MADAME DE CHATILLON

Mademoiselle parle, dans plusieurs passages de ses mémoires, de madame de Châtillon, et toujours avec peu de bienveillance. Elle ne paraît pas d'ailleurs se rappeler exactement les événements de la vie de cette dame. Elle place en 1657 des faits qui remontent à 1653. J'ai cru qu'il ne serait pas inutile d'éclairer cette biographie par quelques documents d'une authenticité incontestable.

Elisabeth-Angélique de Montmorency-Bouteville étoit, dès 1644, renommée pour sa beauté et sa coquetterie. En 1645 elle fut enlevée par Gaspard de Coligny, qui devint bientôt après duc de Châtillon. Voici comment le fait a été raconté par l'auteur anonyme de mémoires inédits sur la régence d'Anne d'Autriche (B.I., ms. S. F., no 925) :

« L'année 1645 s'ouvrit par une aventure de roman : Dandelot, qui, par la mort de son frère, avoit pris le nom de Coligny et étoit devenu l'aîné de sa maison, brûloit d'amour pour mademoiselle de Bouteville, et, ayant fait plusieurs tentatives inutiles pour obliger le maréchal de Châtillon son père de consentir à son mariage avec elle, il prit résolution de l'enlever. Le duc d'Enghien ne manqua pas de favoriser son dessein. Tout étant disposé pour l'exécution, la demoiselle revenant un soir fort tard de la ville, se trouva entourée d'une quantité de braves, qui, après une résistance légère et quelques coups tirés plutôt pour l'apparence que par nécessité, la mirent dans un carrosse avec une douce violence et la menèrent à Château-Thierry. Là, le mariage étant fait et consommé, ces nouveaux époux s'en allèrent tranquillement à Stenay, que le duc d'Enghien leur avoit donné pour une retraite assurée contre la poursuite de leurs parents. Le maréchal de Châtillon éclata, demanda justice à la reine et au parlement ; madame de Bouteville fit de grandes plaintes de son côté. On les écouta tous deux ; on rit de leurs procédures, et, peu de temps après, la mort du maréchal acheva l'accommodement. » On peut comparer le récit de madame de Motteville, qui raconte aussi, à l'année 1645, l'enlèvement, auquel mademoiselle de Bouteville se résigna avec beaucoup de facilité. Ce récit est beaucoup plus étendu et abonde en détails piquants ; mais, comme il est très-connu, j'ai préféré donner un extrait de mémoires inédits.

Mazarin s'efforça d'apaiser la colère du maréchal, comme le prouve la lettre suivante : « Monsieur, venant d'apprendre tout présentement que vous aviez enfin fait décerner un monitoire1 sur l'affaire de M. votre fils, dont on m'a même fait voir la copie, je ne puis m'empêcher de prendre la plume aussitôt pour vous dire ce que j'en pense avec cette franchise que vous avez trouvée bonne et qui ne part que de la pour passion que j'ai pour tout ce qui vous regarde. Vous savez si je suis entré avant dans vos sentiments dès que la chose fut arrivée, si je trouvai vos plaintes justes et si je compatis à votre douleur. Cela me doit donner d'autant plus de créance près de vous dans le cours de l'affaire, et véritablement aujourd'hui que le temps qui apporte ordinairement du relâche à ces sortes de maux aigrit celui-ci, comme si votre indignation reprenoit une nouvelle vigueur, quand on avoit plutôt sujet de la croire beaucoup modérée dans une matière où, après tout, il y a peu de remède, et où, s'il y en avoit, ils n'iroient que contre votre fille unique et contre un fils si galant homme et de tant de mérite. C'est ce que vos serviteurs particuliers, comme je le suis, voient avec une très-sensible mortification. Agréez donc, que je prenne la liberté de vous représenter que c'est une chose faite.

» Ma crainte est que madame de Bouteville, qui n'avoit cessé les poursuites que voyant qu'on ne disoit mot de votre côté, les va recommencer bien plus chaudement, et il ne se peut de façon ou d'autre que vous n'en receviez enfin beaucoup de déplaisir. Si la raison, pour laquelle vous avez trouvée le plus à dire à l'action de M. votre fils, est parce qu'il ne trouvera pas dans la personne qu'il a choisie des biens proportionnés à sa condition (ce qu'il auroit pu rencontrer aisément), vous savez à quoi je me suis offert, et que je vous reconfirme bien plus fortement, c'est-à-dire que je suis prêt à employer de tout mon cœur le peu de crédit que la bonté de la reine me donne auprès de Sa Majesté pour en obtenir quelques effets considérables à votre avantage, sans aucune relation à ce qui s'est passé, mais en considération de ce qui est dû à tant de services signalés que vous avez rendus à l'État, qui obligeront encore Sa Majesté de se prévaloir des occasions pour récompenser en la personne de M. son fils la fidélité et le zèle que vous avez pour son service.

» Enfin souffrez, je vous prie, que nous vous conjurions tous de laisser un peu agir la tendresse que vous devez avoir pour un cavalier si bien fait, et à qui, dans l'approbation universelle qu'il a d'être digne fils d'un tel père, il ne manque que le bonheur de rentrer dans ses bonnes grâces et en celles de madame la maréchale.

» J'ai entretenu au long M. le comte de Saligny, auquel me remettant du surplus, je n'ajouterai autre chose que pour vous témoigner que je me tiendrois heureux si la vive prière que je vous en fais pouvoit quelque chose à lui procurer ce bien pour disposer en échange avec autorité de tout ce que peut, monsieur,

» Votre, etc. »

Le duc de Châtillon fut tué en 1649 (8 février), pendant la première guerre de la Fronde. « Sa femme, la belle duchesse de Châtillon, qu'il avoit épousée par une violent passion, fit toutes les façons que les dames qui s'aiment trop pour aimer beaucoup les autres ont accoutumé de faire en de telles occasions.2 » Peu de temps après commencèrent les aventures galantes de madame de Châtillon, que Mademoiselle a rapidement indiquées et dont les mémoires contemporains sont remplis. Il faudrait un volume entier pour en suivre tous les détails. Il suffira de dire, avec madame de Motteville, « que cette dame étoit belle, galante et ambitieuse, autant que hardie à entreprendre et à tout hasarder pour satisfaire ses passions ; artificieuse pour cacher les mauvaises aventures qui lui arrivoient, autant qu'elle étoit habile à se parer de celles qui étoient à son avantage. Sans la douceur du ministre, elle auroit sans doute succombé dans quelques-unes ; mais par ces mêmes voies, elle trouvoit toujours le moyen de se faire valoir auprès de lui, et d'en tirer des grâces qui ont fait murmurer contre lui celles de notre sexe qui étoient plus modérées. Le don de la beauté et de l'agrément, qu'elle possédoit au souverain degré, la rendoient aimable aux yeux de tous. Il étoit même difficile aux particuliers d'échapper aux charmes de ses flatteries ; car elle savoit obliger de bonne grâce et joindre au nom de Montmorency une civilité extrême qui l'auroit rendue digne d'une estime tout extraordinaire, si on avoit pu ne pas voir en toutes ses paroles, ses sentiments et ses actions, un caractère de déguisement et des façons affectées, qui déplaisent toujours au personnes qui aiment la sincérité. »

Une des affaires politiques, dans lesquelles se trouva mêlée madame de Châtillon, fut celle de Ricous et Berthault, dont Mademoiselle parles dans ses Mémoires (Chapitre XXIV). Un des commissaires chargés de leur faire leur procès, Le Tonnelier de Breteuil, en rendait compte à Mazarin dans la lettre suivante :


M. DE BRETEUIL A MAZARIN.

(Autographe).

Lettre du 11 octobre 1653.

Monseigneur,

J'ai attendu pour avoir l'honneur d'écrire à Votre Éminence touchant le procès des nommés Berthault, Ricous et Duchesne, qu'il eût été jugé ; ce qui a été fait ce matin par l'arrêt qui a été rendu conforme à mes conclusions, par lequel Berthault et Ricous ont été condamnés a être roués et auparavant appliqués à la question pour avoir révélation des complices, et sursis au jugement dudit Duchesne jusqu'après la question et l'exécution des deux autres. La question ensuite a été donnée ; mais, comme il étoit tard, on n'a pas eu grand loisir de les interroger. Ils ont avoué ce que Votre Éminence verra dans la copie de leur interrogatoire, que j'ai mise ès-mains de M. l'abbé Fouquet.

L'exécution vient d'être faite tout à la nuit. Berthault a dit qu'il n'avoit rien à dire que ce qu'il avoit avoué lors de la question. Ricous a seulement ajouté que c'est M. l'abbé de Cambiac qui lui a dit que M. le président Hardier avoit dit qu'il bailleroit mille pistoles pour le service de M. le Prince. Voilà tout ce qui a été dit lors de l'exécution, laquelle a été fait sans aucun bruit. Berthault, lors de la question, a enfin avoué avoir écrit la lettre du 29 mars à M. le Prince, laquelle il avoit toujours déniée.

Il plaira à Votre Éminence me faire savoir ce qu'elle désire qu'on fasse touchant les personnes que Berthault et Ricous ont chargés à la question.

Lundi matin, nous devons continuer pour Duchesne. J'oubliois de dire à Votre Éminence que nous avons fait brûler par les mains de l'exécuteur de la haute justice les lettres insolentes et injurieuses que Ricous avoit écrites.

MM. le chancelier, le garde des sceaux et tous les autres commissaires ont fait merveilles en cette occasion pour témoigner leur zèle au service du roi et pour les intérêts de Votre Éminence. J'ai tâché de les seconder au mieux que j'ai pu. Je suis avec tout respect,

Monseigneur,

de Votre Éminence,

le très-humble, très-obéissant et très-fidèle serviteur.

BRETEUIL.

Ce 11 octobre au soir 1653.


INTERROGATOIRES DE BERTHAULT ET RICOUS

Du samedi 11 octobre 1653. — (copie du temps)

A été fait venir en une salle du château de l'Arsenal maître Christofle Berthault, grand maître des eaux et forêts en Bourgogne, auquel étant à genoux avons fait prononcer l'arrêt de ce jourd'hui, contre lui rendu par ladite chambre souveraine établie en l'Arsenal, à la requête du procureur général en ladite chambre, par lequel il est déclaré criminel de lèse-majesté, et, pour réparation condamné d'être rompu vif sur un échafaud à cette fin dressé au haut de la rue Saint-Antoine, proche du château de la Bastille ; ses biens acquis et confisqués au roi, et, au préalable, d'être appliqué à la question ordinaire et extraordinaire pour apprendre par sa bouche les noms de leurs complices. Ce fait, le serment de lui pris,

Interrogé ce qui étoit contenu dans un billet qu'il a déchiré, lorsqu'il a été arrêté prisonnier, et mis en plusieurs morceaux ; a dit qu'il ne sait ce que c'est.

A été livré ès-mains du questionnaire.

A dit que le papier par lui déchiré dans la chaise, lorsqu'il fut arrêté, étoit un billet qui lui avoit été apporté le soir précédent par Jamet, hôte de Ricous pour l'affaire de Maillard.

A été mis sur le siége de la question, déshabillé et lié par les bras.

Interrogé s'il n'a pas écrit de lettres à Gourville sous le nom de Girardeau,

A dit que non ;

S'il sait qui est ledit Girardeau,

A dit que non.

Interrogé s'il n'a pas eu de conférences particulières avec madame de Châtillon pour les intérêts de M. le Prince depuis le mois d'octobre 1652,

A dit que non.

A été lié par les jambes et étendu.

Interrogé s'il n'a pas eu des intelligences avec plusieurs particuliers,

A dit que non.

Interrogé s'il n'a pas reçu des lettres de M. le Prince en cette ville,

A dit que non.

A été étendu et passé le premier poteau ;

A prié que l'on le soulageât et qu'il verroit s'il avoit quelque chose à dire.

Interrogé s'il n'a pas eu des conférences avec madame de Châtillon,

A dit que non.

Au premier pot d'eau

A dit qu'il nous dira quelque chose lorsqu'il sera soulagé ;

L'avons fait soulager.

Nous a demandé ce que l'on veut qu'il dise.

Interrogé qui lui a baillé de l'argent à Paris pour le distribuer,

A dit que l'abbé de Cambiac lui a donné mille écus pour les affaires de M. le Prince ;

Interrogé s'il a écrit à M. le Prince, et combien de fois,

A dit que oui, et qu'il a écrit quatre ou cinq fois à M. le Prince, et entre autres, la lettre du 29 mars 1653.

Interrogé de quels coups importants et nécessaires il entendoit parler par ladite lettre,

A dit que c'étoit pour enlever Frarin.

Interrogé pourquoi il demandoit par ladite lettre des gens de fidélité, d'exécution et d'adresse,

A dit que c'étoit pour enlever ledit Frarin.

Interrogé quels gens il disoit donner de pareils avis à M. le Prince,

A dit que c'étoit le sieur de Saint-Martin.

Interrogé qui sont les gens de bien, desquels il a parlé par ladite lettre, qui avoient eu le poignard dans le sein,

A dit que ce sont des bourgeois allant et venant.

Interrogé ce que M. le Prince lui mandoit par le billet du 13 mars qu'il dit avoir reçu le jour précédent,

A dit que M. le Prince lui mandoit de continuer à lui donner les avis de tout ce qui se passeroit et principalement pour ce qui concernoit Bellegarde.

Interrogé s'il a connu le nommé de Vaux qui a été condamné aux galères par arrêt du parlement,

A dit que non.

Interrogé quelles habitudes il avoit et où il alloit dans Paris,

A dit qu'il alloit quelquefois chez M. d'Entragues, là où il se trouvoit plusieurs personnes qui débitoient des nouvelles.

Lui a été baillé le deuxième pot d'eau.

Interrogé quel commerce et négoce il a eu avec madame de Châtillon,

A dit qu'il a négocié avec elle.

Interrogé s'il n'a pas eu habitude avec une autre personne,

A dit qu'il a eu habitude avec M. de Longueil qui demeure rue Michel-le-Comte, comme son ami particulier.

Au troisième pot d'eau n'a rien dit.

Interrogé quelles personnes il a vu de l'ordre de madame de Châtillon,

A dit qu'il a vu de sa part le milord Digby, de qui il apprenoit toutes nouvelles, lesquelles il mandoit à M. le Prince.

Interrogé par quel mouvement il avoit fait le complot d'assassiner M. le Cardinal,

A dit qu'il ne l'a pas fait.

Au quatrième pot d'eau n'a rien dit.

Lui a été baillé le grand poteau de l'extraordinaire ;

A prié que l'on le soulageât et qu'il parleroit.

Interrogé par quel motif et ordre il avoit comploté avec Ricous pour ledit assassinat,

A dit qu'il est vrai il en a parlé à Ricous par forme d'entretien, et que les deux cent cinquante livres qu'il a baillées audit Ricous étoient pour les avis qu'il lui donnoit pour envoyer à M. le Prince.

Interrogé pourquoi il a donné une pistole audit Ricous,

A dit que c'étoit pour donner à Maillard.

Lui a été baillé le premier pot de l'extraordinaire. A demandé ce que l'on veut de lui.

Au dernier pot d'eau n'a rien dit.

Interrogé si madame de Châtillon ne lui a jamais parlé de l'assassinat qu'il vouloit faire de la personne de M. le cardinal Mazarin,

A dit que, sur ce que ledit Ricous lui en avoit parlé, madame de Châtillon et lui en ont eu conférence en suite de ce qu'il avoit appris que l'on vouloit assassiner M. le Prince, et que Ricous donnoit les mêmes avis à madame de Châtillon de ce qui se passoit ici.

Au moyen desquelles reconnoissances (confessions, aveux), et [parce] qu'il est demeuré incommodé de la poitrine, n'a été procédé à plus ample question et mis sur un matelas devant le feu.

Lecture faite du présent interrogatoire,

A dit que ces réponses et reconnoissances contenoient vérité.

Interrogé ce qu'il a fait des mille écus qu'il nous a reconnu avoir reçus de l'abbé de Cambiac,

A dit en avoir baillé huit cents écus à Champer, et que ledit abbé de Cambiac connoissoit ledit de Vaux et nous en dira bien des nouvelles, et a déclaré ne pouvoir signer au milieu de la douleur qu'il a soufferte à la question.

Signé : LAISNÉ et MELIAND.

 


Du samedi 11 octobre 1653.

A été fait amener en une salle du château de l'Arsenal Jean Ricous, auquel étant à genoux avons fait prononcer [l'arrêt].

Interrogé s'il a pas parlé à madame de Châtillon du complot pris d'assassiner M. le Cardinal,

A dit qu'étant allé à Merlou trouver madame de Châtillon, elle lui dit de faire ce que Berthault lui avoit dit concernant l'assassinat de M. le Cardinal depuis l'emprisonnement dudit Berthault, et qu'il poursuive cette pointe et qu'elle lui feroit donner tout l'argent qui seroit nécessaire.

Interrogé si son frère a su le complot qui avoit été pris d'assassiner M. le Cardinal,

A dit que non.

A été livré ès mains du questionnaire, déshabillé nu sur le siége de la question, lié par les bras.

Interrogé à quelles personnes il avoit ordre de parler dans Paris dudit assassinat, de la part de madame de Châtillon, et des affaires concernant M. le Prince,

A dit qu'elle ne lui donna charge que de parler au sieur abbé de Cambiac.

Et lui dit qu'elle lui écriroit, et qu'elle a eu cinq ou six fois conférence avec Berthault, lequel lui a proposé d'assassiner M. le Cardinal, et que ledit Berthault lui a donné deux cent cinquante-cinq livres.

A été lié par les jambes, étendu et passé sur le premier tréteau.

Interrogé quelles habitudes il a eues dans Paris et qui lui donnoit des nouvelles de Bellegarde,

A dit qu'il n'a point eu d'habitudes dans Paris, et, quant aux nouvelles, il les apprenoit au Luxembourg.

Lui a été baillé le premier pot d'eau, n'a rien dit.

Lui a été baillé le deuxième pot d'eau.

Interrogé s'il n'a rien à ajouter à ce qu'il a dit contre Duchesne, a dit que non.

Lui a été baillé le troisième pot d'eau, a dit qu'il ne sait rien autre chose que ce qu'il a dit.

A dit de soi que, dans son interrogatoire, il n'a pas dit la vérité lorsqu'il a dit qu'à Merlou il avoit appris que M. le président Hardier avoit offert de l'argent pour le service de M. le Prince ; mais que c'est l'abbé de Cambiac, à qui il l'avoit ouï dire, et persistant toujours à dire [que] ce qu'il a dit contre Berthault concernant le complot d'assassiner M. le Cardinal est véritable, et qu'il ne peut pas bien assurer si Duchesne a parlé à Berthault le 30 mai dernier de ce que madame de Châtillon trahît le roi et M. le Prince.

Est tombé en pamoison.

Au moyen de quoi a été ôté de la question, mis sur un matelas devant le feu.

Lecture faite, a dit ses reconnoissances contenir vérité, et depuis nous a dit qu'il nous prioit de faire savoir à M. l'évêque d'Amiens de demander pardon pour lui à la reine et de faire payer ce qu'il doit à Jamet, qui est douze cents livres, n'ayant rien vaillant, et a signé.

Signé : RICOUS, LAISNÉ et MÉLIAND.


L'ABBÉ FOUQUET À MAZARIN

Original en partie chiffré. — La partie chiffrée est rouge3

La dernière exécution faite sur la personne des deux pestes d'État qui furent pris naguère,4 étoit non-seulement nécessaire pour couper racine aux entreprises de la nature de celles dont ils ont été convaincus ; mais elle parle si haut en faveur de l'autorité royale qu'il ne s'est rien fait de plus utile et qui aille plus loin que cette justice. Ce n'est pas tout, néanmoins ; car il est certain de je sais de bonne part et très-assurée que tant que madame de Châtillon demeurera où elle est, il y aura toujours des intrigues entre elle et M. le Prince, lequel conserve de secrètes intelligences à sa maison, où est le rendez-vous secret et l'entrepôt de ceux qui vont et viennent vers M. le Prince, qui a auprès de lui un Ricous, frère de celui qui a été exécuté, plus pernicieux que le défunt, et dont la femme écossoise, qui se nomme Foularton, est domestique de ladite dame et qui sert fort à tous leurs mystères.


Madame de Châtillon continua, en effet, ses relations avec le prince de Condé, comme l'atteste la lettre suivante, qui se trouve dans un manuscrit de la Bibliothèque impériale (f. Gaignières, no 2799, fos 306 et 307). Il s'agissait de déterminer le maréchal d'Hocquincourt, tombé amoureux de la duchesse, à livrer la ville de Péronne au prince de Condé.

LETTRE DE MADAME DE CHATILLON

Original sans signature — Partie chiffrée en rouge

Ce 17 octobre [1653]

Vasal est arrivé comme j'étois à la cour, et je suis partie le lendemain pour vous faire réponse avec toute la diligence que vous désirez ; ce qui est même nécessaire pour vous avertir que l'on a grand'peur que M. le Prince ne fasse quelque chose avec la bonne compagnie qu'il a. Mais, comme je suis persuadée qu'il ne s'y épargnera pas, je ne lui dirai rien pour lui faire voir le besoin qu'il en a et la facilité qu'il y trouvera, parce que vous êtes, madame,5 assez éclairée sur toutes choses pour qu'il ne soit pas à propos de dire seulement un pauvre mot sur ce chapitre, si bien que je la vis finir pour vous parler d'un autre, dont je ne puis comprendre que vous ne me remerciez pas d'un présent de senteur que je vous ai envoyé il y a plus de mois. Dame ! il étoit si beau et bon que je ne suis pas consolable que vous ne l'ayez point reçu. C'étoit un homme de Chavagnac qui vous le portoit, et comme il avoit assurément ordre de voir Marsin, j'appréhende, selon ce que Bouteville me mande qu'il en use avec vous, qu'il n'ait renvoyé l'homme sans vous le faire voir, afin de détourner son maître de vous aller trouver. Mais enfin je vous mandois que j'avois vu M. le maréchal d'Hocquincourt, qui m'avoit dit des choses dont l'on pouvoit faire son profit : c'est en un mot que vous fassiez en sorte que Fuensaldagne lui envoie un homme de créance pour traiter avec lui sur le bruit qui court qu'il est mal à la cour, et, pour peu que l'on soit raisonnable, il y a toute sorte d'apparence que l'on fera affaire ; mais, afin qu'il soit sans soupçon, nous avons jugé à propos que vous disiez qu'il n'est point assez de vos amis pour que l'affaire se fasse par vous ; mais néanmoins vous ne lairrez pas de vous entendre ensemble ; car je l'ai fait jurer plus de mille fois et je ne doute point que l'on ne soit dans la dernière peine de ne rien voir de ce que l'on attendoit sur cela. Car ce devroit être une affaire faite, et c'est la cause que l'on n'a pas envoyé à Cherisi, parce que l'on m'en chargea, et je voulois envoyer La F.6 exprès ; mais l'on crut l'autre voie aussi sûre et plus prompte. Cependant il n'en est pas arrivé ainsi, dont je ne me puis consoler ; car le temps se passe, et M. le Prince est en un lieu très-commode pour cet effet. M. de Duras ira faire un tour à Merlou pour voir le maréchal d'Hocquincourt, pour l'encourager en cas qu'il fût changé sur ce qu'il n'a point ouï parler de Fuensaldagne.

Je lui en dirai l'aventure, et vous donnerez ordre qu'elle soit réparée au plus tôt ; je vous renvoie7 en diligence pour cela, et je me réserve à vous faire toutes les réponses que je vous dois par celui que je vous enverrai pour chercher les chevaux, de peur que le séjour de celui-ci ne nous fît encore du tracas.

Je vous jure que je me fais un effort furieux de ne vous point parler des choses sur lesquelles vous me paroissez la plus aimable créature du monde, et je prétends vous faire voir par là que je préfère votre intérêt au mien dans toutes les aventures, parce que j'en trouve un assez complet dans cette affaire. Mon frère8 m'en parle encore ; mais je ne vous en dirai rien pour cette fois, ayant trop d'impatience que vous receviez cette lettre ici. Enfin, M.C.,9 je vous dirai seulement en passant que j'ai fait par avance tout ce que vous me mandez que vous désirez que je fasse et que je pense sur tout ce que je vois ; et j'ai peur que je n'aille jusqu'au point où vous dites que vous voulez que

De la même ardeur que je brûle pour elle
Elle brûle pour moi.

Adieu, M.C., je pense que je suis folle ; mais c'est parce que vous êtes très-éloigné et que vous me faites pitié ; car sans cela je conserverois toujours mon bon sens et la gravité que Dieu m'a donnée.

Au reste, je crois que vous savez toutes les raseries10 que l'on a faites à Bartet ; mais par-dessus le tout, il est arrêté à Fontainebleau et son frère tué par la suite de l'histoire de M. de Candale, qui ne lui veut donner nul quartier. Néanmoins M. le C.11 avoit trouvé un tempérament qu'il seroit chassé tant que M. de Candale voudroit, et dans ce temps-là il a écrit des lettres que M. de Candale a prises, lesquelles l'ont plus piqué que jamais, si bien que, Bartet le sachant, il se sauva, quoiqu'il fût sur la parole de M. le C. Comme il a vu cela, il a donné des gardes du roi pour l'aller prendre ; mais, comme ils étoient conduits par des gens de M. de Vardes, parce qu'ils ne connoissoient pas Bartet, son frère tira dessus sans les connoître aussi, et en suite de cela ils lui rendirent et montrèrent leur bandoulière, si bien qu'ils ramenèrent l'un et laissèrent l'autre pour mort. Depuis ce temps-là il n'y a point eu encore rien de réglé, parce que M. le C. a toujours été incommodé de sa goutte à un point que personne ne l'a vu. Adieu, M.C., je vous enverrai bientôt.


Arrêtée pendant quelques mois à la suite des intrigues qui avoient entraîné la défection du maréchal d'Hocquincourt et la perte de Péronne, madame de Châtillon reprit, dès 1656, son rang à la cour. Mademoiselle, qui fit, en 1657 et 1658, retracer les portraits des hommes et des femmes célèbres de cette époque, pria madame de Châtillon de lui donner le sien peint de sa main. Il est flatté, sinon au physique, du moins au moral. Quel qu'en soit l'auteur (car il est peu probable, malgré le titre, qu'il ait été composé par madame de Châtillon), il m'a paru utile de l'ajouter ici, comme complétant les renseignements recueillis sur une femme qui a été mêlée à toutes les intrigues de cette époque :

PORTRAIT DE MADAME DE CHATILLON, « PEINT DE SA MAIN »

Le peu de justice et de fidélité, que je trouve dans le monde, fait que je ne puis me remettre à personne pour faire mon portrait ; de sorte que je veux moi-même vous le donner le plus au naturel qu'il me sera possible, et dans la plus grande naïveté qui fut jamais. C'est pourquoi je puis dire que j'ai la taille des plus belles et des mieux faites que l'on puisse voir. Il n'y a rien de si régulier, de si libre ni de si aisé. Ma démarche est tout à fait agréable, et en toutes mes actions j'ai un air infiniment spirituel. Mon visage est un ovale des plus parfaits selon toutes les règles ; mon front est un peu élevé ; ce qui sert à la régularité de l'ovale. Mes yeux sont bruns, fort brillants et bien fendus ; le regard en est fort doux et plein de feu et d'esprit. J'ai le nez assez bien fait, et pour la bouche, je puis dire que je l'ai non-seulement belle et bien colorée, mais infiniment agréable par mille petites façons naturelles qu'on ne peut voir en nulle autre bouche. J'ai les dents fort belles et bien rangées. J'ai un fort joli petit menton. Je n'ai pas le teint fort blanc ; mes cheveux sont d'un châtain clair et tout à fait lustrés. Ma gorge est plus belle que laide. Pour les bras et les mains, je ne m'en pique pa6 ; mais pour la peau, je l'ai fort douce et fort déliée. On ne peut avoir la jambe ni le pied mieux tourné.

J'ai l'humeur naturellement fort enjouée et un peu railleuse ; mais je corrige cette inclination par la crainte de déplaire. J'ai beaucoup d'esprit, et j'entre agréablement dans les conversations. J'ai le ton de la voix tout à fait agréable et l'air fort modeste. Je suis fort sincère et n'ai pas manqué à mes amis. Je n'ai pas un esprit de bagatelle ni de mille petits malices contre le prochain. J'aime la gloire et les belles actions. J'ai du cœur et de l'ambition. Je suis fort sensible au bien et au mal ; je ne me suis pourtant jamais vengée de celui qu'on m'a fait, quoique ce soit assez mon inclination ; mais je me suis retenue pour l'amour de moi-même. J'ai l'humeur fort douce et prends mon plaisir à servir mes amis, et ne crains rien tant que le petits démêlés des ruelles, qui d'ordinaire ne vont qu'à des choses de rien.

C'est à peu près de cette sorte que je me trouve faite en ma personne et en mon humeur ; et je suis tellement satisfaite et de l'une et de l'autre, que je ne porte envie à qui que ce soit. Ce qui fait que je laisse à mes amis, ou à mes ennemis, le soin de chercher mes défauts.


La vie de madame de Châtillon se prolongea presque jusqu'à la fin du dix-septième siècle. En 1664, elle épousa Christian-Louis, duc de Mecklenbourg, et depuis cette époque elle est désignée dans les mémoires du dix-septième siècle sous le nom de duchesse de Mecklenbourg. Il en est question dans les lettres de madame de Sévigné qui la compare à Armide au milieu des guerriers, lorsqu'elle va visiter en 1678 l'armée de son frère le maréchal-duc de Luxembourg.12 Sa mort, en 1695, devint aussi pour madame de Sévigné l'occasion de tristes réflexions sur l'avarice qui lui faisoit entasser de l'or, de l'argent, des meubles précieux, des pierreries au milieu de l'extrême misère de cette époque.13 Enfin Saint-Simon, qui nous fait assister à la fin de toutes les grandeurs du dix-septième siècle, a aussi retracé les derniers moments de madame de Mecklenbourg.14

 


 

NOTES

1. On appelait monitoires des ordonnances des juges ecclésiastiques qui relataient quelque crime et ordonnaient à tous ceux qui en connaîtraient les auteurs de les dénoncer, sous peine d'excommunication.

2. Mémoires de madame de Motteville, à l'année 1649.

3. Cette lettre ne porte aucune indication de lieu ni de date. Elle doit être de la première moitié d'octobre 1653.

4. Il s'agit de Berthault et Ricous.

5. Je présume que la lettre est adressée à Condé, et que ce mot Madame était mis là pour dérouter ceux qui intercepteraient la lettre. Madame de Châtillon parle, il est vrai, du prince de Condé, à la troisième personne ; mais c'est encore un usage des lettres chiffrées.

6. Peut-être La Feuillade.

7. C'est-à-dire je vous envoie une lettre de nouveau.

8. Bouteville, plus tard maréchal-duc de Luxembourg.

9. Ces initiales M.C. sont plusieurs fois répétées et signifient sans doute mon cousin.

10. Voy. sur l'aventure de Bartet, les Mémoires de Mademoiselle, Chapitre XXI.

11. M. le Cardinal (Mazarin).

12. Lettre du 12 octobre 1678.

13. Lettre du 3 février 1695.

14. Mémoires, édit. Hachette, in-8, t. I, p. 233.


This page is by James Eason.