DISGRACE DE M. ET DE MADAME DE NAVAILLES.

Le Journal d'Olivier d'Ormesson fixe la date de la disgrâce de M. et madame de Navailles, et en indique les causes, du moins celles qui couraient dans le public : « Le samedi 28 juin 1664, je sus la disgrâce de madame de Navailles, et que, mercredi dernier, le roi, étant chez la reine mère, envoya querir M. Le Tellier et lui commanda de dire à M. de Navailles qu'il eût à se défaire et de sa charge de lieutenant des chevau-légers et de son gouvernement du Havre, et que M. Le Tellier lui ayant dit que Sa Majesté ayant pris cette résolution, il croyoit qu'il la devoit tenir secrète durant huit jours, jusqu'à ce qu'il eût choisi des successeurs, afin de se délivrer de beaucoup d'importunités, son dessein étoit de gagner du temps et empêcher l'éclat pour donner moyen à quelque accommodement. Mais le roi lui répondit qu'il n'y avoit point à différer, et que l'on verroit ceux qui se présenteroient. Chacun raisonne sur les causes de cette disgrâce : on dit l'éclat que fit madame de Navailles à Saint-Germain pour fermer au roi l'entrée de la chambre des filles de la reine.1 On dit que depuis quinze jours le roi, ayant voulu assembler toutes les troupes de sa maison, à cause de la venue du légat, M. de Navailles demanda au roi un quartier pour les chevau-légers, et le roi lui ayant dit qu'il n'en donneroit point et qu'ils se logeassent pour leur argent, M. de Navailles répliqua : « Ceux qui sont à V. M. sont bien malheureux d'être ainsi traités. » A quoi le roi ne répondit mot, mais étant monté à la chambre de mademoiselle de la Vallière, se tournant à ceux qui l'avoient suivi, il dit : « Il n'a tenu qu'à moi d'avoir une querelle avec M. de Navailles, si j'avois été si chaud que lui. » Des amis en ayant averti M. de Navailles, il vint attendre le roi et lui fit des excuses de ce qu'il lui avoit dit ; mais le roi lui dit qu'il étoit né d'un pays chaud et trop colère ; que, pour lui, il étoit plus froid ; qu'il avoit un ton et qu'il disoit les choses d'une manière si haute, qu'il avoit toujours raison, et que c'étoit son air, qu'il ne pouvoit changer. On ajoute une troisième cause, et peut-être la plus forte, qui est que le roi a su que madame de Navailles avoit eu part à l'affaire que la reine mère avoit faite à madame de Brancas,2 pour avoir été à la promenade avec mademoiselle de la Vallière, et qu'il en avoit été fort piqué.

» Le dimanche 29 juin, je fus le matin chez M. Le Tellier, auquel je parlai de l'affaire de madame de Navailles. Il me la confirma et s'étendit fort sur la conduite qu'il falloit avoir avec le roi, qui étoit très-fin et très-habile. De là je fus faire ma cour chez le roi et ensuite chez la reine mère, où je remarquai une grande consternation sur le visage de tous les courtisans épouvantés de l'exemple de M. de Navailles.

» Le mardi 1er juillet, le soir, on me dit que le roi avoit fait l'accommodement de madame de Brancas avec la reine mère ; que, pour cet effet, il avoit mandé madame de Brancas chez madame la Comtesse,3 et lui avoit témoigné que cet accommodement étoit son affaire, et que jamais il n'abandonneroit ses amis, et, après vingt ans, seroit ferme pour eux comme le premier jour ; qu'il savoit que c'étoit madame de Fleix qui avoit fait cette pièce, et madame de Navailles ; qu'il s'en souviendroit ; qu'il avoit tâché de gagner la première par mille honnêtetés ; qu'il avoit fait pour cela beaucoup de caresses à son fils,4 mais qu'il ne l'avoit su vaincre ; que, si les ducs étoient à faire, son fils ne le seroit pas, et enfin convint de parler lui-même prendre le soin, et lui dit mille choses obligeantes. Sur cela, les uns disent que c'est par pure générosité ; les autres, que sa fille, est fort belle et qu'il ne la hait. »

 


 

NOTES

1. Cf. les Mémoires de madame de Motteville, à l'année 1664, et les Mémoires de Mademoiselle de Montpensier, même date, t. III, p. 540. — Saint-Simon, à l'occasion de la mort de madame de Navailles, arrivée le 14 février 1700, revient sur l'histoire de cette dame et sur les causes de sa disgrâce (voy. Mémoires, t. II, p. 371-373, édit. Hachette, in-8o).

2. Suzanne Garnier, fille de Mathieu Garnier, trésorier des parties casuelles, mariée à Charles, comte de Brancas, chevalier d'honneur de la reine Anne d'Autriche. (Voy. ce qu'en dit madame de Motteville, à l'année 1664.)

3. Voy. les Mémoires de madame de Motteville, à l'année 1664.

4. Gaston de Foix ; il avait été nommé duc de Randan en 1663.


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