dans sa douleur : « Mes neveux vont toujours de pis en pis ; j'espère que le troisième épousera la fille du bourreau. » Il est vrai qu'elle avoit quelque sujet de se plaindre, de quoi l'un et l'autre n'avoient pas pris de bonnes et de grandes alliances. Mais madame de Beauvais ne lui avoit nulle obligation, et n'étoit point obligée à ne pas chercher son bien à ses dépens, comme étoit madame de Pons, fille de madame Du Vigean, dont la mère est comme la femme de charge de sa maison. Enfin tout ce qui peut se dire là-dessus, c'est que si le cardinal de Richelieu pouvoit voir de l'autre monde l'état où est sa maison, je crois que tous ceux qu'il a persécutés en seroient assez vengés.

Madame accoucha d'une quatrième fille, que l'on nomma mademoiselle de Chartres.8 Monsieur en fut assez fâché ; car il espéroit toujours d'avoir un garçon. Elle fut malade à l'extrémité. J'envoyai avec beaucoup de soin en apprendre des nouvelles [à Paris], et à Blois en faire des compliments à Monsieur, que je suppliois d'avoir agréable que je l'allasse voir ; il me manda qu'il n'étoit pas encore temps. Pendant la maladie de Madame, la reine l'alla voir avec beaucoup de bonté. Madame la comtesse de Fiesque lui fit demander si elle auroit agréable qu'elle la vît, la reine répondit qu'elle la verroit comme comtesse de Fiesque, mais non pas comme ma gouvernante. Elle me renonça pour avoir cet honneur, et, quand la reine lui parla de moi, elle me dauba de toute sa force.

Comme Madame se porta mieux, je crus que Son Altesse royale, qui étoit de meilleure humeur, seroit bien aise de me voir. J'y envoyai La Guérinière, et comme je vis qu'il ne venoit point, et que je ne pouvois pas croire que Son Altesse royale refusât de me voir, je partis espérant de le trouver en chemin. Ce qui arriva ; car je le rencontrai au pont de Gien, où j'avois mis pied à terre ; il me donna une lettre de Son Altesse royale, par laquelle elle me demandoit que je lui envoyasse deux lettres, l'une pour le comte de Hollac et l'autre pour le comte d'Escars, par où je leur ordonnerois de revenir avec mes compagnies, et que jusques à ce que cela fût fait il ne pouvoit me voir, parce que la cour le trouveroit mauvais, et diroit que c'est d'accord avec lui qu'ils y sont demeurés. Je poursuivis mon chemin jusques à Sully, où je devois coucher ; et, dès que j'y fus arrivée, j'écrivis à Son Altesse royale. Je lui mandai que j'étois bien malheureuse qu'il ne me voulût pas voir ; que je ne pouvois pas répondre de ce que feroient MM. d'Escars et de Hollac ; et que, pour marque que je voulois contribuer à leur retour, j'en voyois à Son Altesse royale les deux lettres qu'elle me demandoit.

Ces lettres n'étoient pas de ma main et contenoit : « Son Altesse royale a désiré que je vous écrivisse pour vous dire que je désire que vous reveniez ; je pense que son commandement a assez de pouvoir sur vous pour que mes ordres n'y soient pas nécessaires. Tout ce que je puis faire, c'est d'en user comme je fais, etc. » Je signai les deux lettres de ma main. Voilà à peu près ce qu'elles contenoient ; car je ne me souviens pas du reste. Je pense toutefois qu'il y avoit encore : « Si vous ne revenez, j'aurai sujet de me plaindre de vous. » Je dis à Son Altesse royale que si, après avoir ces deux lettres, la cour n'étoit contente, ce seroit avoir une grande tyrannie pour moi de vouloir que je dépendisse, pour voir Monsieur de ce que feroient d'Escars et Hollac.9

Je dépêchai mon courrier, par lequel je demandois des carrosses de relais. Il revint le lendemain, et Monsieur me manda qu'il m'avoit envoyé des relais. J'allai au commencement de décembre en un jour de Sully à Blois, où il y a fort loin : j'avois avec moi madame de Frontenac et madame la comtesse de Fiesque, que j'oubliois de dire qui arriva un matin que l'on ne songeoit pas à aller en litière. Je lui dis : « Ah ! madame, comment êtes-vous ici, vous qui me croyiez en Flandre ? » Elle me parla avec assez d'humilité ; cela me creva le cœur, et je la traitai avec plus de bonté qu'elle ne méritoit.

J'arrivai à Blois, que Monsieur avoit soupé. J'avoue que je ne savois quelle mine il me feroit, et que j'en étoit inquiète ; pourtant j'augurois que l'on me feroit bonne chère, parce qu'au relai je trouvai des gardes, et que Saujon n'auroit pas fait cela, s'il avoit cru que Monsieur l'eût trouvé mauvais. Il vint à la porte de sa chambre au-devant de moi, et me dit : « Je n'oserois sortir parce que j'ai la joue enflée. » Il salua ces dames, et d'abord demanda des nouvelles de la maladie de Madame à madame la comtesse de Fiesque. Cependant j'étois auprès du feu, où je contois l'aventure du jacobin que j'avois trouvé auprès de Provins. Monsieur revint, qui me la fit conter et qui en rit ; puis il me dit : « Allez souper, bon soir ; ne revenez point ; car il est tard. »

Le lendemain il vint à ma chambre, dès que je fus éveillée ; je mangeai avec lui, n'ayant point amené d'officiers. Il contoit mille choses, me parloit sans cesse de M. le Prince ; et tous ses gens remarquèrent qu'il ne l'avoit pas nommé depuis qu'il étoit hors de Paris. Il me traita assez bien ce voyage-là : il est vrai qu'il dura peu ; car je ne fus que deux jours à Blois. Le comte de Béthune y vint ; puis il me vint conduire jusques à Chambord, où nous fûmes deux jours. Il remercia madame de Frontenac d'être demeurée avec moi ; témoigna à madame la comtesse de Fiesque qu'elle n'avoit pas bien fait de me quitter. Il dit à Préfontaine : « Je suis fort content de vous, et lorsque l'on ma dit que c'étoit vous qui aviez conseillé à ma fille de s'en aller, je n'en ai rien cru. »

Comme nous fûmes à Chambord, il dit à Préfontaine : « Je vous veux mener partout ; » et lui montra sa maison avec plaisir ; cela m'en faisoit un fort grand plaisir, aimant bien que l'on considérât les gens qui me servent bien. Le soir il lui dit : « Préfontaine, je vous veux mener promener dans mon parc de grand matin. » En se promenant il lui dit : « J'aime fort ma fille, mais j'ai quelques considérations : je serai bien aise qu'elle ne demeure guère ici. » Préfontaine lui dit : « Votre Altesse royale voit qu'elle n'en a pas usé comme une personne qui veut y demeurer ; car elle est venue sans équipage. » Il se mit à lui conter cent choses pour lui témoigner qu'il n'avoit songé en sa vie à rien avec tant de passion qu'à mon établissement, mais que j'étois si difficile, que je n'avois pas voulu de M. l'électeur de Bavière. Cela est vrai, mais je ne trouvois pas que ce fût un bon parti : il avoit son père et sa mère, n'avoit que quinze ans, et l'on vivoit dans cette maison un peu plus solitairement que dedans un couvent. Enfin, toute sa conversation n'alla qu'à lui faire connoître la tendresse qu'il avoit pour moi, le désir qu'il avoit eu, lorsqu'il étoit en pouvoir, de me procurer un établissement ; mais que, de mon côté, je n'avois pas correspondu à ses bonnes intentions, et qu'en l'état où il étoit, je ne devois pas désirer de lui plus qu'il ne pouvoit. Préfontaine revint fort persuadé qu'il disoit vrai et que c'étoit un homme de bonne amitié.

Pendant ce voyage, l'on parla de la laideur de ma maison de Saint-Fargeau ; que j'en devois chercher quelqu'une qui fût belle et plus proche de Blois. L'on dit que Châteauneuf-sur-Loire, qui étoit aux enfants de M. d'Émery, étoit à vendre. Monsieur me dit : « Si cela est, il faut que vous l'achetiez. » Je lui dis que je la verrois en m'en retournant. Je ne croyois être qu'une nuit à Orléans, où M. de Sourdis me donna le soir à souper, et le lendemain matin M. l'évêque à dîner. Mais madame la comtesse de Fiesque se trouva mal : ce qui m'obligea à y demeurer, et ce jour-là j'allai voir Châteauneuf, que je trouvai une belle maison. Ce n'est qu'un corps de logis, mais fort grand, et de beaux jardins et parterres avec des fontaines, un grand rond d'eau, un petit canal, et la rivière de Loire, qui en fait un grand que l'on voit de la maison. J'eus beaucoup de plaisir à cette promenade ; il faisoit la plus belle gelée du monde. Madame de Sully et madame la marquise de Laval,10 qui m'étoient venues trouver à Orléans, y vinrent avec moi. Madame de Sully avoit beaucoup de passion que je fisse cette acquisition, étant proche de Sully. Nous fîmes force desseins de bâtir des pavillons, d'ajuster les dedans ; mais il y avoit une chose qui me déplaisoit fort : c'est qu'il n'y a point du tout de couvert ; et toute l'ombre qui est en cette maison, ce sont deux petits bois de charmes fort mal venus.

A mon retour d'Orléans, j'y trouvai M. de Beaufort, qui, ne m'ayant plus trouvée à Chambord, étoit venu après moi à tout hasard. Il soupa avec nous, et nous fîmes la meilleure chère du monde, sans avoir d'officiers, y ayant à Orléans un très-bon traiteur. Je repassai par Sully, où je fus encore un jour, et je m'établis tout à fait à Saint-Fargeau ; je changeai de chambre en y arrivant. Il avoit fallu percer des cheminées en celle où j'étois ; de sorte que je pris celle de Préfontaine, qui avoit été déjà échauffée et qui avoit une belle vue. Ce qui n'est pas extraordinaire à un grenier.

Je travaillois depuis le matin jusques au soir à mon ouvrage, et je ne sortois de ma chambre que pour aller dîner en bas, et à la messe. Cet hiver-là étant assez vilain pour ne pouvoir s'aller promener, dès qu'il faisoit un moment de beau temps, j'allois à cheval, et, quand il geloit trop, me promener à pied, voir mes ouvriers. Je fis d'abord faire un mail ; il y avoit des arbres plantés, mais il y avoit tant de ronces et de trous que l'on n'eût pas jamais su croire que l'on y eût pu faire une allée. Mais à force de faire couper les broussailles et porter de la terre, l'on trouva une belle allée ; mais ne la jugeant pas assez longue pour faire un mail, je la fis allonger de cent pas en terrasse. Ce qui fait un fort bel effet : car de cette terrasse l'on voit le château, un faubourg, des bois, des vignes, une prairie où passe une rivière, qui est l'été un étang ; ce passage n'est pas mal agréable. Saint-Fargeau étoit un lieu sauvage, que l'on n'y trouvoit pas des herbes à mettre au pot, lorsque j'y arrivai.11

Pendant que je travaillois à mon ouvrage, je faisois lire ; et ce fut en ce temps que je commençai à aimer la lecture, que j'ai toujours fort aimée depuis. En rangeant mes cassettes et papiers, je me souvins de la Vie de madame de Fouquerolles, que Préfontaine avoit à moi. Il me la rendit, et je l'achevai ; et, comme j'avois fort envie de dire quelque chose de tout ce qui s'étoit passé, je trouvai invention d'en mettre quelque petite chose. A la fin, l'envie me prit de faire imprimer cette œuvre avec un manifeste pour me justifier des plaintes qu'elle avoit faites de moi, celui qu'elle avoit fait pour y répondre, une certaine lettre du Royaume [de la Lune], de madame de Frontenac, et une que j'avois faite aussi avec des vers de sa façon ; car j'en fais très-mal ; et, si l'on en veut croire beaucoup de gens, tous ceux qui sont dans le livret, quoique fort jolis, ne sont pas de sa façon : l'on dit que c'étoit un certain M. Du Châtelet qui les faisoit. Enfin, tous ces ramassis-là je les fis imprimer ; j'envoyai querir un imprimeur à Auxerre, à qui je donnai une chambre, et je me divertissois à l'aller voir imprimer. C'étoit un grand secret ; il n'y avoit que madame de Frontenac, Préfontaine, son commis et moi qui le sussions.

M. le Prince m'écrivoit tous les ordinaires, et me mandoit ce qu'il savoit, et moi de même. Il m'envoya le maréchal-des-logis de mes gendarmes pour savoir ce qu'il me plaisoit que Hollac et d'Escars fissent, et dans sa lettre il y avoit : « Car je ne puis croire que ce soit tout de bon que vous vouliez qu'ils me quittent. Pourtant, si vous le voulez, vous êtes la maîtresse, et je vous obéirai sans en rien dire. » Dans la même lettre il me mandoit que les amis du cardinal de Retz le faisoient rechercher ; qu'il me prioit de lui donner mon avis de ce qu'il avoit à faire. Je dis à tout le monde, à Saint-Fargeau, que Saint-Germain avoit quitté M. le Prince. Après avoir resté quatre ou cinq jours à Saint-Fargeau, il dit qu'il s'en alloit chez lui. J'écrivis à M. le Prince que j'aurois été fâchée s'il avoit renvoyé d'Escars et Hollac ; qu'il avoit dû juger, par la manière dont je leur écrivois, que j'aurois été bien fâchée qu'ils m'eussent obéi ; qu'à l'égard du cardinal de Retz, il devoit en user comme il jugeroit à propos, et de prendre ses avantages où il les trouveroit. Le garde, que Son Altesse royale avoit envoyé porter mes lettres à Hollac et à d'Escars, vint à Saint-Fargeau ; il me conta qu'il avoit passé à Sedan où étoit le cardinal Mazarin, qui avoit lu mes lettres ; et que, comme il les avoit rendues à ces messieurs, ils ne les avoient pas voulu lire ; qu'ils les avoient portées à M. le Prince ; qu'il s'étoit enfermé avec eux, et qu'ils lui avoient donné les réponses que M. le Prince lui avoit dites : « Assurez Monsieur et Mademoiselle de mes très-humbles respects, et que, quoi qu'ils fassent, je crois qu'ils ne me veulent point de mal. »

D'Escars et Hollac m'écrivoient de belles lettres, où ils me supplioient de croire qu'ils ne manqueroient jamais au respect et à l'attachement qu'ils avoient pour moi, mais que m'étant inutiles, ils croyoient que je ne pouvois trouver mauvais qu'ils continuassent à servir un prince de mérite de M. le Prince et qui m'étoit si proche ; que la bonne opinion que je leur avois fait l'honneur de témoigner avoir pour eux avoit été fondée sur la réputation qu'ils avoient le bonheur d'avoir acquise, et qu'ils la perdroient s'ils quittoient M. le Prince, et qu'ils croyoient que la perdant ils seroient privés de l'honneur de ma bienveillance, qui leur étoit la chose du monde la plus chère. Ils firent la même réponse à Son Altesse royale et demeurèrent.

Madame la duchesse de Vitry12 me vint voir, et force autres dames des environs ; il y avoit souvent compagnie à Saint-Fargeau. Comme la comtesse de Fiesque se porta mieux, elle m'envoya un certain valet qu'elle avoit, qui s'étoit érigé en gentilhomme, nommé Apremont (je mets son nom, parce qu'il a fait force choses qui m'en feront parler plus souvent qu'à lui n'appartient), pour me dire qu'elle espéroit être bientôt en état de me venir trouver ; je lui mandai qu'elle seroit la bien venue. Elle écrivit à madame de Frontenac pour savoir si j'aurois agréable qu'elle amenât avec elle une certaine mademoiselle d'Outrelaise,13 de Normandie, qui y demeuroit depuis quelques années. Je dis à madame de Frontenac que non, et qu'elle lui devoit mander qu'elle étoit de manière à embarrasser, parce qu'elle n'étoit pas de condition à manger toujours avec moi comme toutes ces dames, ni aller dans mon carrosse ; ainsi, qu'elle seroit embarrassée et qu'elle embarrasseroit les autres. Je dis à madame de Frontenac et à Préfontaine : « Nous serions bien heureux si cette difficulté pouvoit empêcher madame la comtesse de Fiesque de venir ici : elle est bonne femme, mais elle est bien intrigante ; et ces sortes d'esprits sont dangereux dans les maisons. » Elle surmonta cette difficulté et vint.

Le jour qu'elle arriva, je dis à madame de Frontenac : « Je vous conjure, au nom de Dieu, de ne faire aucune liaison avec la comtesse, et de n'entrer dans aucun de ses commerces, parce que, comme j'ai beaucoup d'estime et d'amitié pour vous, je sens fort bien que je perdrois l'une et l'autre. » Pour Préfontaine, je lui défendis la même chose, et jusque-là de n'aller point dans sa chambre hors la première visite, lui disant : « Les gens comme vous se peuvent aisément dispenser de faire des visites ; vous avez des affaires, et vous la verrez tous les jours dans ma chambre. »

Comme elle arriva, sa fille étoit avec elle, madame de Piennec14 : elle dit à madame de Frontenac : « Je n'irai point coucher dans ma chambre ; je serois trop éloignée ; je coucherai avec vous. » Madame de Frontenac couchoit dans ma chambre parce que, lorsque nous étions arrivées, elle y avoit couché ; j'y étois accoutumée, et j'en étois bien aise, parce que je suis peureuse. Elle nous conta mille nouvelles ; c'est une femme assez agréable en toute manière : elle est de belle taille, assez belle, de bonne compagnie, quelque chose de noble dans le procédé ; civile, elle faisoit le mieux du monde l'honneur de ma maison. Pour madame de Frontenac, elle ne prenoit pas la peine de parler à personne.

Nous menions une vie assez douce et exempte d'ennui ; je suis la personne qui m'ennuie le moins, m'occupant toujours, et me divertissant même à rêver. Je ne m'ennuie que quand je suis avec des gens qui ne me plaisent pas, ou que je suis contrainte.

Comme la Vie de madame de Fouquerolles fut imprimée, je trouvai que cette occupation m'avoit divertie. J'avois lu les mémoires de la reine Marguerite, tout cela, joint à la proposition que la comtesse de Fiesque, madame de Frontenac et son mari me firent de faire des mémoires, me fit résoudre à commencer ceux-ci. Préfontaine me dit aussi que si cela me plaisoit, j'en devois faire. J'écrivis en peu de temps depuis le commencement jusques à l'affaire de l'Hôtel-de-Ville ; et comme j'écris fort mal, je donnois à Préfontaine, à mesure que j'écrivois, à mettre au net.

J'appris que Madame partoit de Paris15 ; je mandai à Monsieur que je l'irois voir à Orléans. Monsieur me manda que je n'y allasse pas ; qu'il sembleroit à la cour que l'on s'assembleroit en un lieu, où il s'étoit passé des choses qui ne leur étoient pas agréables, et que, quand il feroit beau, je viendrois voir Madame à Blois. Je ne me tins point pour éconduite pour cette réponse ; je partis de Saint-Fargeau, et je m'en allai à Orléans. Monsieur et Madame me reçurent fort bien ; je n'y fus qu'un jour. J'y trouvai des comédiens ; [c'étoit] une très-bonne troupe qui avoit été tout l'hiver de devant avec la cour à Poitiers et à Saumur, et qui avoit eu beaucoup d'approbation de toute la cour. Je les fis jouer un soir à mon logis, où Son Altesse royale vint.

L'on ne parloit en ce temps-là d'autre chose que du retour du cardinal Mazarin16 à la cour, dont Son Altesse royale n'étoit pas trop contente.

Il vint un certain père jésuite à Orléans, qui avoit déjà été à Blois, nommé Jean-François, pour proposer à Monsieur le mariage de M. le duc de Neubourg avec moi. Il y avoit sept ou huit mois que ce bon père étoit à Paris ; mais il n'avoit pas trouvé l'occasion de parler plus tôt à Son Altesse royale. Elle m'appela un jour dans son cabinet, Madame présente, et me fit cette proposition. Je lui répondis que je croyois qu'il se moquoit de moi, ou qu'il avoit oublié ce qu'il étoit depuis qu'il n'étoit plus à la cour, de me vouloir marier à un petit souverain d'Allemagne. Madame me dit qu'ils avoient eu des filles d'Autriche et de Lorraine. Je lui répondis que les autres se marioient comme elles vouloient, et que pour moi, je n'étois pas résolue de me marier de telle manière. Nous n'en dîmes pas davantage.

Monsieur et Madame s'en allèrent à Blois, et moi à Saint-Fargeau. Je passai par Sully, où je fus un jour. A mon arrivée, je ne songeai qu'à faire accommoder une théâtre en diligence. Il y à Saint-Fargeau une grande salle qui est un lieu fort propre pour cela ; j'écoutois la comédie avec plus de plaisir que je n'avois jamais fait. Le théâtre étoit bien éclairé et bien décoré ; la compagnie à la vérité n'étoit pas grande, mais il y avoit des femmes assez bien faites. Nous avions, ces dames et moi, des bonnets fourrés avec des plumes ; j'avois pris cette invention sur un que madame de Sully portoit à la chasse. L'on avoit augmenté ou diminué, de sorte que cela étoit fort joli. M. de Bellegarde,17 qui ne demeure qu'à dix ou douze lieues de Saint-Fargeau, y venoit souvent. Après le plaisir de la comédie, que le carême fit finir, le jeu du volant y succéda. Comme j'aime les jeux d'exercice, j'y jouois deux heures le matin et autant l'après-dînée. Mon mail s'acheva, à quoi je jouai avec madame de Frontenac, qui me disputoit sans cesse, quoiqu'elle me gagnât toujours : car, quoique je jouasse avec plus d'adresse, sa force l'emportoit par-dessus.

Son Altesse royale, en partant d'Orléans, me dit : « Les affaires de votre compte de tutelle n'ont point encore été terminées ; je veux finir cette affaire avec vous : ordonnez-le à vos gens. » J'en écrivis à Paris, puis à Blois. Il se fit là-dessus force écritures, qui commençoient de part et d'autre à s'aigrir un peu. Comme j'entendois souvent parler de mes affaires, et plus qu'à Paris, où je ne voulois pas les écouter, je m'y donnai tout à fait et y pris plaisir.

Préfontaine me montroit toutes les lettres qu'il recevoit tous les ordinaires, et même les réponses qu'il faisoit ; souvent j'écrivois moi-même. Un jour je lui dis : « Ce n'est pas assez d'avoir l'œil sur mes procès et sur l'augmentation de mes revenues ; mais il faut aussi voir la dépense de ma maison. Je suis persuadée que l'on me vole ; et pour éviter cela, je veux que l'on me rende compte, comme l'on fait à un particulier. Cela n'est point au dessous d'une grande princesse : moins l'on la vole, plus elle est en état de faire du bien ; et quand l'on le fait avec discernement, l'on en sait gré. J'ai toujours ouï dire que feu l'infante Isabelle, souveraine de Flandres, voyoit toutes ses affaires, jusques aux plus petites, et une grande duchesse [de Toscane], de la maison de Lorraine, toutes deux très-illustres par leurs mérites et leurs vertus et capacités, aussi bien que par leur naissance, lesquelles je serai fort aise d'imiter. »

Préfontaine le fut fort de ma résolution, et me dit que je ferois fort bien ; et pour cet effet, il chercha à avoir les connoissances nécessaires pour découvrir ce que je voulois savoir. Nous trouvâmes que j'avois été fort mal servie, et que je pouvois retrancher beaucoup de ma dépense, ou en faire autant qui paroîtroit bien davantage. J'envoyai querir mes gens avec leurs comptes : ils m'en apportèrent de faux ; je leur montrai les véritables, et ils furent confondus et contraints de me demander pardon, et me prier de leur donner ce qu'ils m'avoit dérobé. Il y en eut un qui m'avoua que son confesseur lui avoit refusé l'absolution jusqu'à ce qu'il eût restitué. Je leur donnai très-volontiers [leur pardon], à condition qu'à l'avenir ils auroient une meilleure conduite. Madame de Frontenac m'avoit donné un contrôleur, le mien étant mort, qui devoit faire monts et merveilles ; il avoit fait tout comme les autres.

Après que j'eus écrit et reçu beaucoup de lettres de Blois, Son Altesse royale envoya M. Des Ouches pour me persuader de l'aller trouver la semaine sainte à Orléans ; je m'en excusai. Il fut deux jours à Saint-Fargeau, qu'il m'importuna fort. La comtesse de Fiesque et madame de Frontenac commencèrent à se lier ensemble d'amitié, nonobstant ce que j'avois dit à la dernière ; et comme mes affaires me donnoient beaucoup de chagrin, et que je ne savois à qui m'en prendre, je me mettois quelquefois en colère contre Préfontaine, parce qu'il étoit parent de M. de Choisy,18 que je croyois l'auteur de tout l'embarras où j'étois. Je me trompois fort, comme j'ai vu depuis : car il ne l'étoit point, et Préfontaine ne le voyoit plus depuis que je lui avois défendu.

Un jour que je l'avois grondé, me voyant en méchante humeur, il s'en alla coucher chez un gentilhomme, nommé La Salle, qui n'est qu'à deux ou trois lieues de Saint-Fargeau, lequel présentement en est gouverneur. Pendant son absence, ces bonnes dames, qui lui en vouloient sans savoir pourquoi, attirèrent La Tour, mon écuyer, pour me venir dire mille choses de lui, afin qu'il ne revint plus auprès de moi. Comme je suis assez méfiante, et que je connoissois avoir assez de sujet de l'être, je rembarrai La Tour d'importance ; et pour leur fait connoître que je n'étois pas personne à prendre si légèrement des impressions des gens qui me servent bien, j'envoyai un homme au galop le querir, quoiqu'il fût dix heures du soir et qu'il plût à verse. Il arriva a minuit fort mouillé. En entrant, je lui dis : « Le meilleur moyen du monde de raccommoder les gens avec moi, c'est quand on les insulte. » Je lui contai toutes les choses que La Tour m'avoit dites, et à même temps je lui dis aussi : « C'est un pauvre homme qui ne sait ce qu'il fait, à qui les comtesses de Fiesque, la mère et la fille, ont fait faire tout cela, comme le chat qui tire les marrons du feu ; je suis pourtant bien aise que vous voyiez quel homme c'est : car vous m'importunez sans cesse pour lui faire du bien, et vous voyez la reconnoissance qu'il en a. »

Pour la comtesse de Fiesque, la jeune, je ne comprenois point quel intérêt elle avoit à cela : aussi ne croyois-je pas trop qu'elle y eût part ; mais la suite de sa conduite m'a bien fait connoître le contraire. Pour madame de Frontenac, je ne l'accusois en façon du monde : car je ne la croyois pas liée d'amitié au point où elle étoit avec la comtesse de Fiesque. Pour la vieille comtesse, il y avoit longtemps que je voyois bien qu'elle n'aimoit pas Préfontaine, et la raison en étoit qu'il ne l'alloit guère voir, et qu'il ne lui parloit jamais que des choses indifférentes, et elle auroit voulu qu'il lui eût rendu compte de tout ce que je lui disois et de toutes mes affaires, dont elle auroit voulu être maîtresse, et faire des micmacs de petits ménages : car elle étoit fort intéressée, et depuis qu'elle avoit connu qu'il n'étoit pas homme à cela, elle l'avoit haï mortellement ; mais sa consolation étoit qu'elle en auroit haï tout autre en sa place qui m'auroit servie de même ; car c'étoit moi qui ne voulois pas qu'il lui parlât de rien. La Tour ne fit pas long séjour à Saint-Fargeau après cette équipée ; il me demanda permission de s'en aller chez lui, que je lui donnai avec beaucoup de joie.

Entrant un jour dans la chambre de madame la comtesse de Fiesque, la mère, je trouvai son écritoire ouverte, et il y avoit une lettre qu'elle écrivoit à madame la duchesse d'Aiguillon, qui n'étoit pas fermée. Elle lui témoignoit le déplaisir qu'elle avoit de quoi M. le comte de Fiesque étoit dans les intérêts de M. le Prince ; qu'elle souhaitoit, avec toutes les passions imaginables, qu'on l'en pût tirer, et que pour cela il falloit proposer à la cour quelque négociation pour M. le Prince, par le comte de Fiesque, et dire que le comte de Fiesque étoit un bon homme, plein d'honneur, mais qu'il étoit aussi aisé à tromper qu'un autre ; qu'elle avoit beaucoup de pouvoir sur lui, et que, s'il étoit une fois ici, elle lui feroit bien dire des choses, ou en tireroit par ses commères, s'ils étoient une fois établis ; et que sous prétexte de servir M. le Prince, pourvu que l'on le sût bien prendre et lui parler toujours d'honneur et de probité, l'on lui feroit passer par-dessus. Je ne fus pas surprise de voir ces bons sentiments : car je connoissois la bassesse de son âme et le désir qu'elle avoit de s'intriguer aux dépens de qui que ce pût être.

Après le retour de Des Ouches à Blois, l'on m'envoya un valet de pied, qui m'apporta une transaction que l'on me mandoit de signer ; et, si je voulois, que je l'envoyasse consulter à Paris. Je répondis qu'il ne falloit point de conseil là-dessus, et qu'il ne falloit que savoir lire pour connoître qu'elle m'étoit fort désavantageuse. J'écrivis à Goulas pour supplier Son Altesse de vouloir prendre des arbitres. Il me manda qu'il prendroit MM. Le Boultz19 and de Cumont.20 Je lui fis réponse que, pour marque que je voulois promptement expédier mes affaires avec Son Altesse royale, je n'en voulois point d'autres, les croyant des gens de probité. Il me manda ensuite qu'il n'étoit pas de la dignité d'un fils de France de mettre ses affaires en arbitrage, et que j'avois mal expliqué sa lettre. Enfin, tout ce que j'écrivois étoit pris de travers ; et, si l'on me répondoit une fois à propos, et que je convinsse de quelque chose, aussitôt il s'en dédisoient.

Vineuil fut pris, qui venoit de Flandre ; l'on prit toutes ses lettres. Il en avoit une entre autres sans dessus, où l'on parloit de M. de Lorraine et du comte de Fiesque. Dès qu'on le sut en Flandre, M. le Prince m'écrivit et me manda : « Ne soyez point en inquiétude des lettres dont Vineuil étoit chargé : car dans celle que je vous écrivois il n'y avoit rien. » L'on jugea pourtant à la cour que cette lettre s'adressoit à moi. Soi pour faire plaisir à Son Altesse royale, ou plutôt pour se moquer de tous deux, l'on chargea l'archevêque d'Embrun,21 qui est un prélat toujours absent de son diocèse et fort affamé de mauvaises commissions, comme l'on peut juger par celle-là, d'aller à Blois porter la copie de cette belle lettre, et d'offrir à Son Altesse royale sur cela de m'ôter la disposition de mon bien, et de [la] lui remettre,22 sous prétexte que j'envoyois de l'argent à M. le Prince. Son Altesse royale refusa cette offre, mais c'étoit trop de l'avoir écoutée ; car, hors le caractère, il devoit faire jeter par les fenêtres tout homme assez mal avisé pour lui faire une telle proposition.

L'on me l'écrivit pour m'intimider et pour me faire hâter d'aller à Orléans. Je mandai que l'on ne me pouvoit ôter mon bien, à moins que d'être déclarée folle ou criminelle, et je savois bien que je n'étois ni l'une ni l'autre. Le pauvre archevêque d'Embrun (je le nomme ainsi par la pitié que j'ai de sa conduite) m'écrivit pour me dire qu'il avoit eu beaucoup de joie de voir le bon naturel de Son Altesse royale pour moi, par la manière dont il avoit reçu les propositions qu'il étoit allé faire contre [moi]. Jamais homme ne s'étoit vanté de pareille chose ; je ne lui fis aucune réponse. J'avois plus de sujet de me plaindre qu'il eût pris cette commission qu'un autre, étant de la maison de La Feuillade, qui de tout temps a été attachée à Son Altesse royale, son père et trois de ses frères étant morts à son service, et lui qui avoit toujours fait une profession particulière d'être de mes amis, que je traitois fort bien.

Son Altesse royale s'en retourna à Blois. Nos affaires allèrent toujours leur train, c'est-à-dire qu'elles ne s'avançoient point, quoique l'on s'écrivit beaucoup de lettres de la manière que j'ai dit. Son Altesse royale me pressoit fort d'aller à Blois, disant que la cour désiroit que je fusse auprès d'elle, et qu'elle avoit beaucoup de choses à me dire. Elle me manda d'y envoyer Préfontaine. Je lui mandai que cela ne serviroit de rien ; que je ne me fiois à personne de mes affaires. Du côté de Paris, tout le monde m'écrivoit que madame la Princesse se mouroit ; qu'elle ne pouvoit échapper, et que la cour, craignant que, si cela arrivoit, M. le Prince ne me vînt enlever à Saint-Fargeau, Monsieur avoit promis que, quand je serois une fois à Blois, l'on m'y arrêteroit prisonnière, et que je n'en partirois plus. Cela redoubla l'appréhension que j'avois d'y aller.

La comtesse de Fiesque et madame de Frontenac me disoient sans cesse que je ne devois point quitter Saint-Fargeau ; que c'étoit une belle chose que la liberté. Pour Préfontaine, il faisoit tout ce qu'il pouvoit pour m'obliger d'aller à Blois, me disant sans cesse qu'il étoit de fort mauvaise grâce à moi de n'obéir pas à Son Altesse royale ; que pour la crainte de la prison, si le roi vouloit me faire arrêter, il le pouvoit à Saint-Fargeau comme à Blois ; je me mettois en colère contre lui, et c'étoit tout ce qui en arrivoit. Quand il venoit quelqu'un de Blois, je faisois la malade ; je disois que j'avois la fièvre, et je n'aurois pas eu une plus grande joie que de l'avoir véritablement. Mais, par malheur, je me portois bien ; je disois sans cesse : « Voyez que je suis jaune ! » et j'avois le meilleur visage du monde.

Le régiment d'infanterie de Son Altesse royale étoit pour lors en garnison en Nivernois ; et, comme l'on disoit que l'on viendroit m'arrêter à Saint-Fargeau, je leur disois : « Vous me viendrez secourir, sans faire des réflexions sur la suite ; » de sorte qu'ils envoyoient tous les jours un officier à l'ordre pour savoir si je n'avois pas besoin d'eux. Je m'amusois à conter tout ce que nous ferions si nous étions assiégés, les fortifications qu'il faudroit faire, et mille sottises de cette nature, dont l'on rit, quoique le sujet donne assez de chagrin. Préfontaine ne donnoit point dans ces plaisanteries : il étoit au désespoir de quoi je les faisois.

Le jésuite du duc de Neubourg vint à Saint-Fargeau et alla descendre aux Augustins, et fit savoir sa venue à madame de Fiesque, qui vint le matin, avec une [mine] fine et gaie, me dire : « Le père jésuite est ici ; Son Altesse royale lui a permis d'y venir. Je vous assure que, quoique vous en riiez, le duc de Neubourg est un fort bon parti : c'est un prince de la maison de Bavière qui n'a que trente ans, bien fait, de l'esprit, du mère et de beaux États. Dusseldorf, sa ville capitale, est fort belle, bien située ; son palais fort beau, guère éloigné d'ici. C'est un prince qui peut bien être empereur. En l'état où vous êtes à la cour, peu de gens vous rechercheront, et lui vous veut avec tous les empressements imaginables. Quand il n'y auroit que cette circonstance, elle est assez obligeante. Si vous ne l'acceptez pas, Son Altesse royale croira que vous avez des engagements avec M. le Prince : car lorsque vous fûtes voir Madame à Orléans, il me dit : « Je suis assuré que, si madame la Princesse meurt (ce qui arrivera ; car elle a une maladie de poumon, dont personne n'est jamais réchappé), ma fille l'épousera, et je crois qu'ils se le sont promis, et même qu'ils sont d'accord de rompre le mariage de ma fille de Valois, et de faire le duc d'Enghien cardinal. »

Je l'écoutai fort patiemment ; je lui demandai : « Avez-vous tout dit ? » Elle me répondit : « Non ; car je vous veux dire que vous croyiez bien que j'aimerois cent fois mieux que vous épousassiez M. le Prince : vous ne bougeriez de France, et de plus l'attachement que mon fils y a me le feroit désirer ; et, si vous avez cela furieusement dans la tête, et autant que tout le monde le croit, je vous conjure de me le dire. Vous pouvez par toutes raisons prendre confiance en moi, et je vous assure qu'il n'y a rien que je ne fasse auprès de Son Altesse royale pour vous y servir. »

Je pris la parole, et je lui dis : « Je ne trouve point le duc de Neubourg un parti sortable en façon du monde pour moi : il n'y a jamais eu de fille de France mariée à de petits souverains ; c'est pourquoi je n'en veux point absolument. Pour M. le Prince, je n'y songe point du tout, et je vous ferois tous les serments imaginables sur l'Évangile qu'il ne m'a jamais parlé de l'affaire, dont Monsieur veut que nous soyons d'accord. Les gens qui ont le sens commun prennent guère de mesures de cette nature sur la mort d'une personne qui est aussi jeune qu'eux ; car madame la Princesse est de mon âge. Si elle mouroit ; qu'il fût revenu aux bonnes grâces du roi ; que Sa Majesté le voulût et Son Altesse royale, et que, pour un bien de la maison royale, l'on me le proposât, je crois que je l'épouserois, n'y ayant rien en sa personne que de grand, d'héroïque et digne du nom qu'il porte. Mais de croire que je me marie comme les demoiselles des romans, et qu'il vienne en Amadis me querir sur un palefroi, pourfendant tout ce qu'il trouvera en chemin qui lui fera obstacle ; et que, de mon côté, je monte sur un autre palefroi, comme madame Oriane, je vous assure que je ne suis pas d'humeur à en user ainsi, et que je m'estime fort offensée contre les gens, qui ont une telle pensée de moi. »

La bonne femme s'en alla entretenir son père jésuite, qui lui donna une lettre que le duc de Neubourg m'avoit écrite, qui étoit un peu de vieille date. Comme la bonne femme me la voulut donner, je lui dis que je pensois qu'elle se moquoit de me donner ne telle lettre ; elle me dit : « Lisez-la, puis je la lui rendrai, et lui dire que c'est moi qui l'ai ouverte. » De cette manière je la voulus bien lire, et je la copiai :

« Mademoiselle,

» Puisque les rare vertus et perfections que le ciel a jointes à la grandeur de la naissance de Votre Altesse royale ont fait éclater ses louanges partout, j'espère qu'elle me pardonnera si je me trouve au nombre de ceux qui cherchent l'honneur de la servir. Ce seroit le véritable bonheur qu'avec passion je souhaite, si dès cette heure il m'étoit permis de rendre à Votre Altesse royale les respects et obéissance que je désirerois de lui vouer. Mais comme l'injure des temps et les conjonctures présentes ne me permettent pas pour cette heure l'accomplissement de ce désir, je supplie très-humblement Votre Altesse royale de vouloir permettre au révérend père Jean-Antoine,23 de la compagnie de Jésus, de lui en donner les assurances de ma part, et de croire qu'entre tous ceux qui font profession de la servir, je ne céderai à qui que ce soit ni en fidélité ni en zèle pour en donner des preuves véritables, n'aspirant à plus grande gloire que d'avoir la permission de me dire, comme je suis et serai toute ma vie très-véritablement,

» Mademoiselle,

» De Votre Altesse royale,

» Le très-humble, très-obéissant et très-fidèle serviteur et cousin,

» PHILIPPE-GUILLAUME, comte palatin. »

Après que j'eus lu et copié cette missive, madame la comtesse de Fiesque me dit : « N'a-t-il pas bien de l'esprit ? n'écrit-il pas galamment ? » Je lui répondis que je connoissois si peu les poulets, que j'étois la personne du monde la moins propre à juger de telle chose.

Le lendemain matin elle envoya quérir Préfontaine, et lui parla fort de cette affaire, voulant l'obliger à me la conseiller. Il lui répondit que, quand je lui demandois son avis de quelque chose, il me le donnoit en homme de bien honneur ; mais que, quand je ne le lui demandois pas, il ne s'ingéroit pas de m'en donner, et que j'étois en âge de savoir ce que j'avois à faire, et qu'il n'appartenoit pas à mes gens de me donner des avis et de faire les capables. Elle lui dit : « Je crois que Mademoiselle le voudra bien voir,24 et même je crois qu'elle le doit ; mais comme j'ai pris médecine, menez-le-lui. » Il trouva cela fort à propos, et [dit] qu'il feroit ce qu'elle lui ordonnoit. Il me vint rendre compte de cette négociation, comme je m'en allois à la messe ; de sorte qu'au retour j'allai voir la comtesse de Fiesque. Elle me dit la même chose quant à la visite, hors qu'elle y ajouta qu'elle avoit dit à Préfontaine : « Si nous pouvions trouver moyen que personne ne le vit ! » Je crus me moquer en lui disant : « En arrivant ici, je fus me promener par toute la maison : l'on peut aller dans les galetas, partout ; mais les portes en sont fort petites, il n'y passe jamais que des couvreurs ou maçons et telles autres gens ; et, si je ne me trompe, l'on peut rompre des portes murées et venir dans mon cabinet. »

Elle trouva cette proposition admirable ; de sorte que l'après-dînée le révérend père vint dans sa chambre. Préfontaine le mena par tous ces galetas, où il se pensa rompre le cou ; et comme il eut mis le dit personnage à la porte, il revint m'avertir et j'entrai dans mon cabinet, et Préfontaine lui ouvrit la porte. J'avois caché madame de Frontenac sous la table. Son entrée fut assez plaisante : un jésuite botté et en habit de campagne est une chose assez bouffonne ; il tenoit son manteau des deux mains, d'une contenance à faire rire ; et comme il fut proche de moi, il clignoit un œil pour me mieux regarder ; je mourois d'envie de rire. Préfontaine n'en pouvoit plus, qui sortir par respect ; mais à qui j'avois dit d'écouter à la porte tout ce qui se diroit.

Ce révérend père commença par les compliments de M. le duc de Neubourg ; ensuite il me dit : « Je crois que Son Altesse royale vous a dit les propositions que je lui ai faites, qu'il a très-bien reçues, et m'a témoigné qu'il seroit bien aise que j'eusse l'honneur de vous voir et de vous les faire moi-même. » Je lui répondis que M. le duc de Neubourg me faisoit beaucoup d'honneur, et que les pensées qu'il avoit pour moi étant une marque de son estime, je lui en serois toujours obligée ; mais qu'en l'état où nous étions, il n'y avoit guère d'apparence de me marier ; que toute ma famille étoit divisée ; que Son Altesse royale étoit mal à la cour ; que M. le Prince étoit hors de France, et que je ne me voulois pas marier que tous ne fussent à mes noces, afin que tout se pût faire avec l'éclat et la dignité qui me convenoit.

Il me tira un portrait de M. de Neubourg de sa poche en petit, puis un autre en image, et me dit : « soit. C'est le meilleur homme du monde ; vous serez trop heureuse avec lui : sa femme, qui étoit sœur du roi de Pologne, mourut de joie de le voir à son retour d'un voyage. » Je lui répartis : « Vous me faites peur ; je craindrois de le trop aimer et de mourir ; c'est pourquoi je ne l'épouserai pas. » Il fut une heure à me conter goguette. Après il me dit : « Croiriez-vous être trop jeune pour vous marier ? » Je lui dis que non ; mais que je l'étois assez pour ne me point hâter. Comme il vit que tout ce qu'il me disoit ne me persuadoit point, il prit congé de moi ; et j'appelai Préfontaine pour le remener. Il fut encore un jour ou deux à Saint-Fargeau à venir voir madame la comtesse de Fiesque ; mais je ne le vis plus. Je n'ai jamais compris d'où venoit [à la comtesse de Fiesque] cette grande amitié pour M. de Neubourg, si ce n'étoit que l'on lui eût promis de l'argent ; et, comme elle l'aimoit fort, il étoit capable de lui faire faire toutes choses imaginables.

 

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NOTES

1. Ce fut le 1er novembre 1652 que M. le Prince mit le siége devant Sainte-Menehould.

2. Ce fut le 19 décembre 1652 que le cardinal de Retz fut arrêté, au moment où il sortait de chez la reine.

3. Nicomède, act. I, sc. I.

4. Ces événements sont antérieurs à l'arrestation du cardinal de Retz. Le duc de Beaufort et madame de Montbazon avaient quitté Paris presque aussitôt après l'entrée du roi, qui avait eu lieu le 21 octobre. Voy. la Muze historique, lettre du 26 octobre 1652.

5. Une lettre de cachet, un ordre d'exil.

6. Jean-Baptiste-Amador de Vignerod, marquis de Richelieu, épousa, le 6 novembre 1652, Jeanne-Baptiste de Beauvais. Voy la Muze historique, lettres du 16 et du 23 novembre.

7. Armand-Jean Du Plessis, duc de Richelieu. Il a été question plus haut (Chap. VI) de son mariage avec Anne Poussard du Vigean.

8. La duchesse d'Orléans était accouchée, dès le 9 novembre 1652, d'Anne-Marie d'Orléans, qui mourut le 17 août 1656.

9. Voy. la Muze historique (lettre du 14 décembre 1652).

10. La marquise de Laval et madame de Sully étaient filles du chancelier Séguier : la première était Marie Séguier, qui mourut en 1710, et la seconde Charlotte Séguier, qui devint duchesse de Verneuil par son second mariage avec Henri de Bourbon.

11. Voy. l'Histoire du château de Saint-Fargeau, par M. Chaillou des Barres.

12. Marie-Louise-Aimée-Élisabeth Pot, fille de Charles, seigneur de Rhodes, mariée, en 1646, à François-Marie de l'Hôpital, duc de Vitry.

13. On trouve dans Saint-Simon quelques détails sur mademoiselle d'Outrelaise (t. II, p. 104) : « La comtesse de Fiesque, si intime de Mademoiselle, avoit amené de Normandie avec elle mademoiselle d'Outrelaise, et la logeoit chez elle. C'étoit une fille de beaucoup d'esprit, qui se fit beaucoup d'amis qui l'appelèrent la Divine, nom qu'elle communiqua depuis à madame de Frontenac, avec qui elle alla demeurer depuis à l'Arsenal, et avec qui elle passa inséparablement sa vie. »

14. Gillonne d'Harcourt, veuve de Louis de Brouilly, marquis de Piennes, avait épousé en secondes noces, Charles-Léon, comte de Fiesque. Elle était belle-fille d'Anne le Veneur, comtesse de Fiesque, dont parle ici Mademoiselle. Pendant la vie de sa belle-mère, la jeune comtesse de Fiesque est souvent désignée par le nom de son premier mari, le marquis de Piennes. Elle dut le nom de reine Gillette à une chanson du comte de Gramont :

Marquise de Piennes, mon cœur,
J'admire si fort votre belle humeur,
Que je n'ai point de plaisir plus parfait,
Que votre cabinet,
J'ose vous supplier,
Ma reine Gillette,
Que de la moquette
Je sois chevalier.

Le meuble de la marquise de Piennes était en moquette ; de là le nom de chevaliers de la moquette ambitionné par ses admirateurs.

15. Ce fut en janvier 1653 que Madame quitta Paris. Voy. Muze historique (lettre du 25 janvier 1653).

16. Mazarin revint à la cour le 9 février 1653.

17. Jean-Antoine de Pardaillan de Gondrin, marquis de Montespan, qui avait épousé Marie-Anne de Saint-Lary, nièce de Roger de Saint-Lary, duc de Bellegarde, mort en 1646. Les biens et titres de la maison de Bellegarde avaient passé à Jean-Antoine de Pardaillan, qui mourut en 1687, à l'âge de 85 ans.

18. M. de Choisy, dont il a été question plus haut, était chancelier de Gaston d'Orléans.

19. Les anciens éditeurs ont altéré le nom de ce magistrat ; c'était un conseiller de la cinquième chambre du parlement de Paris, qui est ainsi caractérisé dans le Tableau du parlement de Paris : « Homme d'esprit vif, éclairé, ardent, actif, qui sait et ne s'éloigne jamais des grandes maximes ; d'un travail infatigable ; homme d'honneur et d'intégrité, que pour toutes les bonnes qualités qui sont en lui, a été et seroit aujourd'hui arbitre des plus grandes affaires. » Le nom de ce conseiller a été changé en celui de De Bous dans les anciennes éditions des Mémoires de Mademoiselle.

20. M. de Cumont était aussi un conseiller au parlement de Paris.

21. On a vu plus haut (et note 5) que cet archevêque était de la maison de La Feuillade. On trouvera à l'Appendice des lettres où il se rend compte de sa mission auprès de Mademoiselle. Elles servent à contrôler et à rectifier les Mémoires de cette princesse.

22. La lettre de l'archevêque d'Embrun, en date du 31 mars 1653, prouve, en effet, qu'il s'agissait de confier l'administration des biens de Mademoiselle à des commissaires nommés par le duc d'Orléans.

23. Mademoiselle a écrit plus haut Jean-François, que les précédents éditeurs ont changé en Jean-Antoine, pour mettre d'accord le texte des Mémoires de Mademoiselle et la lettre du duc de Neubourg.

24. Il s'agit ici du jésuite qui demandait à être présenté à Mademoiselle.

 


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris  : Charpentier, 1858. T. II, Chap. XVII : p. 232-264.


 

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