Louis XIV et Marie Mancini

Mademoiselle ne dit qu'un mot en passant des amours de Louis XIV et de Marie Mancini. Madame de Motteville est plus explicite: elle insinue que Mazarin aurait vu avec plaisir sa nièce assise sur le trône de France et elle attribue à Anne d'Autriche une fière réponse, qui aurait déconcerté tous les plans du ministre: « Je ne crois pas, monsieur le cardinal, aurait-elle répondu, que le roi soit capable d'une telle lâcheté; mais s'il étoit possible qu'il en eût la pensée, je vous avertis que toute la France seroit contre vous et contre lui; que moi-même je me mettrois à la tête des révoltés et que j'y engagerois mon second fils. » Aux assertions de madame de Motteville, on peut opposer la lettre célèbre de Mazarin à Louis XIV pour le détourner de la passion qu'il nourrissait pour sa nièce.1 Toutefois cette lettre pourrait être considérée comme une concession à l'opinion publique plutôt que comme l'expression de la pensée intime du cardinal; mais il existe d'autres lettres adressées par Mazarin à madame de Venel, gouvernante de ses nièces, pendant la négociation de la paix des Pyrénées. Elles ont un caractère de vérité et de sincérité, qu'il est impossible de méconnaître. La première, datée du 31 août 1659, montre l'irritation que causait à Mazarin la passion de sa nièce Marie Mancini pour Louis XIV:

« J'ai reçu toutes vos lettres, dont la dernière est du 27 de ce mois, avec celles de mes nièces; il m'a été impossible de vous faire réponse n'ayant pas un moment à moi dans les grandes occupations qui m'accablent de tous côtés. Je ne sais quelle démangeaison a pris à ma nièce2 de m'écrire si souvent comme elle fait. Je vous prie de lui dire que je ne prétends pas qu'elle prenne plus cette peine; que je sais fort bien ce qu'elle a dans le cœur et dans l'esprit et l'état que je dois faire de l'amitié qu'elle a pour moi.

» J'ai vu, par sa dernière lettre, qu'elle prend grand soin de se justifier sur ce qui lui est arrivé avec la comtesse de Soissons.3 Elle pouvoit bien s'épargner la peine de m'écrire là-dessus; car je me soucie fort peu de ces démêlés-là, lorsqu'il y a d'autres choses qui m'affligent au dernier point, et je me vois si malheureux que devant attendre du soulagement de ma famille dans l'accablement d'affaires où je suis, je n'en reçois que des sujets de déplaisir et particulièrement de ma nièce Marie.

» Je vous avoue que je ne puis pas m'imaginer à quoi elle songe quand le roi est à la veille de se marier, et je ne vois pas quel personnage après cela elle prétendra de jouer. Je sais bien que je ne manquerai pas de faire ce à quoi son honneur et le mien m'obligeront. »

Les menaces du cardinal produisirent l'impression qu'il désirait; et sa nièce se résigna au sacrifice qui lui était imposé. C'est ce qu'atteste une lettre écrite par Mazarin à madame de Venel quelques jours après la première, le 8 septembre 1659: « Je vous avoue que je n'ai pas eu depuis longtemps un si grand plaisir que celui que j'ai reçu en voyant la lettre que ma nièce m'a écrite, et la nouvelle que vous me donnez de l'assiette où est présentement son esprit, après qu'elle a su que le mariage du roi étoit tout à fait arrêté.

» Je n'avois jamais douté de son esprit, mais je m'étois méfié de son jugement et particulièrement dans un rencontre, dans lequel une forte passion, accompagnée de tant de circonstances qui la rendent furieuse, ne donnoit pas lieu à la raison d'agir.

» Je vous réplique de nouveau que j'ai la plus grande joie du monde d'avoir une telle nièce, voyant que, d'elle-même, elle a pris une si généreuse résolution et si conforme à son honneur et à ma satisfaction. Je mande au roi ce qu'elle et vous m'écrivez qu'elle a fait. Je m'assure que Sa Majesté l'en estimera davantage, et si la France savoit la conduite qu'elle a tenue en ce rencontre, elle lui souhaiteroit toute sorte de bonheur et lui donneroit mille bénédictions; mais je suis assez en état de lui faire ressentir les effets de mon amitié et de l'inclination que j'ai toujours eue pour elle, laquelle a été seulement interrompue, parce qu'il paroissoit qu'elle n'en avoit aucune pour moi et qu'elle ne faisoit nul cas de mes conseils, quoiqu'ils n'eussent d'autre but que son bien et le repos de son esprit.

» Je vous prie de lui témoigner de ma part que je l'aime de tout mon cœur; que je m'en vais songer sérieusement à la marier et à la rendre heureuse, et qu'elle le sera au dernier point, si elle s'applique tout de bon à profiter de la tendresse que j'ai pour elle et de l'estime que j'en fais par l'action qu'elle vient de faire; car, sans l'exagérer, je vous déclare qu'elle est telle qu'il eût été mal aisé d'en attendre une semblable d'une personne de quarante ans…. Je suis persuadé qu'elle aime trop sa gloire, son avantage et sa réputation pour y apporter le moindre changement, et vous lui direz de ma part que je serois au désespoir, si cela arrivoit, et qu'elle perdroit le mérite de la plus belle action qu'elle puisse faire de sa vie. »

Le contraste de ces deux lettres ne peut laisser aucun doute sur la sincérité de Mazarin: le ton irrité de la première et la joie qui s'épanche dans la seconde montrent le fond de son cœur et prouvent qu'on l'a calomnié en lui prêtant, dans cette circonstance, des vues secrètes et une ambition hypocrite.

 


NOTES

1. Cette lettre a été plusieurs fois publiée et notamment dans le Bulletin de la société d'histoire de France, t. I, 2e partie, p. 176.

2. Marie Mancini.

3. Olympe Mancini, sœur aînée de Marie.


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