Boo the Cat. Hoorah!

Chapitre IISir Thomas Browne PageMademoiselle PageChapitre IV

CHAPITRE III.

(1643-1645)

[1643.] Peu après que l'on eût mis madame la comtesse de Fiesque auprès de moi, le roi tomba malade de la maladie qu'il avoit eue devant le voyage de Perpignan ; cela m'obligeoit à lui rendre mes devoirs, et j'allois souvent à Saint-Germain. Le roi prenoit plaisir à mes visites, et me faisoit toujours fort bonne mine ; aussi n'en revenois-je jamais que vivement touchée de son mal, dont chacun auguroit que la suite seroit funeste. En effet, au commencement du mois d'avril suivant, peu après la disgrâce du sieur de Noyers dont j'ai parlé, il commença à empirer, et ne fit que languir et souffrir jusqu'au quatorzième jour de mai, qui fut celui de son décès. Si le pitoyable état où la maladie avoit réduit son corps donnoit de la compassion, les pieux et généreux sentiments de son âme donnoient de l'édification ; il s'entretenoit de la mort avec une résolution toute chrétienne ; il s'y étoit si bien préparé, qu'à la vue de Saint-Denis par les fenêtres de la chambre du château neuf de Saint-Germain,1 où il s'étoit mis pour être en plus bel air qu'au vieux, il montroit le chemin de Saint-Denis, par lequel on mèneroit son corps ; il faisoit remarquer un endroit où il y avoit un mauvais pas, qu'il recommendoit qu'on évitât, de peur que le chariot ne s'embourbât. J'ai même ouï dire que durant sa maladie il avoit mis en musique le De profundis qui fut chanté dans sa chambre incontinent après sa mort,2 comme c'est la coutume de faire aussitôt que les rois sont décédés. Il ordonna, avec la même tranquillité d'esprit, ce qui seroit à faire pour le bien de l'administration de son royaume quand il seroit mort.

Je ne dis rien de ses déclarations de dernière volonté en faveur de la reine et des princes3 ; ce n'est pas une matière qui doive faire partie de mes Mémoires ; cela se verra mieux et plus particulièrement dans les histoires du temps. Je mets encore dans ce rang-là ce qui se passa lorsque la reine alla au parlement pour s'y faire déclarer régente.4

Je reviens donc à ce qui me regarde. Depuis que la reine fut à Paris, où elle fixa son séjour, j'allois tous les jours au Louvre, et plutôt deux fois qu'une. Mon occupation ordinaire y étoit de me jouer avec le roi ou M. le duc d'Anjou, qui étoit l'enfant du monde le plus joli, et pour qui j'ai toujours eu grande amitié. De toutes les filles de la reine, celle avec qui je m'arrêtois le plus volontiers, c'étoit Neuillant,5 qui étoit fort aimable et fort spirituelle.

Au commencement de la régence, il se fit un parti contre la faveur du cardinal Mazarin, qu'on nomma le parti des importants ; il faisoient grand bruit, et ce fut sans effet. La prison de M. de Beaufort, qui fut arrêté presque dès la naissance de cette cabale dont il étoit le chef,6 dissipa cette faction en un instant ; et cette détention n'eut aucune suite, quoique peu auparavant M. de Nemours7 eût épousé mademoiselle de Vendôme.

Pendant que ce parti-là subsistoit, il arriva une affaire qui fit grand bruit à la cour : madame de Montbazon trouva un soir chez elle deux billets8 d'une dame à un cavalier ; elle dit aussitôt qu'ils étoient de madame de Longueville, et que Coligni, qui l'étoit venu voir ce jour-là, les avoit laissés tomber de sa poche. Il faut remarquer, dans cette histoire, que l'opinion médisante de la cour étoit que M. de Longueville aimoit madame de Montbazon depuis longtemps ; qu'il étoit bien avec elle, et que madame la Princesse lui avoit défendu de la voir depuis son mariage. Avant que de dire quelle suite eut la pièce que madame de Montbazon prétendoit faire à madame de Longueville, je veux mettre ici une copie des billets qu'on dit qu'elle avoit trouvés, puisque j'en ai une très-fidèle de fort bon lieu : elle m'a été donnée avec le titre.

Copie des lettres supposées qui furent trouvées chez madame de Montbazon.

J'aurois beaucoup plus de regret du changement de votre conduite, si je croyois moins mériter la continuation de votre affection. Je vous avoue que tant que je l'ai crue véritable et violente, la mienne vous a donnée tous les avantages que vous pouviez souhaiter. Maintenant n'espérez pas autre chose de moi que l'estime que je dois à votre discrétion. J'ai trop de gloire pour partager la passion que vous m'avez si souvent jurée, et je ne veux plus vous donner d'autre punition de votre négligence à me voir que celle de vous en priver tout à fait ; je vous prie de ne plus venir chez moi, parce que je n'a plus le pouvoir de vous le commander.

En voilà une, et voici en quels termes étoit l'autre :

De quoi vous avisez-vous après un si long silence ? Ne savez-vous pas bien que la même gloire qui m'a rendue sensible à votre affection passée me défend de souffrir les fausses apparences de sa continuation ? Vous dites que mes soupçons et mes inégalités vous rendent la plus malheureuse personne du monde. Je vous assure que je n'en crois rien, bien que je ne puisse nier que vous ne m'ayez parfaitement aimée, comme vous devez avouer que mon estime vous a dignement récompensé. En cela nous nous sommes rendu justice, et je ne veux pas avoir dans la suite moins de bonté, si votre conduite, répond à mes intentions. Vous les trouveriez moins déraisonnables, si vous aviez plus de passion ; et les difficultés de me voir ne feroient que l'augmenter au lieu de la diminuer. Je souffre pour n'aimer pas assez, et vous pour aimer trop. Si je vous dois croire, changeons d'humeur ; je trouverai du repos à faire mon devoir, et vous devez y manquer pour vous mettre en liberté. Je n'aperçois pas que j'oublie la façon dont vous avez passé avec moi l'hiver ;, et que je vous parle aussi franchement que j'ai fait autrefois. J'espère que vous en userez aussi bien, et que je n'aurai point de regret d'être vaincue dans la résolution que j'avois faite de n'y plus retourner. Je garderai le logis ou quatre jours de suite, et l'on ne m'y verra que le soir ; vous en savez la raison.

Madame de Montbazon, avec ces deux lettres, débita cette circonstance à tant de personnes et avec tant de railleries qu'elle fut bientôt divulguée. Sitôt que madame la Princesse en eut connoissance, son humeur haute et fière la fit éclater avec chaleur contre madame de Montbazon ; chacun attribua la calomnie que celle-ci avoit répandue à la haine et à la jalousie qu'elle avoit contre madame de Longueville. Les amis de madame la Princesse allèrent lui offrir leurs services ; la cour se partagea dans cette occasion ; tous les importants prirent le parti de madame de Montbazon, et la reine ne manqua pas de prendre l'autre. Ce qui le fortifia encore de la plus grande partie de la cour, étoit que M. le duc d'Enghien, à présent M. le Prince, venoit de rendre un service si considérable à l'État par le gain de la bataille de Rocroy,9 qu'on ne lui en pouvoit assez témoigner de gré. La gloire de ce prince, la réputation avec laquelle il revenoit de la campagne, rendirent madame sa mère plus fière qu'à l'ordinaire ; et lorsqu'on vint à parler d'accommodement, elle voulut que madame de Montbazon lui fit satisfaction.

L'affaire fut longtemps en négociation, parce que cette dernière ne vouloit pas se soumettre ; la reine interposa son autorité ; elle s'y résolut. Le jour qui fut choisi pour cette soumission,10 madame la Princesse assembla chez elle, où madame de Montbazon devoit venir, tous ses amis et amies ; de sorte qu'il se trouva une excessive quantité de monde à l'hôtel de Condé. Monsieur y étoit, et je ne pus à on égard me défendre d'y aller, bien qu'alors je n'eusse pas d'amitié pour madame la Princesse ni pour un de sa famille ; néanmoins je ne pouvois avec bienséance dans cette occasion prendre un parti contraire au sien, et c'étoit là un de ces devoirs de parenté dont l'on ne se peut détendre. Madame de Montbazon, qui étoit fort parée, entra dans la chambre de madame la Princesse avec beaucoup de fierté ; et lorsqu'elle fut près d'elle, elle lut dans un papier qui étoit attaché à son éventail les excuses qu'on lui avoit prescrit de dire, qui étoient en ces termes11 :

Madame, je viens ici pour vous protester que je suis très-innocente de la méchanceté dont on m'a voulu accuser. Il n'y a aucune personne d'honneur qui puisse dire une calomnie pareille. Si j'avois fait une faute de cette nature, j'aurois subi les peines que la reine m'auroit imposées ; je ne me serois jamais montrée dans le monde, et vous en aurois demandé pardon. Je vous supplie de croire que je ne manquerai jamais au respect que je vous dois, et à l'opinion que j'ai de la vertu et du mérite de madame de Longueville.

Réponse de madame la Princesse à madame la duchesse de Montbazon.

Madame, je crois très-volontiers l'assurance que vous me donnez de n'avoir nulle part à la méchanceté que l'on a publiée : je défère trop au commandement que la reine m'en a fait.

Quand on a fait de ces actions, il n'est pas ordinaire ni facile de les faire de bonne grâce, et le ton de celui qui s'excuse montre bien que le cœur ne se repent point de la faute qu'il a commise. Aussi ce que madame de Montbazon dit ne fut pas mieux reçu qu'elle le prononça ; madame la Princesse lui fit un discours plus court que le sien, quoiqu'il le fût assez d'un air peu radouci, et sans rien quitter de cette majesté dont elle savoit si bien accompagner tout ce qu'elle faisoit. Cela n'étoit qu'une apparence de raccommodement ; aussi la réconciliation ne dura pas longtemps, comme on le verra ci-après.

L'état où se trouvent aujourd'hui les affaires m'oblige à dire comme l'on en auguroit favorablement en ce temps-là, pour faire voir de combien l'on s'est trompé dans les conjectures que l'on en fit : ce n'étoient que réjouissances perpétuelles en tous lieux ; il ne se passoit presque point de jour qu'il n'y eût des sérénades aux Tuileries ou dans la place Royale.12 Il sembloit quelques démonstrations extérieures que l'on devoit au moins donner du regret de la mort du roi, encore toute fraîche, ne pouvoient compatir avec la joie que donnoient les belles espérances que l'on avoit conçues du bonheur de la régence de la reine. La disgrâce où elle avoit toujours été pendant la vie de son mari avoit touché le cœur de tout le monde, et lui en avoit acquis l'affection ; chacun s'en promettoit aisément le prix, et tout ce que l'on pouvoit attendre de la bonté d'une reine qui avoit toujours témoigné en avoir beaucoup. L'on ne le croiroit pas même encore, si l'on ne l'éprouvoit aujourd'hui, qu'elle, qui avoit fait une si rude expérience du péril qu'il y a de laisser toute l'autorité du gouvernement à un seul ministre, quoique fort habile, eût été capable de l'abandonner, comme elle a fait absolument, au plus malhabile et au plus indigne homme du monde.13 Aussitôt que l'on a commencé de s'en apercevoir, les gens de bien ont connu que le royaume avoit fait une grande perte à la mort du roi, et la conduite présente de la reine l'a bien justifié depuis, dans l'esprit de tout le monde, du blâme qu'on lui avoit donné de l'avoir méprisée, et d'avoir toujours un peu sévèrement observé de ne lui donner aucun pouvoir dans les affaires, et peu de liberté. S'il eut des sujets particuliers de la maltraiter ou non, je ne le sais pas ; j'ai cependant ouï dire que le roi dit un jour de ma mère à Monsieur : « Mon frère, je voudrois bien changer de femme avec vous ; et vous ne le voudriez pas, parce que vous y perdriez.» Je ne saurois ni justifier ni blâmer la différence qu'il mettoit dans la mérite de ces deux personnes-là, parce que je n'ai jamais vu ma mère : je laisse à ceux qui les ont connues toutes deux à discerner si le jugement du roi étoit bon en cette rencontre.

Pendant la première année du veuvage de la reine, elle visita soigneusement toutes les églises de Paris ; et comme il n'y a guère de jours qui n'aient leur fête particulière en quelques-unes, elle observoit de se trouver à toutes. J'avois alors un tel attachement d'inclination, aussi bien que de devoir, auprès d'elle, que je la suivois partout ; je me privois des promenades où j'aurois pu avoir du plaisir, pour lui tenir compagnie en tous le lieux où elle alloit ; et quoiqu'elle fît peu de compte de mes soins et qu'elle ne me fît part d'aucune chose, je rendois cette assiduité sans ennui, et la forte amitié que j'avois pour elle m'en faisoit tout souffrir. Un de ses divertissements étoit d'aller se promener les soirs dans le jardin de Renard,14 qui est au bout de celui des Tuileries : madame de Chevreuse, Beaumont, quelques autres et moi, y jouèrent un jour la collation, et la reine en fut priée ; il fut aisé d'ajuster le jour avec sa commodité15 : elle y alloit presque tous les jours d'été. Madame la Princesse s'y trouva ce jour-là, et madame de Montbazon y arriva après. La première déclara qu'elle ne seroit point de la collation si l'autre y demeuroit ; madame de Montbazon ne voulut point s'en aller : l'affaire fut longtemps agitée, le succès ne fut pas bon pour ceux qui avoient appétit. Après deux ou trois heures d'allées ou venues d'un parti à l'autre, l'on conclut seulement de se séparer sans faire collation.16

Le lendemain, madame de Montbazon reçut un ordre du roi de se retirer en une de ses maisons. Cette occasion, qui renouvela leur querelle, me fera dire, au sujet de ce qui en fut la cause, ce que je sais à la justification de madame de Longueville. Ce n'est pas que je croie qu'une si bizarre aventure ait jamais pu nuire à sa réputation : aussi n'est-ce à bien dire qu'un soin que je prends de rendre la vérité connue, sans prétendre que madame de Longueville en ait besoin. J'ai su, dis-je, de bonne part, pour le pouvoir assurer, que ces lettres, qui furent trouvées chez madame de Montbazon, étoient tombées de la poche de M. de Maulevrier, à qui madame de Fouquerolles les avoit écrites. Je ne dirai pas pour cela qu'il en faille tirer de mauvaises conséquences contre celle-ci : l'on peut dire que l'intention de madame de Montbazon ne peut être vérifiée qu'à sa honte. Son départ surprit beaucoup de gens ; et la grande intelligence qui étoit entre elle et madame de Chevreuse, qui étoit revenue à la cour comme généralement tous les autres exilés depuis la régence, fit croire que cette retraite auroit plus de suites, puisque tous les importants étoient de leurs amis. La reine ne laissa pas de bien traiter madame de Chevreuse, et peu après l'on mit ordre à dissiper la cabale.17

Madame de Senecey,18 qui avoit été aussi du nombre des exilés du temps de l'autorité du cardinal de Richelieu, revint faire sa charge de dame d'honneur de la reine, où l'on avoit mis madame de Brissac,19 qui se retira avec les bonnes grâces de la reine. Madame de Lansac, que le cardinal de Richelieu avoit fait gouvernante de M. le dauphin et de M. le duc d'Anjou, eut aussi ordre de se retirer, comme personne qui avoit été choisie contre le gré de la reine. Elle avoit voulu confier l'éducation de ses enfants à madame la marquise de Saint-Georges, ma gouvernante, qui ne m'eût pas quittée pour cela ; Monsieur n'y auroit pas consenti, ou je serois restée auprès de la reine. L'on ôta le roi des mains de madame de Lansac, pour le mettre en celles de madame de Senecey.

Le changement que la régence de la reine apporta aux affaires procura, comme j'ai dit, le retour à tous ceux que la faveur du cardinal de Richelieu avoit éloignés de la cour : Madame d'Hautefort y fut rappelée ; M. d'Épernon20 se raccommoda alors avec Monsieur, dont j'eus beaucoup de joie pour l'amitié que j'avois et que j'ai toujours depuis conservée pour madame et mademoiselle d'Épernon. Les fréquentes visites que M. de Beaufort leur rendit en ce temps-là firent croire qu'il avoit intention d'épouser celle-ci, parce que l'on en avoit autrefois parlé en Angleterre, lorsqu'ils y étoient. C'étoit une vision ; et M. de Joyeuse, qu'on appeloit alors le chevalier de Guise, lequel avoit effectivement du dessein pour mademoiselle d'Épernon, continuoit à lui faire sa cour régulièrement sans avoir de jalousie.

Les premiers mois de régence furent les plus beaux que l'on pût souhaiter. Celui à qui, dans les commencements, il sembloit qu'elle devoit porter le plus de bonheur, je veux dire M. de Beaufort, fut le premier qui se ressentit de la disgrâce. Aussitôt que la reine fut la maîtresse, il parut que toute la faveur ne regardoit que lui, et le seul qui lui faisoit ombrage étoit le cardinal Mazarin. Cela mit bientôt de la haine entre eux deux : l'intrigue du cardinal l'emporta sur l'autre ; l'on en fit une affaire d'État ; et, lorsqu'on y pensoit le moins, l'on arrêta M. de Beaufort dans le cabinet de la reine21 : ce qui fut exécuté par le sieur de Guitaut, capitaine de ses gardes. Le lendemain le prisonnier fut mené au bois de Vincennes, et l'on chassa tous ses amis ; l'on mit en prison quelques-uns de ses domestiques, et dans cette seule journée tous les importants furent défaits : M. de Chevreuse eut même ordre de se retirer, en sorte que ce fut en peu de temps un grand changement à la cour, et un trait d'autorité qui servit bien à établir principalement celle du cardinal Mazarin. C'étoit tellement son affaire, que la reine dit tout haut que l'on s'étoit assuré de M. de Beaufort, parce qu'il avoit voulu faire assassiner le cardinal Mazarin.22 Quoique je visse avec assez d'indifférence ces messieurs-là disputer entre eux du ministère, néanmoins, parce que dans ce temps-là, je rendois souvent visite à madame de Nemours,23 sœur de M. de Beaufort, l'on en prit sujet de me rendre un mauvais office auprès de Monsieur, par l'abbé de la Rivière, qui étoit en grande faveur auprès de lui, et qui ne m'aimoit pas. Je remarquerai ici, quoiqu'à mon grand déplaisir, que tous ceux par qui Monsieur s'est laissé préoccuper, ont, pour mon malheur, toujours altéré son amitié pour moi, et sont encore aujourd'hui cause qu'il ne me traite pas comme j'ose dire l'y avoir obligé.

Je n'ai pas en occasion, dans la suite de ce que je viens de rapporter, de parler de la venue de Madame en France24 : j'en dira ici le temps et les circonstances qui me sont connues. Pendant la maladie dont le feu roi est mort, Monsieur, qui avoit eu permission de venir à la cour, se réconcilia avec lui et obtint le consentement à son mariage, qu'il n'avoit point voulu jusqu'alors reconnoître valable ; et le roi lui permit en même temps de faire venir Madame, à condition que lorsqu'elle seroit à Paris ils déclareroient tous deux à M. l'archevêque,25 qu'afin de ne laisser rien à désirer pour la validité de leur mariage, ils le confirmoient autant que cela pouvoit être nécessaire : déférence qu'il désira moins pour réparer aucun prétendu défaut dans ce mariage, que pour sa propre satisfaction, et pour une preuve du respect et de l'obéissance que Monsieur lui devoit. Madame étoit encore à Cambray lorsque cette proposition-là lui fut faite ; elle ne l'eut pas plus tôt ouïe qu'elle fut prête à s'en retourner plus loin : elle disoit que lorsqu'il y alloit de l'honneur l'on ne devoit avoir de complaisance pour qui que ce soit. Il fallut faire quelques voyages vers elle avant que de vaincre sa résistance sur ce point ; encore ne se rendit-elle qu'avec une répugnance incroyable. Elle fit cependant assez de diligence pour entrer en France avant la mort du roi ; ce fut si peu avant sa mort, qu'elle ne le put pas voir.

J'allai au-devant d'elle à Gonesse, d'où elle alla à Meudon sans passer par Paris ; elle ne vouloit pas y venir qu'elle ne fût en état de saluer Leurs Majesté ; ce qu'elle ne pouvoit faire parce qu'elle n'étoit pas habillée de deuil. Nous arrivâmes tard à Meudon, où Monsieur s'étoit rendu pour l'y recevoir, et il la trouva dans la cour : leur abord se fit en présence de tous ceux qui l'accompagnoient. tous les assistants furent dans un grand étonnement de voir la froideur avec laquelle ils s'abordèrent, vu que les persécutions que Monsieur avoit souffertes du roi et du cardinal de Richelieu au sujet de ce mariage n'avoient fait qu'assurer la constance de Monsieur pour Madame : aussi n'a-t-on pu croire que rien ait modéré entre eux la joie de se voir, que la condition que le roi leur avoit imposée. Après avoir resté peu de temps dans la cour du château de Meudon, Madame monta à sa chambre, et puis Monsieur vint l'appeler pour aller à la chapelle, où M. l'archevêque de Paris étoit revêtu de ses habits pontificaux, la mitre en tête et la crosse en main, et attendoit avec les cérémonies requises pour recevoir la déclaration de Leurs Altesses royales.

J'accompagnai Madame, et il n'y eut avec elle, dans cette cérémonie, que madame et mademoiselle de Guise, la maréchale d'Étampes,26 dame d'honneur de Madame, madame de Fontaine, sa dame d'atour, madame la comtesse de Fiesque, et moi. Monsieur dit à M. l'archevêque qu'encore qu'il fût assuré qu'il n'y eût aucune nullité en son mariage, pour satisfaire à la promesse qu'il avoit faite au roi, et aux ordres qu'il en avoit reçus, il venoit avec Madame lui faire la déclaration que Sa Majesté avoit désirée pour une plus grand sûreté. Madame, de son côté, dit, les larmes aux yeux, que rien n'étoit moins nécessaire que cette démarche ; que cependant le roi l'avoit voulu. Chacun fit la révérence, et aussitôt après on se retira. Madame n'avoit plus cette grande beauté dont Monsieur avoit été autrefois charmé, et la manière dont elle étoit habillée ne contribuoit pas à réparer le tort que les chagrins de plusieurs années lui avoient causé. Elle ne connoissoit personne à la cour, et ne savoit pas trop bien la façon dont on y vivoit : cela fit que je ne lui fus pas inutile. J'en eus beaucoup de joie, parce que la manière dont elle agissoit avec m'obligeoit à vivre bien avec elle ; je faisois tout mon possible pour me conserver ses bonnes grâces, que je n'aurois jamais perdues, si elle ne m'avoit donné sujet de les négliger.

[1643-44.] Je reviens à la suite de ce que j'ai quitté pour parler de Madame. Le premier hiver d'après la régence, il ne se passa rien de remarquable que le combat de M. le duc de Guise avec M. de Coligni,27 qui fut une suite du démêlé d'entre la Princesse et madame de Montbazon. Ce duel remit encore un peu la cour en division ; ce ne fut pas au point que les divertissements en pussent être troublés : l'on dansa fort partout, et particulièrement chez moi, quoiqu'il ne convienne guère d'entendre des violons dans une chambre noire. Ce fut principalement dans ces bals-là que le chevalier de Guise témoigna tout à fait sa passion pour mademoiselle d'Épernon, et mademoiselle d'Épernon n'en avoit pas moins pour ce mariage ; pour moi, je le souhaitois beaucoup aussi. Cependant les chuchoteries de mademoiselle de Guise sur cette affaire envers madame sa mère, ruinèrent ce dessein, et ce ne fut pas sans raison que la conduite qu'elle y eut me fut toujours suspecte.

[1644.] Le printemps donna lieu à d'autres occupations : Monsieur alla en Flandre commander l'armée du roi, et Leurs Majestés allèrent à Ruel, où je les suivis. L'on s'y divertissoit assez bien : mademoiselle de Neuillant, pour qui j'avois de l'amitié, m'y tenoit bonne compagnie, et Saint-Mesgrin28 aussi venoit quelquefois avec moi.29 J'allois toutes les semaines à Paris pour y voir Madame, qui n'avoit pu suivre la cour parce qu'elle étoit malade d'une fausse grossesse qui lui a bien ruiné sa santé.

La cour ne fut pas longtemps en repos à Ruel ; elle s'en retourna en diligence à Paris, sur l'avis de quelque sédition arrivée à cause d'un impôt qui s'appeloit le toisé, que l'on avoit mis sur chaque maison, qui devoit payer une certaine taxe par toise. Au moment que l'on voulut commencer à toiser les maisons,30 il y eut une rumeur parmi le peuple : quelques mutins battirent le tambour et arborèrent un mouchoir au bout d'un bâton pour leur servir de drapeau. Ils marchèrent dans cet état dans les rues pour exciter la sédition ; la présence du roi dissipa bientôt cette émeute.31

Il en arriva une autre peu de temps après par un assez plaisant sujet, qui fut néanmoins poussée avec assez de vigueur, de la part de ceux qui l'entreprirent, pour donner de l'appréhension. Le curé de Saint-Eustache mourut : M. l'archevêque de Paris, qui en confère la cure, la donna à M. Poncet.32 Comme il se mit en devoir d'en prendre possession, le neveu du défunt, appelé Merlin, s'y opposa : il prétendit faire valoir une résignation qu'il disoit que son oncle, le défunt curé, avoit faite en sa faveur. Il n'étoit pas difficile à Poncet de s'en défendre, à cause des nullités qui se rencontroient dans ce prétendu droit. Merlin se trouva fortifié par la bienveillance des paroissiens, et principalement du menu peuple de la paroisse, qui, pour l'affection qu'il avoit portée à l'oncle, se mit en tête de prendre le parti du neveu. Il s'assembla en tumulte pour le protéger ; et comme on avoit envoyé quelques archers de la ville et quelques gardes pour dissiper la populace, cette canaille se saisit de l'église et sonna le tocsin.33

Ce désordre dura bien trois jours, pendant lesquels ils délibérèrent d'aller piller la maison de M. le chancelier, à cause que, comme paroissien, il ne prenoit pas le parti de Merlin. Les harangères des halles députèrent à la reine sur ce sujet, et celle qui porta la parole dit, pour toute raison, que les Merlins avoient été leurs curés de père en fils, et que le dernier avoit désiré que son neveu lui succédât ; qu'elles n'en pouvoient souffrir d'autres. Jamais il n'y eut de farce si plaisante que tout ce qui se passa dans la querelle de ces deux concurrents, et sans les conséquences qui en étoient à craindre, l'on eût pris plaisir à la voir durer. Lorsque l'on vit que les bourgeois commençoient à se barricader dans les halles, et qu'il n'y avoit pas d'autre moyen de les apaiser que de leur donner le curé qu'ils demandoient, Merlin leur fut accordé ; et tout aussitôt tout fut calme dans la paroisse.

Pendant que la cour étoit occupée à empêcher que ces commencements de sédition n'eussent de mauvaises suites, Monsieur assiégeoit Gravelines, qui se défendoit fort bien34 ; aussi sa longue et vigoureuse résistance en rendit-elle la prise plus glorieuse à Son Altesse royale, à l'honneur de qui on doit encore dire que le succès de cette entreprise avoit toujours été trouvé si difficile, que du règne du roi son frère, bien que le cardinal de Richelieu, qui gouvernoit, fût un très-grand ministre d'État et un des plus hardis hommes du monde dans des desseins, l'on n'avoit jamais osé former celui d'attaquer cette place. La nouvelle de sa reddition me donna une joie inconcevable, parce que j'ai toujours eu pour Monsieur toute la tendresse possible, même lorsque j'ai cru n'en être pas bien traitée. Le jour que le Te Deum fut chanté dans Notre-Dame pour actions de grâces de cette conquête,35 l'on en fit, comme c'est l'ordre, des réjouissances publiques. M. le chancelier fit faire le soir de ce jour-là un feu d'artifice fort joli devant son logis, dont je fus priée par madame de Sully36 de venir prendre le divertissement ; et nous y eûmes outre cela une grande collation et les violons.

Madame fit faire un autre grand feu le lendemain dans la cour du palais d'Orléans,37 à toutes les fenêtres duquel il y avoit des lanternes de papier, où étoient peintes les armes de Leurs Altesses royales ; et pour rendre la cérémonie complète, il y eut bal et collation. Deux jours après j'en fis autant chez moi, et puis je menai les violons chez la reine, qui prit plaisir à nous faire danser assez longtemps sur la terrasse du Palais-Royal. Monsieur revint peu après à la cour.

Le veille de son arrivée, il y eut une fort belle assemblée qui fut faite pour les noces de madame la comtesse de Belin, fille de M. le comte de Tresmes,38 capitaine des gardes du corps du roi, qui épousoit le comte de Tavannes,39 mon parent. Leurs Majestés n'allèrent point au-devant de Monsieur, parce qu'il ne le souhaita pas ; le cardinal Mazarin seulement y alla, et l'on témoigna grande joie dans toute la cour de l'y recevoir. M. le duc d'Enghien, qui alors étoit en Allemagne, y faisoit de son côté de grands progrès ; l'aversion que j'avois pour lui dans ce temps-là faisoit que je ne prenois pas grand plaisir à m'informer de ce qu'il faisoit. Ainsi je n'en dirai rien présentement, sans vouloir rien cacher de sa gloire, puisque les histoires en diront assez pour l'immortaliser.40

Aussitôt après le retour de Monsieur, la cour alla à Fontainebleau, où Neuillant ne bougeoit d'avec moi, comme faisoit aussi fort souvent Saint-Mesgrin, de qui Monsieur devint amoureux.41 Madame, qui prit quelque jalousie de l'amour de Monsieur, m'en sut mauvais gré, quoique je ne contribuasse en façon quelconque à cette galanterie : ce que l'on ne devoit pas même appréhender par mon humeur, qui est directement opposée à cette sorte d'occupation. Comme Saint-Mesgrin étoit une très-honnête fille, je ne pouvois l'empêcher de me venir voir, et Monsieur encore moins, dans ce voyage où toute la cour me venoit visiter assez soigneusement. Ce fut en ce temps-là que je fis connoissance avec Saujon,42 duquel je parlerai ailleurs assez amplement pour qu'il suffise de marquer ici seulement le temps que je l'ai connu, quoique ce ne soit pas un personnage fort considérable.

Madame et mademoiselle d'Épernon étoient venues à la cour : je pris soin de les faire loger proche de mon appartement ; néanmoins je n'eus pas longtemps le plaisir de les y voir : la dernière tomba malade de la petite vérole, et la reine me demanda incontinent après de sortir du château. Je lui fis dire que j'irois, si elle l'avoit pour agréable, occuper l'appartement de Monsieur, qui étoit vide parce qu'il étoit à Blois ; et cet appartement étoit fort éloigné de celui que je quittois. Elle ne le voulut pas, et répondit que ma personne étoit trop chère pour la hasarder : ce que je connus bien n'être qu'un compliment pour m'éloigner avec plus de civilité, puisque le roi demeuroit bien dans le château. Il auroit fallu que j'eusse été de légère croyance pour me laisser persuader que la reine y eût trouvé plus de danger pour moi que pour son fils.

Je partis avec dépit de la cour, et m'en allai proche delà à Fleury, maison d'un gentilhomme nommé le baron de Rannes, qui est à Monsieur. Mademoiselle de Neuillant m'y suivit ; dont je lui fus obligée, parce que sa bonne compagnie m'ôta bien de l'ennui que j'aurois eu sans elle. Je n'y fus que trois jours, d'autant que Monsieur revint de Blois et trouva étrange que je ne fusse pas auprès de la reine, et m'envoya querir sur-le-champ ; à quoi j'obéis avec une grande joie, pour pouvoir apprendre plus souvent des nouvelles de mademoiselle d'Épernon, dont la maladie me mettoit fort en peine. M. le chevalier de Guise eut pour elle tous les soins imaginables ; la considération du péril qu'il y a d'approcher ceux qui ont la petite vérole ne l'empêcha pas de l'aller visiter tous les jours : il témoigna pour elle une passion incroyable, qui dura encore tout l'hiver suivant.

Lorsque nous fûmes de retour à Paris, Madame me témoigna quelque froideur à cause de Saint-Mesgrin ; cela ne dura guère : la bonne intelligence que j'avois avec celle-ci cessa bientôt. L'abbé de la Rivière, que je n'aimois pas, fit le galant de Neuillant ; elle me devint suspecte, et ma confiance pour elle diminua. Comme je reconnus quelque amitié entre madame la Princesse et elle, nous nous brouillâmes tout à fait ensemble, et j'eus par même moyen de la froideur pour Saint-Mesgrin, qui s'abstint de me voir, parce qu'elle n'y avoit pris habitude qu'à cause presque de Neuillant. Je perdis encore cette année-là l'amitié de mademoiselle de Longueville,43 parce que quand madame la Comtesse mourut, elle alla loger à l'hôtel de Longueville44 avec sa belle mère, qui étoit pour moi une personne incompatible : ainsi cela bannit entre nous deux le commerce avec l'amitié.

La brouillerie des affaires d'Angleterre, qui avoit commencé sous le ministère du cardinal de Richelieu, se trouva telle dans cette année-là, que la reine d'Angleterre fut contrainte de quittez le pays et de venir se réfugier en France. Elle débarqua en Bretagne, au port de Brest ; elle avoit une maladie pour laquelle les médecins lui ordonnèrent les eaux de Bourbon. Elle y alla en prendre avant que de venir à la cour. Quand elle eut fait ses remèdes et qu'on sut qu'elle devoit arriver, je fus envoyée au-devant d'elle de la part de Leurs Majestés dans un carrosse du roi, comme c'est la coutume, jusqu'au Bourg-de-la-Reine, où je la trouvai avec Monsieur, qui y étoit allé avant moi. Comme nous la menions à Paris, nous rencontrâmes Leurs Majestés un peu au delà du faubourg [Saint-Jacques]45 ; et après s'être réciproquement salués, et les compliments faits de part et d'autre, la reine d'Angleterre se mit avec le roi et la reine. Quoiqu'elle eût pris beaucoup de soin pour réparer ses forces et sa santé, elle étoit en toute manière en un état si déplorable, que tout le monde en avoit pitié. On la fit loger au Louvre, où le lendemain elle reçut tous les honneurs dus à une reine, et à une reine fille de France.46 Elle parut durant quelques mois en équipage de reine ; elle avoit avec elle beaucoup de dames de qualité, des filles d'honneur, des carrosses, des gardes, des valets de pied. Cela diminua petit à petit, et peu de temps après rien ne fut plus éloigné de sa dignité que son train et son ordinaire.

A quelques mois de là on eut nouvelle à la cour de la mort de la reine d'Espagne47 : ce qui continua la deuil en France, où celui du feu roi n'étoit pas encore cessé. Le sentiment étoit que ce roi veuf étoit un parti propre pour moi ; la reine me témoigna qu'elle le souhaitoit passionnément. Le cardinal Mazarin m'en parla dans ce sens-là, et me dit de plus qu'il avoit des nouvelles d'Espagne par où il apprenoit que cette affaire y étoit désirée. La reine et lui en parlèrent quelque temps à Monsieur et à moi ; et, par un feint empressement de bonne volonté, ils nous leurrèrent tous deux de cet honneur, quoiqu'ils n'eussent aucune intention de nous obliger. Néanmoins la bonne foi étoit telle de notre part, que nous ne nous apercevions pas qu'il n'y en avoit point de la leur, de sorte qu'il leur fut aisé d'éluder l'affaire, comme ils firent en effet, et l'on cessa tout d'un coup d'en parler. J'aurois maintenant beaucoup de déplaisir qu'elle eût été faite : de l'humeur dont je suis, je ne voudrois pas être reine pour être aussi misérable que l'étoit celle d'Espagne. Il y eut un certain Espagnol, nommé Georges de Casselny, qui avoit été fait prisonnier en Catalogne, et qui l'étoit sur sa parole, lequel vint trouver M. de Surgis à Orléans, pour le prier de le faire parler à Monsieur, qui remit à le voir à Paris. Ce délai fit éventer l'intention de l'Espagnol : il fut mis à la Bastille, et le cardinal dit à Monsieur que c'étoit un homme qui le vouloit détourner du service du roi par cette proposition de mariage ; ce que Monsieur crut et croit encore.

Plusieurs personnes assurèrent cependant que ce n'étoit point un prétexte, et que ce gentilhomme-là avoit ordre de faire des propositions solides et sincères pour le mariage de son roi et de moi, dont il avoit cru devoir parler à Monsieur avant que de les faire entendre à la cour. Cependant ce pauvre misérable en fut quelques années prisonnier ; et, lorsqu'il fut mis en liberté, il fut conduit jusque hors du royaume. Il s'est rencontré qu'il a depuis gardé M. le duc de Guise en Espagne, lorsqu'il fut pris à Naples48  ;et, comme M. de Guise envoya ici un gentilhomme à Monsieur, Georges de Casselny me fit faire des compliments, et donna charge de me dire qu'en cas qu'il ne fût pas connu de moi, je pouvois bien savoir qui il étoit, que j'en avois assez ouï parler pour cela : aussi ne se trompa-t-il pas.

Il ne me souvient pas qu'il se soit rien passé de remarquable à la cour dans ce temps-là. Je rendis fort assidûment visite à la reine d'Angleterre, qui, toute malheureuse qu'elle étoit, ne laissoit pas de prendre plaisir à exagérer toutes ses prospérités passées, la douceur de la vie qu'elle menoit en Angleterre, la beauté et bonté du pays, les divertissements qu'elle y avoit eus, surtout les bonnes qualités du prince de Galles,49 son fils. Elle témoigna souhaiter que je le pusse voir : je conjecturai assez de là ses intentions, et la suite fera voir que je ne me trompai pas dans le jugement que j'en fis.

[1645.] La saison de mettre les troupes en campagne vint. Monsieur alla à l'armée50 ; il y fut quelque temps sans rien entreprendre, puis il passa la Colme à Capelle-Brouck, passage dont on a depuis beaucoup parlé, et qui a été fort signalé par la résistance qu'y firent les ennemis. Le combat fut rude ; et, quoique toute l'armée des Espagnols fût passée à l'autre bord de la rivière et que la plus grande partie des nôtres la passât à la nage, néanmoins nous y perdîmes fort peu de gens. Son Altesse royale alla de là assiéger Mardick, qu'il prit, et ensuite Bourbourg,51 où M. de Rantzau52 avoit si utilement agi pour le succès du siége, comme l'un des lieutenants généraux sous Monsieur : ce qui porta Son Altesse royale à lui rendre de bons offices, et il fut fait maréchal de France, honneur digne de sa naissance, puisqu'il est d'une des premières maisons du Holstein, et récompense due aux longs services, qu'il avoit rendus pendant la guerre à cette couronne. Outre Mardick et Bourbourg, Monsieur prit encore, en cette campagne-là, Béthune53 et quantité d'autres places, du nom desquelles il ne me souvient pas.54 Il sembloit qu'il n'eût qu'à se présenter pour en faire ouvrir les portes, tant le succès qu'il avoit eu à Gravelines avoit donné de terreur aux Espagnols en Flandre.

M. le duc d'Enghien, de son côté, continuoit de remporter divers avantages en Allemagne contre les Impériaux ; et entre autres il gagna une fameuse bataille à Nordlingue,55 qui ne servit pas moins à mettre les affaires de France en bon état en Allemagne, qu'à donner à ce prince la réputation où il est aujourd'hui d'être le plus grand capitaine de son siècle. Si le cardinal Mazarin, qui veut que l'on attribue toutes les prospérités de l'État à son ministère, se fût toujours conservé, comme il fit encore quelques années, de tels seconds que ces deux princes, la France s'en seroit mieux trouvée.56 Il ne put pas s'empêcher de faire paroître son incapacité, et vous pouvez remarquer son peu de jugement dans ce que j'en vais dire.

Incontinent après la bataille de Nordlingue, M. le duc d'Enghien tomba grièvement malade,57 jusque-là même que le courrier qui en avoit apporté la nouvelle, dit qu'il l'avoit laissé abandonné des médecins et qu'il ne pouvoit échapper ; néanmoins, parce qu'il y avoit un feu d'artifice préparé, et qui devoit être tiré sur l'eau ce jour-là pour le divertissement de la cour, le cardinal Mazarin, sans considérer de quelle conséquence il pourroit être de témoigner tant d'indifférence pour la perte d'un prince de cette qualité, qui n'épargnoit rien pour le service de l'État, n'eut pas l'esprit de faire différer ce divertissement de quelques jours. Et comme s'il eût même voulu donner plus de lieu à cette observation, il arriva que le feu fut tiré vis-à-vis l'hôtel d'Enghien, où madame la duchesse d'Enghien étoit ; et l'on ne pouvoit pas douter que le bruit d'une réjouissance si publique ne rendît sa douleur particulière encore plus sensible.

La crainte, que l'on eut de la mort de ce prince, ne dura pas longtemps : peu de jours après on eut nouvelle de sa guérison ; l'on apprit qu'il étoit guéri de fièvre, et d'une forte passion qu'il conservoit depuis plusieurs années pour mademoiselle Du Vigean.58 C'étoit une affaire qu'il traitoit si sérieusement, que quand sa femme tomba malade, il promit à la demoiselle de l'épouser, et le fit si bien accroire à tout le monde, que M. Du Vigean59 et toute sa famille, à qui la déclaration en avoit été faite, en étoient parfaitement persuadés, quoique, pour en venir à l'effet, il falloit auparavant ou que sa femme mourût, ou que l'on rompît son mariage, dont il avoit déjà un fils. Sa femme guérit et revint en parfaite santé. Il n'y avoit plus que la dissolution de son mariage. M. le duc d'Enghien en avoit déjà parlé au cardinal Mazarin ; et, si l'on eût été assuré que, le mariage rompu, il eût épousé mademoiselle Du Vigean, beaucoup de gens qui prétendent savoir la vérité de l'histoire, maintiennent que l'on en eût permis la rupture. Cette fille étoit très-belle : aussi cet illustre amant en étoit-il vivement touché. Quand il partoit pour l'armée, le désir de la gloire ne l'empêchoit pas de sentir la douleur de la séparation ; il ne pouvoit lui dire adieu qu'il ne répandit des larmes, et lorsqu'il partit pour ce dernier voyage d'Allemagne, il s'évanouit lorsqu'il la quitta.60

Néanmoins, soit que la violence du mal ne permit pas qu'il fût de longue durée, soit qu'il ne fût pas d'humeur à pouvoir résister à une si longue absence, l'on s'aperçut qu'il oublia tout d'un coup l'objet de ses affections, et à son retour il ne lui fit paroître aucune marque de la passion qu'il lui avoit autrefois témoignée ; elle pouvoit trouver de quoi s'en consoler dans la bonne et sage conduite qu'elle avoit tenue envers M. le duc d'Enghien. Cette galanterie fut cause que nul parti ne se présentoit pour elle, et que Saint-Mesgrin,61 qui l'aimoit il y avoit longtemps, n'osoit faire faire aucune proposition de mariage, par la jalousie que lui donnoit ce prince : aussi eut-il une extrême joie quand il sut qu'il pouvoit être écouté. Il fit aussitôt parler aux parents de mademoiselle Du Vigean, et le mariage se traita : ce fut sans succès ; ensuite de quoi elle se fit religieuse dans le couvent des Carmélites de Paris.

La campagne finie, Monsieur revint à la cour, et trouva à son retour Madame accouchée d'une fille,62 dont j'eus du regret, parce que je savois que c'étoit contre le souhait de Son Altesse royale, et que ce n'étoit pas l'avantage de sa maison. La cour alla passer l'automne à l'ordinaire à Fontainebleau ; tout ce qui y vint à ma connoissance, ce ne fut que la galanterie de M. de Joyeuse et de mademoiselle de Guerchy,63 fille de la reine : tout le monde disoit que c'étoit de l'ordre de mademoiselle de Guise, qui ne vouloit pas que son frère épousât mademoiselle d'Épernon. Les galanteries de M. le duc de Guise et de mademoiselle de Pons64 firent à la vérité plus de bruit que celle-là ; elles ont continué d'une force qu'elles ne méritent pas de trouver place ici. Je reviens donc à M. de Joyeuse, son frère, de qui la conduite donna lieu de croire le jugement que l'on avoit fait de sa sœur. Dans la suite, ses visites furent moins fréquentes à l'hôtel d'Épernon, et moi je découvris que madame sa mère le vouloit marier à mademoiselle d'Angoulême65 ; j'en avertis madame et mademoiselle d'Épernon, qui ne le purent croire. Quelque temps après elles trouvèrent que c'étoit la vérité.

 

end of chapter

 


NOTES

1. Le château neuf de Saint-Germain, construit par Henri IV, a été presque entièrement détruit en 17766;nbsp;; il n'en reste que les magnifiques terrasses et le pavillon de Henri IV.

2. I have not been able to find (in a cursory search) a setting of Psalm 129 by Louis XIII ; but he did set Psalm 130. Recordings of this (and other pieces by him) are available on Nonesuch (H 71130) and Pathé (33 DTX 329) (these are the same recording), both issued around 1967.

3. Voir ici pour l'enregistrement de cette déclaration.

4. Voir ici pour la séance royale.

5. Suzanne de Baudéan, fille de Charles de Baudéan, comte de Neuillant. Elle fut mariée en 1651 à Philippe de Montault, duc de Navilles et maréchal de France. Elle devint dans la suite gouvernante des filles de la reine, et fut disgraciée pour un motif honorable, dont Mademoiselle parle à l'année 1664. [!!!]

6. Beaufort fut arrêté le 3 septembre 1643.

7. Henri de Savoie, duc de Nemours, épousa Élisabeth de Vendôme le 7 juillet 1643. On voit que Mademoiselle, qui vient de parler de l'arrestation de Beaufort, revient sur ses pas. Sa chronologie n'est pas très-exacte.

8. Ces billets furent trouvés au commencement d'août 1643 ; ils avaient été adressés au comte de Maulevrier par madame de Fouquerolles. Mademoiselle a déjà fait mention de cette dame : voir ici et note.

9. La bataille de Rocroy avait été gagnée le 19 mai 1643.

10. Cette scène eut lieu l 10 août 1643.

11. Le Journal d'Olivier d'Ormesson nous fournit le texte exact de ces deux pièces, avec les formes du langage de cette époque, que les éditeurs des Mémoires de Mademoiselle ont cru devoir arranger au goût du dix-huitième siècle. On y remarque aussi des variantes importantes, surtout je reçois au lieu de je crois dans la réponse de madame la Princesse. Voici le texte des deux pièces d'après Olivier d'Ormesson :

« Le lundi 10 août, M. d'Aligre nous dit que le samedi madame de Montbazon avoit été voir madame la Princesse, chez qui toute la cour étoit, tant princes que princesses, et le cardinal Mazarin comme témoin de la part de la reine ; madame de Montbazon avoit sur un papier les paroles qu'elle avoit à dire, et les ayant commencées sans dire madame, madame la Princesse se plaignit ; alors madame de Montbazon recommença ainsi : Madame, je viens ici pour vous protester que je suis innocente de la méchanceté dont l'on m'a voulu accuser, n'y ayant point de personne d'honneur qui puisse dire une calomnie pareille ; et, si j'avois fait une faute de cette nature, j'aurois subi les peines que la reine m'auroit voulu imposer, et ne me serois jamais montrée devant le monde, et vous aurois demandé pardon, vous suppliant de croire que je ne manquerai jamais au respect que je vous dois et à l'opinion que j'ai du mérite et vertu de madame de Longueville. La réponse fut : Je reçois très-volontiers l'assurance que vous me donnez de n'avoir nullement part à la méchanceté que l'on a publiée, déférant tout au commandement que la reine m'en a fait. Après ce, madame de Montbazon se retira ; elle ne parut jamais plus belle ni avec meilleure grâce. »

Voir ici pour des détails sur cette querelle.

12. Les Mémoires de Retz confirment les détails donnés par Mademoiselle : « Il n'y a plus, disant la Feuillade que quatre petit mots dans la langue françoise : La reine est si bonne. » Saint-Évremond célèbre aussi :

. . . . Le temps de la bonne régence,
Temps où régnoit une heureuse abondance,
Temps où la ville aussi bien que la cour,
Ne respiroient que les jeux et l'amour.

13. Le jugement que Mademoiselle porte de Mazarin est d'une injustice si évidente qu'il est inutile d'y insister. Les ennemis du cardinal ne lui ont pas refusé l'habileté lors même qu'ils l'ont accusé de perfidie et d'autres vices.

14. Ce jardin était situé à l'extrémité de la terrasse des Tuileries qui longe la Seine.

15. Cet événement eut lieu le 21 août, puisque la lettre de cachet qui exila la duchesse de Montbazon est datée du 22 août, et que, d'après Mademoiselle, cette lettre fut envoyée le lendemain de la scène.

16. Olivier d'Ormesson dit (Journal à la date du 30 août 1643) que « madame de Montbazon fut si insolente qu'elle demeura et mangea la collation apprêtée pour la reine. »

17. On peut consulter sur la défaite de la cabale des importants les Mémoires de la Châtre, qui était engagé dans ce parti.

18. Marie-Catherine de la Rochefoucauld, mariée le 7 août 1607 à Henri de Beaufremont, marquis de Senecey.

19. Au lieu de madame de Brissac, il faut lire certainement madame de Brassac. C'était, en effet, Catherine de Sainte-Maure, femme de Jean Galard de Béarn, comte de Brassac, qui avait été imposée pour dame d'honneur à Anne d'Autriche par le cardinal de Richelieu.

20. Bernard de Nogaret de la Valette et de Foix, né en 1592, mort en 1661.

21. On a déjà vu que cette arrestation eut lieu 3 septembre 1643.

22. Les Mémoires de Henri Campion prouvent qu'il y eut réellement un complot contre la vie du cardinal.

23. Élisabeth de Vendôme, dont le mariage a été indiqué plus haut.

24. La date de son arrivée est donnée par Olivier d'Ormesson. « Madame arriva le jour d'hier au soir à Meudon, où Monsieur la reçut avec madame de Guise et mademoiselle de Guise ; ils furent remariés par M. l'archevêque de Paris dès le soir sans cérémonie. » Journal d'Oliv. d'Ormesson, à la date du 27 mai 1643.

25. L'archevêque de Paris était alors Jean-François de Gondi, qui mourut le 21 mars 1654.

26. Catherine-Blanche de Choiseul, mariée depuis 1610 à Jacques d'Étampes, marquis de la Ferté-Imbaut, maréchal de France.

27. Ce combat eut lieu le samedi 12 décembre 1643 (comme on a vu).

28. Mademoiselle de Saint-Mesgrin ou Saint-Mégrin était une des filles de la reine Anne d'Autriche, qui inspira à Monsieur une passion dont parlent les Mémoires du temps à l'année 1644.

29. Il arriva pendant le séjour de Mademoiselle à Ruel, ou Rueil, un fait dont elle ne parle pas, mais qui dut profondément blesser son orgueil. Voici ce qu'en dit Olivier d'Ormesson dans son Journal, à la date du 23 juin 1644 : « Je fus à Amboille, où le lundi suivant M. de Breteuil me vint voir et me dit qu'il avoit été à Ruel, où la reine étoit, à qui l'on faisoit entendre toute sorte de musique et qui se divertissoit fort ; que la duchesse d'Aiguillon étoit plus en faveur que jamais, et que le cardinal Mazarin étoit logé dans la basse-cour et avoit forcé Mademoiselle d'en sortir et d'aller dans le bourg. » On appelait basse-cour la partie du château où étaient les remises et les communs.

30. D'anciennes ordonnances interdisaient de bâtir hors de l'enceinte de Paris ; malgré cette défense de nombreuses constructions s'étaient élevées. Un arrêt du conseil, en date du 27 janvier 1644, ordonna de toiser les bâtiments élevés hors de l'ancienne enceinte et de faire payer à ceux qui en étaient détenteurs une amende calculée d'après le nombre de toises. Ce fut cet édit qui donna lieu à l'émeute dont parle Mademoiselle.

31. Le roi revint à Paris le 5 juillet 1644.

32. Mademoiselle place en 1644 des événements arrivés en 1645, comme le prouve le Journal d'Olivier d'Ormesson, à la date du 29 mai 1645.

33. L'émeute était dans toute sa violence au 30 mai 1645. «Les femmes, dit Olivier d'Ormesson, montèrent au clocher sonner le tocsin ; elles faisoient corps de garde ; et, à tous ceux qui passoient, demandoient qui vive ? Il falloit dire Merlin, ou l'on étoit battu. Le lieutenant civil, les gardes n'y purent rien faire. Enfin la reine fut obligée d'envoyer dire aux paroissiens, par M. Thubeuf, qu'ils auroient M. Merlin pour curé. Après cela ils chantèrent un Te Deum, et crioient vive le roi, la reine et M. Merlin. Le soir ils firent des feux de joie par toutes les rues, même les personnes de condition. » Journal d'Oliv. d'Ormesson à la date du 30 mai 1645.

34. Cette ville capitula le 28 juillet 1644.

35. 2 août 1644.

36. Charlotte Séguier, fille du chancelier, avait épousé Maximilien de Béthune, duc de Sully.

37. Gaston d'Orléans habitait alors le Luxembourg, qui pour ce motif est quelquefois désigné sous le nom de palais d'Orléans.

38. Renée Potier, comte, puis duc de Tresmes, était capitaine des gardes du corps.

39. Louise-Henriette Potier avait épousé en premières noces Emmanuel de Faudoas-Averton, comte de Belin ; elle se maria en secondes noces avec Jacques de Saulx, comte de Busançois et de Tavannes.

40. Le duc d'Enghien gagna vers cette époque la bataille de Fribourg, qui se composa de plusieurs combats livrés les 3 et 5 août 1644.

41. Dans une pièce de vers composée à cette époque sur les principales beautés de la cour, il est question

De Saint-Mesgrin, la pucelle mutine
Qui se défend trop mieux que Graveline ;
Car conquérants Graveline prise ont
Qui Saint-Mesgrin possible ne prendront.

On trouvera encore des détails sur mademoiselle de Saint-Mesgrin dans la Gazette de Loret (1er octobre 1650) ; on y voit qu'à cette époque, elle s'étoit fort acquis, comme dit Loret, un riche financier, Jeannin de Castille.

42. Compet de Saujon.

43. Marie d'Orléans, mademoiselle de Longueville, née en 1625. On a eu tort de mettre dans les anciennes éditions madame de Longueville au lieu de mademoiselle de Longueville. La belle-mère, dont il est question dans la même phrase était Anne-Geneviève de Bourbon, duchesse de Longueville, dont on a parlé plusieurs fois.

44. L'hôtel de Longueville était situé, à l'époque dont parle Mademoiselle, dans la rue du Petit-Bourbon (aujourd'hui place de la Colonnade du Louvre) et la rue des Poulies. Il fut vendu en 1665 à Louis XIV, par Henri d'Orléans, duc de Longueville, qui acheta l'hôtel de Chevreuse, rue Saint-Thomas du Louvre. L'ancien hôtel de Chevreuse prit alors le nom d'hôtel de Longueville.

45. Ce fut le 5 novembre 1644 que la reine d'Angleterre (Henriette de France, sœur de Louis XIII) arriva à Paris.

46. Le Journal d'Olivier d'Ormesson donne des détails assez complets sur l'entrée de la reine d'Angleterre à Paris :

« La reine d'Angleterre ayant dîné et couché à Montrouge, la reine y fut la recevoir le samedi (5 novembre) avec le roi, le petit Monsieur (Philippe d'Anjou, plus tard duc d'Orléans), madame la Princesse et M. le duc d'Anguien (Enghien) dans son carrosse. MM. de Guise et tous les cavaliers étoient fort bien montés et vêtus d'habits de couleur avec broderies d'or et d'argent. La Maison-de-Ville fut au-devant d'elle la complimenter à Montrouge. Après quelque conversation, le roi passa le premier et se mit au devant de son carrosse. La reine d'Angleterre se mit auprès de lui ; la reine après au fond ; M. le duc d'Orléans à la portière d'un côté, et M. le duc d'Anguien de l'autre ; madame la Princesse auprès de la reine. L'ordre fut que la grande écurie marchoit devant, ensuite les chevau-légers du roi et puis les mousquetaires, à la tête desquels étoient MM. de Montbazon et de Troisville. Après venoit quantité de noblesse à cheval bien montée et puis les gardes du corps du roi et de la reine ; ensuite le carrosse du roi seul avec force noblesse à cheval ; après la compagnie des gens d'armes du roi et de la reine, la carrosse de la reine d'Angleterre, puis ceux du roi, de la reine, du duc d'Orléans, de M. le Prince, etc. Le cardinal Mazarin n'y parut point. Ils furent descendre au Louvre et mirent la reine d'Angleterre dans l'appartement de la reine. Toutes les cours souveraines la furent complimenter ; et on dit que M. Nicolaï, premier président de la chambre des comptes, avoit le mieux fait. Le roi et la reine furent visiter le lendemain la reine d'Angleterre. La reine lui a toujours donné la droit, et elles s'appellent Madame ma sœur. Le roi a partout passé devant ; il l'appelle ma tante, et elle Monsieur. Le roi lui donne douze cents francs par jour. »

Le cardinal Mazarin, qui ne s'étoit pas trouvé à l'entrée de la reine d'Angleterre, alla la saluer le lendemain.

47. Élisabeth de France, fille de Henri IV et femme de Philippe IV, roi d'Espagne, était morte le 5 ou 6 octobre 1644. Cet événement était connu en France avant l'entrée de la reine d'Angleterre ; mais, dit une gazette manuscrite de l'époque, « l'on n'a pas voulu notifier la mort de la reine d'Espagne que l'entrée de ladite reine [d'Angleterre] ne fût faite. »

48. Ce fut le 5 avril 1648 que le duc de Guise fut fait prisonnier près de Capoue et conduit à Gaëte.

49. Charles Stuart, né le 22 mai 1630 ; il régna en Angleterre sous le nom de Charles II, de 1660 à 1685.

50. Gaston d'Orléans partit pour l'armée le 28 mai 1645.

51. Le fort Mardick fut bloqué le 20 juin et se rendit le 10 juillet ; Bourbourg fut pris le 9 août.

52. Josias Rantzau fut nommé maréchal de France le 16 juillet 1645. Il mourut le 4 septembre 1650.

53. Béthune se rendit le 29 août 1645.

54. Saint-Venant, La Mothe-aux-Bois, Varneton, Comines, Menin, ouvrirent successivement leurs portes en septembre 1645.

55. La bataille de Nordlingue ou Nordlingen (Bavière), fut gagnée le 3 août.

56. Mademoiselle ne paraît nullement comprendre la politique de Mazarin, placé entre les maisons d'Orléans et de Condé, et obligé de les ménager avec une adresse extrême et de les opposer l'une à l'autre. Un auteur anonyme, qui a laissé des Mémoires inédits sur cette époque (B. imp. mss. Suppl. fr. no. 925), apprécie beaucoup mieux la situation et la conduite du ministre : « Avec la nouvelle année (1644), chacun commença à former de nouveaux projets. Le duc d'Orléans, qui durant le dernier règne avoit presque toujours été en disgrâce, voulant se servir du temps et de l'occasion, demanda le gouvernement de Languedoc. Cette province est sans doute une des plus importantes de la France, soit pour la fertilité du pays, soit pour son étendue, soit pour sa situation. Le Rhône et la mer, dont elle est bornée d'un côté, la Guienne de l'autre, la ville de Toulouse et le parlement, mais surtout les citadelles de Saint-Esprit et de Montpellier, en augmentent infiniment la considération. Le maréchal de Schomberg, qui, durant plusieurs années, l'avoit gouvernée assez heureusement, souhaitoit fort de s'y maintenir. Toutefois on le presse de venir à la cour ; il s'en défend et s'excuse ; mais enfin il fallut obéir. Il ne fut pas sitôt arrivé qu'on mit l'affaire en négociation, et on le pressa, de sorte qu'après quelques contestations il fut contraint de s'accommoder du gouvernement de Metz, de la charge de colonel des Suisses et de cent milles écus comptants et donna sa démission. Le prince de Condé, cependant, assistoit régulièrement aux conseils et se trouvoit si comblé de biens, de dignités et de charges, qu'il n'avoit rien à désirer que la conservation de ce qu'il possédoit. Quant au duc d'Enghien, il n'avoit aucun établissement ; mais sa naissance, ses services et son ambition lui faisoient tout espérer : aussi jeta-t-il les yeux sur le gouvernement de Champagne, tant pour la facilité qu'il y avoit de le tirer des mains du maréchal de l'Hôpital, que pour ce qu'elle confine à la Bourgogne, dont le prince de Condé étoit le gouverneur. La chose fut bientôt ajustée, le maréchal de l'Hôpital s'étant contenté de quelque argent comptant et de la lieutenance du roi ; mais, comme les gouvernements de province sont plutôt onéreux qu'avantageux, s'ils ne sont accompagnés de quelque gouvernement de place particulière, le duc d'Enghien désira qu'on y joignit les citadelles de Clermont et de Stenay ; à quoi la reine fut obligée de donner les mains ; mais, pour sauver les apparences, on en différa l'exécution jusques au retour de la campagne.
« Le cardinal Mazarin, se voyant ainsi pressé de toutes parts, pensa sérieusement à ses affaires, et crut que, pour maintenir sa fortune, il falloit de nécessité diviser les maisons d'Orléans et de Bourbon, afin que, se balançant l'une par l'autre, il pût demeurer ferme au milieu et se rendre nécessaire à toutes deux. Il ne lui fut pas malaisé de réussir en son dessein ; car, outre la nature de ces princes et leurs humeurs si opposés, l'engagement que le duc d'Orléans avoit d'un côté avec la maison de Lorraine, ennemie de celle de Bourbon, et de l'autre la mort du duc de Montmorency, que le duc d'Orléans, ne pouvoit oublier, les rendoient irréconciliables. D'ailleurs le cardinal, ajoutant à cela ses artifices, tantôt excitant la jalousie du duc d'Orléans pour la gloire et les belles actions du duc d'Enghien, tantôt échauffant l'ambition de l'autre, fomenta leur division, et surtout celle des femmes de part et d'autre, qui contestoient sans cesse d'esprit et de beauté.» Mademoiselle ne paraît pas avoir soupçonné cette politique de Mazarin. Elle attribue à son incapacité et à son peu de jugement (ce sont les termes mêmes qu'elle emploie) la conduite peu loyale à la vérité, mais certainement fort habile, que tint le ministre pour diviser deux puissants maisons, dont l'union eût dominé et opprimé la régente et la France.

57. Le 2 septembre, le duc d'Enghien tomba malade devant Heilbronn. On le transporta à Philipsbourg.

58. Marthe Poussart (ou Poussard) Du Vigean, dont il a été question plus haut, entra aux Carmélites de la rue Saint-Jacques en 1647 et y fit profession en 1649.

59. François Poussart, seigneur de Fors et marquis Du Vigean, dont on a déjà parlé.

60. C'est probablement mademoiselle Du Vigean que Sarrasin désigne, sous le nom de Philis, dans les vers suivants, adressés au duc d'Enghien après la campagne d'Allemagne (1645) :

« Grand duc, qui d'Amour et de Mars,
Portes le cœur et le visage, etc.
Ayant fait triompher les lis,
Et dompté l'orgueil d'Allemagne,
Viens commencer près ta Philis
Une autre sorte de campagne. »

61. Il a été question plus haut de Jacques Estuert, marquis de Saint-Mégrin, ou Saint-Mesgrin, dont la sœur avait inspiré une vive passion à Gaston d'Orléans. Saint-Mégrin fut tué au combat de la porte Saint-Antoine, en 1652.

62. Marguerite-Louise d'Orléans, née le 28 juillet 1645, mariée le 19 avril 1661 à Cosme de Médicis, grand-duc de Toscane, morte à Paris le 17 septembre 1721.

63. La beauté de mademoiselle de Guerchy est célébrée dans les poésies de cette époque ;

Guerchy, tu ravis le monde . . . .

Et ailleurs :

« Guerchy, deux cœurs brûlent pour vous,
L'amour qui les assemble
Les feroit plaindre ensemble
Sans être jaloux :
Malte et Lorraine
Sont dessous vos lois. »

Ces vers de Benserade désignent, d'après les commentateurs, le commandeur de Jars, de l'ordre de Malte, et le duc de Joyeuse, de la maison de Lorraine.

64. Suzanne de Pons, fille de Jean-Jacques de Pons, marquis de la Caze, et de Charlotte de Parthenay, dame de Genouillé. Elle mourut sans alliances en 1668. Des Mémoires inédits déjà cités (note 56) parlent de toutes ces intrigues amoureuses. « La reine, dit l'auteur anonyme, étoit à Fontainebleau, jouissant des douceurs de la campagne. Ces illustres conquérants (les duc d'Orléans et d'Enghien), après avoir rapporté leurs lauriers à ses pieds, se retirèrent, le premier à Paris et l'autre à Chantilly, en attendant la fin de l'année. Si la cour de Fontainebleau surpassoit celle de Chantilly en nombre, celle-ci ne lui cédoit nullement en galanterie et en divertissements. La princesse de Condé, les duchesses d'Enghien et de Longueville y étoient venues accompagnées d'une douzaine de personnes de qualité, des plus aimables de France. Outre la beauté du site, la chasse, le jeu, la musique, la comédie, les promenades avec une extrême liberté et généralement tout ce qui rend la campagne agréable, se trouvoient en ce lieu en abondance. La jeune du Vigean y étoit, pour laquelle le duc d'Enghien avoit alors beaucoup de tendresse et d'amitié. Elle, de son côté, y répondit assez, et tout le monde la favorisoit. On passoit insensiblement d'un divertissement à un autre. Ainsi le temps s'écoutoit insensiblement, sans qu'on s'en aperçût ni que personne pût s'en ennuyer. A Fontainebleau, le duc d'Orléans s'éprit d'une fille de la reine nommée Saint-Mégrin ; le duc de Guise d'une autre qu'on appeloit Pons, et il la sollicitoit ardemment de l'épouser. » Voy. aussi ce note et Chapitre V sur mademoiselle de Pons et le duc de Guise.

65. Marie de Valois, fille unique et héritière de Louis-Emmanuel, duc d'Angoulême et comte d'Alais.

 


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris : Charpentier, 1858. T. I, Chap. III : p. 73-110.


James Eason welcomes comments, criticism, and suggestions.