MADEMOISELLE DE LA VALLIÈRE.

On place au mois de décembre 1663 le premier accouchement de mademoiselle de La Vallière. Il fut enveloppé d'un profond mystère, comme le prouve le passage suivant du Journal d'Olivier d'Ormesson, à la date de décembre 1663 : « Je veux écrire ici une histoire qui se débite partout et qui peut être de conséquence. Le mardi 18 décembre 1663, la marquise de Villeroy,1 étant près d'accoucher, pria Boucher de ne pas s'engager ailleurs, ou au moins de faire savoir où il seroit, afin que l'on le pût trouver. L'on dit que Boucher, le mercredi matin, étant arrivé chez madame la marquise de Villeroy, après s'être fait chercher toute la nuit, dit que, cette nuit-là, étant chez lui, on l'étoit venu querir dans un carrosse ; que, y étant entré, on lui avoit bandé les yeux, et que, après demi-quart d'heure de marche fort vite, il étoit entré dans une maison où, ayant monté un escalier, les yeux bandés, il avoit été introduit dans une chambre où, ayant eu les yeux débandés, il vit une dame au lit masquée ayant dix ou douze personnes auprès d'elles démasquées, le lit et les tapisseries couverts de draps, et qu'ayant heureusement délivré cette dame, l'on lui rebanda les yeux, on le mit dans le carrosse et on le ramena chez lui, après avoir été payé honnêtement. On prétend que Boucher fit cette relation chez la marquise de Villeroy, où il arriva assez à temps pour l'accoucher heureusement d'un fils.

» L'on applique cette histoire à mademoiselle de La Vallière, que l'on prétend être accouchée. Voici des circonstances véritables sur lesquelles on se fonde : mademoiselle de La Vallière, depuis longtemps, vit fort retirée, sans sortir, vêtue toujours d'un manteau de chambre. A son retour de Vincennes, le roi l'a fait loger au palais Brion,2 et l'a tirée d'auprès de Madame. Depuis longtemps, feignant d'être incommodée, elle ne sortoit point, et ceux qu'elle recevoit le soir pour jouer ne la voyoient que dans le lit. Il est véritable encore que, dans le temps marqué ci-dessus, on a été quatre jours sans la voir, et, après, on l'a vue au lit comme devant. L'on ajoute que le mercredi matin M. Colbert entra chez le roi, qui étoit encore au lit, et lui parla longtemps. Voilà le commencement d'un roman.

» A la messe de minuit, mademoiselle de La Vallière parut aux Quinze-Vingts3 fort pâle, et depuis elle est trouvée fort changée, et personne ne doute plus qu'elle ne soit accouchée d'un fils, que l'on dit être nourri par les soins de madame de Choisy.4 »

 


 

NOTES

1. Marguerite de Cossé, fille de Louis, duc de Brissac.

2. On nommait ainsi l'hôtel que le duc de Damville, qui s'appelait d'abord Brion, avait fait bâtir dans la rue de Richelieu. Louis XIV le fit détruire dans la suite, et on le remplaça par une galerie que l'on réunit au Palais-Royal.

3. L'hospice des Quinze-Vingts était situé au coin de la rue Saint-Honoré et de la rue Saint-Nicaise. En 1780, il fut transféré au faubourg Saint-Antoine, rue de Charenton ; et sur l'emplacement de l'ancien hôpital, on ouvrit les rues de Chartres et de Valois.

4. Louis XIV eut, en effet, de mademoiselle de de La Vallière un fils, nommé Louis de Bourbon, dont Voltaire place la naissance au 27 décembre 1663. Cet événement devrait être reporté, d'après le Journal d'Olivier d'Ormesson, au 18 ou 19 décembre 1663. Cet enfant mourut en 1666.


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