Changement à la cour en avril 1651

Le journal d'Olivier d'Ormesson retrace en détail les changements survenus à la cour en avril 1651, changements que Mademoiselle mentionne en passant:

« Le mardi 4 avril, le garçon du conseil vint avertir qu'il n'y en avoit point et que la reine avoit ôté les sceaux à M. de Châteauneuf. Je fus voir M. le curé de Saint-Nicolas,1 sur l'élection faite de M. de Beaufort pour marguillier2 par la brigue de MM. de Montmort, Briçonnet et La Marguerie,3 quoique l'assemblée eût été remise à un autre jour, et que M. d'Aligre, marguillier, ne s'y fût point trouvé, ni les plus honnêtes gens de la paroisse. De là chez M. de Châteauneuf, où je trouvai la porte fermée, et de là au palais, où M. Balthazar4 et moi parlâmes du procès criminel d'un nommé Châtelet pour fausseté de lettres de noblesse, et décrétâmes prise de corps contre Toury.

» Là je sus comme M. le premier président5 avoit dit, à sa place, la relation des remontrances faites à la reine sur le sujet de la déclaration contre les cardinaux pour les exclure du conseil du roi, même leur interdire le séjour en France; comme la reine le leur avoit promis, et qu'ensuite, sur les dix heures du soir, la reine l'avoit envoyé querir et lui avoit mis les sceaux, entre les mains, qu'elle avoit envoyé querir à M. de Châteauneuf, et qu'il ne les avoit pris qu'à condition de ne point quitter sa place, et que, pour rien du monde, il n'abandonneroit la compagnie, et que M. le chancelier revenoit. Les maîtres des requêtes députèrent ensuite pour faire leur compliment à M. de Châteauneuf, à M. le chancelier, sitôt qu'il seroit de retour, et à M. le premier président, nouveau garde des sceaux.

» Au sortir du palais, je fus avec M. de Lamoignon chez M. le chancelier, où nous vîmes mesdames de Laval et de Sully,6 qui nous dirent comme M. de Sully étoit parti à minuit pour aller querir M. le chancelier,7 et qu'il arriveroit ce soir. Je fus après chez M. le garde des sceaux, et j'entrai chez M. Mignon. Là je vis Bruyères, Rives et les autres domestiques en pleurs prêts à partir. Bruyères me dit comme hier M. le premier président, ayant fait les remontrances pour obtenir la déclaration contre les cardinaux, la reine avoit répondu qu'elle avoit toujours dit qu'elle seroit de Pavis de M. le duc d'Orléans et de M. le Prince, et, s'étant tournée vers eux pour leur demander leur avis, ils lui auroient dit n'en avoir point d'autre que le sien. Après quoi elle dit qu'elle accordoit donc la déclaration; que MM. du parlement s'étant retirés, M. le garde des sceaux avoit persisté au refus de la sceller, et s'étoient ainsi séparés; qu'à sept heures du soir la reine avoit renvoyé querir M. le garde des sceaux pour le presser de sceller cette déclaration; ce qu'il auroit encore refusé; et que, sur les dix heures du soir, M. de La Vrillière lui étoit venu redemander les sceaux. Incontinent après, je le vis descendre et le saluai; il monta dans sa chaise ordinaire et partit pour Montrouge, suivi de quatre hommes de cheval et de son carrosse.

» L'après-dînée, je fus, avec mon père, saluer M. le premier président, qui nous dit qu'il garderoit sa charge avec les sceaux, et que, si ces deux fonctions étoient incompatibles, il auroit bientôt pris sa résolution, et que, dans ce temps il croyoit, pouvoir servir plus utilement le roi dans sa place que dans les sceaux; que M. le chancelier tiendroit les conseils et lui tiendroit le sceau. Il nous raconta que la reine l'avoit mandé, sur les sept heures, et lui avoit dit que M. le garde des sceaux étoit demeuré d'accord de sceller la déclaration, et qu'elle l'avoit renvoyé querir, sur les dix heures, et lui avoit mis les sceaux, qui étoient dans son oratoire, entre les mains, et qu'il lui avoit dit qu'il ne les acceptoit qu'à condition de conserver sa place.

» Le soir, l'on nous apprit que M. le duc d'Orléans étant entré le lundi, après dîner, au conseil chez la reine, et y avant vu M. de Chavigny, que la reine avoit mandé sans lui en parler, s'en étoit plaint, et que la reine lui avoit dit qu'il en avoit fait bien d'autres, sans elle; et que M. le duc d'Orléans s'étoit retiré fort en colère, et M. le Prince avec lui; et que, le soir, ayant su que les sceaux étoient ôtés à M. de Châteauneuf et donnés à M. le premier président, il étoit dans une furie extrême; que M. le coadjuteur lui avoit proposé beaucoup de conseils violents: de faire sédition, enlever le premier président; que M. le Prince avoit témoigné n'avoir eu aucune connoissance de ces conseils, avoir offert tous ses amis et ses places à M. le duc d'Orléans, et paroissoit fort en colère, quoiqu'il soit aisé de juger que tout est de sa conduite, par le choix de tous les siens qui sont élevés en puissance, et qu'il ne se joigne au duc d'Orléans que pour rompre tous ses conseils et l'empêcher de faire du bruit.

» Le mercredi, 5 avril, je fus chez M. d'Aligre concerter les arrêts contre les payeurs des rentes des aides.

» De là chez M. le surintendant, qui alloit au conseil chez M. de Villeroy. Après, saluer M. le chancelier, où la terre abordoit. Il paroissoit bien gai, et la salle n'étoit pas tendue de la tapisserie fleur de lys, soit de dessein ou qu'il l'eût ôtée de Paris. Je sus que M. le premier président l'étoit venu voir avec tous ses enfants; que M. le chancelier l'avoit reconduit à son carrosse et lui avoit donné la droite.

» L'après-dînée, à Montrouge, avec mon père, visiter M. de Châteauneuf, que nous trouvâmes gaillard, parlant avec peu de sentiment de sa chute. Il nous dit que les charges de garde des sceaux et de premier président étoient incompatibles pour le bien de la justice, et que, dans moins de huit jours, M. le premier président auroit perdu crédit dans le parlement; que le chancelier et un garde des sceaux ne pouvoient s'accorder; que M. de Sillery, qui étoit très-modéré, avoit eu de grands différends avec M. Du Vair,8 qui étoit grand personnage; qu'ils partageoient les maîtres des requêtes en toutes les affaires; que la justice ne s'en feroit pas si bien. Lui ayant été dit que les conseils des parties se tiendroient au Louvre, il me dit que M. Du Vair alloit au conseil chez M. le chancelier et n'en avoit jamais fait difficulté. Il y arriva en même temps M. Balthazar et madame de Savoie et quantité d'autres. Nous nous retirâmes. Bruyères me dit que c'étoient ses ennemis qui disoient qu'il avoit consenti de sceller la déclaration, parce que certainement, il l'avoit toujours refusé, et que, quand il l'auroit accordé, on n'auroit pas laissé de lui ôter les sceaux.

» Le soir, le père Irénée nous dit comme, le dimanche de la Passion, il y avoit eu dans son couvent une conférence entre M. le président de Novion, M. Servien et M. de Longueil, le conseiller, où l'on avoit résolu le retour de M. le chancelier; que M. de Bouville,9 maître des requêtes, lui en avoit dit quelque chose.

» Tous les gens de bien et qui aiment la justice regrettent l'éloignement de M. le garde des sceaux, Châteauneuf, étant très-bien intentionné pour la justice sans acception de personne, fort désintéressé, aimant les gens d'honneur, ennemi des fripons, grande attention aux affaires et grande mémoire de celles qui avoient passé devant lui, grande connoissance du dedans du royaume et du pouvoir de toutes les différentes compagnies, s'arrêtant plus au fond des affaires qu'à la forme, parlant peu, n'ayant pas grâce ni facilité pour les longs discours, fort autorisé dans sa charge, en sorte que personne ne l'osoit contredire, fort aisé en son particulier et à ceux auxquels il avoit pris créance.

» Le jeudi, 6 avril, à la Merci, M. de Novion me dit que M. le coadjuteur avoit demandé son congé à M. le duc d'Orléans, sous prétexte de faire sa charge pendant ces saints jours, et l'on lui vint dire qu'il s'étoit retiré tout à fait. L'après-dînée, chez M. Gargam, pour l'affaire des payeurs de rentes sur les aides. Je fus à Ténèbres, au Calvaire,10 où M. Housset me dit que la cause, pour laquelle M. de Châteauneuf n'avoit pas voulu terminer son affaire, venoit de madame de Bretonvilliers, qui étoit intéressée avec lui dans les prêts, et dont M. de Châteauneuf vouloit que l'on sortît.

» Le vendredi, à la passion de M. Brousse à Saint-Nicolas et au service. L'après-dînée aux Ténèbres, aux Minimes, où M. de Tiluau et M. de Nogent11 dirent que M. de Châteauneuf avoit promis de sceller la déclaration, mais que ce n'étoit pas la cause de sa disgrâce; qu'il y avoit plus de huit jours que ce dessein paroissoit. M. de tiluau me dit qu'il l'en avoit averti, et que ses parents lui avoient aussi dit la même chose, mais qu'il étoit demeuré aveugle.

» Le samedi, 8 avril, à Saint-Nicolas faire nos pâques, où M. de Beaufort fit sa première fonction de marguillier.

» L'après-dînée, chez M. de La Ferté, qui étoit mort le matin, à six heures, le septième de sa maladie. Madame sa femme demeure avec onze enfants, et elle est grosse. C'est une perte pour notre quartier. Le soir, au salut à la Merci. Au sortir, M. de Villarceaux et moi nous trouvions, parlant des affaires, que M. le Prince étoit cause de tout ce changement pour établir ses amis dans les principales charges: M. le chancelier, le premier président, Chavigny, et ainsi se rendre maître de la cour; qu'il ne le pouvoit faire qu'en ôtant M. de Châteauneuf, qui étoit bien intentionné pour l'État et ferme pour contredire ses desseins, et ôtant le coadjuteur pour mettre, de sa main, un autre auprès de M. le duc d'Orléans, ou faire revenir l'abbé de La Rivière et en être assuré; qu'il avoit trouvé grande disposition à la reine contre M. de Châteauneuf, auquel elle imputoit l'éloignement du cardinal; que M. le Prince étant fort habile; il s'établiriot tellement de tous côtés, qu'il seroit absolument le maître de la cour; que la reine le reconnoîtroit bientôt, mais elle seroit impuissante pour y résister, et que le roi étant devenu majeur et sentant son cœur, se trouveroit bien empêché pour diminuer cette puissance; ce qui nous causeroit sans doute une guerre civile; que la reine devroit s'être fait un conseil de gens fermes, indépendants des princes pour résister à leur ambition, et que M. de Châteauneuf, les maréchaux de L'Hôpital et de Villeroy, y étoient très-propres. Le soir, je suis qu'il n'y avoit point eu de rémissions12 le Vendredi-Saint, parce que M. le chancelier y vouloit présider; ce que M. le garde des sceaux ne voulut point.

» Le dimanche, 9 avril, jour de Pâques, à Saint-Nicolas en robe rouge, où M. de Beaufort présenta six pains bénits, avec toute la fanfare possible. L'après-dînée, au sermon de M. Brousse. J'appris de M. Sevin que M. le Prince avoit récompensé tous ses serviteurs: qu'il avoit donné le gouvernement de la tour de Bourges, de Mouson et la lieutenance de Berri à M. de Persan; le gouvernement du château de Dijon et de Saint-Jean-de-Losne13 à M. Arnauld; celui de Seure à M. de Bouteville;14 celui de Stenay à Marsin; celui de Clermont et Jametz au baron de Meille. Par là, on voit qu'il est plus puissant après sa prison qu'auparavant, et qu'il n'y a présentement que la modération de son esprit, qui le puisse retenir.

» Le soir, l'on nous dit le démêlé de M. le chancelier avec M. le garde des sceaux, sur la fonction de leurs charges, et que M. le garde des sceaux avoit envoyé dire à M. le chancelier par M. de Champlâtreux, qu'il ne prétendoit rien quitter de toutes les fonctions, dont ses prédécesseurs avoient joui avec les chanceliers.

» Le lundi, 10 avril, je fus à Amboille.

» Le mercredi, 12 avril, je revins d'Amboille; j'appris que M. le duc d'Orléans ne s'apaisoit pas, et que l'on proposoit de retirer les sceaux à M. le premier président, lequel avoit tenu le sceau le matin, où s'étoient trouvés quantité de maîtres des requêtes, et que l'on croyoit que ce seroit son dernier.

» Le jeudi, 13 avril, j'appris, l'après-dînée, que M. le premier président avoit reporté les sceaux le matin à la reine et l'avoit remerciée de trois propositions qui lui avoient été faites: l'une de le faire cardinal, l'autre de lui donner cent mille écus, et la troisième, de faire un cinquième office de secrétaire d'État pour M. de Champlâtreux, et qu'il avoit témoigné grande vigueur d'esprit. Je sus que, moyennant ce, l'accommodement étoit fait et que les princes devoient aller, l'après-dînée, au Palais-Royale, où ils délibéreroient à qui l'on donneroit les sceaux.

» Le samedi 15 avril, M. Joly m'apporta un arrêt des aides à recorriger; l'après-dîner, M. Gargam me vint voir pour cette affaire. Les rentiers de Châtelain me vinrent parler; MM. des Yveteaux et Guillon y étoient; ils s'en retournèrent fort contents. Je sus qu'il y a avoit eu le matin petite direction chez M. le chancelier, où MM. du conseil n'avoient point été appelés; qu'il avoit les sceaux de la veille.

» Chacun considéroit ce changement avec étonnement, et l'on plaignoit M. le premier président, auquel la reine avoit fait une injure très-sensible de lui avoir donné les sceaux pour les lui ôter trois jours après. L'on ne pouvoit comprendre pourquoi M. le Prince l'avoit abandonné; les uns disoient qu'il n'auroit pas dû tenir le sceau ni en faire la fonction se voyant si peu assuré; les autres, qu'il l'avoit fait pour conserver le rang au-dessus des maréchaux de France et avoir sa place dans le conseil d'en haut.

» Le dimanche 16 avril, je fus porter les arrêts des aides à M. le surintendant,15 et saluai auparavant M. le chancelier. Je vis qu'il dit à Catelan16 qu'il ne signeroit pas les arrêts, résolus à la petite direction: il s'en indigna fort, dit qu'il les lui feroit bien signer, et que les arrêts de finance dépondoient de lui et de sa signature, et envoya M. Gargam lui faire signer tous les arrêts des aides.

» Il couroit un bruit d'un grand changement dans tous les gouvernements: que M. le Prince auroit la Guienne; M. le prince de Conti, la Provence; M. d'Angoulême, la Bourgogne; M. d'Épernon, la Champagne. Chacun murmuroit de ce bruit comme de très-grande conséquence. »

 


NOTES

1. Claude Joly, qui devint dans la suite évêque d'Agen. On a de lui un recueil de sermons. Il s'agit ici de la paroisse de Saint-Nicolas-des-Champs, à laquelle appartenait Olivier Olivier d'Ormesson.

2. La réception du duc de Beaufort, comme marguillier, qui nous paraît un événement bien insignifiant, fit alors quelque bruit. J'en trouve la preuve dans un journal ms. de l'époque (Bibl. iomp. Suppl. fr. 1238 bis, b, fo 262): « M. le duc de Beaufort étoit tombé malade d'une fièvre si dangereuse, qu'elle avoit obligé M. de Vendôme de le faire porter chez lui, et l'ôter de la rue Quincampoix, où il se plaisoit si fort, qu'il s'étoit fait élire marguillier de Saint-Nicolas, sa paroisse, dans laquelle il étoit fort aimé du menu peuple, pour le voir aussi assidu aux moindres fonctions de cette charge qu'un simple bourgeois, tant il affectoit la popularité. »

3. Louis Laisné, seigneur de La Marguerie, reçu maître des requêtes le 5 avril 1644, devint premier président au parlement de Dijon en 1654. Habert de Montmort et Briçonnet étaient également maîtres des requêtes.

4. Jean Balthazar, seigneur de Malherbe, reçu maître des requêtes le 20 mars 1642.

5. Mathieu Molé.

6. Filles du chancelier Séguier.

7. Le duc de Sully était gendre du chancelier Séguier, comme on l'a vu plus haut.

8. Guillaume Du Vair, évêque de Lisieux, fut deux fois garde des sceaux, pendant que Nicolas Brulart de Sillery était chancelier. Créé garde des sceaux en mars 1616, Du Vair les remit au roi le 25 novembre suivant. Ils lui furent rendus le 25 avril 1617, et il les garda jusqu'à sa mort, arrivée le 3 août 1621.

9. Jacques Jubert, seigneur de Bouville et de Bissy, maître des requêtes depuis le 16 janvier 1647.

10. Il y avait à Paris deux couvents des Filles du Calvaire, l'un rue de Vaugirard, l'autre sur l'emplacement duquel on a ouvert la rue Neuve-de-Bretagne et la rue Neuve-de-Ménilmontant. Je présume qu'il est question du dernier.

11. Nicolas de Bautru comte de Nogent.

12. Conseil dans lequel on signait les lettres de grâce, appelées lettres de rémission.

13. Petite ville de la Côte-d'Or. (Web page: Saint-Jean-de-Losne)

14. François-Henri de Montmorency-Bouteville devint maréchal en 1675, et est surtout connu sous le nom de maréchal-duc de Luxembourg. Il mourut en 1695.

15. Le surintendant des finances était alors René de Longueil, marquis de Maisons, président au parlement. Il ne fut surintendant que pendant un an. Ce fut ce président qui fit bâtir le château de Maisons.

16. Catelan était un des financiers qui prenaient à ferme les impôts, et s'enrichissaient ainsi aux dépens du peuple et du trésor royal.


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