Boo the Cat. Hoorah!

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CHAPITRE VI.

(1649-1650)

1650

[1649.] Pendant que la cour fut à Paris, elle n'y eut pas tout le contentement qu'elle pouvoit désirer ; cela obligea M. le cardinal de conseiller d'en sortir, ce qui étoit un dessein un peu hardi lorsque l'on considéroit l'incertitude de l'événement. Comme Monsieur et M. le prince étoient les gens les plus intéressés au bien de l'État, il voyoit que, selon toute vraisemblance, ils en devoient être les maîtres, et que ce qui pourroit arriver de ce conseil tomberoit plutôt sur eux que sur lui. La suite a fait voir que l'on eût pu se passer de ce voyage, qui a été cause de tous les fâcheux troubles qui ont suivi et de l'absence de M. le Prince, qui est à compter pour beaucoup. Monsieur et M. le Prince disoient que le cardinal eut beaucoup de peine à les faire consentir à ce dessein ; ils y consentirent enfin, et ils disent aussi s'en être bien repentis depuis ; ils l'ont dû faire : ils en ont bien pâti tous deux. Monsieur avoit la goutte depuis quelque temps, et, deux jours avant le départ, la reine alla tenir conseil chez lui ; ce fut là que la dernière résolution de ce voyage se prit : l'on trouva que la nuit du jour des Rois étoit propre pour ce dessein, pendant que tout le monde seroit en débauche, afin d'être à Saint-Germain avant que personne s'en aperçût. J'avois soupé ce jour-là chez Madame, et toute la soirée j'avois été dans la chambre de Monsieur où quelqu'un de ses gens me vint dire en grand secret que l'on partoit le lendemain ; ce que je ne pouvois croire, à cause de l'état où Monsieur étoit. Je lui allai débiter cette nouvelle par raillerie : le silence qu'il garda là -dessus me donna lieu de soupçonner la vérité du voyage ; il me donna le bon soir un moment après, sans avoir rien répondu. Je m'en allai dans la chambre de Madame, nous parlâmes longtemps là-dessus ; elle étoit de la même opinion que moi, que le silence de Monsieur marquoit la vérité de ce voyage. Je m'en allai à mon logis assez tard.

Entre trois et quatre heures du matin, j'entendis heurter fortement à la porte de ma chambre, je me doutai bien de ce que c'étoit : j'éveilla mes femmes et envoyai ouvrir ma porte. Je vis entrer M. de Comminges1 ; je lui demandai : « Ne faut-il pas s'en aller ? » Il me répondit : « Oui, Mademoiselle ; le roi, la reine et Monsieur vous attendent dans le Cours ; et voilà une lettre de Monsieur. » Je la pris, la mis sous mon chevet, et lui dis : « Aux ordres du roi et de la reine il n'est pas nécessaire d'en joindre de Monsieur pour me faire obéir. » Il me pressa de la lire, elle contenoit seulement que j'obéisse avec diligence. La reine avoit désiré que Monsieur me donnât cet ordre, dans l'opinion que je n'obéirois pas au sien, et que j'aurois été ravie de demeurer à Paris pour me mettre d'un parti contre elle ; car contre le roi je ne vis jamais personne qui avouât d'en avoir été : c'est toujours contre quelque autre personnage que le roi. Si elle ne s'étoit pas plus trompée en tout ce qu'elle auroit pu prévoir qu'en cette crainte, elle auroit été plus heureuse et auroit eu moins de chagrins ; jamais rien ne fut si vrai que j'ai pensé cent fois depuis.2

Au moment que M. de Comminges me parla, j'étois toute troublée de joie de voir qu'ils alloient faire une faute et d'être spectatrice des misères qu'elle leur causeroit. Cela me vengeoit un peu des persécutions que j'avois souffertes. Je ne prévoyois pas alors que je me trouverois dans un parti considérable, où je pourrois faire mon devoir et me venger en même temps. Cependant en exerçant ces sortes de vengeances, l'on se venge bien contre soi-même.

Je me levai avec toute la diligence possible, et je m'en allai dans le carrosse de Comminges, le mien n'étoit pas prêt ni celui de la comtesse de Fiesque. La lune finissoit et le jour ne paroissoit pas encore ; je recommandai à la comtesse de Fiesque de m'amener au plus tôt mon équipage. Lorsque je montai dans le carrosse de la reine, je dis : « Je veux être au devant ou au derrière du carrosse ; je n'aime pas le froid et je veux être à mon aise. » C'étoit en intention d'en faire ôter madame la Princesse ; qui avoit accoutumé d'être en l'une des deux places. La reine me répondit : « Le roi mon fils et moi nous y sommes, et madame la Princesse la mère. » Je répondis : « Il l'y faut laisser ; les jeunes gens doivent les bonnes places aux vieux. » Je demeurai à la portière avec M. le prince de Conti ; à l'autre étoit madame la Princesse la fille et madame de Senecey.3 La reine me demanda si je n'avois pas été bien surprise ; je lui dis que non, et que Monsieur me l'avoit dit, quoiqu'il n'en fût rien ; elle me pensa surprendre en cette menterie, pare qu'elle me demanda : « Comment vous êtes vous donc couchée ? » Je lui répondis : « J'ai été bien aise de faire provision de sommeil dans l'incertitude si j'aurois mon lit cette nuit. » Jamais je n'ai vu une créature si gaie qu'elle étoit : quand elle auroit gagné une bataille, pris Paris, et fait pendre tous ceux qui lui auroient déplu, elle ne l'auroit pas plus été, et cependant elle étoit bien éloignée de tout cela.

Comme l'on fut arrivé à Saint-Germain (c'étoit le jour des Rois), l'on descendit droit à la chapelle pour entendre la messe, et tout le reste de la journée se passa à questionner tous ceux qui arrivoient, sur ce que l'on disoit et faisoit à Paris. Chacun en parloit à sa mode, et tout le monde étoit d'accord que personne ne témoignoit de déplaisir du départ du roi. L'on battoit le tambour par toute la ville, et chacun prit les armes. J'étois en grande inquiétude de mon équipage, je connoissois madame la comtesse de Fiesque d'une humeur timide mal à propos, et dont je craignois de pâtir comme je fis. Elle ne vouloit point sortir de Paris dans la rumeur, ni faire passer mon équipage ; ce qui m'étoit le plus nécessaire. Quant à elle, je m'en serois bien passée. Elle m'envoya un carrosse, qui passa parmi les plus mutins sans qu'on lui dit rien, le reste auroit passé de même ; ceux qui étoient dedans reçurent toutes sortes de civilités,4 quoique ce fût de la part de gens qui n'en font guère, et cela me fut rapporté. Elle m'envoya dans ce carrosse un matelas et un peu de linge.

Comme je me vis en si mauvais équipage, je m'en allai chercher secours au Château-Neuf,5 où logeoient Monsieur et Madame, qui me prêta deux de ses femmes de chambre ; comme elle n'avoit pas toutes ses hardes non plus que moi, le tout alla plaisamment. Je me couchai dans une fort belle chambre en galetas bien peinte, bien dorée et grande, avec peu de feu et point de vitres ni de fenêtres ; ce qui n'est pas agréable au mois de janvier. Mes matelas étoient par terre, et ma sœur, qui n'avoit point de lit, coucha avec moi : il falloit chanter pour l'endormir, et son somme ne duroit pas long-temps ; elle troubla fort le mien ; elle se tournoit, me sentoit auprès d'elle, se réveilloit et crioit qu'elle voyoit la bête ; de sorte que l'on chantoit de nouveau pour l'endormir, et la nuit se passa ainsi. Jugez si j'étois agréablement pour une personne qui avoit peu dormi l'autre nuit, et qui avoit été malade tout l'hiver de maux de gorge et d'un rhume violent. Cependant toute cette fatigue me guérit.

Heureusement pour moi les lits de Monsieur et de Madame vinrent : Monsieur eut la bonté de me donner sa chambre ; il avoit couché dans un lit, que M. le Prince lui avoit prêté. Comme j'étois dans la chambre de Monsieur, où l'on ne savoit point que je logeasse, je me réveillai par le bruit que j'entendis ; j'ouvris mon rideau, je fut fort étonnée de voir ma chambre toute plaine de gens à grands collets de buffle, qui furent fort étonnés de me voir, et que je connoissois aussi peu qu'ils me connoissoient. Je n'avois point de linge à changer, et l'on blanchissoit ma chemise de nuit pendant le jour et ma chemise de jour pendant la nuit ; je n'avois point mes femmes pour me coiffer et habiller ; ce qui est très-incommode ; je mangeois avec Monsieur, qui fait très-mauvaise chère. Je ne laissois pas pour cela d'être gaie, et Monsieur admiroit que je ne me plaignois de rien. Pour Madame elle n'étoit pas de même ; aussi suis-je une créature qui ne m'incommode de rien ; et fort au-dessus des bagatelles. Je demeurai ainsi dix jours chez Madame, au bout desquels mon équipage arriva, et je fus fort aise d'avoir toutes mes commodités. Je m'en allai loger au Château-Vieux,6 où étoit la reine ; j'étois résolue, si mon équipage ne fût venu, d'envoyer à Rouen me faire faire des hardes, et un lit, et pour cela je demandai de l'argent au trésorier de Monsieur ; et l'on m'en pouvoit bien donner, puisque l'on jouissoit de mon bien. Si l'on m'en eût refusé, je n'aurois pas laissé de trouver qui m'en eût prêté.

Saujon, qui étoit hors de Pierre-Encise, étoit venu à Orléans voir son frère ; et, sur le bruit de la sortie du roi, et de la guerre, il s'étoit approché de Saint-Germain. Il envoya son frère demander permission, au lieu de venir à la cour, d'aller à l'armée servir à sa compagnie, qui étoit à Saint-Denis. J'en parlai à Monsieur, qui en parla à M. le cardinal, et il le fit trouver bon à la reine ; de sorte que Saujon revint à Saint-Germain et y fut bien reçu ; puis il s'en alla à son quartier ; il revenoit de fois à autres à Saint-Germain ; ensuite il alla à Pontoise, où il commandoit cinq ou six compagnies de son corps, et c'étoit en ce temps-là une place considérable.

Saujon hors de prison, je n'avois plus de sujet apparent de bouder contre la cour et de m'en plaindre ; de sorte que, comme j'avois fort demandé sa liberté à M. le cardinal, je fus obligée de lui en faire de grands remerciements, et à la reine, qui avoit d'autant plus de joie de me témoigner de la bonté et de me faire des amitiés, qu'elle savoit bien que cela ne faisoit pas plaisir à madame la Princesse, qui étoit lors assez mal avec elle, parce que le prince de Conti, qu'elle a toujours mieux aimé que M. le Prince, quoique leur mérite fût différent, étoit allé à Paris, avec M. de Longueville7 ; ce qui faisoit croire à la reine qu'elle avoit plus de zèle pour le parti de Paris que pour celui du roi. Cela m'en donna pour les intérêts de la cour : j'étois toujours opposée à elle.

Ce départ alarma assez d'abord, et ce n'étoit pas pour le regret qu'on eut du prince de Conti ni de M. de Longueville, ni la crainte du mal qu'ils pouvoient faire. M. le Prince étoit allé visiter Charenton, qui n'étoit pas encore occupé par les gens de Paris, et où l'on avoit intention de mettre du monde ; il arriva très-tard et l'on craignoit qu'il ne fût de la partie, et que les autres ne l'eussent été joindre ; son retour et sa conduite pendant toute cette guerre justifient bien que son intention étoit contraire à celle de son frère. Les occasions de combat ne furent pas fréquentes pendant cette guerre, elle dura peu, et l'on fut longtemps à Saint-Germain, sans que les troupes qui devoient assiéger Paris fussent venues.

L'on n'eut jamais dessein de l'assiéger dans les formes : la circonvallation eût été un peu trop grande et l'armée trop petite ; l'on se contenta de séparer en deux quartiers, l'un à Saint-Cloud et l'autre à Saint-Denis : l'un étoit celui de Monsieur et l'autre de M. le Prince. L'on prenoit quelquefois des charrettes de pain de Gonesse et quelques bœufs, et l'on venoit le dire en grande hâte à Saint-Germain ; l'on faisoit des prisonniers et c'étoient gens peu considérables. La grande occasion fut à Charenton que l'on prit en deux heures.8 Monsieur et M. le Prince y étoient en personne : ils y assistèrent tous deux à leur ordinaire, et celui qui le défendoit s'appeloit Clanleu ; il avoit été à Monsieur et l'avoit quitté ; il ne vouloit point de quartier. M. de Châtillon9 y fut blessé et mourut le lendemain au bois de Vincennes, et M. de Saligny,10 tous deux de la maison de Coligny. Il arriva une aventure assez remarquable et qui paroît plutôt un roman qu'une vérité. Le marquis de Cugnac,11 petit-fils du vieux maréchal de La Force, qui étoit dedans, voulut se sauver et se jeter sur un bateau : la rivière étoit gelée et un glaçon le porta de l'autre côté de l'eau, et même plusieurs ont dit qu'il le porta jusqu'à Paris.

Après cet exploit, les deux armées furent assez longtemps en bataille entre le bois de Vincennes et Picquepuce, et personne ne se battit. L'on eut une grande joie à Saint-Germain de cette expédition ; il n'y eut que madame de Châtillon qui fut affligée. Son affliction fut modérée par l'amitié que son mari avoit pour mademoiselle de Guerchy, et même dans le combat il avoit une de ses jarretières nouée à son bras ; comme elle étoit bleue, cela la fit remarquer ; et en ce temps-là l'on n'avoit pas encore vu d'écharpe de cette couleur.

La magnificence n'étoit pas grande à Saint-Germain : personne n'avoit tout son équipage ; ceux qui avoient des lits n'avoient point de tapisseries, et ceux qui avoient des tapisseries n'avoient point d'habits, et l'on y étoit très-pauvrement. Le roi et la reine furent longtemps à n'avoir que des meubles de M. le cardinal. Dans la crainte que l'on avoit à Paris de laisser sortir les effets du cardinal, sous prétexte que ce fut ceux du roi et de la reine, ils ne vouloient rien laisser sortir, tant l'aversion étoit grande. Cela n'est pas sans exemple que les peuple soient capables de haïr et d'aimer les mêmes gens, en peu de temps, et surtout les François. Le roi et la reine manquoient de tout, et moi j'avois tout ce qu'il me plaisoit et ne manquois de rien. Pour tout ce que j'envoyois querir à Paris l'on donnait des passe-ports ; on l'escortoit ; rien n'étoit égal aux civilités que l'on me faisoit.

La reine me pria d'envoyer un chariot pour emmener de ses hardes ; je l'envoyai avec joie, et l'on en a assez d'être en état de rendre service à de telles gens, et de voir que l'on est en quelque considération. Parmi les hardes que la reine fit venir, il y avoit un coffre de gants d'Espagne ; comme on les visitoit, les bourgeois, commis pour cette visite, qui n'étoient pas accoutumés à de si forte senteurs, éternuèrent beaucoup, à ce que rapporta le page, que j'avois envoyé et qui étoit mon ambassadeur ordinaire. La reine, Monsieur et M. le cardinal rirent fort à l'endroit de cette relation, qui étoit sur les honneurs qu'il avoit reçus à Paris : il étoit entré au parlement, à la grande chambre, où il avoit dit que je l'envoyois pour apporter des hardes que j'avois laissées à Paris. On lui dit que je n'avois qu'à témoigner tout ce que je désirois, que je trouverois la compagnie toujours pleine de tout le respect qu'elle me devoit, et enfin ils lui firent mille honnêtetés pour moi. Mon page disoit aussi qu'en son particulier on lui en avoit beaucoup fait. Il ne fut point étonné de parler devant la reine et M. le cardinal ; pour Monsieur, il l'avoit vu souvent et lui alloit parler de ma part. Il eut une longue audience ; il fut fort questionné ; il avoit vu tout ce qui se passoit à Paris, où je ne doute pas qu'on ne l'eût aussi beaucoup questionné, et pour un garçon de quatorze ou quinze ans il se démêla fort bien de cette commission. Depuis, Monsieur et toute la cour ne l'appeloient plus que l'ambassadeur; et, quand je fus à Paris, il alloit voir tous ces messieurs, et étoit si connu dans le parlement qu'il y recommandoit avec succès les affaires de ses amis.

M. le duc de Beaufort étoit sorti pour aller au-devant d'un convoi ; il trouva le maréchal de Gramont à Juvisy qui étoit allé pour le charger ; il y eut un petit combat, où M. de Nerlieu,12 de la maison de Beauveau, colonel de cavalerie, homme de grand mérite, fut tué par M. le duc de Beaufort. En une autre action, il donna un coup d'épée à M. de Briolles, qui commandoit le régiment de Condé-Cavalerie, et laissa son épée dans la cuisse de Briolles, parce qu'il survint du monde et fut obligé de se retirer. Briolles étoit un fort honnête homme et qui étoit de mes amis. M. de Beaufort s'avisa d'écrire à M. de Nemours et donna sa lettre à un soldat des gardes de la compagnie de Boiseleau, et il demanda permission à son capitaine de la prendre ; le capitaine craignoit de se brouiller, il dit au soldat qu'il prit sa lettre, et qu'il n'en prenoit point de connoissance, à ce qu'il m'a dit depuis. M. de Nemours me tira à part dans la chambre de Madame, me montra la lettre de M. de Beaufort, qui ne contenoit que des propositions fort avantageuses pour lui avec intention de lui persuader d'aller à Paris ; il lui envoyoit une lettre pour Son Altesse royale à même intention, et toute ouverte ; elle le chargeoit d'en communiquer avec moi. Il m'a toujours témoigné beaucoup de confiance et d'affection ; cependant en cette rencontre M. de Nemours et moi nous n'étions pas fort aises d'en recevoir des marques ; si l'on l'eût su, cela nous auroit pu nuire. La lettre pour Son Altesse royale étoit dans des termes fort respectueux de sa part et de tout le parti pour l'exhorter d'aller à Paris, et il lui disoit tout ce qui pouvoit l'y obliger. Sur les dispositions où nous voyions Son Altesse royale, nous résolûmes, M. de Nemours et moi, de brûler les lettres, et nous nous jurâmes, l'un et l'autre, qu'il n'en seroit jamais fait aucune mention.

M. de Nemours commençoit alors à faire le galant de madame de Châtillon : cet amour avoit commencé dès le premier voyage de Saint-Germain ; et la galanterie de son mari, qui avoit commencé en ce temps-là pour Guerchy, fit que celle de M. de Nemours lui déplut moins. Auparavant rien n'étoit égal à leurs amours, et c'étoit par lui qu'ils s'étoient mariés ; quoiqu'ils fussent tous deux de grand qualité (elle étoit de la maison de Montmorency, et lui de celle de Coligny) ils n'étoient pas riches tous deux, et leurs parents s'y opposoient, de sorte qu'il l'enleva.13 Ainsi l'on devoit croire que l'amitié succéderoit à l'amour : la belle intelligence devoit durer toujours. Cela n'auroit pas été, si la mort n'eût prévenu l'un des deux. L'on remarqua que le jour que l'on l'alla consoler de la mort de son mari elle étoit fort ajustée dans son lit ; ce qui confirma que l'affliction n'étoit pas grande, parce que, quand elle l'est, l'on n'a soin de rien. M. de Châtillon étoit beau, bien fait de sa personne et brave au dernier point ; comme je le connoissois peu, je ne dirai rien de son esprit.

Il courut un bruit dans ce temps que Saint-Mesgrin étoit amoureux de madame la Princesse, et lui rendoit ses devoirs avec soin ; ce n'en étoit pas un marque : l'on ne manque pas de le rendre aux personnes de cette qualité. La reine alloit tous les jours aux litanies à la chapelle, et elle se mettoit dans un petit oratoire au bout de la tribune où les autres demeuroient ; et, comme la reine demeuroit longtemps après qu'elles étoient dites, celles qui14 n'avoient pas autant de dévotion s'amusoient à causer, et l'on remarquoit que M. de Saint-Mesgrin parloit à madame la Princesse. Pour moi je n'en voyois rien ; car j'étois dans l'oratoire avec la reine où le plus souvent je m'endormois, n'étant pas une demoiselle à si longues prières ni à méditations. Je pensai que des amis de M. de Saint-Mesgrin l'avertiroient de supprimer ces conversations, et que, si elles venoient à la connoissance de M. le Prince, cela ne lui plairoit pas, quoique madame sa femme fût fort sage et qu'il s'en souciât très-peu. Ce qu'il fit, et l'on n'en parla pas davantage.

Je voyois souvent madame la princesse de Carignan, femme de M. le prince Thomas de Savoie15 ; elle est sœur de feu M. le comte de Soissons. C'est une femme laide, mais de bonne mine, l'air et le procédé d'une grande princesse ; elle est libérale jusqu'à la prodigalité, a un train et un équipage fort grands ; enfin tout ce qu'elle a est tel. Elle a de l'esprit et point de jugement : ce qui fait qu'elle parle beaucoup et dit peu de vérités ; mais cela va à un tel excès, qu'elle fait des contes même au delà du vraisemblable. Comme elle a été souvent en Piémont et longtemps en Espagne, en liberté et en prison, c'est de ces lieux où elle invente tout ce qu'elle dit : du reste c'est une assez bonne femme. Elle avoit beaucoup d'amitié pour moi ; ce qui empêchoit qu'elle ne se fâchât, quand je lui riois au nez de toutes les menteries qu'elle me disoit. Elle avoit avec elle sa fille, la princesse Courci,16 qui a de l'esprit et beaucoup plus de retenue et de jugement que sa mère, qui étoit aussi fort mon amie. Quand j'avois envie de me réjouir, j'entretenois la mère, et, quand je voulois parler sérieusement, la fille. Madame de Carignan a toujours ses poches pleines de confitures, et la reine me faisoit la guerre que je ne l'aimois que pourqu'elle m'en portât, sans avoir la peine d'en charger mes poches.

Quand l'on parla de paix, je m'en souciai peu : car comme je ne songeois en ce temps-là qu'à mon divertissement à Saint-Germain, je n'eusse jamais voulu en bouger, et le bien public n'étoit pas trop connu de moi, non plus que celui de l'État ; car, quoique l'on soit née y ayant assez d'intérêt, quand l'on est fort jeune et fort inappliquée, l'on n'a pour but que les plaisirs de son âge.17 Il y eut plusieurs conférences à Ruel, où M. le Prince et le cardinal alloient, et le détail en est su : ainsi je ne m'embarquerai point ici en aucunes grandes affaires, n'en ayant la dernière connoissance, et, pour ne m'en pas donner la peine, je dirai seulement que je ne crois pas qu'elle [la paix] fût fort avantageuse au roi.18

Je fus des premières qui allais à Paris, dès que la paix fut faite : je demandai congé à la reine et à Monsieur d'y aller. Madame la princesse de Carignan y vint avec moi. Comme je n'y avois nulle affaire, je n'aurois pas ainsi demandé congé, si je n'avois eu un beau mais bien malheureux prétexte, qui étoit de visiter la reine d'Angleterre sur le mort du roi, son mari, auquel le parlement d'Angleterre avoit fait couper le cou, il n'y avoit que deux mois.19 L'on n'en porta point le deuil à la cour, c'est-à-dire comme l'on auroit dû : il n'y eut que les personnes et point les équipages,20 faute d'argent ; la raison en est bien pauvre. quand j'ai parlé ci-devant du misérable état où l'on étoit, j'avois oublié de dire que nous étions à Saint-Germain en l'état où l'on vouloit mettre Paris ; car l'intention étoit de les affamer, et ils avoient toutes choses en abondance, et à Saint-Germain l'on manquoit souvent de vivres ; car les troupes qui étoient aux environs prenoient tout ce qu'on y apportoit. Ainsi l'on étoit quasi affamé ; ce qui faisoit dire souvent que M. le cardinal ne prenoit pas bien ses mesures, et que c'étoit ce qui empêchoit les choses de bien réussir.

Je partis donc, comme j'ai dit, des premières pour Paris : j'allai descendre au Louvre, où étoit la reine d'Angleterre, que je ne trouvai pas si sensiblement touchée, qu'elle l'auroit dû être, par l'amitié que le roi, son mari, avoit pour elle, lequel le traitoit divinement bien, étant la maîtresse de tout, et par le genre de mort, qui me sembloit devoir encore ajouter beaucoup à son affliction. Pour moi, je crois que c'étoit par force d'esprit, car Dieu en donne d'extraordinaires dans les occasions qui le sont, pour que l'on se soumette avec résignation à ses volontés ; car sans cela il y en a, où il seroit difficile de résister, et quelquefois aussi l'accablement et la continuation des déplaisirs abattent tellement l'âme et l'accoutument si fort aux douleurs, que l'on devient insensible aux plus dures : c'est encore un effet de la Providence ; car, quand cela se fait par permission de Dieu, c'est un effet de sa bonté, qui supplée à notre foiblesse et qui ne laisse pas de nous être méritoire devant lui ; ainsi il n'importe pas d'en être blâmé devant les hommes.

Je trouvai chez la reine d'Angleterre son second fils, M. le duc d'York21 : il venoit de Hollande d'auprès sa sœur la princesse d'Orange,22 où il avoit été depuis qu'il s'étoit sauvé de prison, où l'on l'avoit tenu longtemps en Angleterre. C'étoit lors un jeune prince de treize à quatorze ans, fort joli, bien fait et beau de visage, blond, qui parloit bien françois ; ce qui lui donnoit un meilleur air qu'au roi son frère ; car rien ne défigure tant un homme, à mon gré, comme de ne pouvoir parler : il parloit fort à propos, et je sortis de la conversation, que nous eûmes ensemble, fort édifiée de lui.

Dès que je fus à mon logis, tout le monde me vint voir,23 les plus grands et les plus petits du parti : les trois jours que je fus à Paris, ma maison ne désemplit pas. Comme je n'étois allée que pour voir la reine d'Angleterre, je lui rendois aussi tous les jours mes visites ; je rendois les mêmes au Cours : c'est une promenade que j'ai toujours fort aimé, et que j'aimerai bien encore, quand je retournerai à Paris. Le duc d'York y venoit avec moi, qui en avoit grande joie.

Quand je fus de retour à Saint-Germain, la reine me questionna fort de tout ce que j'avois vu, fait et dit à Paris, dont je lui rendis un compte très-fidèle et à Monsieur aussi. Tous les jours l'on ne voyoit que nouveaux venus à Saint-Germain ; car tous les gens du parti venoient saluer le roi et la reine, quand l'amnistie fut vérifiée, hors de M. de Beaufort et M. le coadjuteur de Paris, maintenant M. le cardinal de Retz. M. de Vendôme étoit à Saint-Germain et M. de Mercœur, de qui l'on commençoit déjà à parler du mariage avec une des nièces de M. le cardinal.24

Après tous les devoirs rendus au roi parle parlement, le corps de ville et toutes les autres compagnies souveraines et autres corps pour remercier le roi de leur avoir donné la paix, on parla d'aller à Compiègne ; ce qui me fit demander permission d'aller encore [faire] un petit tour à Paris avant le départ de Leurs Majestés, que je voulois accompagner. Monsieur y vint comme j'y étois,25 qui y fut très-peu, et s'en alla [faire] un tour à Blois. Pendant le séjour que j'y fis, je mourois d'envie de voir madame de Chevreuse,26 qui, il n'y avoit que quinze jours, étoit revenue de Flandre. En partant de Saint-Germain, l'on m'avoit défendu de la voir ; ce qui m'en donnoit plus d'envie. Je lui envoyai faire un compliment, et lui témoigner le déplaisir que j'avois de l'ordre que l'on m'avoit donné, puisqu'il m'empêchoit de la voir ; mais que, si elle vouloit aller à Montmartre, où elle avoit deux filles, et moi ma tante, nous nous y rencontrerions, et que j'en aurois bien de la joie, et que je ne croyois pas être obligée à la fuir, si je la rencontrois. elle me manda qu'elle s'y en alloit : je ne manquai pas de m'y rendre, mais elle se trouva mal, et manqua au rendez-vous. mademoiselle de Chevreuse27 y vint, qui me conta fort tous les divertissements de Flandre : elle [étoit] fort satisfaite de la beauté de cette cour ; pour moi, qui ai bien entendu parler à Monsieur du temps de l'infante Isabelle,28 cela ne me surprenoit pas ; mais elle n'est pas présentement comme elle étoit en ce temps-là. Elle me parla de l'archiduc29 et m'en dit plus de bien que je n'en avois jamais ouï dire avant ce temps ni depuis, ayant souvent vu des gens qui venoient de Flandre ; elle me dit aussi que l'on me souhaitoit fort en ce pays-là ; et pour lors il y avoit plus d'apparence, qu'il n'y en a eu depuis, qu'il [l'archiduc] auroit pu être souverain des Pays-Bas. Véritablement cet établissement m'a toujours fort plu, et j'ai écouté avec plaisir les personnes qui me disoient que l'on m'y souhaitoit, et que celui qui y commandoit seroit souverain, comme étoit l'archiduc Albert.30

De Montmartre, je m'en allai chez la reine d'Angleterre, où je trouvai des gens de la reine qui s'en alloient à Saint-Germain : je les chargeai de lui dire comme j'avois trouvé par hasard mademoiselle de Chevreuse à Montmartre, et que je n'avois pas cru de mon devoir de m'enfuir ; que, si c'eût été sa mère, je l'aurois fait ; que pour elle, il me sembloit que cela ne tiroit à nulle conséquence, vu que nous avions toujours été amies. J'en dis autant à Monsieur, qui le prit fort bien.

M. de Beaufort, pendant la guerre de Paris, avoit fait le galant de mademoiselle de Longueville31 ; ce lui étoit un parti fort avantageux : c'est une fort grande héritière du côté de feu madame sa mère, qui étoit de Bourbon,32 et sœur de feu M. le comte de Soissons. Aussi n'auroit-elle su mieux faire que de l'épouser ; car c'est un prince fort bien fait de sa personne, de beaucoup de cœur et de grand mérite, qui valoit bien un aîné et même celui de sa maison. Ainsi personne ne s'étonnoit ni de ses bruits ni des soins qu'il lui rendoit ; mais l'on s'étonnoit de ce que madame de Montbazon le souffroit.33 Beaucoup de gens croyoient que, comme il la voyoit souvent, et que c'est une fort belle personne, elle le ménageoit pour l'épouser quand son mari seroit mort, qui est fort vieux.34 D'un autre côté, il alloit très-souvent chez madame de Chevreuse ; et, comme mademoiselle de Chevreuse étoit fort belle et héritière aussi, l'on croyoit qu'il lui en vouloit. Ainsi M. de Beaufort étoit considéré comme le bon parti, à qui toutes les princesses en vouloient. Madame de Nemours, sa sœur, désiroit, avec toutes les passions imaginables, mademoiselle de Longueville, tant pour l'avantage de son frère que par la crainte qu'il n'épousât madame de Montbazon, de sorte que tout ce qui embarquoit son frère en cette recherche lui donnoit de grandes joies.

Comme j'étois à Paris, M. de Beaufort me dit qu'il me vouloit donner les violons ; j'acceptai très-volontiers cette offre. Madame de Nemours et mademoiselle la princesse Louise35 vinrent souper avec moi. Nous envoyâmes chercher mademoiselle de Longueville ; mais elle n'étoit pas chez elle ; ensuite elle s'excusa qu'elle étoit malade, mais à la fin elle vint chez moi. Les violons jouèrent dans les Tuileries, et nous, nous étions sur la terrasse, qui règne du long du corps de logis. M. de Beaufort et tous les hommes étoient dans le jardin, et pas un ne monta où nous étions. M. de Beaufort me manda qu'il me prioit de proposer de les faire passer dans un parterre de l'autre côté du logis, et que je les entendrois de la salle ; je crus, et avec assez de raison, que c'est qu'il seroit bien aise que cette sérénade servit à mademoiselle de Chevreuse aussi bien qu'à mademoiselle de Longueville : car l'hôtel de Chevreuse avoit vue sur ce parterre ; l'on peut juger par là de l'attachement du cavalier. Pour moi, qui ne lui ai jamais vu aucune inclination au mariage, je me doutois bien que toutes ces galanteries n'auroient nulle suit, à mon grand regret ; car je souhaitois, aussi bien que madame de Nemours, que l'affaire de mademoiselle de Longueville s'achevât. Pendant que nous étions dans cette salle, M. de Beaufort s'y cacha derrière une porte, pour entretenir mademoiselle de Longueville en allant et venant ; je fis semblant de ne le pas voir, quoique je le visse bien. Si j'eusse demeuré plus longtemps à Paris, ces sérénades auroient pu durer, et on auroit pu même avoir quelques bals. Cependant la reine m'envoya querir : il fallut partir dès le lendemain, la cour partant le jour d'après pour Compiègne,36 de sorte que je me rendis à Saint-Germain, comme il m'étoit prescrit. Madame y demeura, étant indisposée ; mais peu de temps après, elle vint rejoindre la cour, et Monsieur de même.

Dès qu'il fut arrivé, l'abbé de La Rivière me vint trouver, qui me dit que la reine d'Angleterre faisoit toutes les instances possibles auprès de Monsieur pour l'obliger de consentir au mariage du roi son fils et de moi, et que milord Germin37 étoit arrivé pour l'en presser encore de sa part ; que je devois songer à prendre une résolution là-dessus ; que Monsieur m'en parleroit. Pour lui, il me parla de la chose, sans me le conseiller, ni déconseiller ; me dit le bon et le mauvais ; mais le dernier prévaloit sur l'autre. Monsieur me parla sur ce sujet, et me dit : « La reine d'Angleterre m'a fait la proposition que vous a dite la Rivière ; voyez ce que vous avez à faire là-dessus. » Je lui répondis que je lui obéirois en toutes choses, et que, comme il connoissoit bien mieux ce qui m'étoit propre que moi-même, je me remettois absolument en lui, n'ayant point de volonté que la sienne. Peu de jours après, le roi d'Angleterre envoya milord Percy faire des compliments à Leurs Majestés, et leur demander permission de venir en France. Ce milord me fit de grands compliments, et Germin et lui me firent soigneusement leur cour. La reine me témoigna fort désirer ce mariage, et M. le cardinal de même, et m'assura que la France assisteroit puissamment le roi d'Angleterre ; qu'il avoit beaucoup d'intelligences en son pays, et même des provinces encore, et qu'il étoit encore maître du royaume d'Irlande tout entier. La reine me dit qu'elle m'aimoit comme sa fille, et que, si elle ne trouvoit cette condition avantageuse pour moi, elle-même ne me la proposerait point, parce qu'elle me souhaitoit toute sorte de bonheur ; que je connoissois la reine d'Angleterre, qui étoit la meilleure personne du monde, et qui avoit tout à fait de l'amitié pour moi ; que son fils en étoit passionnément amoureux, et qu'il ne souhaitoit rien davantage que de m'épouser.

Je lui répondis qu'il me faisoit beaucoup d'honneur de me vouloir ; mais que, quoique les affaires du roi ne fussent pas en état de lui donner en secours aussi considérable qu'il lui en falloit pour le remettre en ses États, néanmoins je ferois absolument toutes les choses qu'elle et Monsieur m'ordonneroient. La reine me railloit devant milord Germin ; l'on me faisoit la guerre, et j'en rougissois. M. de la Rivière me vint encore voir sur ce sujet, et me dit que Germin, s'en allant querir le roi d'Angleterre en Hollande où il étoit, demandoit une réponse positive, parce que ses affaires l'obligeoient de s'en aller en Irlande promptement, et que, si je consentois à la chose, c'étoit de telle manière que le roi d'Angleterre viendroit à la cour ; qu'il y seroit deux jours ; qu'il m'épouseroit, et qu'après le mariage il y seroit encore autant pour me donner le plaisir de passer devant la reine, et qu'après cela, je m'en irois avec lui à Saint-Germain, où étoit retournée la reine d'Angleterre, depuis que la cour en étoit partie ; qu'il y feroit peu de séjour ; pour moi, que je demeurerois à Paris, si je voulois, comme j'avois accoutumé. Je lui dis que ce dernier point étoit impossible ; que j'irois avec le roi en Irlande, s'il le vouloit, et que, s'il ne le vouloit pas, je demeurerois avec la reine sa mère, ou bien en quelqu'une de mes maisons, n'étant pas de la bienséance que je fusse dans le commerce du monde et des plaisirs (ce qui oblige à la dépense les personnes de ma qualité), lorsque je me devrois plaindre toutes choses pour lui envoyer de l'argent, et que je ne pourrois être sans inquiétude le sachant exposé à une guerre telle que celle-là, et qu'enfin, si je l'épousois, il faudroit bien à la longue prendre des résolutions plus difficiles à suivre, et que je ne pourrois jamais m'empêcher de vendre tout mon bien et le hasarder pour conquérir son royaume ; mais aussi ces pensées-là m'effrayoient un peu, parce que ayant toujours été heureuse et nourrie dans l'opulence, ces réflexions m'épouvantoient fort. Il me dit que j'avois raison, mais que je devois songer qu'il n'y avoit point d'autre parti pour moi dans l'Europe ; que l'empereur et le roi d'Espagne étoient mariés ; que le roi de Hongrie étoit accordé avec l'infante d'Espagne ; pour l'archiduc, qu'il ne seroit jamais souverain des Pays-Bas ; que je ne voulois point des souverains d'Allemagne ni d'Italie ; qu'en France, le roi et Monsieur étoient trop jeunes pour se marier ; que M. le Prince l'étoit, il y avoit dix ans, et que sa femme se portoit trop bien. Je lui répliquai en riant : « l'impératrice est grosse, et elle mourra en accouchant. » Enfin, après avoir bien raisonné, et m'être fort inquiétée, cette affaire en valant bien la peine, je lui dis : « Si Monsieur veut que j'épouse le roi d'Angleterre tôt ou tard, et qu'il soit persuadé que c'est une chose inévitable, j'aime mieux l'épouser étant malheureux, parce qu'en cet état il m'aura obligation, et quand il rentrera dans ses États, il me considéra comme en ayant été la cause par le secours qu'il aura reçu de ma maison, à ma considération. »

Le lendemain, nous partîmes pour Amiens ; j'informai ma belle-mère de toute cette affaire, parce que je savois bien qu'elle ne la souhaitoit pas et qu'elle me serviroit auprès de Monsieur pour l'empêcher ; ce qu'elle fit. Le milord Germin me vint voir à Amiens ; il me pressa fort de lui dire mes sentiments, et me fit mille belles protestations de la part du roi d'Angleterre. Je connus, par son discours, que la reine et Monsieur, qui ne se vouloient pas brouiller avec la reine d'Angleterre, avoient dit en parlant de moi : C'est une créature qu'il faut gagner ; elle ne fait que ce qu'elle veut, et nous n'avons point de pouvoir sur elle. Il est vrai qu'ils avoient quelque sujet sur le chapitre du mariage d'avoir cette pensée ; car j'ai toujours cru que depuis que l'on avoit l'usage de raison l'on devoit l'employer en cette rencontre comme la plus importante de la vie, parce qu'il y va de tout son repos, et qu'ainsi je devois plutôt songer à mes intérêts qu'à ceux de mes proches. Voyant donc Germin entrer fort en matière avec moi, ce qui n'est guère ordinaire avec les filles, je songeai à me tirer d'affaire avec la reine d'Angleterre : je lui dis que je l'honorois infiniment et que, si je l'osois dire, je l'aimois de même (et je disois vrai) ; que sa considération étoit la plus forte que j'eusse en cette rencontre, et qu'elle me feroit passer par-dessus celle de l'état où étoit le roi son fils ; mais que, pour la religion, c'étoit une chose sur laquelle l'on ne pourroit passer, et que, s'il avoit quelque amitié pour moi, il devoit surmonter cette difficulté, et que j'en surmontois bien d'autres de mon côté.

Il me dit qu'en l'état où étoit le roi d'Angleterre, il ne pouvoit ni ne devoit se faire catholique, et m'allégua force bonnes raisons, qui sont trop longues à dire : c'est que de se faire catholique l'excluoit pour jamais de rentrer dans ses royaumes. Nous disputâmes longtemps là-dessus ; puis il prit congé de moi, en me faisant connoître qu'il croyoit que ce que je lui avois dit lui donnoit sujet d'espérer que les difficultés que je faisois ne seroient pas de longue durée. Depuis que Monsieur et la reine m'eurent parlé à Compiègne, je fus fort en inquiétude, et j'avois l'esprit bien embarrassé, me voyant sur le point de conclure une si grande affaire et de si longue durée ; mais cela ne dura pas longtemps ; car l'on ne m'en reparla plus, ni même du roi d'Angleterre, qu'après être retournée à Compiègne, un jour avant son arrivée.

La disgrâce qui arriva à l'armée du roi commandée par le comte d'Harcourt38 donna assez sujet de s'entretenir. M. le cardinal Mazarin, qui est homme de grands desseins, avoit fait attaquer Cambray par une fort petite armée, qui manquoit de beaucoup de choses pour le siége d'une place de cette considération, des meilleures de la frontière, et où les ennemis avoient une forte garnison, et en campagne une armée bien plus forte que la nôtre : ce qui rendoit cette entreprise assez ridicule aux gens qui n'étoient pas assez du secret pour savoir s'il avoit quelque intelligence dans la place ; ce qui ne parut pas par l'événement. Car les ennemis, ayant forcé un des quartiers de l'armée du roi, jetèrent un secours considérable dans la place, en sorte que le comte d'Harcourt fut obligé de lever le siége. Ceux qui excusoient M. le cardinal Mazarin, disoient qu'il avoit entrepris ce siége contre toute apparence, sur ce que le comte d'Harcourt n'avoit jamais si bien réussi qu'en choses de cette nature. Il est assez vrai qu'à la guerre, comme aux autres, chacun a son talent.

Il arriva environ ce temps-là une assez plaisante affaire à Paris. M. de Jarzé avoit fait quelques discours de M. de Beaufort qui lui avoient déplu, de sorte qu'il le menaça ; et Jarzé dit qu'il ne le craignoit point et qu'il lui disputeroit le haut du pavé, même dans les Tuileries. Ensuite de quoi M. de Beaufort alla chez Renard,39 ou Jarzé soupoit avec MM. de Candale, le Fretoy, Fontrailles, Ruvigny et les commandeurs de Jars et de Souvré, et quelques autres dont je ne me souviens pas. Il prit le coin de la nappe et jeta tout par terre ; renversa la table. L'on mit l'épée à la main ; il y eut une grande rumeur, et personne ni mort ni blessé.40 Les parties adverses résolurent de se battre contre M. de Beaufort, mais hors de Paris, où il étoit fort aimé, de crainte d'être assommés même par les harengères, de sorte qu'ils vinrent tous à la cour, où ils firent cette plaisanterie, qui y fut assez bien reçue.41

Peu de jours après, Monsieur alla à Nanteuil : il manda M. de Beaufort et ses amis, et y mena les autres et les accommoda. L'on avoit cru que cela causeroit de grands combats, et je ne sais si M. le cardinal n'eût pas été bien aise d'être débarrassé de quelques gens par cette voie ; mais Son Altesse royale pacifia tout, comme j'ai dit.

Comme le roi d'Angleterre fut arrivé à Péronne, l'on envoya un courier pour en avertir Leurs Majestés. Lors la reine me dit : « Voilà votre galant qui vient. » L'abbé de la Rivière me dit la même chose. Je lui dis : « Je meurs d'envie qu'il me dise des douceurs ; car je ne sais ce que c'est, personne ne m'en ayant jamais osé dire, non pas à cause de ma qualité, puisque l'on en a bien dît à des reines de notre connoissance, mais à cause de mon humeur, que l'on connoît fort éloignée de la coquetterie ; mais, sans être coquette, j'en puis bien écouter d'un roi, avec lequel l'on veut me marier : ainsi je souhaiterois fort qu'il m'en dise. »

Le jour de son arrivée, l'on se leva matin ; car, comme il ne devoit que dîner à Compiègne, il fallut aller de bonne heure au-devant de lui. J'étois frisée ; ce qui ne m'arrive pas souvent. Comme j'entrai dans le carrosse de la reine, elle s'écria : « L'on voit bien les gens qui attendent leurs galants ; comme elle est ajusté ! » Je fus toute prête de lui répondre : « Celles qui en ont eu savent bien comme l'on se met et les soins que l'on prend ; » et j'aurois pu dire que le mien étant pour épouser, c'étoit avec raison que je m'ajustois ; mais je n'osai. Nous allâmes à une lieu de Compiègne au-devant de lui. A sa rencontre, l'on mit pied à terre ; il salua Leurs Majestés et moi ensuite : je le trouvai de fort bonne mine et meilleure qu'il n'avoit, lorsqu'il étoit parti de France. Si son esprit m'eût paru correspondre à sa mine, peut-être m'eût-il plu dès ce temps-là ; mais, comme il fut dans le carrosse, le roi s'enquit des chiens, des chevaux du prince d'Orange et des chasses de ce pays-là ; il répondit en françois. La reine lui voulut demander des nouvelles de ses affaires ; il ne répondit rien ; et, comme l'on le questionna plusieurs fois sur des choses sérieuses et qui lui importoient assez, il s'excusa de ne pouvoir parler notre langue.

Je vous avoue que, dès ce moment, je résolus de ne pas conclure le mariage, ayant conçu une fort mauvaise opinion, d'être roi, et à son âge, sans savoir ses affaires. Ce n'est pas que je n'eusse par là dû connoître mon sang ; car les Bourbons sont gens fort appliqués aux bagatelles et peu aux solides42 ; peut-être moi, aussi bien que les autres, qui en suis de père et de mère. Aussitôt après être arrivés, l'on dîna ; il ne mangea point d'ortolans et se jeta sur une énorme pièce de bœuf et sur une épaule de mouton, comme s'il n'eût eu que cela : son goût me parut n'être pas délicat, et je fus bien honteuse qu'il ne fût pas aussi bon en cela, qu'il le témoignoit avoir sur ce qu'il pensoit pour moi. Après le dîner, la reine s'amusa et me laissa avec lui ; il y fut un quart d'heure sans me dire un seul mot : je veux croire que son silence venoit plutôt de respect que de manque de passion. J'avoue le vrai, qu'en cette rencontre j'eusse souhaité qu'il m'en eût moins rendu. Comme l'ennui me prit, j'appelai M. de Comminges en tiers pour tâcher de le faire parler : ce qui réussit heureusement. M. de la Rivière me vint dire : « Il vous a regardée tout le temps du dîner et vous regarde encore incessamment. » Je lui répondis : « Il a beau regarder devant que de plaire, tant qu'il ne dira mot. » Il me répliqua : « C'est que vous faites finesse des douceurs qu'il vous a dite. — Pardonnez-moi, lui dis-je ; venez auprès de moi, quand il y sera, et vous verrez comme il s'y prend. » La reine se leva ; je m'approchai de lui, et, pour le faire parler, je lui demandai de nouvelles de quelques gens que j'avois vus auprès de lui : à quoi il répondit, mais point de douceurs. L'heure de son départ vint : l'on monta en carrosse et on l'alla conduire jusqu'au milieu de la forêt, où l'on mit pied à terre comme à son arrivée. Il prit congé du roi et vint à moi, avec Germin, et il me dit : « Je crois que M. Germin, qui parle mieux que moi, vous aura pu expliquer mes intentions et mon désir ; je suis votre très-obéissant serviteur. » Je lui répondis que j'étois sa très-obéissante servante. Germin me fit beaucoup de compliments, ensuite le roi me salua et s'en alla.

La venue du roi d'Angleterre me fit perdre madame la princesse de Carignan, qui m'étoit un grand divertissement, comme j'ai déjà dit ailleurs. La reine lui manda par madame de Brienne, qui étoit fort de ses amies, qu'au dîner du roi d'Angleterre elle seroit à table, et non pas sa fille, et qu'en ces occasions-là il ne devoit y avoir que des princesses du sang : elle en fut offensée au dernier point et s'en alla promptement. J'eus le bonheur pourtant de n'être point brouillée avec elle ; car toute la cour le fut hors moi ; et cela n'auroit pu être qu'injustement à mon égard, car je suppliai la reine de me dispenser d'être à ce dîner plutôt que de faire dire à madame de Carignan ce que je savois qui lui déplaisoit tant ; mais la reine ne voulut jamais m'accorder cette demande, quoique je la lui fisse avec beaucoup d'instance.

M. le Prince, qui n'avoit point voulu commander d'armée cette année-là, étoit allé à son gouvernement de Bourgogne et y demeura assez longtemps ; ce qui alarma la cour. Pourtant il revint, de quoi M. le cardinal, qui l'a toujours beaucoup craint, fut fort réjoui. Il alla au-devant de lui. L'on le reçut avec de grands honneurs, dans la pensée qu'on avoit qu'il ne fût mécontent de ce que la reine vouloit donner à M. de Vendôme la charge d'amiral en faveur du mariage de mademoiselle de Mancini, nièce de M. le cardinal, avec M. de Mercœur. L'on croyoit que M. le Prince étoit un homme à se repaître de vent : ainsi l'on l'honoroit fort ; mais, comme cela lui étoit dû, il ne s'en tenoit pas obligé.

Le roi revint à Paris43 : tous les corps de la ville sortirent pour venir au-devant de lui jusque près de Saint-Denis. C'étoit une confusion de peuple non pareille ; jamais je ne me suis tant ennuyée : il faisoit le plus grand chaud du monde ; nous étions huit dans le carrosse de la reine, et nous fûmes depuis trois heures après midi jusqu'à huit heures du soir à venir du Bourget à Paris, où il n'y a que deux petites lieues. Les cris de Vive le roi ! étoient continuels, et les peuples les faisoient avec d'autant plus de joie qu'il y avoit longtemps qu'ils n'avoient vu Sa Majesté, et que son retour après une guerre sembloit les obliger à témoigner plus leur joie. Quoique cela m'en donnât beaucoup, je n'en étois pas moins étourdie ; aussi j'en avois fort mal à la tête. Après l'arrivée de Leurs Majestés, Monsieur amena M. de Beaufort saluer le roi ; c'étoit le seul de tous ceux qui avoient été en cette guerre qui n'étoit point venu à Compiègne ou à Saint-Germain depuis la paix. Tout le monde couroit pour voir la mine qu'il feroit et comme il seroit reçu, comme à une chose extraordinaire.

La fête de Saint-Louis arriva peu après : le roi alla ce jour-là à cheval aux Jésuites de la rue Saint-Antoine ; tous les princes et seigneurs, qui étoient lors à Paris, l'accompagnèrent, tous bien vêtus, avec de belles housses. Cette cavalcade étoit fort politique et belle à voir. M. le cardinal fit une chose qui étonna assez, lui que l'on accusoit de n'être pas hardi : il alla trouver le roi aux Jésuites, passa toute la ville dans son carrosse, peu accompagné, et personne ne lui dit un seul mot. J'arrivai aux Jésuites un peu après la reine, n'ayant pu la suivre, parce que le matin j'avois été aux Carmélites du grand couvent44 voir mademoiselle de Saujon, qui s'y étoit mise. La reine, en entrant, me dit : « L'impératrice est morte ; c'est à cette fois qu'il faut faire toutes choses pour que vous la soyez. » Je la remerciai très-humblement, et je fus assez aise de cette nouvelle. Comme l'on fut revenu au Palais-Royal, M. le cardinal eut une longue conversation avec moi sur ce sujet, et me dit qu'absolument il feroit cette affaire, et qu'il en verroit chercher Mondevergue pour l'envoyer en Allemagne, parce qu'il savoit que je serois bien aise que ce fût lui qui y allât : j'en fus contente.45

Monsieur revint le lendemain de Limours ; je le fus voir aussitôt : il me parut fort affligé d'avoir perdu Aujon ; il me témoigna être fort content de ce que je l'avois été voir et de ce que j'avois fait mon possible pour la faire sortir, et qu'absolument il l'en falloit tirer, et que pour cela ses frères présentassent requête : j'approuvai fort cela. L'on mit l'affaire au parlement. Pendant ce temps-là, Son Altesse royale venoit souvent conférer avec moi, et avec grande joie, de ce que j'avois grand empressement de faire sortir Saujon. Je croyois que cela seroit utile à la fortune de son frère, que je croyois plus mon serviteur en ce temps-là, que je ne fais présentement. Comme l'arrêt fut donné pour la faire sortir, elle ne le voulut pas ; de sorte qu'il fallut que j'allasse moi-même aux Carmélites la querir. Avant que d'en sortir, elle se jeta à genoux devant le saint-sacrement et fit les vœux, à ce que m'ont dit les Carmélites, avant mon arrivée ; car celui qu'elle fit devant moi est extraordinaire, qui étoit de n'être jamais religieuse en un autre couvent que celui-là. Depuis les Carmélites jusqu'à Luxembourg,46 elle ne fit que pester contre ceux qui la tiroient du couvent. Elle fut à Luxembourg cinq ou six semaines dans sa chambre, persistant toujours à vouloir retourner, coupa ses cheveux et couchoit sur des claies : enfin c'étoit un zèle extrême.

L'on fit venir un père Léon, carme mitigé, qui étoit un fort habile homme, qui étoit allé prêcher à Auxerre, pour la dissuader d'être carmélite ; puis MM. de Satin-Sulpice survinrent. enfin, tous ces casuistes ensemble lui persuadèrent qu'elle pouvoit faire plus de bien dans le monde que dans le couvent. L'on lui offrit la charge de dame d'atour de Madame, qu'elle accepta ; elle revint (redevint)tout comme une autre, excepté qu'elle n'étoit habillée que de serge et n'avoit que du linge uni, et une coiffe, parce qu'elle n'avoit point de cheveux. Cela fit souvenir de madame d'Aiguillon, qui étant mademoiselle de Combalet, avoit fait une pareille équipée. A mesure que ses cheveux croissoient, elle les montroit, et enfin elle reprit la soie et la dentelle. Elle a continué à être dévote, elle s'est mêlée d'autant d'affaires qu'elle a pu, n'a pas négligé le bien, au contraire en a fait grand cas. Je crois que ç'a été pour en faire un bon usage ; elle n'a pas discontinué ses conversations avec Monsieur ; elle ne manquoit non plus, à ses heures accoutumées, à se trouver chez madame de Raré qu'à son oraison, et ç'a été Monsieur qui y a manqué, quand cela a discontinué. Elle roule fort les yeux dans la tête et regarde toujours en haut : ce qui fait qu'elle choque tout ce qu'elle trouve ; et, quand elle en fait des excuses, elle laisse à entendre que c'est que son esprit s'applique peu aux choses du monde. L'on disoit qu'elle ne s'étoit mise dans un couvent que pour être plus considérée, dans la pensée que, si l'on l'en retiroit, elle pourroit accuser la Rivière de l'avoir obligée par ses manières d'y aller, et, en lui rendant ces mauvais offices, tâcher de partager sa faveur, si elle ne pouvoit la détruire entièrement.

Elle avoit eu beaucoup de démêlés avec Monsieur, depuis qu'il l'aimoit ; car elle étoit capricieuse et point du tout complaisante ; elle en avoit eu un, entre autres, sur le sujet du duc de Richelieu, à Compiègne, qu'il entretenoit souvent, quoique Monsieur lui eût défendu de lui parler. Elle avoit raison de l'honorer, car son père avoit été son gouverneur ; mais elle ne l'entretenoit pas dans la pensée d'être la fille d'un homme qui avoit mangé de son pain, mais dans celle de l'épouser ; elle croyoit surprendre ce pauvre sot, comme madame de Pons a fait depuis, qui le mena à Trie, où M. le Prince et mademoiselle de Longueville étoient, qui la lui firent épouser.47 Monsieur est extrêmement jaloux de ses maîtresses ; et, quoiqu'il n'aimât qu'en tout bien et honneur madame de Saujon (car on l'appela ainsi depuis qu'elle fut dame d'atour), il ne vouloit pas qu'elle se mariât, et elle en avoit bien envie ; et c'étoit une des choses dont se servoit M. de La Rivière, quand il la vouloit brouiller avec Monsieur. Elle n'a jamais été aimée dans la maison, étant fort glorieuse ; et, depuis qu'elle a eu du crédit, elle a continué dans cette humeur. La dévotion ne l'a point corrigée de ce défaut, non plus que de celui d'être intéressée ; car, en toute sa vie, elle n'a servi personne pour rien. Il ne se peut rien ajouter à l'ingratitude qu'elle a eue pour moi aussi bien que son frère, mais dont je parlerai ci-après. Pour la sienne, elle a été jusqu'au point de me rendre de mauvais offices auprès de Monsieur, toutes les fois qu'elle a pu, elle a expliqué mal les choses je faisois pour son service, et cela avec une méchanceté horrible. Un jour parlant d'elle à Monsieur, il me dit : « Détrompez-vous de croire qu'elle soit persuadée vous avoir de l'obligation ; car elle m'a dit souvent qu'elle ne vous en avoit pas, parce que autrefois vous avez voulu l'empêcher d'avoir commerce avec moi et d'y être bien. Jugez par là de sa dévotion, puisqu'au moment qu'elle paroît être la plus forte, elle témoigne de l'aversion pour les gens qui l'ont voulu empêcher de faire galanterie, à quoi elle avoit beaucoup de disposition. » Ce même discours, Monsieur le fit un jour à M. le Prince pendant la guerre, lequel me vint trouver, riant à pâmer, et me dit : « A-t-on jamais ouï-parler d'une telle plainte pour une dévote ! »

Pendant que je suis sur le chapitre de mademoiselle de Saujon, je me souviens que Monsieur, le soir que je l'allai querir aux Carmélites, étoit chez la reine, il n'y avoit avec eux que M. le cardinal Mazarin et moi. En parlant de peu de disposition qu'elle avoit d'être carmélite, il nous dit : « Il n'y a que peu de jours que nous avons eu un démêlé, parce qu'elle se fardoit, et que ne le voulois pas. » Cette affaire m'avoit mise dans une grande faveur auprès de Monsieur ; mais, comme ma destinée n'a pas été d'en être autant aimée, que j'ose dire le mériter, elle ne dura pas. Mondevergue arriva à Paris ; suivant les ordres qu'il en avoit reçus de la cour, il se disposa de partir bientôt après, comme il le fit ; ce ne fut pas sans que M. le cardinal m'entretînt souvent sur le sujet de son voyage, qui étoit pour aller condouloir48 l'empereur de la part de Leurs Majestés sur la mort de sa femme.

Le roi d'Angleterre, qui ne devoit être que quinze jours en France, y fut trois mois ; mais, comme la cour étoit à Paris, et lui avec la reine sa mère à Saint-Germain, on les voyoit peu. Lorsque je sus qu'il étoit sur son départ, j'allai rendre mes devoirs à la reine mère, et prendre congé de lui. La reine d'Angleterre me dit : « Il faut se réjouir avec vous de la mort de l'impératrice : car il y apparence que, si cette affaire a manqué une fois, elle ne manquera pas celle-ci. » Je lui répondis que c'étoit à quoi je ne songeois pas. Elle poursuivit ce discours en me disant : « Voici un homme, qui est persuadé qu'un roi de dix-huit ans vaut mieux qu'un empereur, qui en a cinquante, et quatre enfants. » Cela dura longtemps en manière de picoterie, en disant : « Mon fils est trop gueux et trop misérable pour vous. » Puis elle se radoucit, et me montra une dame angloise, de qui le roi son fils étoit amoureux, et me dit : « Il appréhende tout à fait que vous le sachiez ; voyez la honte qu'il a de la voir où vous êtes, dans la crainte que je ne vous le dise. » Ils s'en allèrent. Ensuite la reine me dit : « Venez dans mon cabinet. » Comme nous y fûmes, elle ferma la porte, et me dit : « Le roi, mon fils, m'a priée de vous demander pardon, si la proposition qu'on vous a faite à Compiègne vous a déplu ; il en est au désespoir, c'est une pensée qu'il a toujours, et de laquelle il ne se peut défaire ; pour moi, je ne voulois point me charger de cette commission, mais il m'en a priée si instamment que je ne m'en suis jamais su défendre ; car je suis de votre avis : vous auriez été misérable avec lui, et je vous aime trop pour l'avoir pu souhaiter, quoique ce fût son bien que vous eussiez été compagne de sa mauvaise fortune ; mais tout ce que je puis souhaiter est que son voyage soit heureux, et qu'après, vous veuillez bien de lui ; ce seroit à mon gré le comble de sa bonne fortune. » Je lui fis là-dessus mes compliments le mieux qu'il me fut possible, et en termes les plus respectueux et les plus reconnoissants que je pus, de la bonté avec laquelle elle m'avoit parlé.

Je pris congé d'elle pour aller à Poissy, à deux lieues de là, où il y une abbaye de fondation royale, de l'ordre de Saint-Dominique49 (et l'église est bâtie au lieu où saint Louis est né), en laquelle abbaye l'on avoit mis deux de mes sœurs pendant la guerre de Paris. Le duc d'York me dit qu'il venoit avec moi, et qu'en repassant je le ramènerois à Saint-Germain. Il prit envie au roi d'Angleterre d'y venir ; l'on me le dit, je ne voulois pas le mener, et je lui dis qu'il n'y avoit pas de conséquence pour le duc d'York, parce que c'étoit un petit garçon. Il pria la reine, sa mère, d'y vouloir aller ; ce qu'elle fit, de sorte qu'ils vinrent tous dans mon carrosse, et, tout le long du chemin, la reine d'Angleterre ne parla que de l'amitié avec laquelle le roi, son fils, vivroit avec sa femme, et qu'il n'aimeroit qu'elle ; ce qu'il confirma, en disant qu'il ne comprenoit point comment un homme, qui avoit une femme raisonnable, en pouvoit aimer une autre ; et que pour lui, il déclaroit que quelque inclination qu'il pût avoit avant que d'être marié, dès le moment qu'il le seroit, cela finiroit. Je crus bien, et il étoit assez vraisemblable, que ce discours étoit fort affecté. Je fus peu à Poissy, parce qu'il étoit tard ; je pris congé de la reine qui y demeura. le roi me vint mener à mon carrosse, et me fit force compliments, sans dire de douceurs ; ce qui lui auroit été assez inutile, puisque j'avois donné dans le panneau de l'empire, et que je ne songeois à autre chose.

Quelque temps après j'eus une maladie qui me bannit assez du monde, et qui auroit donné beaucoup plus d'inquiétude à d'autres qu'elle ne m'en donna ; ce fut la petite vérole. Quoique je ne sois pas belle, les accidents, qui arrivent en cette maladie, sont si fâcheux, que l'on doit avoir quelque peine dans la crainte de ce qui en arrivera. Je n'en eus aucune : car, comme je n'avois plus de fièvre, lorsque la petite vérole me parut, et que je me sentois en assez bon état pour ne craindre point la mort, je sacrifiai de bon cœur le peu de beauté que je pouvois avoir à ma vie, et, pour prolonger d'un moment, je la sacrifierai toujours volontiers. Mais cette maladie me traita si favorablement que je ne demeurai pas rouge ; devant j'étois fort couperosée ; ce qui surprenoit à mon âge, et à voir la santé que j'ai, et cela m'emporta tout : il y a peu de gens, qui se voulussent servir de tel remède, pour avoir le teint beau. Toute la cour envoya savoir de mes nouvelles avec tous les soins imaginables, même des gens que je ne connoissois pas, et pour mieux dire, tout le monde, hors M. le Prince qui n'y envoya pas ; ce qui redoubla bien l'aversion que j'avois déjà pour lui. Ce qui me le fit remarquer, c'est que, ne sachant que faire, ce m'étoit un divertissement d'envoyer querir tous les jours le billet des gens, qui étoient venus ou qui avoient envoyé à ma porte apprendre de mes nouvelles.

Il arriva une assez plaisant histoire à la cour : le marquis de Jarzé devint amoureux de la reine ; il fut chassé,50 et tourné en ridicule d'une lettre qu'il avoit donnée à madame de Beauvais, première femme de chambre de la reine. Elle fut aussi chassée, et, comme je ne voyois personne en ce temps-là, je ne m'informai pas du détail de l'histoire51  ;c'est pourquoi je n'en dirai rien plus.

[1650.] La seconde sortie que je fis après ma guérison (car la première fut pour rendre grâces à Dieu), j'allai au Palais-Royal, où l'on confirma le roi et Monsieur son frère. Monsieur et moi, fûmes parrain et marraine du roi ; M. le Prince, et madame sa mère, le furent de Monsieur. M. le Prince vint à moi, en raillant, me dit que j'avois fait la malade, et que ne l'avois point été : je ne reçus pas bien cette plaisanterie, et il s'en aperçut. Il étoit lors tout-puissant à la cour, parce que Monsieur le vouloit bien ; car s'il l'eût voulu être, M. le Prince en eût été bien aise, ayant toujours fort bien vécu avec lui.

Cette grande autorité choqua la reine et M. le cardinal, et leur fit prendre résolution d'arrêter M. le Prince, M. le prince de Conti and M. de Longueville : mais, comme ils n'étoient pas toujours tous trois ensemble, cela étoit difficile. Monsieur étoit tout à la cour, et la chose se fit avec sa participation. Beaucoup de gens ont cru le contraire, parce qu'il n'avoit pas été au Palais-Royal, il y avoit deux jours, lorsqu'ils furent arrêtés. Effectivement il étoit indisposé. La reine envoya querir ces trois princes, et leur manda qu'il y avoit quelques affaires qui l'obligeoient à tenir le conseil extraordinairement. L'on avoit averti M. le Prince du dessein que l'on avoit, et, avant que de venir chez la reine, Vineuil le vint trouver, et lui montra un billet par lequel l'on l'avertissoit de prendre garde à lui. Ce qui assuroit tant M. le Prince, c'est que la veille il avoit envoyé le président Perrot,52 qui est à lui, trouver M. le cardinal, lequel lui avoit dit tous les avis qu'avoient eus M. le Prince ; sur quoi M. le cardinal lui donna de grandes assurances, et telles que Perrot dit à M. le Prince, qu'il se devoit absolument fier à tout ce que M. le cardinal lui promettoit. Ensuite de quoi M. le Prince fut le soir chez la reine ; elle étoit au lit : il se mit à genoux devant elle, qui lui témoigna prendre confiance en lui et qu'à l'avenir elle le traiteroit comme à elle ; lui la remerciant, lui baisa les mains, et en revint enchanté. Il avoit résolu, il y avoit environ un mois, avec son frère et M. de Longueville, qu'ils n'iroient pas tous trois ensemble [au Palais-Royale], croyant que cela feroit leur sûreté : ce jour-là M. de Longueville ne put refuser de s'y trouver, parce qu'il devoit mener le marquis de Beuvron,53 pour remercier le roi de ce qu'il avoit promis la survivance de lieutenant de roi en Normandie et de gouverneur du vieux palais de Rouen54 à son fils ; c'est une maison fort attachée à lui, et cette seule raison l'y fit aller. Comme ils arrivèrent au Louvre, la reine leur fit fort bonne chère.

J'allai ce jour-là55 à Luxembourg, où je trouvai madame de Guimené, qui m'entretint fort longtemps de toutes les choses, que M. le Prince faisoit pour s'autoriser et pour se faire craindre ; elle ne l'aimoit pas, non plus que moi, et elle me dit que j'en devois parler à Monsieur. J'allai trouver Monsieur, et je lui fis reproche56 de souffrir tout ce que j'avois ouï dire de M. le Prince : comme j'étois dans le dernier emportement contre lui, et que la conversation d'une personne dans les mêmes sentiments m'avoit animée, je lui dis : « Vous le devriez faire arrêter ; on a bien fait arrêter son père.57 » Il me dit : « Patience, vous aurez bientôt contentement. » Comme je l'avois trouvé tout le jour fort inquiet, je jugeai bien, par le rapport que je fis de cette inquiétude avec son discours, que l'on travailloit au désavantage de M. le Prince.

Je m'en allai au Palais-Royal : je trouvai sur le degré des gens de M. le prince de Conti fort inquiets, je leur demandai ce que l'on faisoit en haut ; ils me répondirent qu'ils n'en savoient rien. Je trouvai la salle des gardes fermée, et toutes les portes des antichambres de même contre l'ordinaire ; à la porte de la chambre de la reine il y avoit deux gardes avec deux carabines : ce que je n'avois jamais vu ; alors je ne fus plus en doute, et je crus ce qui étoit. Tout le monde dans l'antichambre de la reine étoit fort en inquiétude de savoir ce qui se passoit au conseil, parce qu'il duroit plus longtemps que de coutume, et que personne n'en étoit sorti. Enfin il finit, et l'on dit à la reine que j'étois dans sa chambre ; elle m'envoya querir, et me dit : « Vous n'êtes pas fâchée. » Je lui dis que non, et cela étoit bien vrai ; elle me dit : « N'en parlez pas davantage. » Peu après elle me tira à part, et nous nous entretînmes comme des gens ravis de se voir vengés des personnes qui ne nous aimoient pas. Il n'y avoit rien de plus injuste que l'aversion que j'avois pour M. le Prince : elle a bien changé depuis.

J'eus la curiosité de demander à la reine si M. de La Rivière avoit su cette affaire ; elle me répondit : « Vous êtes bien curieuse. — Il est vrai, madame, lui dis-je, je puis me passer de le savoir. — Je crois, dit-elle, qu'il ne l'a sue que ce matin. — Ah ! madame, le mauvais signe pour lui, puisque la confiance qu'on y prend, n'est plus qu'un ménagement de six heures. C'en est fait, ou je suis fort trompée ; ne me le celez point. — Il est vrai, me dit la reine ; j'avois prié Monsieur de ne lui en point parler ; il est arrivé fort plaisamment, lorsqu'on a été assemblé dans la galerie pour aller au conseil, que M. le cardinal lui a dit : Venez dans ma chambre, je veux vous dire un mot. Il a trouvé le passage plein de gardes : il est devenu pâle et a cru qu'on le vouloit arrêter. Il a demandé : Est-ce pour moi, monsieur, ce que je vois ? M. le cardinal me dit qu'il avoit eu fort envie de rire. Pendant tout cela, Guitaut a arrêté M. le Prince, et Comminges, M. le prince de Conti et le duc de Longueville. Ils sont descendus par le petit degré et sont sortis par le jardin, où un de mes carrosses les attendoit avec les gens d'armes et les chevau-légers du roi. »

Pendant qu'elle me faisoit ce récit, Miossens, qui commande les gens d'armes, revint, lequel lui conta comme M. le Prince avoit versé, et qu'il s'étoit voulu sauver, et que M. le Prince lui avoit dit58 : Ah ! Miossens, vous me rendriez un grand service, si vous vouliez ; et qu'il lui avoit répondu : Je suis au désespoir de ce que mon devoir ne me le peut permettre. L'on envoya ordre à madame la Princesse de sortir de Paris et à madame de Longueville de venir au Palais-Royal ; à quoi elle n'obéit point. Elle se sauva, avec mademoiselle de Longueville, et alla en Normandie, croyant y trouver beaucoup de secours, étant le gouvernement de son mari. M. de Beuvron, pour les intérêts duquel il avoit été pris, la reçut d'abord dans le vieux palais de Rouen, et, dès qu'il eut des nouvelles de la cour, il la pria d'en sortir. Il lui fut bien sensible de se voir chassée par des gens qui lui avoient tant d'obligation. Madame la Princesse demeura quelques jours aux carmélites ; puis s'en alla à Chantilly, où elle emmena avec elle madame sa belle-fille et M. le duc d'Enghien, son petit-fils. tout le monde les fut voir. Pour moi, je n'y allai point. J'y envoyai ; car ma visite ne lui eût pas été agréable, sachant les sentiments que j'avois là-dessus par ma conduite en tout ce qui les regardoit.

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NOTES

1. Gaston-Jean-Baptiste, comte de Comminges ou Cominge, était neveu de François de Comminges, seigneur de Guitaut, dont il est souvent question dans les Mémoires de Mademoiselle.

2. L'effet que produisit le départ de la cour, dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649, est vivement exprimé dans plusieurs journaux inédits de cette époque. «Le mercredi 6 janvier, dit Oliv. d'Ormesson, fête des Rois, à sept heures, madame de Sévigné m'envoya dire que le roi étoit parti la nuit ; jamais nouvelle ne me surprit tant. J'allai chez M. de Lamoignon [Guillaume de Lamoignon, qui devint, dans la suite, premier président du parlement de Paris], où la même chose me fut confirmée, et que la porte Saint-Honoré étoit gardée et que le peuple avoit forcé le bagage du roi de rentrer dans le Palais-Royal. Je revins donner ordre d'avoir du pain pour huit jours. La plupart de la cour se hâtoient de sortir ; mais les portes étoient fermées, et personne ne sortoit. L'on pilloit les chariots qui vouloient sortir. Jamais l'étonnement ne fut plus grand. Le parlement s'assembla l'après-dînée et donna arrêt que les bourgeois se mettroient en armes pour la sûreté de la ville ; que l'on ne laiseroit sortir personne. Il enjoignit au prévôt des marchands de tenir la main pour faire venir des vivres, avec défense aux gouverneurs des villes de recevoir garnisons.»

Dubuisson d'Aubenay, qui étoit attaché tout spécialement au secrétaire d'État Duplessis-Guénégaud, parle aussi de ces événements dans son Journal inédit, à la date du 6 janvier 1649 : «Mercredi 6, jour des Rois, à cinq heures du matin, le comte de Miossens est venu chez M. Duplessis de Guénégaud l'avertir que, sur les trois heures, le roi étoit parti du Palais-Royal avec la reine et le cardinal Mazarin, et étoit allé à Saint-Germain. MM. le duc d'Orléans et le prince de Condé avoient suivi en même temps. Peu d'heures après lesdits sieurs Duplessis, secrétaire d'État, et comte de Miossens, son beau-frère, se sont mis en carrosse du premier à six chevaux et ont été en cour. Une heure après eux, sont partis les enfants dudit sieur Duplessis pour aller à Fresne, et au bout d'une heure trois charrettes, chargées de meubles, lits, tapisseries, linge, habits et vaisselle d'argent, qui ont été hors la porte Saint-Antoine. Comme elles tournoient sur le fossé de la ville, elles furent assaillies de la populace du faubourg, criant : Pille ! Pille ! Puis au bout de quelques heures, comme on a vu que le commissaire de ce quartier-là informoit du pillage, beaucoup de gens sont venus chez lui rapporter de la vaisselle d'argent.»

Voy. aussi les Mémoires de Madame de Motteville, qui donnent des détails intéressants sur le départ de la cour pour Saint-Germain.

3. Marie-Catherine de la Rochefoucauld de Beaufremont, marquise de Senecey ; voy. chap. 3 et note ; et ici.

4. D'après le Journal d'Olivier d'Ormesson, à la date du 8 janvier 1649, on refusa un passe-port à madame de Fiesque et à sa fille, madame de Bréauté, qui voulaient aller rejoindre Mademoiselle.

5. Le château neuf de Saint-Germain avait été bâti par Henri IV. Il fut démoli en 1776 ; il n'en reste aujourd'hui que les terrasses, les murs de soutènement et le bâtiment appelé pavillon de Henri IV.

6. Le château vieux de Saint-Germain date d'une époque fort ancienne ; mais les bâtiments, qui existent encore aujourd'hui, furent construits par François Ier et agrandis par Louis XIV.

7. Ce fut dans la nuit de 9 au 10 janvier que ces deux princes se rendirent à Paris. Olivier d'Ormesson, à la date du 10 janvier, donne quelques détails sur leur arrivée : « M. de Blancménil dit [au parlement] que ce matin ayant été averti que M. le prince de Conti et M. de Longueville étoient arrivés à la porte Saint-Honoré dès deux heures et n'avoient pu entrer, il y étoit allé avec M. de Broussel pour les recevoir ; et les ayant trouvés entrant avec M. le coadjuteur, il les avoit accompagnés chez eux, où M. le prince de Conti et M. de Longueville lui avoient fait leur déclaration qu'ils venoient pour embrasser les intérêts de messieurs du parlement sans condition ni réserve, et l'avoient prié de le venir dire. »

8. Charenton fut pris le 8 février 1649. Ce coup de main abattit les frondeurs : « Après le dîner, dit Olivier d'Ormesson à la date du 8 février, allant sur le rempart avec M. de Collanges [Coulanges], nous apprîmes que Charenton avoit été forcé sur les neuf heures ; que Clanleu, qui en étoit gouverneur, avoit été tué, ayant refusé quartier, et que M. de Châtillon y avoit été tué. Personne ne pouvoit croire cette nouvelle. Sur le boulevard de la porte Saint-Antoine, où étoit tout Paris, l'on voyoit rentrer des troupes d'infanterie, des bourgeois et de la cavalerie. Cette prise étonnoit tout le monde, parce que c'étoit le seul passage libre pour les vivres, et l'on accusoit nos généraux de trahison, et principalement M. d'Elbeuf, qui avoit été averti dès la veille sur les trois heures et avoit négligé cet avis. L'on disoit que M. le Prince avois mis le feu à Charenton. Toute la ville étoit pleine des compagnies de bourgeois en armes, et il y avoit plus de vingt mille hommes. M. le coadjuteur sortit à cheval avec deux pistolets et un habit gris, dont on parloit. »

9. Gaspard, duc de Coligny, était frère du Coligny qui avait péri à la suite de son duel pour madame de Longueville. Voy. chap. III.

10. Gaspard, comte de Saligny, marquis d'Ornes, capitaine-lieutenant des gens d'armes de la reine. Coligny-Saligny en parle dans ses Mémoires, publiés par la Société de l'histoire de France, p. 18.

11. Pierre de Caumont, marquis de Cugnac.

12. Charles de Beauvau, seigneur de Nerlieu ou Noirlieu. Le combat eut lieu le 10 février 1619.

13. Voy. les Mémoires de madame de Motteville, à l'année 1644, sur l'enlèvement de mademoiselle de Montmorency-Boutteville par Gaspard de Coligny. D'après madame de Motteville, ce fut le duc d'Enghien (Louis de Bourbon) qui conseilla à Coligny d'enlever mademoiselle de Boutteville. C'est ce qui résulte aussi des paroles prêtées à madame la Princesse (Charlotte de Montmorency) : « Mon méchant fils a fait cette affaire. »

14. Ici commence le manuscrit autographe des Mémoires, dont il manque une centaine de feuillets au commencement ; pour cette partie, l'éditeur Chéruel a reproduit les anciennes éditions de 1735 et de 1756, avec quelques corrections.

15. Thomas-François de Savoie, prince de Carignan, avait épousé Marie de Bourbon le 10 octobre 1624.

16. Louise-Chrétienne de Savoie, qui fut mariée, en 1653, à Ferdinand Maximilien, margrave de Bade.

17. Elle avait 22 ans en 1649.

18. La paix de Ruel fut conclue le 1er avril 1649.

19. Charles I fut décapité le 9 février 1649 N.S.

20. Il était d'usage à cette époque de couvrir les carrosses et les chevaux de signes de deuil. Saint-Simon parle souvent dans ses Mémoires de cette coutume de draper et des personnes qui en avoient le droit.

21. Jacques [James], duc d'York, né le 24 octobre 1633, devint roi d'Angleterre en 1685, sous le nom de James II, et mourut, en 1701, à Saint-Germain-en-Laye.

22. Maria Henrietta Stuart, 1631-1661, eldest daughter of Charles I. The visits of her brothers Charles and James were deeply unpopular in Holland. She was to become (in 1650) the mother of the William of Orange who would help to depose James II in 1688 (after marrying James's daughter Mary). The Hollanders of the seventeenth century were a thoroughly unsavory lot of people.

23. « Jeudi 8 avril, mademoiselle d'Orléans arrive en son logement des Tuileries, avec grand applaudissement des Parisiens. Vendredi 9, tout le monde va visiter mademoiselle d'Orléans à Paris. » (Journal ms. de Dubuisson-Aubenay, à la date des 8 et 9 avril.)

24. Le duc de Mercœur épousa dans la suite Laura Mancini, nièce de Mazarin.

25. Le duc d'Orléans arriva à Paris le jeudi 15 avril, et en repartit le samedi 17.

26. La duchesse de Chevreuse arriva à Paris le 12 avril : « Ce jour-là (lundi 12 avril), est aussi arrivée à Paris, vers les onze heures du matin, et descendue à l'église de Notre-Dame, la duchesse de Chevreuse, qui est venue tout d'une traite, par relais, de Cambray, ayant fait trente-quatre lieues sans reposer. » (Journal ms. de Dubuisson-Aubenay)

27. Charlotte-Marie de Lorraine, née en 1627, morte le 7 novembre 1652.

28. L'infante Isabelle-Claire-Eugénie, fille de Philippe II et d'Élisabeth de France, avait gouverné les Pays-Bas espagnole de concert avec son mari l'archiduc Albert.

29. Léopold, fils de l'empereur Ferdinand II.

30. L'archiduc Albert, fils de Maximilien II, était né en 1559 ; il fut nommé par Philippe II gouverneur des Pays-Bas en 1596, épousa en 1598 l'infante Isabelle-Claire-Eugénie, dont il a été question plus haut, et mourut en 1621.

31. Il a été question plus haut, Chap. I .

32. Louise de Bourbon, première femme du duc de Longueville, était morte en 1637.

33. Tous les mémoires de cette époque parlent des relations qui existaient entre le duc de Beaufort et madame de Montbazon. Voy. entre autres madame de Motteville à l'année 1649. « Madame de de Montbazon, qui étoit aimée du duc de Beaufort, etc. »

34. Hercule de Rohan, duc de Montbazon, mourut en 1654, à l'âge de quatre-vingt six ans. Sa femme ne lui survécut que trois ans ; elle mourut à quarante-cinq ans.

35. Il s'agit sans doute ici de Louise-Chrétienne de Savoie, fille de Thomas-François de Savoie, prince de Carignan, et de Marie de Bourbon.

36. La cour partit de Saint-Germain pour Compiègne le vendredi 30 avril 1649.

37. Lord Jermyn, que mademoiselle appelle Germin, avait été un des principaux conseillers de Charles I et resta attaché à la reine sa femme pendant son séjour en France.

38. La ville de Cambrai fut investie par le comte d'Harcourt le 23 juin 1649, et le siége fut levé le 2 juillet suivant. On composa à cette occasion des couplets satiriques, qui se trouvent dans le recueil de Maurepas, mss. B.F., t. II, fo 333.

39. Le jardin Regnard était contigu à la terrasse de Tuileries qui longe le quai.

40. Cette scène eut lieu le vendredi 18 juin 1649. Les chansons du temps parlent de cet exploit de Beaufort :

Il deviendra grand potentat
Par ses actions mémorables,
Ce duc dont on fait tant d'état ;
Il deviendra grand potentat,
S'il sait renverser un état
Comme il renverse bien les tables ;
Il deviendra grand potentat
Par ses actions mémorables.

(Recueil de Maurepas, ms. B.I., t. II, fo 305.)

41. « Dimanche 20 juin, le soir, le duc de Beaufort fut au Cours de la Reine, accompagné de force monde, partie à cheval, partie en carrosse, ayant leurs pistolets aux selles, tout prêts et attendant dans le rond et milieu du Cours, et ce, sur ce que le samedi soir précédent, M. de Candale avait paru avec force gens de ses amis à cheval de ce côté là, venant de Saint-Cloud. » (Journal ms de Dubuisson-Aubenay)

42. Which probably had more to do with Charles' reluctance to speak of his affairs than did ignorance.

43. Le retour de la cour à Paris eut lieu le 18 août 1649.

44. Ce couvent était situé au faubourg Saint-Jacques (aujourd'hui rue Saint-Jacques). Voy. aussi Chap. 5, note 36.

45. One's breath is often taken away by the flightiness of Mademoiselle, but this insistence on becoming "Empress" is a crowning example of her foolishness. She does not want to marry the King of England because he is a trifle gauche, is reluctant to talk about affairs of state in a foreign language in front of French rabble (albeit a royal rabble), and prefers beef to ortolans — a preference surely not unusual in an active young man. Yet she is willing to throw herself, sight unseen, at an old man known to be of bad character and probably, given his nationality, of considerably worse table manners, and in the sure and certain knowledge that her father is opposed to such a marriage and that the queen and Mazarin are using her (once again) as a pawn in some game.

46. Au palais du Luxembourg. J'ai déjà fait remarquer qu'on appelait alors ce palais Luxembourg and non le Luxembourg.

47. Anne Poussard ou Pouussart du Vigean, veuve de François-Alexandre d'Albret, seigneur de Pons, épousa Armand-Jean de Wignerod, duc de Richelieu, le 26 décembre 1649. Voy. aussi Chap. I note.

48. On a remplacé ce mot dans les anciennes éditions par faire compliment de condoléance.

49. Deux lignes retranchées dans les anciennes éditions font dire à Mademoiselle que Saint-Louis naquit dans une abbaye, qui ne fut fondée que plusieurs années après sa mort. Voici le texte des anciennes éditions : « Je pris congé d'elle pour aller à Poissy, à deux lieues de là, où il y a une abbaye, où Saint-Louis est né. » On sait que l'ordre des Dominicains ne fut établi en France que sous le règne de Saint-Louis. quant à l'abbaye de Poissy, de l'ordre de Saint-Dominique, elle ne fut fondée que par Philippe le Bel, petit fils de Saint-Louis.

50. Cette disgrâce eut lieu le 23 novembre 1649.

51. Voy. Disgrâce de Jarzé.

52. Jean Perrot, président au parlement de Paris.

53. François d'Harcourt, marquis de Beuvron.

54. Le vieux palais était une forteresse construite en 1420 par le roi d'Angleterre Henri V, à l'extrémité occidentale du quai de Rouen, pour commander le cours de la Seine. Ce palais a été entièrement détruit à l'époque de la révolution.

55. 18 janvier 1650.

56. Il manque ici une page au manuscrit autographe des Mémoires de Mademoiselle.

57. Henri de Bourbon, prince de Condé, avait été arrêté au Louvre le 1er septembre 1616.

58. Le manuscrit autographe reprend ici.

 


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris : Charpentier, 1858. T. I, Chap. VI : p. 192-240.


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