ENREGISTREMENT DE LA DÉCLARATION DE LOUIS XIII PAR LE PARLEMENT

 

ENREGISTREMENT DE LA DÉCLARATION DE LOUIS XIII PAR LE PARLEMENT (21 avril 1643).

Mademoiselle se borne à mentionner l'enregistrement de la déclaration de Louis XIII, qui régloit le gouvernement de la France pendant la régence. Olivier d'Ormesson, fils d'André, retrace dans son Journal les détails de cette cérémonie, dont il fut témoin oculaire. Ce récit est un complément naturel des mémoires de Mademoiselle. Le voici, d'après le manuscrit autographe :

« Le mardi, 24 avril (1643), je fus, avec MM. de Breteuil et du Machault, au palais pour voir la cérémonie. Sur les huit heures, l'on appela MM. des enquêtes ; je me mis dans les bancs parmi eux. M. le premier président nous fit le récit de ce qui s'étoit passé à Saint-Germain, conforme à ce que dessus, et se brouilla,1 nommant M. le Prince le premier, puis Monsieur, puis M. le dauphin ; après il nous fit retirer. J'entrai dans la quatrième chambre. M. le chancelier étant arrivé, MM. des enquêtes rentrèrent, sans être appelés, en foule dans les bancs pour avoir place. M. le chancelier dit que ce n'étoit point l'ordre ; que l'on ne feroit rien qu'ils ne fussent retirés. Ce qui ayant été fait, et, chacun étant hors des bancs seulement, il dit à l'huissier qu'il appelât MM. des enquêtes ; et, à l'instant, chacun reprit place.

» L'on attendit quelque temps Monsieur, au-devant duquel étoient allés M. le Prince et MM. les présidents de Bellièvre et de Longueil. Monsieur, incontinent, arriva vêtu de noir, traversa, avec M. le Prince, par devant MM. les présidents et prit sa place sur le banc des conseillers laïcs, au-dessus du doyen. Les ducs d'Uzès et de Ventadour2 passèrent aussi devant les présidents, quoiqu'ils en fussent empêchées. Les autres passèrent par derrière les barreaux. En cette assemblée, sur le banc des présidents, étoient MM. Séguier, chancelier, Molé, premier président, Novion, de Mesmes,3 Le Bailleul,4 de Nesmond, Bellièvre, de Longueil. Sur le banc des ducs étoient Monsieur frère du roi, M. le Prince, les ducs d'Uzès, de Ventadour, de Sully,5 de Lesdiguières, de Retz,6 de Saint-Simon,7 de La Force. Après venoit M. Bouthillier, surintendant, comme conseiller de la cour. Les conseillers de la grand'chambre et les présidents des enquêtes étoient en haut, sur le banc ordinaire, pêle-mêle ; et MM. les maîtres des requêtes, savoir Génicourt, de Chaulnes, Amelot et Saint-Jouin,8 se mirent sur le banc d'en haut, derrière les présidents, quelque résistance qu'en fissent les présidents. Il y avoit encore quelques maîtres des requêtes, assis parmi les présidents des enquêtes, qui en vouloient faire bruit ; mais ils demeurèrent.

» M. le chancelier ouvrit l'assemblée par une harangue, dans laquelle il louoit le roi de sa prudence en toutes ses actions, mais principalement en cette occasion. Après avoir fini, il manda les gens du roi qui étoit MM. Méliand, procureur général, Talon et Briquet,9 avocats généraux, qui prirent place à l'ordinaire. Après, M. Meusnier fit lecture de la déclaration, à la suite de laquelle M. Talon, après avoir dit trois périodes, conclut qu'elle fût lue, publiée et enregistrée. Puis, M. le chancelier demanda l'avis à messieurs de la grand'chambre, présidents des enquêtes, maîtres des requêtes, après aux enquêtes, aux ducs et à Monsieur, et enfin aux présidents. Tous opinèrent du bonnet, excepté M. le Prince qui rendit témoignage de la résolution du roi et de sa vertu, et parla fort bien. Après, M. le chancelier et les présidents se retirèrent pour changer de robe, pendant lequel temps Monsieur monta en haut avec les princes et ducs, et, incontinent, les bancs du parquet furent remplis de ceux qui étoient en haut. M. le chancelier rentra avec sa robe violette, et les présidents avec leurs robes rouges,10 et ayant pris leurs places comme aux audiences, les gens du roi entrèrent et se présentèrent pour se mettre au banc des présidents dans le parquet, comme aux audiences ; mais on leur fit signe de se mettre derrière le barreau, comme quand le roi est au parlement.

» Les portes ouvertes, lecture fut faite de la déclaration par Du Tillet. Ensuite M. Talon parla de la sagesse du roi, et puis s'étendit sur les vertus de la reine, la compara à la reine Blanche, mère et régente de saint Louis, dit que nous avions dans l'histoire neuf exemples de régences déférées aux mères des rois,11 parla peu de Monsieur et de M. le Prince, les exhorta à l'union et à agir sans intérêt particulier, et puis conclut que, sur le repli des lettres, fût mis : lu, publié et registré, et ce requérant et consentant le procureur général du roi ; que duplicata en fût envoyé à tous les parlements de France, pour y être registré sans aucune délibération, attendu la conséquence ; que copies collationnées en fussent envoyées par tous les bailliages et sénéchaussées, etc.

» Après, M. le chancelier se leva, demanda l'avis aux présidents et ensuite aux conseillers, puis à Monsieur, M. le Prince, et à trois ou quatre ducs conjointement, à ceux qui venoient à la suite ; descendit dans le parquet ; demanda l'avis à quelques maîtres des requêtes, quoiqu'il y en eût eu quatre en haut, qui eussent déjà opiné, après au présidents des enquêtes, conseillers de la grand'chambre, et puis à tous ceux des enquêtes en troupe, et enfin, étant remonté en sa place, il prononça : La cour a ordonné et ordonne que, sur le repli des lettres, sera mis : lu, publié et registré, ouï, et ce requérant et consentant le procureur général du roi, et en demeura là, et puis il se leva et sortit par la lanterne du côté du greffe. Monsieur sortit par le milieu du parquet, et chacun se retira fort satisfait du bon ordre qui y avoit été observé.

» La déclaration avoit été dressée par M. le chancelier. Je n'en parlerai point, espérant en avoir une copie.12 Je dirai seulement que tout le monde se moquoit des précautions que messieurs les quatre ministres avoient mises dans cette déclaration pour éviter leur chute,13 et trouvoit très-honteux pour le chancelier d'y avoir nommé M. de Châteauneuf14 et madame de Chevreuse, faisant connoître par là sa crainte. Avant que d'entrer en la grand'chambre, je me trouvai auprès de M. de Machault, conseiller d'État, qui me dit que M. le Prince avoit convié le roi à rappeler tous ceux qui pouvoient se plaindre de lui et les voir pour se les réconcilier, et que le roi lui avoit dit : très-volontiers, et qu'il n'avoit jamais fait mal à personne que par force, et que jamais homme n'avoit tant souffert que lui, pendant cinq ou six ans, sous la tyrannie du cardinal ; et qu'après cette parole étoient arrivés en cour MM. de Vendôme, de Vitry,15 de Bassompierre,16 de Bellegarde,17 d'Estrées.18 »

 


NOTES

1. Retz dit que le premier président « n'étoit point congru en sa langue ».

2. François-Christophe de Levis, ou Levy, duc de Ventadour, mort en 1661.

3. Henri de Mesmes, seigneur d'Irval et de Roissy, président au parlement depuis le 6 février 1627, mort en 1650.

4. Nicolas Le Bailleul, mort en 1651.

5. Maximilien-François de Béthune, petit-fils du ministre de Henri IV.

6. Pierre de Gondi, duc de Retz, frère aîné du cardinal, mort en 1676.

7. Claude de Saint-Simon, ancien favori de Louis XIII, gouverneur de Blaye.

8. Jacques de Chaulnes, seigneur d'Épinay, reçu maître des requêtes en 1619 ; Gaspard du Fay, seigneur de Saint-John ou Saint-Jouin, reçu maître des requêtes le 25 janvier 1622.

9. Omer Talon, né en 1595, avocat général au parlement de Paris depuis 1631, mort le 29 décembre 1652. Il a laissé des Mémoires sur cette époque ; Étienne Briquet, gendre de Jérôme Brignon, exerça les fonctions d'avocat général de 1641 à 1645.

10. On trouve, dans les Mémoires d'Omer Talon, des détails sur ce changement de robes, qui prouvent quelle importance on attachait alors à l'étiquette.

11. Les régences sont assez difficiles à retrouver, et il faut remonter, pour les découvrir, à des époques qui ne permettent aucun parallèle. C'est probable que Clothilde, Frédégonde, Brunehault, Bathilde, Plectrude, Blanche de Castille, Isabeau de Bavière, Catherine de Médicis et Marie de Médicis sont les princesses auxquelles Omer Talon fait allusion.

12. Cette déclaration a été imprimée dans le Recueil des anciennes lois françaises, XVI, 550 sqq.

13. Les ministres qui, d'après la déclaration, entraient au conseil, étaient le cardinal Mazarin, le chancelier, le surintendant Bouthillier et le secrétaire d'État Chavigny.

14. Charles de l'Aubespine, marquis de Châteauneuf, avait été nommé garde des sceaux en 1630 ; il fut disgracié et emprisonné en 1633. Il mourut en 1653. La déclaration interdisait formellement de lui accorder sa grâce, ainsi qu'à la duchesse de Chevreuse.

15. Nicolas de l'Hôpital, enfermé à la Bastille en 1637, mort en 1644.

16. François de Bassompierre, né en 1599, colonel général des Suisses, maréchal en 1622, enfermé à la Bastille en 1631, mort en 1646. Il a laissé des Mémoires.

17. Roger de Saint-Lary, duc de Bellegarde, né vers 1562, mort le 13 juillet 1646. Il était grand écuyer de France.

18. François-Annibal, duc d'Estrées, maréchal de France depuis 1626, mort en 1670, dans sa quatre-vingt-dix-huitième année. Il était frère de la célèbre Gabrielle d'Estrées, maîtresse de Henri IV.


James Eason