Boo the Cat. Hoorah!

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CHAPITRE XXII.

(novembre 1655 – juillet 1656)

Monsieur s'accommoda à la cour1 ; mademoiselle de Guise et M. de Montrésor firent cette négociation. Quand j'en appris la nouvelle, j'en fus fort fâchée, je l'avoue. La comtesse de Fiesque et madame de Frontenac en témoignèrent des transports de joie inouïs, me disant : « Vous voyez en quel état vous êtes d'être mal avec Son Altesse royale ! vous ne retournerez jamais à Paris ; » et mille douceurs de cette force, louant Goulas, qui avoit travaillé à cet accommodement ; ce que c'étoit d'avoir de bons et fidèles serviteurs. Je leur disois : « Je ne conviendrai point de tout ce que vous dites ; tous les accommodements dont Goulas s'est mêlé jusqu'à présent ont été si désavantageux à Monsieur, qu'il en faut voir la suite pour en juger ; je crains bien qu'il ne soit de la force des autres. » Je leur appris qu'une fois après un traité, dont Son Altesse royale n'étoit pas contente, il le traita de traître, perfide, et le vouloit faire jeter par les fenêtres.

C'est une chose de fait que ce que je leur disois, et publique ; elles ne savoient que me répondre. On peut remarquer leur audacieux procédé avec moi, d'oser me disputer et tenir tête en faveur d'un homme qu'elles savoient m'être odieux et avec beaucoup de raison. Les gens de Monsieur croyoient que son accommodement me feroit trembler et que j'enverrois leur faire des offres admirables ; je demeurai tout comme j'étois.

Le comte de Béthune, qui étoit à Paris, et à qui Son Altesse royale avoit témoigné beaucoup de confiance, n'en eut aucune connoissance, dont il fut un peu scandalisé ; mais il s'en consoloit sur la manière dont ce traité étoit. Car Son Altesse royale n'alla pas d'abord à la cour ; elle abandonna M. le duc de Beaufort, madame la duchesse de Montbazon, les conseillers exilés pour l'amour de lui. Enfin il ne s'est jamais fait un si pauvre accommodement. On lui avoit promis une récompense pour Louvière, fils de M. Broussel, qui avoit le gouvernement de la Bastille dès la première guerre, pourvu du roi ; il n'en est pas encore payé maintenant ; et si Son Altesse royale a fait plusieurs voyages à la cour.

L'accablement où mes affaires me mettoient m'obligea à me résoudre à prendre un secrétaire. Je jetai les yeux sur un garçon nommé Guilloire,2 qui avoit été longtemps employé pour les affaires du roi en Allemagne, en qualité de commissaire général ; il s'en étoit acquitté avec beaucoup d'honneur et de fidélité. Il m'avoit été indiqué par des personnes en qui j'avois beaucoup de créance, et qui m'en répondoient comme d'eux-mêmes. Je fus assez sotte pour dire devant ces femmes3 que j'avois ce dessein. Elles le mandèrent à Blois ; de sorte que lorsque madame de Guise, qui avoit écrit à Son Altesse royale, à la prière de M. de Turenne, qui l'avoit connu en Allemagne, et avec qui il avoit servi (car je n'aurois osé nommer personne à Monsieur, et je n'avois pas de commerce avec lui), Son Altesse royale répondit qu'il étoit ami de Préfontaine, et par là il eut l'exclusion.

Je me résolus à ne prendre personne ; ce qui me donnoit beaucoup de fatigue et de peine. Sur la fin du carnaval, il vint une méchante troupe de comédiens à Saint-Fargeau. Quoique j'eusse assez de chagrin pour que rien ne pût me réjouir, je crus que quand je témoignerois ne me soucier de rien, cela feroit dépit à ceux qui étoient bien aises de m'inquiéter. Je les fis jouer, mais peu de temps ; car on me manda que madame de Guise étoit malade, et à deux jours de là qu'elle avoit reçu l'extrême-onction ; ce qui me fit résoudre de m'en aller à Paris. J'envoyai à l'instant des relais, et un gentilhomme en poste pour en avoir des nouvelles en chemin. Je partis le matin dès la pointe du jour ; je fis vingt-deux lieues : c'est une assez grande diligence au mois de février.

Le jour d'après je serois arrivée de bonne heure à Paris ; mais je trouvai le gentilhomme que j'avois envoyé auprès de Fontainebleau, qui me dit qu'il avoit trouvé madame de Guise sans connoissance, et que assurément elle étoit morte à l'heure qu'il me parloit.4 Je m'en allai jusqu'à Fontainebleau, où je m'arrêtai. Mon dessein avoit été, si je fusse allée à Paris, de n'y être que jusqu'à la mort de madame de Guise, ou à ce qu'elle fût hors de danger, et de n'y voir âme qui vive, de crainte que la cour ne crût que j'eusse envie d'y demeurer, pour ne leur pas donner le plaisir de m'en chasser.

M. et mademoiselle de Guise m'envoyèrent faire un compliment après la mort de madame de Guise. Mademoiselle de Guise s'excusa fort de ce qu'elle ne m'avoit rien mandé de sa maladie, sur son affliction ; mais je crois que la plus véritable raison étoit la crainte qu'elle auroit eue qu'en cet état elle ne se fût repentie de tout ce qu'elle avoit fait pour nous brouiller, Monsieur et moi, et même des dispositions de son testament, qui n'étoient pas fort justes.

Le lendemain de la mort de madame de Guise, mademoiselle sa fille envoya querir tout ce qu'elle avoit de parents à Paris, pour être à l'ouverture de son testament, et pour voir à faire élire un tuteur au petit de Joyeuse5 : elle envoya querir quelques-uns de mes gens que j'avois à Paris pour y assister. Un père capucin apporta [le testament] de la part de la mère supérieure des Capucines, à qui elle l'avoit donné ; on lut ce testament, et ensuite on me l'envoya. Il étoit écrit de sa main, et derrière [il y avoit] une évaluation de son bien, pour montrer la justice et l'équité qu'elle avoit eues à le donner à ses enfants. Je me trouvai déshéritée ; ce qui me surprit fort. Je ne croyois pas qu'après m'avoir tant ôté de choses dans mes affaires avec Son Altesse royale, elle fût encore d'humeur à faire des libéralités à mes dépens à ses autres enfants.

Je résolus bien de chercher les moyens d'en demeurer pas à une disposition si peu favorable pour moi. La conjoncture de la mort de madame de Guise me fit croire que j'aurois besoin d'un intendant ; j'écrivis à M. le Boultz, conseiller du parlement [de Paris], pour le prier de se vouloir attacher à mon service. C'est un homme d'esprit et de capacité, et de beaucoup de réputation6 : c'étoit ce qui m'avoit donné envie de le prendre ; car je ne le connoissois point. Je lui écrivis ; il me fit réponse qu'il recevoit avec beaucoup de respect l'honneur que je lui faisois, et qu'il en écriroit à Son Altesse royale pour avoir son agrément.

Après avoir été quatre jours à Fontainebleau, je m'en retournai à Saint-Fargeau, où je reçus des lettres et des envoyés de tout le monde, hors de la cour et de Leurs Altesses royales. Ce me fut une grande fatigue d'avoir tant de lettres à écrire et de tant mentir. Car il falloit parler de mon affliction, et j'en avois fort peu : la conduite de madame de Guise ne m'y avoit pas obligée. J'en pris pourtant le deuil tout aussi austère que si je l'avois eu dans le cœur. Car, en ce monde, il faut toujours sauver les apparences autant que l'on le peut.

Deux jours après mon arrivée à Saint-Fargeau, M. le Boultz y vint pour me remercier sur l'estime et la confiance que je lui avois témoigné avoir en lui, en le voulant prendre à mon service, et me dire la réponse de Monsieur, qui étoit qu'il le croyoit ami de Nau, et que c'étoit par sa participation que je le prenois, et que cela empêchoit qu'il n'y donnât son agrément. M. le Boultz fut fort scandalisé de cette réponse : il entra en matière avec moi sur mes affaires, et nous eûmes une longue conversation, dans laquelle je connus que j'avois lieu de me réjouir que Son Altesse royale n'eût pas agréé que le prisse, et que ce n'étoit pas mon fait. Il me dit : « Vous savez trop de vos affaires ; ce n'est pas le métier des dames de s'en mêler. Il faut que les personnes de votre qualité jouent, se divertissent et n'entendent jamais parler de leurs affaires. Pour moi, si j'avois eu l'honneur de me mêler des vôtres, je ne vous en aurois jamais parlé ; et si vous m'en aviez demandé des nouvelles, j'aurois changé de discours. » Cela ne me plut point du tout, et je conclus (ce j'ai dit) que ce n'étoit pas mon fait, moi qui aime à commander aux gens qui dépendent de moi, et qui veux que l'on me rendre compte de toutes choses. Après m'avoir fait sa cour un jour ou deux, il s'en retourna fort satisfait de moi.

Le chevalier de Charny ayant achevé ses études, je lui dis : « Vous êtes en âge de choisir la profession que vous voulez [suivre] ; je ne vous veux point contraindre, espérant que vous réussirez mieux en celle qui vous sera plus agréable et où penche votre inclination. Si vous voulez être d'Église, il faut étudier en théologie ; je vous enverrai en Sorbonne. Si vous voulez demeurer dans le monde, il est temps d'aller à l'académie.7 Si la fortune vous est favorable, vous pouvez être heureux en toute condition ; choisissez celle que vous aimerez le mieux. » Il me témoigna qu'il n'avoit pas d'inclination pour l'Église, et qu'il espéroit que se rendant [utile] et faisant de belles actions à la guerre, il obligeroit plutôt Son Altesse royale à l'avancer. Je mandai à son oncle de venir à Saint-Fargeau, et ce fut lui qui le mena à l'académie, de peur que, si je l'y envoyois par quelqu'un de mes gens, Son Altesse royale ne le trouvât mauvais. Il eut beaucoup de déplaisir de me quitter ; mais il s'en consola aisément, en songeant qu'il alloit en lieu pour tâcher de se rendre honnête homme et digne de me servir.8

Madame la princesse royale, veuve du prince d'Orange,9 vint à Paris voir la reine d'Angleterre, sa mère ; elle arriva avec un équipage fort magnifique, et la parut fort sur sa personne tant qu'elle fut à la cour, ayant quantité de belles pierreries. Tout le monde disoit qu'elle venoit en dessein de donner dans la vue du roi ; et l'on croyoit que la reine n'en seroit pas fâchée ; que si elle lui plaisoit, elle seroit bientôt catholique ; que c'étoit une grande princesse ; mais il y avoit à dire qu'elle étoit veuve d'un gentilhomme : la principauté de la maison de Nassau n'est pas trop ancienne, quoique leur naissance soit très-illustre. La conjoncture n'étoit pas aussi fort favorable pour elle. Car dans le même temps la France fit alliance avec le Protecteur,10 et il vint un ambassadeur à la cour ; on témoigna au roi d'Angleterre qu'il feroit plaisir de s'en aller ; ce qu'il ne retarda pas. On peut juger s'il eût pu demeurer avec un ambassadeur de Cromwell.

La reine donna des assemblées à la princesse royale, et même de particulières, parce qu'elle ne vouloit pas danser aux publiques parce qu'elle étoit veuve. On la régala fort ; il n'y eut que du roi dont elle ne le fut point ; car je pense même qu'il ne lui parla pas. On me mandoit tout cela à Saint-Fargeau, où je menois ma vie ordinaire. J'envoyai à Blois pour faire des tentatives si Monsieur auroit agréable que je lui rendisse mes respects ; il le refusoit toujours. Je fis un tour à Auxerre, qui est une ville à neuf lieues de Saint-Fargeau, pour entendre un bon prédicateur à la Notre-Dame de mars.

A même temps je pris occasion de faire reconnoître par un notaire des protestations que j'avois faites et écrites de ma main contre tout ce que l'on me pourroit obliger de faire par force, au préjudice de mes intérêts ; par force, car assurément une princesse exilée sous l'autorité d'un père, fils de France, qui s'est accommodé à la cour, doit tout craindre, et on est bien aise au moins, quand on fait des choses de cette manière, que ceux qui vous les font faire n'en profitent pas à l'avenir, ou leurs descendants. Je pense que je fis une faute ; car l'état où j'étois, et la manière dont Monsieur me traitoit, étoient assez publics pour que toute la France fût mes témoins, et la chose de soi étoit une protestation perpétuelle, et celle que je fis par écrit ne servit qu'à aigrir Son Altesse royale, qui le sut tôt après, ayant gagné des personnes en qui je m'en étois confiée.

Quelques jours avant qu'il me fût venu dans l'esprit d'aller à Auxerre, j'avois envoyé L'Épinay, qui étoit celui que j'envoyois quasi toujours à Blois, ayant confiance en lui, trouver M. le duc de Beaufort, pour le prier de le mener à Blois et d'obtenir de Son Altesse royale la permission que je l'allasse trouver et que nous verrions d'accommoder nos affaires. M. de Beaufort l'y mena. Monsieur le vit dans sa chambre. C'étoit beaucoup qu'il le souffrit, et commanda à M. de Beaufort de m'écrire la lettre suivante :

Lettre de M. le duc de Beaufort à Mademoiselle.11

« Mademoiselle,

» Aussitôt que M. de L'Épinay a été arrivé à Vendôme, et que j'ai reçu par lui les ordres de Votre Altesse royale, je suis parti sur l'heure. Je me rendis le soir même ici : je me suis acquitté le plus ponctuellement qu'il m'a été possible de ce que vous me commandiez auprès de Son Altesse royale, qui m'a commandé de vous écrire qu'il recevoit avec joie et tendresse vos soumissions, desquelles il espère une bonne suite ; qu'il désire, pour n'avoir qu'à vous embrasser paternellement, quand elle vous verra, qu'auparavant vos gens d'affaires et les siens regardent ensemble d'ajuster et faire un projet d'une compensation, afin de conclure une fois pour toutes les différends entre Son Altesse royale et la vôtre ; que cela arrêté entre eux et parafé, vous viendrez recevoir de Son Altesse royale les amitiés et caresses d'un bon père. Puis, vous vous en retournerez quand il vous plaira pour signer ledit arrêté. Voilà en substance ce que je dois avoir l'honneur de répondre à Votre Altesse royale ; je remets avec votre permission au porteur le reste. Ce qui me fait finir avec soumission et respect, et me dire de même,

Mademoiselle,

de Votre Altesse royale,

le très-humble, très-obéissant et très-fidèle serviteur,

Le duc DE BEAUFORT »

Il chargea L'Épinay d'une lettre que Monsieur ne vit point, et en écrivit une au comte de Béthune par ordre de Son Altesse royale, qu'il m'envoya ensuite :

Lettre de M. le duc de Beaufort à Mademoiselle

« Mademoiselle,

» Ce fidèle porteur rendra compte à Votre Altesse royale d'un ordre exprès, de quoi je ne me suis pu tenir de promettre de donner part à Votre Altesse royale : c'est que Monsieur veut, et très-absolument, que vous lui donniez une indemnité, en cas que M. le duc de Richelieu ait son recours sur lui des démolitions de Champigny. J'ai fait de grandes instances tant sur cela que sur le reste, où il y a eu de votre service, où j'ai pu manquer de capacité, et non de zèle et de fidélité. Cela est très-connu de M. de L'Épinay, qui est instruit de tout ceci, il ne manquera pas d'avoir l'honneur de vous en entretenir ponctuellement. Il a laissé le tout en état que vous en êtes la maîtresse, et moi je demeurerai en celui d'attendre vos ordres aussi ponctuellement. Je suis,

Mademoiselle,

de Votre Altesse royale,

le très-humble, très-obéissant et très-fidèle serviteur,

Le duc DE BEAUFORT »

Et à côté : « Si vous renvoyez, je tiens nécessaire que ce soit le porteur, qui est déjà instruit. »

Lettre de M. le duc de Beaufort à M. le comte de Béthune.12

Du Blois, le 27 de mars 1656.

« Monsieur mon cousin,

» Enfin L'Épinay s'en est retourné. La réponse qui lui a été faite est que Son Altesse royale reçoit les soumissions de Mademoiselle avec joie et tendresse ; qu'il en espère une heureuse suite. Il trouva à propos, avant qu'elle vienne, que ses gens et ceux de Mademoiselle ajustent, si elle le veut, en suite de la transaction, un projet de compensation, lequel sera parafé d'eux. Son Altesse royale trouve bon que Mademoiselle le vienne trouver où il lui plaira ; puis, lorsqu'elle sera retournée, elle signera l'acte susnommé. Son Altesse royale aussi m'a commandé (de quoi je ne me suis pu dégager) de déclarer à Mademoiselle qu'il veut sortir d'affaires sans en avoir plus avec elle ; qu'il veut être déchargé de la garantie des démolitions de Champigny ; qu'elle ne laissera pas de poursuivre son affaire au parlement de toutes ses forces ; qu'il espère la gagner ; que, du reste, il désire être déchargé. Quoique j'aie pu dire et représenter assez rapidement, je ne l'ai su faire changer, à mon grand regret. Je crois que cet article gâtera tout. Son Altesse royale m'a très-fortement recommandé de vous témoigner qu'il est très-persuadé que vos soins et pressantes raisons réitérées à Mademoiselle l'on mise en bon chemin. Madame me donne le même ordre ; c'est pourquoi je m'en suis chargé d'autant plus volontiers que nombre de personnes croient ici la vérité de ce que j'ai commandement de vous faire savoir. Leurs Altesses royales ne doutent pas que vous ne fassiez votre possible afin de réduire Mademoiselle à leur intention ; et moi je leur déclare que je ne crois pas que nous en venions à bout facilement. Je trouve, de vous à moi, l'article de Champigny un peu rude et mis hors d'œuvre. Son Altesse royale a voulu lire cette lettre, dont je n'ai fait aucune difficulté. C'est, Monsieur mon cousin, votre très-affectionné serviteur,

Le duc DE BEAUFORT »

L'Épinay arriva à Saint-Fargeau le même jour que je revins d'Auxerre ; je ne lui avois donné aucune part des protestations, afin que, si on lui en parloit à Blois lorsque je l'y enverrois, il pût jurer et protester n'en avoir aucune connoissance. Je fus fort aise de la bonne réponse de Son Altesse royale, et je ne doutai pas que, si j'y allois moi-même, je n'y fusse bien reçue. Je renvoyai L'Épinay à Vendôme trouver M. le duc de Beaufort pour le prier de le mener encore à Blois, et de dire à Son Altesse royale que n'ayant point de gens qui pussent faire mes affaires, ni en qui je m'en voulusse confier, j'allois moi-même le trouver ; qu'il pourroit faire venir les siens, que nous accommoderions les affaires ainsi qu'il l'ordonneroit.

Monsieur dit à M. le duc de Beaufort qu'il ne vouloit pas que je le vinsse trouver. [M. de Beaufort] lui dit qu'il croyoit que j'étois partie. Il lui ordonna de me mander que je m'en retournasse à Saint-Fargeau, et qu'ayant eu des nouvelles du roi, les choses avoient changé de face ; qu'un de ses ordinaires13 l'étoit venu trouver pour lui apporter un arrêt de son conseil, avec une lettre qui portoit qu'il vouloit prendre connoissance de nos affaires, et que, lui étant si proches, il ne désiroit pas que d'autres que lui terminassent les différends que nous avions en famille.

Je trouvai L'Épinay à une lieue de Châteauneuf, qui m'apporta ces nouvelles. Un moment après que je fus arrivée, l'ordinaire du roi arriva, qui me rendit sa lettre, qui contenoit la même chose que celle de Son Altesse royale, et le même arrêt. Je connoissois l'ordinaire, qui s'appeloit Sève d'Aubeville, qui est un fort honnête garçon. Je lui demandai : « A quoi est bon ce parchemin ? Que voulez-vous que j'en fasse ? » Il me dit : « Tout ce qu'il vous plaira. » J'écrivis au roi. Je le remercia très-humblement de l'honneur qu'il nous faisoit de se vouloir mêler de nos affaires ; que si j'avois osé, il y avoit longtemps que j'avois dessein de le supplier de faire ce qu'il faisoit maintenant ; mais que le respect m'en avoit retenue. Enfin je lui dis du mieux que je pus, et renvoyai à Aubeville.

Je rêvai fort à ce que j'avois à faire là-dessus et pris mes résolutions toute seule ; car je n'avois personne de qui prendre conseil. J'envoyai un courrier à Paris querir M. le comte de Béthune, pensant que réglant nos affaires de la manière que Monsieur voudroit, il ne m'en sauroit point de gré ; et qu'il auroit mon bien et qu'il me persécuteroit encore ; et qu'il valoit mieux faire les choses en façon que cela me réconciliât avec lui et que j'eusse du repos. Je gardai le lit et fis semblant d'être malade, afin que, si Monsieur m'envoyoit dire de m'en retourner, j'eusse un prétexte pour demeurer. J'envoyai à Blois pour lui dire que j'aurois obéi à ses ordres, sans que je m'étois trouvée mal. Celui que j'y envoyois trouva un enseigne de ses gardes à Cléry, avec des gardes, qui avoient ordre, s'il me trouvoit, de m'arrêter et de me conduire jusqu'à Saint-Fargeau. Il alla à Blois ; Son Altesse royale ne le voulut point voir.

Je fus cinq ou six jours à Châteauneuf, devant la semaine sainte. Monsieur arriva à Orléans le mardi au soir ; en y arrivant, on lui dit que mon maréchal des logis y étoit, lequel étoit allé pour des affaires particulières ; ce n'étoit point moi qui l'y avois envoyé. Cela fit croire [à Son Altesse royale] qu'il étoit allé pour faire mes logements. Le voilà dans une telle furie, dans un tel transport, qu'il ne savoit ce qu'il disoit. Il commanda à un lieutenant de ses gardes de me venir trouver, pour me dire que, si je pensois à aller à Orléans, il m'en feroit fermer les portes. Ce lieutenant arriva à Châteauneuf comme je soupois, si hors de lui, le pauvre garçon, de l'état où il avoit vu son maître, qu'il ne m'osoit quasi parler. Je lui dis que Monsieur se pouvoit assurer que je ne songeois en façon du monde à aller à Orléans, puisque cela ne lui étoit pas agréable ; que quelque indisposition, comme je lui avois mandé, m'avoit fait rester à Châteauneuf, et que, depuis, ç'avoit été pour gagner le jubilé, qui ne devoit pas être sitôt à Saint-Fargeau.

Le jeudi saint, au matin, comme je m'habillois, on me dit que l'ordinaire du roi étoit là. Je le fis entrer : il me donna une lettre de Sa Majesté, par laquelle elle m'ordonnoit de dire au sieur d'Aubeville toutes les choses qui seroient nécessaires pour informer M. le chancelier de mon affaire. Je fis réponse à Sa Majesté que je n'avois jamais souhaité d'avoir de l'habileté et de savoir bien mes affaires, comme je faisois présentement, pour les dire à Aubeville ; mais je n'avois personne maintenant à mon service qui fût informé de l'affaire dont il étoit question ; et que les gens de Monsieur m'avoient ôté tous mes papiers, et que je ne savois où ils étoient ; et mille soumissions et respects.

Ensuite le comte de Béthune arriva le soir fort tard, qui me conta comme il avoit été prendre congé de Son Éminence, qui lui avoit témoigné être bien aise que les choses prissent le chemin de s'accommoder, et qu'il lui en avoit dit beaucoup de fort obligeantes pour moi ; et qu'il lui avoit témoigné que l'envoi de l'ordinaire du roi ne devoit point empêcher que nous ne nous accommodassions, Monsieur et moi, sans y avoir égard, puisque l'intention du roi n'étoit que de nous voir bien ensemble. M. le duc de Beaufort arriva le lendemain, jour du grand vendredi,14 qui nous conta comme il avoit vu Son Altesse royale en passant à Orléans ; qu'il ne lui avoit pas témoigné être fâché de quoi il me venoit trouver. Ils demeurèrent tout le samedi à Châteauneuf, et le dimanche firent leur jubilé aussi bien que moi. Après Vêpres, nous nous enfermâmes, M. de Beaufort, M. le comte de Béthune et moi, pour voir ce qu'ils diroient à Monsieur. Ils furent d'avis que je les chargeasse de deux mots écrits que le comte de Béthune dicta.

Voici celui que tout le monde vit ; l'autre étoit en pareils termes ; il y avoit peu de différence. Mais comme cela ne servit de rien, je n'en ai pas eu grand soin ; ainsi, il s'est égaré.

« M. le duc de Beaufort et M. le comte de Béthune sont chargés de moi de demander à Monsieur, pour le bien de mes affaires et ma satisfaction particulière, les choses dont je me suis expliquée à eux et qu'eux-mêmes ont trouvées juste et raisonnables, et que j'ose espérer et attends que Monsieur, par sa bonté paternelle, estimera telles, et d'autant plus que ce que j'en fais est pour son contentement et l'avantage de sa maison.

» Fait à Châteauneuf-sur-Loire, ce jour de Pâques, 10 avril 1656.

» ANNE-MARIE-LOUISE D'ORLÉANS. »

En écrivant cela, je jetai bien des larmes ; car le souvenir de tout ce que l'on a souffert pour une affaire que l'on croit finie, et qui l'auroit pu être sans tant de persécutions, afflige beaucoup. Je disois à M. de Beaufort et au comte de Béthune : « Qui m'auroit dit, en 1652, lorsque j'étois à Orléans : pour récompense de ce que vous empêchez, par mon ordre, le roi d'entrer présentement à Orléans, dans quatre ans j'y serai, et je vous les refuserai15 et vous ferai du pis que je pourrai ; on m'auroit donné un bon avis ; car alors j'eusse pu faire mon accommodement à la cour de manière que je me serois mise hors d'état d'être jamais maltraitée ni de mon père ni de personne, et que j'aurois pu être en un poste où ma protection lui auroit été utile. Tous ces souvenirs coupent la gorge ; on seroit trop heureuse de n'avoir point de mémoire. »

Comme ces messieurs voyoient que ce que je leur disois étoit véritable, et qu'ils en avoient connoissance, ils pleuroient avec moi, ayant pitié de la malheureuse condition où Monsieur m'avoit mise, et du peu de soin et d'intention qu'il avoit de m'en procurer une meilleure ; nonobstant tout cela, mon devoir me faisoit aller au-devant d'un accommodement. Ils partirent le lendemain de Pâques, dès la pointe du jour, et arrivèrent à Orléans, où Monsieur étoit, qui, les sachant arrivés, ne laissa pas de s'en aller à la promenade, pour montrer combien il négligeoit toutes les propositions qui lui venoient de ma part.

Ce commencement [n'étoit pas] fort tendre. Le soir, à son retour, on lui dit qu'ils étoient venus ; il témoigna avoir envie de les voir ; ils vinrent et lui parlèrent sans montrer l'écrit d'abord. Monsieur s'emporta, cria, jeta feu et flamme contre moi, comme il avoit accoutumé. Après le premier emportement il revint ; car il ne souhaitoit rien avec plus de passion que d'être hors d'affaire avec moi ; mais il vouloit que ce fût à sa mode. On lui montra l'écrit que j'avois donné, qui servoit comme de pouvoir à ces messieurs.

Enfin, après avoir bien crié, bien disputé, il dit que je voulois voir ses enfants à l'hôpital ; que je les méprisois ; que je croyois être plus grande dame que mes sœurs, et que j'avois dit : « Ma mère étoit de la maison de Bourbon, et a apporté quatre cent mille livres de rente à la maison, et ma belle-mère est de Lorraine et n'a rien eu ; » Monsieur sur ces choses-là ne pouvoit finir ; après avoir tout dit, il cria un peu sur Champigny. Ces messieurs lui dirent que c'étoit une affaire de laquelle il ne falloit point parler ; qu'elle étoit différente de l'autre, et qu'il falloit en finir une ; et après, lorsque nous serions bien ensemble, Son Altesse royale et moi, nous solliciterions tous deux contre M. de Richelieu. M. l'évêque d'Orléans étoit présent à toutes ces conférences où Madame fit merveille, à ce qu'ils me dirent.

Son Altesse royale appela M. de Choisy, son chancelier, et lui ordonna de s'assembler avec les gens que M. le comte de Béthune lui mèneroit pour conclure nos affaires ; il sortit, et publia le tout haut avec grande joie. Ces messieurs firent instance pour l'obliger à me voir ; il ne voulut jamais, disant : « Je m'en vais à Bourbon, le temps me presse, je n'ai pas seulement le loisir de m'en aller à la cour ; c'est pourquoi je ne puis retarder. Au retour, nos affaires seront finies ; je repasserai même à Saint-Fargeau, si ma fille veut. » Ce retardement à me voir ne parut pas tendre, à ce que j'en pus juger, à personne et à moi moins qu'aux autres ; mais il ne me surprit pas beaucoup, n'ayant jamais été gâtée de trop de tendresse. Quantité de gens me vinrent voir ; cela me paroissoit des effets de réconciliation.

Ces messieurs revinrent et me contèrent tout ce qu'ils avoient fait et dont j'ai dit la substance. Son Altesse royale coucha à Sully, à trois lieues de moi, la rivière entre deux ; il n'en passa qu'à un quart de lieue. [Ces messieurs] envoyèrent le soir La Hillière, homme de qualité et ami de M. de Beaufort et de M. le comte de Béthune, pour prier Son Altesse royale de trouver bon que j'allasse le lendemain matin la voir à Sully ; ce qu'elle n'eut pas agréable. Son Altesse royale m'avoit écrit une lettre fort douce par ces messieurs, et elle est demeurée entre les mains de M. le comte de Béthune, qui fait grand cas des manuscrits. Depuis [La Hillière] s'est attaché à mon service ; c'est ces messieurs qui m'en avoient donné la connoissance, et à leur prière, je lui ai donné une pension. J'envoyai Colombier à Cône faire des compliments à Son Altesse royale. Je lui écrivis ; elle me fit réponse qu'elle avoit grande impatience d'être de retour pour me voir.

Avant que de passer plus avant, il est bon de remettre ici des choses assez considérables pour moi, que j'ai oubliées en leur temps. Assurément les disgrâces continuelles et chagrins qu'elles causent sont capables de diminuer la mémoire, quelque bonne qu'elle soit, quoique d'ordinaire, on n'en ait que trop pour se souvenir des choses mal agréables. Au fort de mes affaires avec Son Altesse royale, pourtant avant notre rupture, on envoya des troupes en quartier d'hiver dans ma souveraineté de Dombes ; ce qui ne s'est jamais fait. J'en écrivis à la cour ; je suppliai Son Altesse royale de joindre ses prières aux miennes ; mais elles n'eurent aucun effet.

C'étoit le régiment du sieur Canillac-le-Borgne et celui de son fils, le comte du Pont-Château.16 Comme ce sont des gens de qualité, et dont je connoissois quelques-uns, je croyois que leur procédé seroit égal à leur condition et qu'ils connoîtroient le respect qu'ils me devoient. Au lieu de cela, il n'y a ni pillerie [ni] volerie qu'ils ne fissent ; et quand on leur disoit ce que j'étois, il répondoit (le fils, car le père n'y étoit pas) : « Je vais tous les ans à la guerre ; je serai tué avant que Mademoiselle revienne à la cour. » Après avoir reçu l'ordre du roi pour déloger et être à une lieue hors de mon pays, ils revinrent assiéger une ville. Lors mes sujets prirent les armes et leur coururent sus comme sur des gens sans aveu ; ils en prirent de prisonniers, à qui le parlement de Dombes fit le procès et les condamna. Mais ils furent assez mal habiles pour ne les pas exécuter sur-le-champ ; ils m'envoyèrent demander comme ils en useroit. L'officier étoit un garçon de Moulins. Madame de Longueville y étoit pour lors, qui m'écrivit pour me demander sa grâce, à qui je l'accordai, et je pense qu'elle me fit plaisir ; car en l'état des choses, si on les eût pendus, après me l'avoir mandé, cela eût cabré la cour, et au moins la dignité de ma souveraineté de ses arrêts de mon parlement étoit sauvée. En donnant la grâce, on élargit à même temps les cavaliers qui étoient prisonniers.

Il se rencontra dans tous ces désordres-là un garde de M. l'archevêque de Lyon, qui est aussi lieutenant de roi dans la province, que l'on arrêta. M. l'archevêque de Lyon, sans l'avoir envoyé demander,17 ni fait des plaintes de quoi on l'avoit arrêté, envoya à l'instant querir deux conseillers du parlement de Dombes, qui l'allèrent trouver, croyant qu'il avoit affaire à eux. Il les envoya à l'instant au château de Pierre-Encise, en prison, et puis fit savoir à la compagnie que c'étoit pour représailles de son garde ; ils n'y furent que vingt-quatre heures, mais le temps ne faisoit rien. J'avoue que, lorsque je l'appris, j'en fus fort en colère, et j'écrivis une lettre à l'archevêque, par laquelle il put connoître mon ressentiment.

L'année suivante on y mit encore des troupes, mais ce fut de plus honnêtes gens : c'étoit le régiment du chevalier d'Anlesy, une compagnie du prince Maurice de Savoie, et le régiment de Givry. Ils envoyèrent à Saint-Fargeau savoir si j'aurois agréable qu'ils suivissent les ordres du roi ; qu'ils aimeroient mieux laisser périr leurs régiments que de les loger chez moi. Je les remerciai de leur civilité et je consentis qu'ils y allassent ; car je ne pouvois pas faire autrement. Ils furent trois jours campés en attendant de mes nouvelles.

Pendant tout l'hiver, ils ne voulurent rien toucher de ce qu'on a accoutumé de donner aux troupes par l'ordre du roi. Givry, qui commandoit toutes ces troupes, écrivoit toutes les semaines à Préfontaine pour avoir mes ordres, ne voulant pas prendre un sou sans cela. J'eus autant de sujet de me louer de ces messieurs-là que j'avois eu sujet de me plaindre des autres. J'écrivis à Son Altesse royale, aussitôt qu'ils furent arrivés, que je m'en allois en Dombes, pour empêcher que l'on n'y fît les mêmes désordres que l'on avoit faits l'année précédente, pour voir ce qu'elle diroit ; car je n'en avois nul dessein. Il me manda que je me gardasse bien de faire ce voyage ; que l'on en feroit un mystère à la cour. Il en fut tout à fait en peine ; ce qui me réjouit un peu.

Au retour de la campagne de 1655, le roi alla à Fontainebleau, où on se divertissoit fort. Il continuoit à se plaire dans la conversation de mademoiselle de Mancini, les comédiens et les violons y étoient, à ce que j'ai appris, et beaucoup de monde. Mais ces plaisirs furent interrompus par quelque indisposition de Sa Majesté, qui obligea de lui donner les eaux de Forges, dont l'usage ne lui fut pas bon et lui donna la fièvre ; ce qui donna beaucoup d'inquiétude à la reine, qui ne peut trouver ses maux petits, tant il lui est cher. Monsieur, son frère, fut un peu malade aussi. J'envoyai apprendre l'état de leur santé.

M. de Candale revint dans ce temps-là de Catalogne, qui trouva Bartet à la cour. Cela lui déplut de le trouver en son chemin ; il en fit des plaintes à M. le cardinal. Ce qui fut cause qu'il l'évitoit et n'alloit plus chez lui, chez le roi, ni chez la reine, que lorsqu'il n'y étoit pas. Il ne se contenta pas de cela ; il désira qu'il fût exilé, et on envoya Bartet à Corbeil, où il fut six mois. Il y en avoit qui trouvoient que c'étoit avoir une grande déférence pour M. de Candale que d'éloigner un officier du roi18 des fonctions de sa charge pour lui avoir déplu, et même d'avoir souffert les outrages qui lui avoient été faits. D'autres trouvoient que l'on devoit bien cela à une personne de la qualité de M. de Candale qui se croyoit offensé. Enfin, chacun prenoit cela selon sa passion et l'amitié ou la haine que l'on avoit pour l'un ou pour l'autre. Toutes les choses du monde se réglant quasi toujours par là plutôt que par la justice ; tant il y en a peu.

Le duc de Mantoue19 vint à la cour cet hiver-là ; il m'envoya faire un compliment. Celui de Modène20 y étoit venu l'autre hiver, qui ne m'en avoit pas fait. La nièce de M. le cardinal, mademoiselle de Martinozzi, sœur de la princesse de Conti, fut mariée à Compiègne cette année-là. Le prince Eugène, fils de la princesse [de Carignan, femme du prince] Thomas de Savoie, l'épousa pour le prince de Modène. M. le comte de Noailles et sa femme l'allèrent mener à Modène, ils ne virent ni la cour de ce pays-là ni Modène ; car le prince Alméric, second fils de M. de Modène, le vint quérir à l'entrée de ses États, qui ne sont pas de fort grande étendue, et M. et madame de Noailles crurent qu'il n'avoit pas envie que l'on vît le peu de magnificence qu'il feroit en une telle occasion. Madame Martinozzi étoit avec sa fille, qui n'est point revenue en France depuis. Madame de Noailles ramena avec elle la petite-nièce du cardinal Mazarin, nommée Marianne,21 et son petit-neveu, nommé Alphonse. Madame de Mancini, son fils, Marie et Hortense, ses filles, étoient venues avec madame Martinozzi et sa fille qui est à Modène. Le prince Thomas de Savoie mourut et son second fils aussi, dont madame la princesse de Carignan fut fort affligée. Je lui écrivis en Piémont, où elle étoit allée en grande diligence, sur la maladie de son mari.

Lorsque le comte de Béthune partit de Châteauneuf, je lui voulus donner une procuration ; il me dit que rien ne pressoit, et que je [la] lui enverrois de Saint-Fargeau ; ce que je fis. Elle contenoit les intérêts mus et à mouvoir pour le compte de tutelle, réservée l'affaire de Champigny, dont l'action m'étoit restée libre par la transaction. M. le comte de Béthune s'assembla plusieurs fois avec les gens de mon père et des avocats, tant des miens ordinaires que quelques autres. On attendoit à tout moment la procuration de Son Altesse royale. M. de Choisy lui dépêcha pour l'avoir, elle ne vint point, et, au lieu de l'envoyer, il écrivit une lettre à M. de Choisy, qui n'étoit point écrite de sa main ; il l'avoit seulement signée, et sûrement il ne l'avoit pas vue, et elle étoit, comme l'on pourra juger par la suite, plutôt faite pour établir le droit du duc de Richelieu contre son maître, que pour autre chose, quoiqu'il fût bien aise, après cela, de me dauber et mes gens.

Pendant que l'on travailloit à cet accommodement, qui eut si peu d'effet, Son Altesse royale retourna de Bourbon et ne passa pas par le même chemin : ainsi je ne fis point de tentative pour avoir l'honneur de la voir. Le comte de Béthune me manda que tout étoit rompu. J'en eus beaucoup de déplaisir. La comtesse de Fiesque et madame de Frontenac n'en firent point paroître ; car, par tous leurs discours, elles laissoient juger qu'elles étoient fort aises de la désunion de Son Altesse royale et de moi. Le comte de Béthune m'envoya la copie de la lettre que voici :

Lettre de Son Altesse royale à Monsieur de Choisy, son chancelier.22

« Monsieur de Choisy,

» Après avoir vu, dans le projet de la transaction qui m'a été présenté par le sieur de Mascarani, secrétaire de mes commandements, qu'on y a inséré une clause touchant le procès de Champigny, bien qu'il m'eût été fait instance à ce qu'il n'en fût plus parlé et que j'y eusse consenti, parce que, cela est inutile et superflu ; à cause que selon les propositions qui en avoient été faites de la part de mon cousin le duc de Richelieu, cette affaire se pouvoit accommoder à son égard, s'il laisse à ma fille le patronage de la Sainte-Chapelle de Champigny, qui est la sépulture de ses ancêtres du côté maternel, et la collation au bénéfice de ladite Sainte-Chapelle sa vie durant, il étoit vraisemblable que ma fille agréeroit cette proposition, pour se libérer de la perte qu'elle avoit faite par la rupture de cet échange, s'il n'y a quelque autre raison qui l'ait engagée à la désirer, que celle d'avoir en sa possession ladite sépulture de ses ancêtres.

» A l'égard de ce qui me touche pour la retour de garantir qui a été donné par arrêt du parlement à mondit cousin contre moi, je m'en tenois assez à couvert et assuré par l'action que j'ai intentée au conseil du roi, mon seigneur et neveu, en cassation dudit arrêt, qui ne peut pas se soutenir en ce fait-là particulier, vu que mondit cousin le duc de Richelieu profite de onze mille livres de rentes en fonds de terres par la rupture dudit échange, et qu'il acquiert la mouvance de Champigny à cause de l'île Bouchard dont cette terre relève, et que la justice et l'équité veulent qu'il soit bien plutôt chargé de faire rétablir le bâtiment Champigny, dont la démolition avoit été stipulée par mon cousin le cardinal de Richelieu, comme une condition préalable audit échange, et sans laquelle il étoit porté expressément par le contrat qu'il n'eût pas été fait, que de me charger de cette dépense. Je n'ai agi en cela que comme un tuteur qui a fait la condition de sa mineure très-avantageuse.

» Outre cela, quand même je n'aurois pas été assuré d'être déchargé de recours de la garantie, je me souviens bien de la parole qui m'a été donnée par l'évêque d'Orléans, de la part de ma fille, lorsqu'elle me fit dire qu'elle désiroit faire rompre ledit échange, qu'il ne m'en coûteroit rien ; de sorte qu'une innovation si opiniâtre au contraire de ce que l'on étoit convenu, m'a vérifié les avis qui m'avoient été donnés, que les gens, que j'ai exclus du service de ma fille, avoient fait près d'elle que cette clause fût insérée dans la transaction pour fomenter la division qu'ils ont causée, et laisser un sujet de brouilleries. Ils ont engagé ma fille à se dédire de la parole qu'elle m'a fait donner ; et pour parvenir à ce mauvais effet et en persuader ma fille, ils avoient empêché plus de trois semaines entières que le comte de Béthune n'eût sa procuration, qu'il croyoit avoir avant que de partir de Châteauneuf, où étoit lors ma fille.

» La sincérité avec laquelle il agissoit fut reconnue par l'artifice23 de ces gens-là, qui trompent, en cette occasion, pour la seconde fois dans la même affaire ; et comme lesdites gens n'en sont pas demeurés là, et qu'ils se sont confiés à quelques personnages qui ne leur ont pas gardé le secret, j'ai su les conseils qu'ils ont donnés à ma fille, tant à l'égard des précautions qu'elle avoit prises contre tous les actes qu'elle passeroit ci-après, que de la manière qu'elle en devoit user pour satisfaire en quelque façon à la déclaration qu'elle avoit faite, et demeurer néanmoins toujours dans ses premiers sentiments ; et que l'un d'eux s'est vanté aux mêmes personnes d'avoir donné avis des réponses que ma fille avoit à faire, en cas qu'on lui proposât pour exemple l'indemnité qu'elle donna à madame de Guise, ma belle-mère, sur le même sujet, pour l'avertir d'en user ainsi à mon égard, et de satisfaire à la parole qu'elle m'avoit donnée par le sieur évêque d'Orléans. Joint aussi plusieurs particularités importantes dont j'ai eu des avis certains, et sur lesquelles je ne veux pas m'expliquer à présent, et qui me font connoître très-clairement les desseins qu'ont lesdites gens d'entretenir la division entre ma fille et moi, pour se rendre nécessaires à notre réconciliation, et par ce moyen trouver leur rétablissement près d'elle, auquel je déclarai à Orléans ne vouloir jamais consentir. De sorte que je connois la mauvaise foi dont on continue d'user à mon endroit, par la suggestion et les artifices de ses gens.

» J'ai jugé qu'il étoit inutile de faire une transaction sur un chef, et d'en laisser un autre qui donneroit sujet à quelque nouveau démêlé entre nous, et que celui que causeroit l'affaire de Champigny seroit d'autant plus capable de nous altérer, qu'il n'y a aucune apparence de croire que ma fille se seroit portée d'elle-même à me faire une telle vexation que celle qui lui a été conseillée par ses gens, et de perdre onze mille livres de rente en fonds de terre de son aveu même, et de devenir vassale de mon cousin le duc de Richelieu pour me faire compter de l'argent, au lieu de me savoir gré de cet échange si avantageux que j'avois fait pour elle ; et aussi pour ôter auxdites gens tous les moyens dont ils prétendent se servir pour effectuer leurs mauvaises intentions et entretenir notre division jusqu'à ce que leurs intérêts s'y rencontrent, je me suis confirmé dans la résolution que j'ai toujours eue de faire terminer tous les différends en même temps, sans qu'il m'en puisse rester aucun avec ma fille, ni qu'il soit au pouvoir de ces gens-là de trouver aucun moyen d'en faire maître à l'avenir sur quelque sujet que ce puisse être.

» Et puisque, par leur instigation, ma fille veut poursuivre le cours de cette affaire de Champigny, sans même s'expliquer sur la parole qu'elle a donnée à M. l'évêque d'Orléans, ni sur ledit recours de garantie, en la décharge duquel consiste le seul intérêt que j'y prends, j'ai jugé qu'il vaut mieux différer la transaction jusqu'à ce que l'action que j'ai au conseil de Sa Majesté, en cassation dudit arrêt du parlement, ait été jugée. Si l'échange est maintenu et que je sois déchargé du recours de garantie, l'affaire sera entièrement vidée à mon égard ; et si j'en suis chargé, ce sera lors à ma fille à s'expliquer sur la parole qu'elle a donnée au sieur évêque d'Orléans ; et lors je pourrai juger de la sincérité des intentions de ma fille dans cette réconciliation, et des véritables motifs que l'on portée à la désirer. Cependant, comme je suis bien résolu de ne perdre aucun temps en cette affaire, je vous fais cette lettre pour vous dire de faire toutes les diligences possibles pour la faire juger au conseil. Vous m'avez déjà donné en tant de rencontres des preuves de votre zèle et de votre soin pour mes intérêts, que je me repose entièrement sur celui que vous prendrez pour la faire à la satisfaction, M. de Choisy, de votre bon ami

» GASTON

» De Blois, ce 25 juin 1656. »

Je me trouvai fort offensée de quantité de choses qui étoient dans cette lettre ; et comme c'étoit une manière de manifeste que l'on vouloit faire courre contre moi, je jugeai à propos d'en écrire une au comte de Béthune, qui y répondit de point en point. Je lui mandai que je le priois de la montrer ; mais je pense qu'il ne le fit point, de peur de fâcher Son Altesse royale, qui, au lieu de chercher à s'éclaircir de tout ce qu'on lui disoit, fuyoit toutes les choses qui pouvoient être à mon avantage et qui auroient pu donner de la satisfaction de moi. J'ai cru la devoir mettre ici.

Lettre à Monsieur le comte de Béthune,
écrite à Saint-Fargeau, le 4 de juillet 1656, par Mademoiselle.24

« J'ai lu avec attention et sans aucun plaisir la lettre que Goulas a écrite à M. de Choisy, sous le nom de Monsieur. Ce n'est pas pour en dire mon sentiment plus librement que je me le persuade, c'est parce que je crois que c'est la vérité. Monsieur, avec autant d'esprit qu'il a, et avec la manière dont il écrit aussi bien qu'il fait, cette lettre ne peut être de lui, et je jurerois qu'il y a dedans mille circonstances qu'il n'a jamais sues que dans le moment qu'on la lui a lue ; et encore je doute qu'il l'ait écoutée tout entière. Il faut bien du temps pour faire un aussi long écrit, et Son Altesse royale n'aura pas contraint son naturel inquiet pour ce sujet si peu digne de son application.

» Elle commence par la proposition que M. le duc de Richelieu m'a fait faire de me laisser, ma vie durant, le patronage de la Sainte-Chapelle de Champigny ; c'est de quoi je n'ai jamais entendu parler. Cela ne paroit pas suffire pour réparer le tort que je prétends avoir été fait à la mémoire de mes prédécesseurs, lorsqu'on a ruiné leur maison. Je dis mes prédécesseurs du côté de ma mère, comme le marque la lettre ; que je ne dois pas désavouer par la naissance, non plus que par les avantages que j'en ai, puisqu'ils sont Bourbons aussi bien que les autres. Je prétends le rétablissement de tout comme il étoit, et c'est ce qui peut ici me satisfaire, et non pas me contenter d'une partie. Pour le préjudice que je puis recevoir du revenu, je suis assez grande, et ces messieurs qui gisent à Champigny m'ont assez laissé de bien, pour en pouvoir sacrifier à mon devoir, et pour faire mon plaisir de ce qui a fait le leur tant qu'ils ont vécu, puisque Champigny étoit leur principale demeure.

» Quant à ce qui relève de M. le duc de Richelieu par quelques acquisitions qu'avoit faites M. le cardinal de ce nom, c'est une affaire qui m'importe si peu que je m'en étois pas informée. Il me semble que, de la qualité dont je suis, personne ne s'avisera de me venir disputer quelque droit dans mon village, et que je passerai devant bien des gens comme je fais à la cour. Je ne dis rien de l'espérance que Son Altesse royale a sur un arrêt du conseil ; je souhaite avec passion qu'elle gagne son procès contre M. de Richelieu. Il est à craindre que la fin de l'affaire n'aille comme le commencement, et que Son Altesse royale ne soit aussi mal servie, puisque ce sont les mêmes gens qui s'en sont mêlés et qui agissent par le même principe de leurs intérêts. Quand Son Altesse royale auroit désiré de chercher mon avantage dans l'échange de Champigny contre Bois-le-Vicomte (ce qu'elle ne pensa point alors), très-assurément il seroit difficile de le faire croire : M. le cardinal de Richelieu et lui étoient trop mal ensemble. Cette manière de parler ne convient pas à leurs qualités, elle convenoit seulement à la manière dont on traitoit Monsieur. Ainsi je pense qu'il est permis de le dire : ils étoient donc ensemble d'une façon à ne se pas persuader que M. le cardinal de Richelieu cherchât l'avantage de Monsieur ni de personne qui eût l'honneur de lui appartenir.

» La conjoncture du temps de la prison et de la mort de Puylaurens, dans laquelle cet échange fut fait, et l'éloignement de Monsieur de la cour, montrent assez que la seule raison qui le lui fit faire fut la force à laquelle il n'étoit pas en état de résister ; et même si M. le cardinal de Richelieu eût vécu, il vouloit avoir le duché de Châtellerault, à ce que me dit Monsieur peu après sa mort, et lorsqu'il me le dit, il ajouta : « Il l'eût bien fallu faire, comme de Champigny ; nous n'étions pas les plus forts. »

» Après cela, on pourroit se passer de me vouloir faire croire que l'on ne s'étoit avisé de faire cet échange que pour mon avantage. On devoit y ajouter que M. le cardinal ne le vouloit pas, et que Monsieur, par ses instantes prières et par le crédit qu'il avoit auprès de lui, avoit obtenu de lui cette grâce, et que M. le cardinal avoit été bien aise de se conserver les bonnes grâces de Monsieur par ce bienfait ; cela se croiroit comme le reste. Goulas auroit pu mettre l'obligation que je lui ai, pendant qu'il a gouverné mon bien, de l'avoir bien conservé et augmenté des acquisitions que l'on a faites, de l'argent de quantité de bois que l'on a coupé, et de tous les autres bons ménages que l'on a faits dans mon bien pendant ma minorité, dont je tire des profits, admirables présentement : j'en ai aussi la reconnoissance que je dois. S'il se fût avisé de me procurer beaucoup d'avantages, comme celui de Champigny, il l'eût fait ; mais M. le cardinal mourut trop tôt. S'il ne l'a pu faire en des effets semblables, parce qu'il n'avoit plus de maison à faire démolir, on voit qu'il fait ce qu'il peut auprès de Monsieur pour me servir et maintenir ce qu'il a si bien fait par le passé.

» Je suis assez surprise de la parole que l'on dit que j'ai donnée à M. l'évêque d'Orléans. Je lui en ai beaucoup dit ; je l'ai vu souvent, et même pour le service de Monsieur, pendant que j'étois à Orléans en 1652 ; je n'ai cependant aucune connoissance ni souvenir de lui en avoir donné aucune. Je n'avois garde de rien offrir à Monsieur pour faire sa sûreté dans cette affaire ; les tuteurs qui n'ont pas le pouvoir d'agir ne font rien contre eux, non plus que contre les autres ; et comme Son Altesse royale ne savoit pas, non plus que moi, que Goulas l'eût engagé en son propre et privé nom, puisque ç'avoit été à son insu et contre son ordre, elle ne se seroit pas avisée de se précautionner contre une affaire qu'elle ne savoit pas.

» Pour ce que l'on dit que Son Altesse royale vous assura, lorsque l'on étoit à Orléans, que je consentois à quelques circonstances touchant Champigny, vous le savez mieux que moi, et pouvez sur cela répondre à ceux qui vous en demanderoit des nouvelles, comme aussi des deux affaires dans lesquelles les gens que Monsieur a ôtés de mon service vous ont surpris. Pour moi, je puis répondre qu'ils ne m'ont jamais donné des conseils qui pussent déplaire à Monsieur, et que s'ils avoient été si mal avisés pour cela, ils m'auroient déplu et je ne les aurois pas gardés à mon service un moment. Il vous souviendra que je vous ai envoyé ma procuration peu de jours après avoir été retour ici de Châteauneuf ; il me semble qu'il est assez inutile de m'en reprocher le retardement, puisque ce n'est pas faute d'avoir donné tout pouvoir que l'affaire a manqué. Je suis bien malheureuse que Monsieur explique mal l'intention avec laquelle je me voulois accommoder ; elle étoit très-bonne, et je vous en ai parlé avec toute la sincérité possible. Je connoissois la vôtre. Ainsi vous me pouvez servir de témoin, et je ne pense pas que la probité si connue de Goulas soit capable de décrier la vôtre, ni d'empêcher d'ajouter foi à ce que vous direz de moi.

» Pour les précautions que l'on dit que j'ai prises, les gens de Monsieur ont une conduite qui m'ôte la peine de me servir d'aucune : ce sont eux qui en prennent pour moi. J'ai bien ouï parler d'une indemnité que l'on a trouvée dans les papiers de madame de Guise, ma grand'mère, que feu M. le cardinal de Richelieu lui avoit donnée, et je pense que c'est assez pour faire croire qu'elle ne m'en a pas demandé. Si les gens de Monsieur avoient été aussi habiles qu'elle, ils en auroient autant tiré. Toutefois comme M. le cardinal ne faisoit cela que pour mon avantage, l'on n'avoit garde de songer que je ne fusse pas d'humeur à le trouver bon ; et quatre milles livres de rente sont une somme si considérables, que l'on n'a pas pu croire que les mânes des gens qui m'en ont laissé trois cent mille m'eussent été plus chères que la conservation de cette rente.

» J'oubliois de vous dire que lorsque j'eus envie de retirer Champigny, je ne priai point M. l'évêque d'Orléans d'en parler à Monsieur ; je lui en parlai moi-même. Il l'eut très-agréable, et même il me dit qu'il avoit toujours bien cru que je le retirerois ; que l'on ne pouvoit préjudicier aux droits de mineurs ; et il me témoigna approuver le respect que je rendois à MM. de Montpensier. Il ne se souvint pas alors d'alléguer l'avantage de cet échange, ni de me conseiller de le tenir. Je crois que c'est qu'il ne savoit pas l'un et l'autre, et qu'ils avoient été faits contre son gré. Il étoit bien aise de voir qu'avec justice et raison il fût obligé d'agir d'une manière qui le vengeoit d'un homme, qui lui en avoit fait bien d'autres pendant sa vie.

» Depuis, de temps en temps, il me demandoit des nouvelles de mon procès ; et ce qui prouve assez que mon droit est bon, c'est que, dans la transaction que fit madame de Guise l'année passée, qui, au su de tout le monde, ne m'étoit point avantageuse, bien au contraire, l'action de Champigny m'étoit laissée libre ; et vous étiez dans le cabinet de Monsieur, et MM. de Beaufort et de Belloi, lorsque je lui demandai, quelques jours après que l'on eût signé la transaction, s'il n'auroit pas agréable que je poursuivisse le jugement de cette affaire. Il me le permit, sans me parler de ce que la lettre me fait avoir dit à M. l'évêque d'Orléans. Il me semble qu'il eût été bien à propos de m'en parler dans ce moment. Quand Son Altesse royale auroit eu cette parole de ma bouche, et M. de Beaufort et vous pour témoins, cela auroit valu plus que tous les actes du monde. Comme on n'a dit cela à Son Altesse royale que depuis, il eût été difficile qu'elle m'en eût parlé alors.

» Enfin la lettre de Goulas n'est fondée que sur des circonstances dont personne n'a de connoissance que lui, d'intentions venues après les affaires faites, d'avantages qui ne se trouvent point pour les gens à qu'il en veut procurer. Pour l'épreuve de ma bonne volonté, j'ose dire en avoir donné des marques essentielles à Monsieur qui me coûtent assez cher, puisqu'elles me privent de repos, de biens et de plaisirs. Croyez-moi, ce n'en est pas un de passer quatre ans à Saint-Fargeau.

» Si tout cela n'est compté pour rien, je dois craindre avec raison que tout ce que je pourrois faire sur Champigny ne seroit pas compté ! C'est pourquoi je n'ai rien à dire, sinon qu'à une demoiselle qui est Bourbon de tous les côtés (c'est assez dire), et qui avec cela a du naturel, la douceur et la tendresse la gagnent plus que les rigueurs : il faut que les unes soient de durée aussi bien que les autres, pour pouvoir par le bien réparer le mal que l'on a souffert. Les vexations que j'ai faites à Son Altesse royale ne sont pas grandes ; c'est pourquoi je n'ai que faire de m'en justifier ; et celles que l'on m'a faites sont si publiques qu'il seroit inutile que j'en fisse des plaintes, puisque tout le monde en a fait pour moi.

» Cette lettre est bien longue. Je ne sais quand je vous verrai ; j'ai été bien aise de vous faire souvenir de toutes les circonstances, dont parle la lettre de Goulas comme il lui plaît, et que j'explique comme elles sont, afin que vous ayez lieu d'exercer envers moi la générosité avec laquelle vous en usez envers vos amis, pour les défendre quand on les accuse injustement. »

 

end of chapter

 

NOTES

1. La réconciliation de Gaston d'Orléans avec la cour se négociait depuis le commencement de 1656 ; mais elle ne fut complète qu'au mois d'août de cette année. Ce fut à la Fère, où le roi se trouvait alors, que s'acheva cette réconciliation. Le duc d'Orléans y arriva le 5 août 1656.

2. On a publié un portrait de Guilloire à la suite de la Relation de l'Isle invisible et de l'Histoire de la princesse de Paphlagonie (T. VIII des Mémoires de Mademoiselle, édit. de 1735). Dans ce morceau, c'est Guilloire qui parle et qui trace son portrait physique et moral : « Je suis aussi petit pour homme que mademoiselle de Vandy pour femme, etc. »

3. Les comtesses de Fiesque et de Frontenac.

4. Madame de Guise (Henriette-Catherine de Joyeuse) mourut le 25 février 1656, à l'âge de soixante et onze ans.

5. Louis-Joseph de Lorraine, duc de Joyeuse, né le 7 août 1650. Il épousa dans la suite Élisabeth d'Orléans, sœur puinée de Mademoiselle.

6. Voy. plus haut, Chap. XX, note 5, ce qui est dit de ce conseiller. Les anciennes éditions ont ici, comme plus haut, altéré le nom de ce conseiller, mais d'une manière un peu différente ; on a changé Le Boultz en Le Bon.

7. On appelait alors Académie les écoles d'équitation que fréquentaient les jeunes gentilshommes. Il y avait quelquefois des cours de sciences annexés à ces académies.

8. Voy. le portrait du chevalier de Charny, p. 327 du tome VIII des Mémoires de Mademoiselle (édit. de 1735).

9. Henriette-Marie, veuve de Guillaume de Nassau, prince d'Orange, arriva à la cour le 3 février 1656.

10. Le traité avec Olivier Cromwell avait été signé dès le 2 novembre 1655.

11. Cette lettre et la suivante sont indiquées dans le manuscrit autographe ; mais elles n'y sont point transcrites. Mademoiselle y avait sans doute placés les originaux, qui auront été enlevées.

12. Cette troisième lettre ne se trouve pas non plus dans le manuscrit autographe.

13. Un des gentilshommes ordinaires du roi.

14. Vendredi saint.

15. Mademoiselle a sous-entendu les portes dans cette phrase, dont la construction est irrégulière. Tout ce passage a été changé dans les anciennes éditions.

16. Guillaume de Canillac, marquis de Pont-du-Château, devint sénéchal de Clermont après la mort de son père et se signala par des violences qui le firent traduire devant les commissaires des Grands-Jours, que Louis XIV envoya à Clermont en 1665. Voy. les Mémoires de Fléchier sur les Grands-Jours d'Auvergne (édit. Hachette, p. 220 et 224).

17. Cette phrase a été altérée, au point de devenir inintelligible, dans les anciennes éditions, où on lit : Sans avoir envie de demander son grade.

18. On a vu plus haut que Bartet était secrétaire du cabinet du roi. [Thus the editor. We saw, of course, no such thing in that note, although the annotated text does give the information.]

19. Charles II, duc de Mantoue de 1637 à 1665.

20. Alphonse IV, qui épousa Laure Martinozzi le 27 mai 1655, ne succéda à son père comme duc de Modène qu'en 1658.

21. Marie-Anne Mancini, qui devint plus tard duchesse de Bouillon, se distingua de bonne heure par son goût pour la poésie. Elle fut une des protectrices de La Fontaine.

22. Cette lettre ne se trouve pas dans le manuscrit autographe de Mademoiselle.

23. Le sens demanderait malgré l'artifice au lieu de par l'artifice. N'ayant pas sous les yeux le texte de cette lettre, je n'ai pu faire la correction ; mais seulement en indiquer la nécessité.

24. Cette lettre ne se trouve pas dans le manuscrit autographe, quoiqu'elle y soit formellement mentionnée, et que la place en soit marquée.

 


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris : Charpentier, 1858. T. II, Chap. XXII : p. 377-414.


 

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