Fargues

Mademoiselle parle peine en passant de la rvolte de Fargues. Comme les consquences de cet vnement ont t prsentes par Saint-Simon,1 sous un aspect compltement faux et avec une partialit vidente, j'emprunterai un contemporain des dtails circonstancis et d'une authenticit incontestable. Olivier d'Ormesson crit, dans son Journal, la date du 29 mars 1665:  Je reus des lettres de la condamnation de Fargues, et qu'il avoit t pendu le vendredi cinq heures du soir, Abbeville. L'on remarquoit qu'ayant t conduit Hesdin, il avoit t mis dans la prison avec les mmes fers et dans le mme lieu, o il avoit retenu prisonnier le nomm Philippe-Marie, qui toit un officier qui avoit voulu soulever la garnison contre lui, lors de sa rvolte; qu'un soldat, qu'il avoit oblig d'tre bourreau et de pendre un homme, avoit t le sien et l'avoit pendu. L'on convenoit aussi qu'il avoit entendu la lecture de sa condamnation avec beaucoup de fermet; qu'il avoit bais trois fois la terre, remerciant Dieu; qu'il avoit aussi bais trois fois sa potence, et qu'il toit mort avec courage et fort chrtiennement.

 Cette fin extraordinaire m'oblige de dire que Fargues toit n de petite condition, dans Figeac, en Languedoc;2 qu'ayant pous la sœur du sieur de La Rivire, neveu de M. de Bellebrune, il avoit t major d'Hesdin, tant que M. de Bellebrune toit gouverneur, et qu'au mois de janvier 1658 ledit sieur de Bellebrune tant mort, il forma le dessein de se rendre matre de cette place. tant venu Paris, il offrit M. de Palaiseau, gendre de M. de Bellebrune, de le servir pour lui conserver le gouvernement, et lui demanda les noms de ses amis dans la place, lesquels M. de Palaiseau lui donna, et en mme temps Fargues offrit donn, de l'argent et son service; mais en ayant t fort peu accueilli, il partit devant, disant que c'toit pour s'en rendit le matre, ayant chass tous les amis de M. de Palaiseau et de M. de Moret; et ayant crit M. le marchal d'Hocquincourt pour lui livrer cette place, M. d'Hocquincourt, avec son rgiment qui toit en garnison sur la frontire, s'y retira; et je me souviens qu'tant en Picardie,3 le colonel de ce rgiment vint de la cour m'apportant des ordres, et il tmoignoit vouloir servir la cour contre le marchal, et nanmoins, sitt qu'il et joint son rgiment, il le dbaucha et se retira Hesdin.

 Lorsque, par la paix, la ville d'Hesdin fut rendue au roi, je la reus et y fis entrer le rgiment de Picardie.4 Je parlai Fargues de toute sa conduite. Il me dit que, sitt qu'il toit entr dans Hesdin, il avoit crit en quatre endroits pour ngocier: 1º la cour, par l'entremise de de Carlier, commis de M. Le Tellier, qui y fit deux voyages, et enfin par sa femme, qui prit cette occasion pour aller Hesdin et se rendre auprs de son mari; 2º au marchal d'Hocquincourt, qui ne manqua pas de se venir jeter dans Hesdin; mais Fargues prit si bien ses prcautions avec lui, qu'il n'en fut jamais le matre et ne lui permit jamais ni d'y tre le plus fort, ni de parler un homme en particulier; 3º M. le Prince; 4º aux Espagnols, dont il reut des troupes qu'il fit camper dans le faubourg de Saint-Leu, sans que jamais il souffrit deux officiers de ces troupes entrer ensemble dans la ville.

 Le roi, en avril 1658, marchant avec son arme pour faire le sige de Dunkerque, fit semblant de vouloir assiger Hesdin, et le bruit en couroit. Il passa la vue de cette place croyant que sa prsence feroit quelque soulvement dans la ville. Mais Fargues me dit que, sachant qu'il ne seroit point assig, il jugea qu'il n'avoit qu' se dfendre d'une rvolte; qu'il avoit assembl toute sa garnison, et, leur ayant dit que le roi venoit les assiger, il avoit dclar que, pour lui, il toit rsolu de se dfendre, et qu'il laissoit, ceux qui voudroient, la libert de sortir; que tous lui avoient jur de mourir avec lui, et que, profitant de cette disposition, il avoit mis ses troupes dans les dehors et toit demeur dans la place, craignant seulement un coup de main et d'tre assassin; que M. le marchal d'Hocquincourt escarmoucha avec la cavalerie, et que depuis il n'avoit song qu' ses fortifications, et maintenir l'ordre et la police dans sa place; que La Rivire et lui toient dans des chambres spares, aux deux bouts d'une salle commune, dans laquelle il y avoit un corps de garde de pertuisaniers; que jamais l'un ne dormoit que l'autre ne ft veill; qu'ils n'alloient jamais en un mme lieu ensemble; et enfin Fargues m'ayant expliqu sa conduite, fait voir ses magasins, me parut homme de tte et de grand ordre, et chacun convient qu'il a soutenu sa rvolte avec beaucoup d'habilet, n'ayant ni naissance, ni condition, ni charge, ni considration, qui le distingut pour se soutenir.

 L'on raconte que, durant son procs, il a dit souvent qu'il n'avoit commis qu'une seule faute, qui toit de s'tre laiss prendre. Il a dclar, aprs son jugement, qu'il entretenoit correspondance avec Saint-Aulnais,5 qui le pressoit de se retirer en Espagne. L'on m'a dit aussi que La Rivire, son beau-frre, le lui avoit recommand en mourant. Cette condamnation porte pour vol, pculat, faussets et malversations commises au fait du pain de munition.6 

 


NOTES

1. Mmoires, dit. Hachette, in-8, t. V., p. 58 et suiv.

2. Fargues est appel Toulousain dans la lettre de Gui Patin du dernier mars 1665; mais Gui Patin, qui n'en parle qu'en passant, est loin d'avoir sur Fargues des renseignements aussi prcis qu'Olivier d'Ormesson. Il altre mme son nom. Voici le passage de cet auteur:  Le nomm de Farques, Toulousain, qui s'toit, il y a six ans, rendu matre d'Hesdin, a t pendu dans Abbeville, le vendredi 27 mars, pour divers crimes qui n'toient point compris dans l'amnistie. 

3. Olivier d'Ormesson tant, cette poque, intendant de Picardie.

4. Cette reddition de la place d'Hesdin fit assez de bruit pour que Loret en parlt dans sa Muze historique (lettre du 13 mars 1660):

Les sieurs Fargues et La Rivire,
L'un et l'autre gens de rapire,
Qui commandoient, dedans Hdin,
Le soldat et le citadin,
Dont ils s'toient rendus les matres,
En ont, dit-on, tir leur gutres,
Moyennant abolition,
De crainte de punition;
Et ce magistrat d'importance,
Qui du pays a l'intendance,
D'Ormesson, qui, dans maint employ,
A dignement servi le roy
Et fort priz dans la contre,
Y fit, samedi, son entre,
De la part de Sa Majest,
Avec grande solemnit,
Au son des tambours et des bussines [trompettes],
Suivi des troupes fantassines,
Braves soldats, bons compagnons,
O trois douzaines de canons,
De leurs bouches creuses et larges
Y firent chacun deux dcharges.
Ensuite le dit d'Ormesson,
De la belle et bonne faon,
Fit, le jour mesme, en homme habille,
Publier la paix dans la ville,
O l'on cria, par les quartiers,
Vive le roy, trs-volontiers.

5. Ces aveux prouvent que Fargues ne vivait pas paisiblement retir dans ses terres et tranger toute politique, comme le prtend Saint-Simon, dans le passage cit.

6. Saint-Simon dit que Fargues fut impliqu dans un meurtre commis Paris au plus fort des troubles. Il raconte qu'il fut jug et condamn par le premier prsident de Lamoignon. Ces erreurs, que Saint-Simon donne pour d'incontestables vrits, s'expliquent par la haine de cet auteur contre les Lamoignon. Elles suffisent pour prouver qu'on ne doit accepter ses assertions qu'aprs un srieux examen. Ce fut l'intendant de Picardie, Machault, qui pronona la sentence et la fit excuter.

 


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