RÉCEPTION DE DUCS ET PAIRS (2 DÉCEMBRE 1665).

Mademoiselle rappelle la réception des ducs et pairs de 1665 sans entrer dans les détails. Voici, d'après le a résumé dans son Journal d'Olivier d'Ormesson, le récit de cette cérémonie : « Le mercredi 28 décembre 1665, le roi vint au parlement pour la réception des ducs et pairs et faire cesser la contestation des maîtres des requêtes avec la grand'chambre. J'y étois le quatrième maître des requêtes ; M. le chancelier y vint et l'on députa deux conseillers de la grand'chambre à l'ordinaire pour le recevoir sans qu'il eût des masses devant lui, comme aux lits de justice. Tout le parlement étoit en robes noires ; sur le banc des présidents, M. le chancelier, le premier président, les présidents de Maisons, de Mesmes, Le Coigneux, Bailleul, Molé et Nesmond, M. l'évêque de Césarée, qui empêcha encore MM. Morangis, Bellièvre et Bonnelle de prendre place ; au-dessous MM. de Montmort, Pinon, Jassault et moi, et au-dessous M. Courtin de la grand'chambre. Le roi étant à la Sainte-Chapelle, les quatre anciens présidents et les six conseillers de la grand'chambre allèrent au-devant. Le roi entra sans tambours, trompettes, ni aucun bruit, à la distinction des lits de justice. M. le duc d'Enghien, M. le Prince, Monsieur, marchant immédiatement devant le roi, passèrent par le milieu du parquet, croisant les présidents. M. le duc d'Enghien n'y auroit pas passé, si le roi n'étoit présent. Le roi étoit en habit et manteau violet, assis sur son trône ordinaire ; à sa droite, Monsieur, M. le Prince et M. le duc d'Enghien, MM. les ducs de Chaulnes, de Richelieu, d'Estrées, de Gramont, de Villeroy, de Mortemart, de Créqui, de Saint-Aignan, de Noailles et de Coislin. M. le duc d'Elbœuf s'y étoit présenté ; mais à cause de la contestation entre M. de Vendôme et lui pour la préséance, le roi leur ordonna de se retirer. Du côté des pairs ecclésiastiques étoient MM. d'Estrées, duc de Laon, et La Rivière, duc de Langres. Le capitaine des gardes ne suivit le roi que jusqu'au coin du parquet et passa entre les conseillers, par le coin du banc des présidents, près de la Lanterne, pour se mettre debout du côté des pairs ecclésiastiques, et cela contre l'ordre ; car M. de Villeroy dit sur cela qu'il devoit demeurer au coin du parquet en dehors et cita l'exemple de Henri II, qui vint au parlement pour faire arrêter plusieurs conseillers pour la religion, Du Bourg et autres.

» Chacun étant en sa place, le roi ôtant son chapeau dit : Messieurs, je suis venu en mon parlement ; M. le chancelier vous dira ma volonté. M. le chancelier étant ensuite monté au roi et mis à genoux pour recevoir ses ordres, ayant repris sa place sur le banc des présidents, dit que le roi ayant honoré des personnes, illustres par leurs services, de la dignité de duc, il venoit au parlement pour leur réception ; et ensuite ayant dit à M. Ménardeau de parler, il dit que M. de Bouillon présentoit requête pour être reçu duc ; que par le contrat d'échange de Bouillon et de Sedan, le roi avoit promis de lui ériger en duché Château Tierry et Albret, donnés en échange ; que, par l'arrêt de vérification de 1652, il étoit dit qu'il n'auroit rang que du jour de l'arrêt ; lut le dispositif de l'arrêt et ensuite les lettres d'érection en duché de Château-Tierry et d'Albret, tant en faveur des enfants mâles que femelles, de M. de Bouillon, en ligne directe, même des enfants mâles et femelles de M. de Turenne. Après M. le chancelier lui dit : Le roi vous ordonne de mettre LE SOIT MONTRÉ,1 et à l'instant sortirent M. le procureur général et M. Bignon, qui étoient à leurs places ordinaires, pour aller donner leurs conclusions. M. Ménardeau sortit aussi.

» Après M. Tambonneau parla pour M. le maréchal du Plessis ; après M. Ferrand, doyen, pour M. le maréchal d'Aumont ; puis M. Brillac pour M. de La Ferté, et M. Férrand pour M. de Montausier, à chacun desquels M. le chancelier dit la même chose pour le soit montré. Ces MM. les rapporteurs étant revenus l'un après l'autre, M. Ménardeau lut le commencement des lettres de M. de Bouillon, et puis le dispositif avec l'adresse et ensuite la déposition du curé et celle d'un témoin et les conclusions. Après, M. le chancelier lui demanda son avis et ensuite à tous les conseillers de la grand'chambre l'un après l'autre et finit par le côté des maîtres des requêtes ; après, aux présidents des enquêtes, qui étoient sur deux bancs en dedans le parquet de la grand'chambre, et de suite à tous les conseilleurs ; puis, aux ducs et pairs laïcs, aux pairs ecclésiastiques, et aux présidents de la cour ; et ensuite étant monté au roi, Monsieur, M. le Prince, et M. le duc d'Enghien s'approchèrent pour dire ensemble avec le roi leurs avis, et M. le chancelier étant redescendu et ayant fait une grande révérence au roi, s'étant assis et ayant fait entrer M. de Bouillon derrière le barreau, et lui nu-tête, il prononça : Le roi étant en son parlement a ordonné et ordonne que vous serez reçu en la dignité de duc et pair de France, pour avoir rang et séance conformément à l'arrêt de l'année 1652, en prêtant par vous le serment en tel cas requis et accoutumé. Levez la main : vous jurez et promettez de bien et fidèlement conseiller le roi dans ses très-hautes et très-importantes affaires, et séant au parlement garder les ordonnances, rendre la justice au pauvre comme au riche, tenir les délibérations de la cour secrètes, et en tout vous comporter, comme un digne, sage, vertueux et magnanime duc et pair, officier de la couronne et conseiller de la cour doit faire. Ainsi vous le jurez et promettez. M. de Bouillon ayant répondu que oui, M. le chancelier dit : Prenez votre place. Le premier huissier, qui tenoit son épée dans le fourreau, qu'il avoit ôtée entrant au parquet, lui remit dans la ceinture, et M. de Bouillon monta sur le banc, où étoient les ducs et s'assit au dessus du maréchal d'Estrées, après M. de Richelieu.

» La même cérémonie fut observée à chacun des ducs, et il n'y a [rien] à remarquer sinon que M. Courtin opinant dit qu'il étoit d'avis de vérifier les lettres à charge de réversion du duché à la couronne, en cas de défaut d'hoirs mâles, et répéta la même chose à chaque fois que l'on lui demanda son avis, dont l'on rit. Il se passa une autre plaisanterie : M. le maréchal d'Estrées étoit l'un des témoins de M. de la Ferté. M. de Brillac rapporteur avoit mis de lire [sa déposition]. Le roi, qui voulut rire, voulut entendre quel âge M. le maréchal d'Estrées s'étoit donné, et l'ayant fait dire à M. le chancelier, M. le chancelier demanda à M. de Brillac si aucun des ducs n'étoit point témoin, afin qu'il ne lui demandât pas son avis. M. de Brillac dit que M. d'Estrées avoit déposé. M. le chancelier lui dit : Lisez la déposition; ce qu'ayant fait et ayant omis l'âge, M. le chancelier demanda si l'on n'avoit point mis l'âge et que ce seroit une nullité. Sur ce M. de Brillac lut : âgé de soixante-quinze ans.2 Aussitôt le roi se prit à rire et M. le Prince à éclater, et toute la compagnie, comme à la comédie.

» L'ordre des ducs fut M. de Bouillon pour avoir rang de 1652, et puis MM. Du Plessis, d'Aumont, de La Ferté et Montausier. Après la réception des ducs faite, M. le chancelier dit : Messieurs, le roi m'a commandé de vous dire qu'il n'entend pas que MM. des enquêtes puissent prendre avantage de ce qu'ils sont présents à cette délibération, ne voulant pas que cette séance serve de règle jusqu'à ce qu'il ait décidé sur leurs prétentions, dont il se réserve la connoissance. Et aussitôt le roi s'en alla sans bruit de tambours ni de trompettes. Les enquêtes3 furent fort étonnés du discours de M. le chancelier, et ils dirent que c'étoit du conseil de M. le premier président, et l'effet de la visite qu'il avoit faite la veille au Louvre; et tous les présidents dirent n'en avoir point eu de connoissance, et cela a fait un mauvais effet dans l'esprit des enquêtes contre M. le premier président. »

 


 

NOTES

1. Formule par laquelle on renvoyait un rapport à l'examen des gens du roi pour qu'ils donnassent leurs conclusions.

2. François-Annibal d'Estrées, dont il est ici question, était né en 1573, et avait en 1665 quatre-vingt-douze ans. Il était frère de Gabrielle d'Estrées.

3. Les conseillers des enquêtes du parlement.


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