Chapitre VSir Thomas Browne PageMademoiselle PageSearch Fin

Troisième Partie


CHAPITRE VI

(1684 -- 1688)

Il [Lauzun] fut au siége de Luxembourg1 que faisoit M. le Maréchal de Créqui, qui étoit son meilleur ami et à qui il avoit beaucoup d'obligations. Vauban, qui a plus de part à tous les siéges que l'on fait présentement, que les généraux d'armée, eut quelque démêlée avec le maréchal. M. de Lauzun prit son parti et décrioit la conduite du maréchal ; enfin il en usoit mal avec tout le monde. Messieurs les princes de Conti y firent des merveilles : l'aîné étoit à la tête de son régiment. N'étant pas plus content qu'à l'ordinaire, il prit résolution de s'en aller en Hongrie ; il partit sans prendre congé du roi. Le comte de Soissons, à qui il en avoit parlé, en avertit le roi ; on courut après ; on le rattrapa en Lorraine ; il revint. Étant un jour à table, je ne sais qui c'étoit, il dit que ceux qui l'avoient décélé étoient des coquins et de malhonnêtes gens. [M. le comte de Soissons]2 y étoit. Comme il fut un peu embarrassé et que l'on disoit dans le monde que c'étoit lui qui avoit donné cet avis au roi, ceux qui étoient là rompirent la conversation et on accommoda l'affaire.

J'avois oublié (et j'ai souvent dit cela, ce qui n'est pas bien agréable à répéter souvent, mais je n'écris point pour me faire louer, ni pour faire dire que rien n'est mieux écrit, mais pour moi) ce que madame de Montespan m'a dit vingt fois quand je me mettois en colère et qu'elle s'y mettoit aussi : « Je meurs d'envie de vous rendre cette donation. » Je lui disois : « Cette envie, madame, passez-la ; vous me feriez plaisir. — Et qu'est-ce que cela au prix de ce que le roi lui peut donner ? — Le roi est bien puissant, et il peut donner à M. du Maine des charges, des gouvernements ; mais cinquante mille écus de rente en souveraineté à un homme à qui cela peut donner un rang, il faudroit bien de l'argent pour faire cette somme, et les rois n'en donnent guère une si grande ; car pour des démembrements du domaine, on ne fait point pour les bâtards. »

Autre oubli : M. de Seignelay3 venoit assez souvent chez moi, et depuis la mort de son père il a continué de garder de grandes mesures avec moi, et comme M. de Lauzun y venoit tous les jours, on l'y trouvoit ; un entre autres, il m'avoit dit qu'il n'étoit pas content de M. de Seignelay, à l'égard de sa charge de bec-de-corbin, qu'il ne vouloit pas faire ; M. de Seignelay vint ; je lui en parlai ; il me répondit : « M. de Lauzun me veut faire une querelle d'allemand, désirant de moi une chose impossible ; il fera tout ce qu'il lui plaira ; car sans vous, il y auroit longtemps que je lui aurois fait fermer ma porte : c'est un homme de mauvais commerce et où il n'y a nulle sûreté, et Dieu veuille que vous ne vous en aperceviez pas aussi bien que les autres. » Je fus fort fâchée de ce discours. [Il ajouta] : « Je lui veux parler devant vous, Mademoiselle ; vous verrez l'embarras où il sera. » J'appelai M. de Lauzun ; je lui dis : « Je parlois de vous à M. de Seignelay ; mais je trouve que vous avez tort de vouloir une chose qu'il ne peut faire ; il est assez de mes amis pour avoir de la bonté pour vous ; M. Colbert en avoit tant, et vous lui étiez si obligé, que M. de Seignelay ne voudroit pas en mal user avec vous. » Il fut fort embarrassé, et M. de Seignelay lui fit des honnêtetés fort fièrement, disant : « Je sais ce que je dois à Mademoiselle, et par rapport à elle vous verrez comment j'en userai toujours avec vous. » Quand il fut sort, M. de Lauzun pesta contre lui, et je trouvois que M. de Seignelay n'avoit pas tort de n'en être pas content.

Madame de Noailles, qui témoignoit être des amies de M. de Lauzun, mais qui pourtant en parloit fort librement, un soir me disant qu'elle l'avoit vu, et qu'il étoit au désespoir d'être mal avec moi, mais qu'il ne pouvoit plus, avec honneur, après tous les tours que je lui avois faits, en plusieurs occasions, me voir jamais ; qu'il avoit commencé ; qu'après qu'il fut arrivé, madame de Savoie avoit écrit au roi pour le demander pour être ambassadeur extraordinaire auprès de son fils, qu'elle ne pouvoit plus tenir et commander l'armée en ce pays-là (je lui dis : « Je ne me suis point mêlée de cela ; car je ne l'ai su qu'après ») ; que j'avois prié le roi de ne le point faire servir à Luxembourg ; que son affaire étoit faite ; que le roi lui avoit promis ; je lui répondis encore que je ne savois ce que c'étoit ; que j'avois parlé au roi pour qu'il servît ; qu'il m'avoit refusée. « Pour moi, dit madame de Noailles, [je lui ai dit] : Après les obligations que vous avez à Mademoiselle, il sera malaisé de vous justifier dans le monde. Quand vous vous plaindrez d'elle, on trouvera toujours que vous avez tort. » Elle me dit : « Vous croyiez donc que c'étoit une vision que l'affaire de Savoie ? Je m'en vais vous dire ce que M. le chancelier4 m'en a dit (le chancelier Le Tellier étoit fort de ses amis). En parlant de M. de Lauzun, il me dit : Mademoiselle me fait pitié ; car cet homme en use mal avec elle, et a bien peu de reconnoissance. (C'est au commencement qu'il me dit cela.) Le jour qu'il vit le roi, il fut jusqu'à minuit avec mon fils ; il lui parla du projet de Savoie ; que madame de Savoie le souhaitoit passionnément ; que c'est le vrai moyen de l'éloigner avec honneur ; que M. de Louvois lui avoit répondu : Comment cela se peut il ? Vous sortez par le moyen de Mademoiselle, et vous entreprenez une affaire sans sa participation ! Et vous sortez de prison, et voulez commander l'armée du roi, sans titre ? Que dira le roi de cette proposition ? — Je le veux servir ; je ne puis demeurer inutile. Pour Mademoiselle, je lui ai de l'obligation ; mais si ç'avoit été de mon choix, elle ne se seroit pas mêlée de mes affaires, et dorénavant elle ne s'en mêlera plus. — Mais, Monsieur, M. Colbert sait-il cette affaire ? — Non, la guerre n'est pas de son fait ; je veux vous en avoir l'obligation. »

M. de Louvois fut fort étonné de ce discours et des protestations qu'il lui fit de vouloir être de ses amis, et il se moqua des manières dont il en usoit pour cela. Il l'étoit allé chercher à Meudon, arrivoit à cheval, le manteau sur le nez, et à Paris de même. Il ne disoit pas qu'il se cachoit, mais on le voyoit bien, et tout cela, pour l'amour de M. Colbert et de moi. Madame de Montespan y avoit part aussi ; car elle n'avoit aucune liaison avec [M. de Louvois]5 ; au contraire, elle n'avoit pas été contente de lui : ayant proposé de marier sa fille6 avec son neveu, M. de Mortemart,7 il avoit répondu que sa fille n'avoit pas assez de bien pour remettre les affaires de cette maison-là, et elle l'avoit marié avec la troisième fille de M. Colbert, qui avoit reçu cette proposition avec grand respect, le tenant à honneur, les deux aînées ayant épousé, [l'une] le duc de Chevreuse,8 fils de M. de Luynes, et l'autre M. de Beauvilliers, fils de M. le duc de Saint-Aignan9 ; et M. de Seignelay, en premières noces, mademoiselle d'Alègre, une très-grande héritière d'Auvergne, qui mourut laissant une fille, qui est morte ; après, il épousa mademoiselle de Matignon. M. de Matignon n'ayant point de garçons, étant tous morts, il lui resta deux filles, le reste s'étant faites religieuses du vivant des frères ; l'aînée épousa le chevalier Matignon, son oncle, et l'autre M. de Seignelay. Elles étoient fort riches, y ayant plus de quarante mille écus de rentes dans cette maison, une des plus illustres de France, la grand'mère étant d'``-Longueville, fille d'une Bourbon. Ainsi ils ont l'honneur d'être aussi proches parents du roi que M. le Prince, Marie de Bourbon étant cousine germaine du roi, mon grand-père ; cela donna un grand air à M. de Seignelay, qui naturellement avoit assez de vanité.

M. le prince de Conti continuant à vouloir aller en Allemagne, le roi lui permit et à M. son frère. Ils partirent avec un grand équipage.10 Force gens de qualité les accompagnèrent : ce ne fut ni des aînés de maison, ni les gens qui espérassent beaucoup de la cour ; mais des noms et un nombre fait un grand effet dans les pays étrangers ; ils furent fort bien reçus partout où ils passèrent. M. le prince de Turenne11 fut avec eux. Il étoit mal à la cour ; il avoit été exilé, parce qu'il avoit dit beaucoup de choses désobligeantes de madame la Dauphine à Monseigneur pour l'en dégoûter, et dès lors il commençoit à moins bien vivre avec elle. Pendant qu'il étoit à ce voyage, M. le prince de Conti avoit beaucoup de commerce à Paris ; il s'avisa d'envoyer un courrier ; c'étoit un page qui s'appeloit Mercy. Quand il revint, on eut envie de savoir qui leur écrivoit ; on l'arrêta à Strasbourg ; on lui prit toutes ses lettres,12 que M. de Louvois porta au roi avec beaucoup de douleur, comme on peut croire, y en ayant de son gendre13 dans celles de madame la princesse de Conti. Elle rendoit compte à M. son mari d'une fille qu'elle avoit prise fort promptement, de peur qu'on ne lui en bombardât14 une de Saint-Cyr. On sait assez ce que c'est cette maison pour que je n'en parle pas davantage.15

Il y avoit eu une grande fête à Sceaux,16 que M. de Seignelay avoit donnée au roi, où étoit toute la cour. M. de Liancourt,17 fils cadet de M. de La Rochefoucauld, écrivoit une longue lettre à M. le prince de Conti, ou à tous deux ensemble (je ne sais pas précisément), où il faisoit force railleries de tout le monde, et même cela alloit jusqu'au roi et madame de Maintenon ; et M. de La Rocheguyon avoit écrit dans cette lettre que son frère ne lui laissant rien à mettre, il approuvoit tout et signoit. Le marquis d'Alincourt18 écrivoit aussi une lettre pleine de beaucoup d'ordures. Le roi le dit à leurs pères : on peut juger de leur désespoir. Ils dirent sur cela tout ce qui se peut dire : les deux enfants de M. de La Rochefoucauld, dont l'un est gendre de M. de Lannoy, et le fils et petit-fils du duc et du maréchal de Villeroy. (Quelle douleur pour eux !) M. de La Rocheguyon fut à une de ses terres on Poitou ; M. de Liancourt en prison dans une tour de l'île de Rhé, et le marquis d'Alincourt à une terre ; enfin cette affaire fit grand bruit, et il y avoit de quoi. MM. les princes de Conti revinrent après avoir été à un siége et à une bataille19 : l'histoire dira les faits ; mais je dirai seulement qu'ils firent merveille. Ils ne furent pas trop bien reçus à la cour. M. le prince de La Roche-sur-Yon n'y fit pas un long séjour : il s'en alla à l'Ile-Adam, et de là à Chantilly avec M. le Prince.

On étoit à Fontainebleau, quand ils revinrent20 ; j'y allai. Madame la princesse de Conti tomba malade ; son appartement donnoit sur le jardin de Diane : on alloit savoir de ses nouvelles à la porte. Un soir que j'y voulus entrer, Dodart, son médecin, vint à moi, et me dit : « N'entrez pas ; je sais comme vous craignez la petite vérole : on ne sait ce que ce sera. » Elle parut le lendemain, et le roi me l'envoya dire. Je m'en retournai à Choisy. M. son mari la prit et en mourut en peu de temps21 ; madame la princesse de Conti fut à l'extrémité. Elle demanda à voir le roi, qui avoit eu du chagrin contre elle depuis ces lettres ; elle lui dit qu'elle mourroit contente, pourvu qu'il lui pardonnât. Il lui dit qu'il lui pardonnoit avec beaucoup de tendresse : elle fut fort longtemps sans se montrer, et ce mal la changea beaucoup.

J'écris toutes les choses dont je me souviens, à mesure qu'elles viennent. Ma sœur, la grande duchesse, avec qui je n'avois nul commerce, comme j'ai dit, vint en France.22 Madame de Guise alla au-devant d'elle. J'étois ici ; elle comprit bien qu'elle feroit un mauvaise personnage si elle ne me voyoit point, et que je n'étois pas d'humeur à la rechercher. Elle s'avisa de m'écrire de Lyon, pour me remercier de quoi les officiers du parlement de Dombes lui étoient allés faire la révérence, et ensuite me témoignoit le plaisir qu'elle auroit de me voir, comme si elle avoit gardé de grandes mesures avec moi. Je lui fis réponse fort honnêtement, et n'en avançai pas mon voyage d'un moment. Elle alla demeurer à Montmartre, d'où elle ne devoit sortir que pour aller voir le roi, quand il lui commanderoit et l'enverroit querir dans l'un de ses carrosses. On la reçut fort bien, et on la trouva horriblement changée. La comtesse de Fiesque me mandoit : « Madame votre sœur est si à la mode : le roi l'envoie querir fort souvent ; il paroît se plaire à sa conversation : enfin cela a un air admirable.23 » Je ne croyois rien de tout cela, et je jugeai bien qu'il en arriveroit ce qui est arrivé, moi qui connois la cour et le roi.

Le lendemain que je fus à Paris, j'allai à Montmartre. Elle me fit des excuses de ne m'être pas venue voir, mais qu'elle ne sortoit point. Son changement m'effraya. Elle me parut une grande gaieté. Nous ne parlâmes de rien que de la joie qu'elle avoit d'être en France. Je m'en allai à Versailles ; le roi me demanda : « Vous avez vu votre sœur ? — Oui, sire. — Vous l'avez trouvée horriblement changée, mais parlant beaucoup. — Il me paroît, sire, que c'est la mode d'Italie. » Monsieur me dit : « Votre sœur parle furieusement, et s'empresse, veut être de tout ; mais elle ne sera de rien ; car le grand-duc ne le veut pas. Je ne sais si elle a bien apporté des cabinets et des tables de Florence. » Je lui dis que je n'en savois rien. « Si elle en a, elle nous en donnera. »

Elle vint un jour ou deux après ; en dînant, et elle parla beaucoup, et le roi lui répondit peu. Elle lui dit : « Sire, je sais où je suis demeurée la dernière fois, afin que Votre Majesté commence par là à me mener ; c'est au labyrinthe. » Le roi répondit : « Je vous y mènerai à l'heure de la promenade. » Le roi envoya querir la reine et nous avec elle. On monta en calèche et on descendit au labyrinthe  ; elle suivit le roi qui marchoit devant la reine. Moi je demeurois après la reine ; le roi m'appela ; je crois qu'il ne savoit que lui dire. Puis on remonta en calèche, et le roi nous ramena au château, et lui dit : « Il est six heures ; il faut rentrer à huit à Montmartre, » et s'en alla prendre les dames et se promener.

En ce temps-là on jouoit au hoca ; la reine se mit à y jouer. Après avoir fait collation, le roi revint à neuf heures et dit à ma sœur : « Quoi ! vous voilà encore ! que dira madame de Montmartre ? » Elle se mit à rire et dit : « Je ne viens pas ici tous les jours ; quand j'y suis, il faut bien employer mon temps. C'est assez que j'arrive à minuit, quand les religieuses se lèveront pour aller à matines ; elles sont couchées présentement, je les aurois réveillées. » Le roi et la reine se regardoient, et Monsieur me regardoit. Quand je vis madame la comtesse de Fiesque, je lui dis : « Comtesse, ma sœur n'a pas si bon air à la cour que vous m'aviez dit, et je crains bien qu'elle ennuie, si elle y va souvent. » Elle trouva M. le prince d'Harcourt et elle le fit mettre dans son carrosse pour l'escorter ; ce que l'on trouva fort ridicule, quand on le sut. Madame Du Deffant étoit sa dame d'honneur, qui faisoit tous les jours mille fautes. Elle l'étoit de madame de Guise aussi ; mais elle fit venir sa fille, et elle ne parut plus utile ; elle mourut et fit bien ; car on commençoit à connoître que toute son habileté n'avoit été qu'à gagner quarante mille écus, tant du grand-duc que du roi, pour avoir fait venir ma sœur en France.

La reine m'a fait l'honneur de me dire que ma sœur n'étoit venue en France, et n'avoit eu tant d'envie d'y venir que sur un horoscope que l'on lui avoit fait par où on lui disoit qu'elle gouverneroit le roi. Cela faisoit que la reine ne la pouvoit souffrir ; mais elle n'avoit rien à craindre : car elle ne le vouloit gouverner que pour faire rendre les États à M. de Lorraine et l'épouser. Elle n'avoit que cela dans la tête : dessein assez chimérique [pour] une femme qui a un mari et trois enfants. Elle disoit qu'il y avoit des casuistes à Rome qui avoient dit qu'elle n'étoit pas mariée, n'y ayant jamais consenti. Elle avoit toujours conservé un commerce avec M. de Lorraine, jusqu'à ce qu'il se soit marié avec la sœur de l'Empereur, veuve de ce roi Michel de Pologne : et ce qui est de plus surprenant, c'est que le commerce passoit par les mains de Madame de Lislebonne24 et que mademoiselle de Guise et madame de Montmartre le savoient. Je ne comprends pas comme des personnes qui ont autant d'esprit et de vertu peuvent la flatter dans une telle chimère. Quand M. de Lorraine se maria, elle eut la jaunisse ; et quand il mourut, elle affecta fort de ne le pas regretter ; car comme son cousin germain et un homme de ce mérite-là, elle pouvoit en témoigner du regret ; elle affecta ce jour-là une grande gaieté.

Depuis que Mademoiselle de Nantes commença à avoir dix ans, M. le Prince songea à la faire épouser à M. le Duc. Madame la Princesse, qui ne venoit quasi jamais à la cour, y fit de longs séjours. Un soir que l'on soupoit chez le roi, j'étois enrhumée, je toussai beaucoup. Mademoiselle de Bourbon,25 qui n'est pas belle, s'avisa de trouver cela plaisant et d'en rire avec madame la princesse de Conti ; et à mesure que je toussois, elle rioit et regardoit Monseigneur. Le roi vit que cela me faisoit de la peine ; il dit : « Mon fils et la princesse de Conti se sont souvenus, en voyant un homme qui est là, d'une plaisanterie du dernier voyage. » Je toussai encore : cela continua. Je sortis de table et je m'en allai dans la chambre du roi, où je fus un demi-quart d'heure jusqu'à ce que ma toux fût passée, et en rentrant je dis : « J'avois peur que ce ne fût manquer de respect de demeurer avec ma toux. » On sortit de table ; la reine demeura peu à l'appartement ; je la suivis et lui dis : « Je crois que Votre Majesté aura bien remarqué les ris de madame la princesse de Conti et de mademoiselle de Bourbon. — Oui, dit-elle, cela m'a paru fort impertinent, et vous avez vu que le roi a fait ce qu'il a pu pour les en empêcher, sans y pouvoir réussir. » Le lendemain tout le monde en parla, et quand on m'en parloit, je disois : « Ce sont de jeunes créatures qui ne savent de quoi elles rient : elles ont besoin d'avoir des gouvernantes pour leur apprendre à vivre, et des amis pour leur dire que cela leur sied fort mal : Madame la princesse de Conti rougit trop en riant, et l'autre est encore plus laide. »

M. le Prince et madame la Princesse furent au désespoir ; car depuis que M. de Vermandois étoit mort, ils songeoient à la faire épouser à M. du Maine, et ils ne vouloient pas qu'elle me déplût. Cela fit beaucoup de bruit. Mademoiselle de Bourbon avoit le bras droit incommodé : il paroissoit plus court que l'autre et même elle ne l'allongeoit pas aisément. Je me souviens que l'on m'avoit dit qu'elle avoit eu les écrouelles, et que des drogues que l'on lui avoit mises l'avoient estropiée. Je dis à madame de Montespan : « Ce sera un beau couple si M. du Maine l'épouse : un boiteux et une manchote. » Elle me dit fort que l'on n'y songeoit point. En contant à madame de Thianges l'aversion qui m'avoit prise pour mademoiselle de Bourbon sur son rire, et la peur que j'avois que l'on ne songeât à la marier au duc du Maine, et tout ce que j'avois dit, madame de Thianges le dit à M. le Prince, et madame de Montespan le dit au roi. Un jour que j'étois chez madame de Montespan, où j'allois souvent, le roi me parla de cela, et me dit qu'il ne me falloit pas m'inquiéter que l'on mariât le duc du Maine sans ma participation ; qu'il m'avoit trop d'obligation ; mais qu'il ne falloit pas aussi que je me fâchasse si aisément et que je prisse des aversions pour si peu de chose ; que M. le Prince et madame la Princesse étoient au désespoir. Je dis qu'il n'en falloit plus parler, et que, si elle épousoit M. le duc du Maine, je ne les verrois jamais ni l'un ni l'autre. Le roi étoit fort embarrassé, et moi fort fière. Je les laissai là. Nous nous parlions chez la reine ou chez madame la Dauphine ; car quoique j'aie dit que la reine m'avoit dit en sortant, je ne sais si ce fut elle ou madame la Dauphine, mais cela fut dit ; ce fut une des deux.

Le mariage de mademoiselle de Nantes se fit, lorsque j'étois ici,26 sans que personne m'en donnât part que madame de Montespan, qui m'écrivit cela comme elle auroit fait une autre nouvelle. Je ne m'en souciai guère. Avant que de partir, je voyois tous les jours M. le Duc à Clagny, faisant sa cour à mademoiselle de Nantes, qui étoit belle comme les anges, et lui fort laid, petit, gros, la taille gâtée, mais beaucoup d'esprit et qui promettoit beaucoup.

Quand je retournai à Paris, je fus à Fontainebleau où étoit la cour. M. le cardinal de Bouillon fut exilé aux noces de madame la Duchesse, parce qu'il voulut manger à la table du roi ; on lui refusa : il ne fit point le mariage. Depuis la mort de M. le prince de Conti, M. son frère n'avoit bougé de Chantilly d'auprès de M. le Prince. Ce séjour-là lui a été fort avantageux pour le rendre le plus honnête homme du monde, M. le Prince l'aimant chèrement.

On fit, au jour de l'an,27 M. le duc de Chartres, M. le duc de Bourbon et M. le prince de Conti cordons bleus. Il arriva le matin à Versailles, y dîna et s'en retourna à Chantilly ; on admira son bon air, sa bonne mine. M. de Lauzun vivoit à son ordinaire, jouant beaucoup chez Monsieur, voyant moins Monsieur, faisant le dévot, c'est-à-dire des retraites aux pères de la Doctrine chrétienne. Madame la comtesse de Lauzun vint à Paris et logea chez lui ; elle se fit catholique ; et l'abbaye de Saintes, qu'avoit madame de Foix, fut vacante par sa mort ; le roi donna l'abbaye à madame de Lauzun, sœur de M. de Lauzun, qui étoit religieuse dans cette maison. La conversion de madame de Lauzun lui avoit fait avoir commerce avec le P. de La Chaise, et ce fut par là qu'elle l'eut. Madame de Nogent maria sa fille aînée à un gentilhomme de Gascogne, et un an après la cadette, qu'elle aimoit passionnément, à M. de Biron : elle me fit part de ces deux mariages.

La grande-duchesse couchoit quelquefois à Versailles et à Saint-Germain, dans des appartements d'emprunt ; car le roi ne lui en vouloit pas donner. On commença à la négliger : le roi en faisoit peu de cas. On la trouvoit ennuyeuse, parlant beaucoup et peu agréablement, faisant sans cesse des histoires de son domestique, des chevaux qu'elle achetoit, des noms qu'ils avoient, d'où ils venoient ; enfin des détails de maquignon ou de demoiselle de campagne qui va aux foires avec son mari, et elle s'habille quasi de même.

Je ne marque année, ni époque : j'écris selon qu'il m'en souvient, et on pourra juger que ces Mémoires ont eu de grands intervalles sans écrire de suite. Madame la duchesse de Bourbon (car elle s'appeloit ainsi pour lors) eut la petite vérole à Fontainebleau ; madame de Montespan s'enferma avec elle et madame sa belle-mère ; M. le Prince, qui étoit à Chantilly, s'y enferma aussi. Elle fut à la mort. Le roi voulut l'aller voir : M. le Prince se mit devant la porte et lui dit qu'il l'empêcheroit d'entrer. Il tomba malade, et y mourut.28 Ce fut une grande perte pour l'État ; car dans les conjonctures présentes, il auroit bien servi le roi. Il paroît que sa tête étoit aussi bonne que son cœur puisque le plus grand capitaine que l'on ait présentement est son disciple,29 M. de Luxembourg : il a appris sous lui. Il écrivit au roi une fort belle lettre, pour lui demander pardon des choses qu'il avoit faites, qui lui avoient pu déplaire ; elle étoit fort chrétienne, aussi bien que sa mort ; mais j'aurois voulu qu'il n'eût point prié le roi que madame sa femme demeurât toujours à Châteauroux. J'en fus fort fâchée : je rappelai notre ancienne amitié, et j'oubliai tout ce qu'il m'avoit fait. J'étois malade dans le temps qu'il mourut ; j'avois eu une colique qui m'avoit duré quatre jours, pendant lesquels M. de Lauzun venoit tous les jours à ma porte.

Il y eut quelque mouvement en Angleterre que M. de Monmouth causa,30 dont je ne parlerois point sans que cela obligea M. de Lauzun à demander permission d'aller en Angleterre chercher la guerre. Ce voyage fur ce que j'ai déjà dit dans d'autres occasions : il fut loué et blâmé. D'abord il réussit bien, mais il n'en revint pas fort content ; il rapporta beaucoup de choses. J'étois ici quand il passa à Abbeville ; il envoya un gentilhomme me faire ses compliments ; je crois qu'il m'écrivit ; mais je ne lui fis point de réponse. Il acheta force marchandises de la Chine, il en envoya une grande quantité à Choisy ; très-jolies, mais je ne les voulus pas recevoir, et le gentilhomme les étala sur des tables, chez Rollinde, qui y a une maison ;je ne pus m'empêcher de les aller voir, mais bien de les recevoir.

Depuis qu'il étoit mal avec moi, mes sœurs, qui s'étoient tant déchaînées contre lui, ne perdoient pas d'occasion d'en dire du bien et de le louer. La grande-duchesse s'accoutuma d'aller à Saint-Mesme tous les étés, et de là à Alençon ; et tous les jours elle venoit, quand madame de Guise étoit à Paris, dîner et jouer chez elle. Depuis la mort de ma belle-mère, que ma sœur a eu Alençon, elle y va toujours devant l'Ascension et en revient à la Saint-Martin en été. Il prit fantaisie à la grande-duchesse de me dire : « On m'a ordonné les eaux de Forges pour mon mal de gorge ; j'ai envie d'aller à Eu avec vous pour les y prendre. » C'étoit à Versailles, en nous promenant, qu'elle me fit cette proposition. Je lui répondis : « Je serois bien aise de vous faire ce plaisir, mais vous devez songer que j'ai des mesures à garder avec le grand-duc, qui a toujours parfaitement bien vécu avec moi. — Eh ! je vais bien à Alençon. — Ce n'est pas de même : madame de Guise n'est pas si bien avec lui que moi. — Comment ! me dit-elle en colère, ménager ce ridicule ! tout le monde s'en moque. Ne me suis-je pas moquée de lui, quand je suis venue ici ? Je lui ai fait accroire que je me voulois fair religieuse à l'hôpital de Poitiers ; il l'a cru. Je me moque de lui ; je ne lui tiendrai rien de tout ce que je lui ai promis. » Elle continua sur ce ton-là à dire force choses dans un grand emportement, que j'écoutai avec pitié ; je lui laissai tout dire et ne lui répondis rien. On nous vint appeler que la reine sortoit. Le soir, je demeurai au coucher de la reine, et comme le roi sortit, je le suivis dans le petit salon, et je lui contai ce qui s'étoit passé : il me dit que j'avois bien fait, et que le grand-duc ne vouloit pas qu'elle allât hors de Montmartre ; que c'étoit une folle. Elle bouda, et il n'en fut ni plus ni moins.

Madame de Guise me fit deux tours admirables. Depuis la mort de sa mère, elle logea à Luxembourg, s'étant brouillée tout à fait avec mademoiselle de Guise depuis la mort de son mari ; mais elle n'étoit pas délogée encore de l'hôtel de Guise.

Je pris l'occasion de me décharger sur elle de la moitié du palais de Luxembourg, que je m'étois obligée de prendre tout entier après la mort de ma belle-mère, par un traité que j'avois signé avec elle, et qui avoit été fait par l'avis de MM. le maréchal d'Estrées, Colbert et Le Pelletier, ministre d'État,31 que le roi avoit commis pour nous régler. Ma sœur vint loger [à Luxembourg, et quelques temps après]32 elle s'avisa de vouloir vendre la moitié à M. le Prince33 ; mais elle ne [le] pouvoit, comme vous avez vu. L'évêque d'Autun, qui est un tracassier, homme de mauvaise foi, bien avec tout le monde, et qui gouverne mademoiselle de Guise, les raccommoda en apparence et fit un marché avec M. le Prince. Il lui donnoit l'hôtel de Condé, La Raincy et quelque argent, et mademoiselle de Guise devoit vendre l'hôtel de Guise et demeurer avec elle. M. le Prince me vint trouver et me dit : « J'ai, sous votre bon plaisir, fait un traité de Luxembourg, c'est-à-dire de la part de madame de Guise. Je crois que vous aimerez mieux nous avoir logés avec vous qu'elle. » Je lui parus surprise et répondis : « Nous sommes fort bien ensemble ; nous y loger, ce seroit le moyen de nous brouiller. » Je lui demandai : « En avez-vous parlé au roi ? — Non ; car j'attendois votre agrément. » Je lui dis : « Je crois que madame de Guise ne peut le vendre et je crains que nous ne nous accommodions point ensemble ; » et je finis répondant comme une Normande.

Le soir je le dis au roi, qui me parut surpris, et qui me dit que j'avois raison de n'y consentir pas, et que M. le Prince ne lui en avoit point parlé. Je lui dis aussi que j'irois le lendemain à Paris pour voir si M. le Prince pouvoit l'acheter ; que je croyois que madame de Guise s'étoit embarquée mal à propos, comme elle faisoit souvent avec son bon esprit. Je crois que le roi témoigna ne le pas approuver, car M. le Prince vint le lendemain me voir : je revenois de la messe des Carmes à pied ; je le trouvai au bas du degré dans sa chaise, qui avoit la goutte. Il me dit : « En quelque état que je sois, j'ai voulu venir ici pour vous faire les excuses de mon fils, et pour vous dire que je ne savois rien de cette affaire. On ne peut pas en avoir mieux usé que vous avez fait ; » et sur cela me fit mille honnêtetés. Je vis l'après-dînée madame de Longueville, qui me dit : « C'est l'évêque d'Autun et Gourville qui mettent cela dans la tête de M. le Duc. Luxembourg est trop grand : il est si petit,34 et toute sa famille ! que feroit-il là ? M. mon frère en a été fort fâché. »

Quand M. le duc de Bourbon épousa mademoiselle de Nantes, madame de Guise crut qu'après ce mariage on pouvoit accabler tout le monde, et crut la conjoncture d'autant plus favorable que, M. le Prince te moi étant mal ensemble, il seroit bien aise de faire voir des nouvelles marques de sa faveur. Jamais madame de Guise ne s'étoit tant empressée à me faire des amitiés que tout l'hiver, me rendant des soins. J'eus un petit abcès derrière la tête, qu'il fallut ouvrir ; elle y voulut être, et elle se mit la tête contre la muraille, pleura quand on y mit une tente, enfin fit des choses qui me furent suspectes, et je dis dans ce temps-là à Rollinde et à d'autres : « Madame de Guise machine quelque chose contre moi ; car elle me fait beaucoup d'amitiés, et je la connois. »

Un jour que je revenois de Versailles, je dînai à Paris pour aller coucher à Choisy, où je ne devois être qu'un jour. Il vint un de mes amis, un officier des troupes, qui me demanda si je savois que le marché que madame de Guise avoit fait de Luxembourg avec M. le Prince étoit rompu. Je lui dis : « Je ne sais ce que c'est ; contez-moi ce que vous en savez. » Il commença : « Je viens de voir un tel (qu'il me nomma ; c'est un homme que je connois), qui m'a dit Savez-vous ce que c'est que l'affaire de madame de Guise avec M. le Prince ? et Mademoiselle le sait-elle ? Je lui répondis : Il y a quelques jours que je n'ai pas vu Mademoiselle ; je n'en sais rien, et peut-être ne le sait-elle pas ? — Vous lui pouvez dire que, comme j'étois chez M. de Gourville ce matin, M. de Charmoy y est venu, et Gourville est allé à lui, et lui a dit : « Vous pouvez mander à madame de Guise (car elle étoit partie pour Alençon) que M. le Prince lui est fort obligé de l'honneur qu'elle lui a fait ; mais que c'est une affaire rompue. — Quoi ! tout à fait ? dit Charmoy. » Gourville dit : « Le roi ne le trouvé à propos. » Il s'en alla ; Gourville, à qui cet homme demanda ce que c'étoit, lui répondit : « C'est que madame de Guise vouloit vendre sa part de Luxembourg, et le roi ne l'a pas voulu. » Je fus fort surprise de cela, et fort obligée au roi d'en avoir si bien usé pour moi, sans que je lui en eusse parlé. Je fus quasi tentée de m'en retourner à Versailles ; mais cela auroit paru trop affecté.

Je demeurai le samedi à Choisy ; le dimanche j'allai coucher à Versailles et n'en parlai à personne. Le lundi avant que le roi vînt, je me trouvai en tiers avec madame la Dauphine et Madame ; je leur [dis] : « Comme vous n'êtes pas dévotes, non plus que moi, mais de bonne foi, qui ne voudriez tromper personne, je m'en vais vous dire un tour que madame de Guise m'a fait. » Elles furent fort surprises et la trouvèrent une grande friponne. J'attendis le roi dans le dernier cabinet. Monsieur, qui alloit devant le roi, me dit : « Que faites-vous là ? voulez-vous parler au roi ? » Je lui répondis : « Passez votre chemin. » Le roi s'arrêta, et M. de Duras, qui étoit en quartier, passa. Je commençai : « Je rends mes très-humbles grâces à Votre Majesté. — Et de quoi ? — De ce que vous avez eu la bonté de ne me pas mettre sur le carreau et être obligée d'aller louer en chambre garnie dans la rue de la Huchette. — Qui vous a dit cela ? » Je répondis : « Je n'en demandois pas d'avantage. — Ah ! je sais ce que c'est ; je vous assure qu'il n'en est rien. — Je suis charmée des bontés de Votre Majesté ; on ne peut pas être plus reconnoissante que je ne suis, ni plus contente que vous connoissiez ma sœur telle qu'elle est, en faisant la dévote. — Vous devez être sure de mon amitié, ma cousine ; mais cela n'est point. — Je sais ce que j'en ai à croire ; allez dîner, Sire. » Monsieur étoit en grande curiosité. En sortant de table, il alla chez le roi ; je lui dis : « J'irai chez vous vous dire ce que j'ai dit au roi. » J'y fus ; il me dit qu'il avoit demandé au roi ce que c'étoit ; que le roi lui avoit dit : « Je suis étonné que ma cousine sache une chose fort secrète, et que j'avois fait tout ce que j'avois pu pour qu'elle ne la sût pas, croyant bien qu'elle la fâcheroit : c'est que sa sœur de Guise a encore voulu vendre sa part de Luxembourg [à M. le Prince], et il m'en est venu parler ! Et ma cousine ! Comment serez-vous unis ? Vous n'êtes pas trop bien. Il répondit : Madame de Guise m'a assuré qu'elle en seroit fort contente. — Et moi je vous assure du contraire, et qu'elle n'y consentira jamais. — Si Votre Majesté ne le veut pas, je n'y songerai point. Le roi dit : Ce n'est pas moi ; mais je vous réponds qu'elle n'y consentira pas, et cette affaire vous fera de l'embarras ; même il est bon qu'elle n'en sache rien. »

Monsieur ajouta : « Vous êtes fort obligée au roi, car il m'en a parlé avec beaucoup de bonté. » Je me plaignis à quelques amis et amies de madame de Guise de son procédé. Elle écrivit une lettre à l'évêque de Dax de sa main, signée ; elle désavouoit l'affaire, comme une chose dont elle n'avoit jamais entendu parler, même avec serment. Je répondis simplement : « Je la connois, il y a longtemps ; elle fille de sa mère : je la reconnois là. » Quand elle revint, elle me fit tout aussi bonne mine que si elle en avoit bien usé avec moi.

M. le Prince fut honteux. Un jour, chez madame de Montespan, il en parla à la comtesse de Fiesque et dit : « Je n'en aurois jamais parlé au roi ni songé sans que madame de Guise m'en pressa fort, m'assurant que Mademoiselle en seroit ravie : car à moins de cela comment y songer ? Trouvez moyen de placer cela dans quelque conversation, et que Mademoiselle le sache. » Il s'ennuyoit d'être mal avec moi ; car son humeur inquiète ne lui permet pas de demeurer longtemps dans une même situation,35 et moi je ne leur faisois pas [de] mal. Je voyois que j'avois eu tort dans mon chagrin de dire une chose de mademoiselle de Bourbon, qui avoit fort fâché M. le Prince, qui vivoit encore dans ce temps-là. Je ne laissois pas de voir madame la Princesse. Madame la princesse palatine36 mourut ; j'y allai et je trouvai M. le Prince, à qui je fis mille amitiés. IL me dit : « Je suis sensible à tout ce que vous me faites de bien et de mal. » Je lui dis : « J'ai toujours les mêmes sentiments pour vous ; et si j'ai fait quelque chose qui vous ait déplu, les gens qui sont prompts doivent pardonner à ceux qui le sont comme eux. » Je crois ne l'avoir pas vu depuis ce jour-là.

M. de Lauzun vivoit à son ordinaire toujours dans l'obscurité, mais faisant parler de lui, et souvent par des choses qui me fâchoient. Quand je revins d'Eu, en 1688,37 on habilla mes gens de neuf. Un jour, comme je me promenois dans le parc de .   . . . . .38

 

FIN

 


NOTES

1. Le siége de Luxembourg dura du 8 mai au quatre juin 1684.

2. Il y a dans le manuscrit le prince de Conti ; mais c'est une erreur évidente.

3. Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay, était fils aîné du contrôleur général Colbert. Il obtint en 1675 la survivance de la charge de secrétaire d'État de la marine qu'avait son pères ; il la remplit seul après la mort du contrôleur général, et la conserva jusqu'à sa mort, qui arriva le 3 novembre 1690. Voy. à cette date les notes de Saint-Simon sur le Journal de Dangeau.

4. Le chancelier était alors Michel Le Tellier, qui remplit cette fonction de 1677 à 1685.

5. Il y a dans le manuscrit : Car elle n'avoit aucune liaison avec elle ; ce qui est un lapsus évident, puisque dans la suite de la phrase on lit : Elle n'avoit pas été contente de lui.

6. Élisabeth-Anne Le Tellier, née le 23 juin 1665 ; elle épousa le 23 novembre 1679 François de La Rochefoucauld, duc de la Rocheguyon, grand maître de la garde-robe du roi en survivance.

7. Louis de Rochechouart, duc de Mortemart, épousa le 14 février 1679 Marie-Anne Colbert, fille du contrôleur général, Jean-Baptiste Colbert.

8. Joséphine-Marie-Thérèse Colbert, mariée au duc de Chevreuse le 2 février 1667.

9. Henriette-Louise Colbert, mariée le 21 janvier 1671 à Paul de Beauvilliers. Voy. sur mesdames de Chevreuse et de Beauvilliers les Mémoires de Saint-Simon.

10. Le Journal de Dangeau nous apprend qu'ils partirent le 22 mars 1685. On voit par ce même journal que le roi leur accorda à regret la permission qu'ils avaient sollicitée, et défendit à un grand nombre de seigneurs,qui voulaient les accompagner, de quitter la France.

11. Louis de La Tour, prince de Turenne. Il mourut d'une blessure reçue à la bataille de Steinkerque, le 5 août 1692.

12. Voy. le Journal de Dangeau à la date de juillet 1685 et les additions de Saint-Simon.

13. Le gendre du marquis de Louvois était, comme on l'a vu plus haut, François de La Rochefoucauld, duc de La Rocheguyon.

14. Cette expression pittoresque, que Saint-Simon emploie assez souvent, a été remplacée dans les anciennes éditions par la mot donnât.

15. Voy. l'Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théoph. Lavallée.

16. Cette fête eut lieu au mois de juillet 1685. Voy. pour les détails le Mercure de juillet 1685, p. 263 à 316.

17. Henri-Roger de La Rochefoucauld, marquis de Liancourt, né le 14 juin 1665.

18. Le marquis d'Alincourt (Louis-Nicolas de Neufville-Villeroy) était fils du duc de Villeroy et petit-fils du vieux maréchal de Villeroy. Ce dernier (Nicolas de Neufville) mourut la même année, le 28 novembre 1685, dans sa quatre-vingt-huitième année. Le duc de Villeroy, son fils, était François de Neufville, qui fut gouverneur de Louis XV. Il est souvent question de ce personnage dans les Mémoires de Saint-Simon.

19. A la bataille de Gran, où les Turcs furent vaincus, et au siége de Neuhausen (août 1685).

20. Le Journal de Dangeau prouve que Mademoiselle s'est trompée. Ce fut à Chartres que le mardi 4 septembre 1685 les princes de Conti vinrent trouver le roi, se jetèrent à ses pieds et lui demandèrent pardon de lui avoir déplu.

21. Le prince de Conti mourut le 9 novembre 1685. Voy. le Journal de Dangeau à cette date.

22. Voy. plus haut ce que Mademoiselle a dit de la séparation de la grande duchesse et de son mari, p. 351-355.

23. Voy. la lettre de madame de Sévigné en date du 3 juillet 1675, dont j'ai cité un passage plus haut, p. 352.

24. Anne de Lorraine, mariée à François-Marie de Lorraine, comte de Lislebonne.

25. Marie-Thérèse de Bourbon, fille de Henri-Jules de Bourbon, prince de Condé, et d'Anne de Bavière ; elle était née le 1er février 1666, et elle épousa le 29 juin 1688 François-Louis de Bourbon, qui prit le nom de prince de Conti, après la mort de son frère aîné.

26. Le mariage de Louis III, duc de Bourbon, avec Louise-Françoise de Bourbon, eut lieu le 23 juillet 1685.

27. De l'année 1686. Il y a erreur dans les Mémoires de Mademoiselle : ce fut le dimanche 2 juin 1686, jour de la Pentecôte, qu'eut lieu la cérémonie dont elle parle. Voy. le Journal de Dangeau avec les additions de Saint-Simon, t. I, p. 343-344.

28. Le grand Condé, Louis de Bourbon, mourut le 11 décembre 1686.

29. Henri de Montmorency-Bouteville avait été un des compagnons et des disciples du grand Condé, que l'on désignait sous le nom de petits-maîtres. Cette allusion de Mademoiselle aux succès du maréchal de Luxembourg prouve qu'elle a écrit cette partie de ses Mémoires vers 1690. Ce fut en cette année que Luxembourg gagna la bataille de Fleurus (30 juin 1690).

30. La révolte du duc de Monmouth avoit eu lieu au mois de février 1685 ; il fut pris et décapité au mois de juillet.

31. Le Pelletier n'était pas encore ministre à l'époque de la mort de Marguerite de Lorraine ; il ne le devint qu'après la mort de Colbert.

32. Les mots entre [ ] ne sont pas dans le manuscrit : il y a un espace laissé en blanc. J'ai conservé le texte donné par les anciennes éditions.

33. Les anciennes éditions ont substitué M. le duc de Luxembourg à M. le Prince. Il y a M. le Prince dans le manuscrit. D'ailleurs, cette histoire a déjà été racontée plus haut (p. 372-375), et on a vu qu'il s'agissait toujours de M. le Prince. Les anciens éditeurs ont cru sans doute que, le prince de Condé étant mort, il faillait remplacer son nom par celui de M. de Luxembourg. Ils ont oublié que Mademoiselle revient sur des événements passés depuis dix ans aux moins, puisqu'ils remontent à l'année 1675.

34. Voy. ce que madame de Caylus dans ses Souvenirs de la taille de gnome de M. le Duc.

35. Il s'agit ici d'Henri-Jules de Bourbon, fils du grand Condé, qui porta le nom de M. le Prince après la mort de son père. Comme Mademoiselle désigne par ce titre tantôt le père, tantôt le fils, il en résulte un peu de confusion dans cette partie de ses Mémoires.

36. La princesse palatine était morte le 6 juillet 1684, à l'âge de soixante-huit ans. Tout le monde connaît l'oration funèbre de cette princesse par Bossuet.

37. Mademoiselle ne revint d'Eu en 1688 que le 5 décembre. Voy. le Journal de Dangeau à cette date.

38. Le manuscrit s'arrête là. On a ajouté dans les anciennes éditions : « Versailles, je rencontrai le roi ; il s'arrêta pour me parler. »

 


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris : Charpentier, 1859. T. IV, Chap. VII (troisième partie)  : p. 511-536.


This page is by James Eason, University of Chicago.