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SEPTIEME LETTRE

UN avantage bien marqué, Madame, que les Chats ont sur les autres animaux, est cette propreté qui leur est si naturelle. Plusieurs Sages de l'Antiquité [1] avoient reconnu avant nous la haine qu'ils ont pour les mauvaises odeurs, la pudeur avec laquelle ils se cachent dans les momens où ils cedent aux necessitez de la nature, & leur attention à dérober aux yeux les effets de cet assujettissement [2] ; ce sçavoir vivre, (car cette façon de parler doit nous être permise,) n'est point comme dans les autres animaux le fruit d'une éducation formée par la violence & par les châtimens ; la propreté est dans les Chats un present de la nature. Eh ! quelles dispositions heureuses ne leur a-t-elle pas donné ? Un Chat par étourderie ou par humeur, (car dans quelle société ne se trouve-t-il pas quelque membre défectueux ; ) un Chat, dis-je, commet une incivilité ou une injustice, il n'est pas besoin d'employer les injures, ni les menaces pour lui en imposer ; on ne fait que l'appeller par son nom : Au Chat, lui dit-on, simplement. A ce mot il revient à lui-même ; il sent sa turpitude ; il ne peut plus soutenir des regards qui ont éclairé ses déreglemens. Il fuit ; il va dans la solitude des goutieres cacher sa honte, & se livrer à ses remords.

Il n'est donc pas étonnant de voir tant de personnes du premier merite sentir tout le prix du commerce des Chats. Madame Deshoulieres n'a pû refuser à sa Muse le plaisir de les celebrer : Une grande Princesse* a immortalisé Marlamain son illustre Chat, par des vers dignes d'être gravez dan le Temple des Graces. Quels avantages ne tirerons-nous pas de cet ouvrage ? Relisons-le encore, je vous prie, Madame.

RONDEAU MAROTIQUE.

De mon Minon veux faire le tableau, Besoin seroit d'un excellent pinceau, Pour crayonner si grande gentillesse ; Attraits si fins, si mignarde souplesse ; Mais las ne suis que chetif Poëtereau, Dirai pourtant qu'il n'est rien de si beau, Que Cupidon tant joli Jouvenceau, Pas n'a l'esprit ne la délicatesse De mon Minon. Que si Jupin se changeoit de nouveau, Plus ne seroit Serpent, Signe, ou Taureau ; Ains pour toucher quelque gente Maitresse, Se dépouillant de sa divine espece, Revêtiroit la figure & la peau, De mon Minon.

ENVOY.

Gentil Minon, ma joye & mon soulas, Pour celebrer dignement tes apas, Voudrois pouvoir r'appeller à la vie Cil qui chanta le Moineau de Lesbie ; Ou bien cetui qui jadis composa Carmes exquis pour la charmante Issa. Mais las en vain tes tenebreux rivages, Evoquerois si fameus personages ! Il te faut donc aujourd'hui contenter, De ce Rondeau qu'amour m'a sçu dicter.

Quels Heros n'envieroient aux Chats la gloire d'un pareil éloge ? Et quelle Muse ne s'honoreroit d'en avoir fait les vers [3] ?

Les Chats peuvent donc se vanter d'avoir eu pour chanter leurs personnages illustres, les esprits de notre siecle les plus celebres. Ceux qui ont cherché à leur donner des travers, sont tombez dans l'oubli ; la haine des Chats est dans les Auteurs un caractere de mediocrité : Il n'y a qu'à lire le Quatrain du Chevalier d'Acilly.

Notre Chatte qu'il vous souvienne, Que si vous battez notre Chienne, Vous serez bien-tôt le manchon De notre petite Fanchon.

Voilà ce qu'un genie vulgaire produit. Scaron doué d'une belle imagination, est bien loin de tomber dans une pareille erreur. Il nous reste de lui une piece fugitive qui prouve encore de quel engoüement on peut être pour les Chats ; il conte une avanture qui vous paroîtra comme à moi, j'en suis sûr, très-propre à former le sujet d'une excellent Comedie.

EPITRE DE SCARON

à Madame de Montatere. 4

Une Dame, on m' fait secret, Encore que je sois discret, De son nom, de son parentage, De sa figure & de son âge ; Un ami seulement m'a dit : Une Dame, & cela suffit ; Une Dame donc fort joyeuse, D'un Chat qu'elle avoit amoureuse ; Ne sçachant à quoi l'amuser, Fit dessein de le déguiser. D'une tresse faite à merveilles, Et de riches pendans d'oreilles, Le chef du Chat elle para, Et l'ayant paré, l'admira : Lui mit au col de belles perles, Plus grosses que des yeux de Merles, De Merlan, ce seroit mieux dit, Mais la rime me l'interdit ; Une chemise blanche & fine, Une jupe, une hongreline, Un colet, un mouchoir de cou, Et force galans du Marcou, Firent une brave Donzele ; A la verité pas fort belle ; Mais au moins elle ravissoit La Dame qui l'embellissoit. Devant un grand miroir, la Dame, Tenoit la moitié de son ame ; Ce Chat qui ne témoignoit pas, S'étonner, ni faire grand cas Des caresses de cette folle, Ni de se voir comme une Idole. Cependant quelqu'un qui survint, Fut cause que la Dame tint Son Chat avecque negligence. Sans mettre l'affaire en balance, Le bon Chat gagna l'escalier, Et de-là gagna le grenier, Du grenier gagna les goutieres ; Et voilà la Dame aux prieres, Aux cris, à conjurer les gens, D'être après son Chat diligens ; Mais dans le pays des goutieres, Les Marcous ne s'attrapent gueres : On suivit le Chat, mais en vain. On s'informa le lendemain Des voisins, on leur dit l'histoire ; Les uns eurent peine à la croire ; Les autres la crurent d'abord, Et tous s'en divertirent fort ; Et cependant le Chat sauvage Ne revint point ; la Dame enrage, Moins pour les perles de son cou, Que pour la perte du Matou.

Il paroît par cette avanture, que les Chats n'aiment point à représenter ; tout ce qui a l'air de sujettion, repugne apparemment à cette indépendance dans laquelle ils sont nez. Monsieur de Fontenelle contoit il y a quelques jours, qu'étant enfant il avoit un Chat dont il s'amusoit extrêmement. Vous croyez bien, Madame, que je recueillis très-précieusement cette circonstance, esperant bien d'en tirer la consequence naturelle que dans l'enfance le goût pour les Chats peut être regardé comme le présage d'un merite superieur. Nous avons d'ailleurs des preuves que ce même goût subsiste encore quand la raison est venue, n'étant point incompatible avec les occupations les plus sérieuses : On voit que c'étoit pour Montagne une vraye récreation, que d'étudier les actions de son Chat ; & personne n'ignore qu'un des plus grands Ministres qu'ait eu la France [5] avoit toujours des petits Chats folâtrans dans ce même cabinet d'où sont sortis tant d'établissemens utiles & honorables à la Nation. Mais revenons à ce que j'ai à vous conter de Monsieur de Fontenelle : Entre-autres jeux, il imagina donc de prononcer un discours qu'il composoit sur le champ ; mais ne trouvant aucune attention dans les autres enfans qui devoient l'écouter, & ne voulant point se passer d'auditoire, il prit son Chat, & l'ayant placé dans un fauteuil, l'érigea en spectateur ;le Chat oubliant bien-tôt qu'il formoit lui seul toute l'assemblée, part, gage la porte, & l'orateur de courir après son auditoire d'escaliers en escaliers, déclamant toujours avec antousiasme, jusqu'à temps que le Chat ayant atteint les goutieres, il le perdît tout-à-fait de vûe.

Je suis bien fâché qu'il n'ait pas mis en vers cet évenement. Quel titre ce seroit pour les Chats, s'ils se trouvoient placez entre le Sonnet de Daphné & les Mondes !

Notre histoire seroit plus étendue que celle des sept Sages de la Grece, si nous rapportions tous les ouvrages des Poëtes fameux à l'honneur des Chats ; mais je n'ai fait usage de ces differentes Poësies dans le cours de ces Lettres, qu'autant qu'elles servent d'autorité ou d'éclaircissement à quelque circonstance essentielle à la gloire de nos Heros ; j'ai rassemblé cependant tous ces ouvrages : Une collection si curieuse ne peut être qu'agreable à ceux qui aiment à epuiser chaque matiere, & presentent aux amateurs des Chats dans un seul tableau, tous ces differens points de vûes trop dispersez, dont ils s'occupent avec tant de plaisir.

Les Chats ont encore parmi nous des titres d'une autre espece. Paris enferme un Edifice qui par sa simplicité & son élegance, fait bien de l'honneur à l'Architecture ; c'est le tombeau du Chat de Madame de Lesdiguieres. L'Epitaphe qui y est gravée, prouve assez que ce Chat faisoit tout l'agrément de la vie de sa Maitresse, qui l'aimoit, dit-on, à la folie : Caractere des grands attachemens. J'ai l'honneur d'être, &c. [6]

Tombeau du Chat de Mme de Lesdiguieres

Je r'ouvre ma Lettre, Madame, pour vous marquer combien je partage votre douleur sur la mort de Marlamain que vous ne pouvez ignorer. On vient de me l'apprendre sans aucun ménagement ; jugez de ma situation. Vous a-t-on conté toutes les circonstances de cette triste avanture ? Une demie heure avant qu'il expirât, on a connu à ses inquiétudes qu'il vouloit être porté dans l'appartement de son illustre Maitresse. A peine s'est-il trouvé auprès d'elle, qu'il a rassemblé tout ce qui lui restoit de forces, pour faire les adieux les plus tendres ; quelques momens après comme on s'est apperçu qu'il vouloit qu'on l'emportât, pour épargner sans doute, le spectacle de sa mort, on l'a remis dans sa chambre, où il est expiré. Son dernier soupir a été un de ces miaulemens doux & tendres, qu'il étoit accoutumé de faire, quand il étoit honoré de ces caresses qui l'ont rendu si illustre. Je viens d'essayer de faire son Epitaphe : Je vous en fais part ; mais ne la lisez point, si vous connoissez celle dont Monsieur de la Mothe est l'auteur. Elle m'a appris le peu que vaut la mienne.

EPITAPHE DE MARLAMAIN.

Minon, quel que tu sois, arrête ici tes pas, Au pouvoir d'Atropos, ta Griffe est asservie, Aprend quelle est la rigueur du trépas, Lorsqu'il faut s'attacher à la plus douce vie. Helas ! j'ai vû passer des jours delicieux. O Chats Egyptiens, mes augustes ayeux ! Vous qui sur un Autel, entourez de Guirlandes, Estiez l'amour des cœurs, & le charme des yeux ; On vous a prodigué des Hymnes, des offrandes ; De tous ces vains respects je ne fus point jaloux ; Ludovise2 m'aima, votre gloire est moins belle ; Vivre simple Chat auprès d'elle, Vaut mieux qu'être Dieux comme vous.


Notes

(1) Quod autem ab omni tetro odore Feles abhorreant, eo excrementa sua fossâ prius facta in terra occultant. Elian. lib. 7. cap. 40. [VI.27] Excrementa sua effossa obruunt terra. Plin. lib. XI. cap. 73. [Pliny X.73 Latin]

(2) Dubelay a bien poëtiquement rendu le sentiment des Anciens sur la propreté des Chats ; c'est dans l'épitaphe de son Chat qui s'appelloit Bélaud.

Bélaud la gentille bête, Si de quelque acte moins qu'honnête Contraint, possible il eût été, Avoit bien cette honnêteté De cacher dessous de la cendre Ce qu'il étoit contraint de rendre.

* Madame la Duchesse du Maine.

(3) C'est dans une lettre que Madame Deshouillieres ne balance point à declarer à son mari, que malgré son absence, c'est son attachment pour Griseute, son admirable Chatte, qui l'occupe toute entiere. Voici les fragmens de cette lettre ; elle est en couplets de Chansons. Madame Deshouillieres a conté d'abord la perte qu'elle a faite d'un de ses chevaux.

Sur l'air, La jeune Iris sans cesse me suit.

Estre à pied n'est pas le seul chagrin Qui fait ma mélancolie ; Je dors à peu près comme un lutin, Je m'allarme, je m'oublie ; Et s'il faut vous l'avouer enfin, J'aime jusqu'à la folie. Sur l'air de la Gaillarde. Revenez de l'étonnement, Où vous a dû mettre ce compliment : J'aime, il est vrai ; mais Dieu merci Une Chatte fait mon souci.

Sur l'air, Si l'Amour étoit ivrogne.

De mon aimable Grisette, Le nom est déja connu ; Elle me rend inquiéte Plus que je n'aurois voulu ; Croyez-en la Chansonette, Qui par le monde a couru.

Sur l'air, Quand le peril est agreable.

Deshouilliere est toujours ingrate, Pour ceux que ses beaux yeux ont pris ; Et son cœur comme une Souris, Est pris par une Chatte.

Sur l'air des Feuillentines.

Voilà ce qu'un bel esprit, Par dépit, Composa près de mon lit ; En voyant ma Chatte grise, Se rouler sur ma chemise.

Après quelques couplets sur les nouvelles du jour, Madame Deshouillieres pour donner à la fin de sa lettre une tournure piquante, ajoûte :

Fait à ma Toilette, Le septième Juin, Partageant avec Grisette, Et mon papier & mon soin.

(4) Cet Ouvrage n'est point dans le Recueil de ceux de Scaron ; il se trouve dans un Recueil de Gazettes en vers.

(5) Monsieur de Colbert.

(6)

Ci git une Chatte jolie : Sa Maitrese qui n'aima rien, L'aima jusques à la folie ; Pourquoi le dire ? on le voit bien.

L'exemple de Madame de Lesdiguieres n'est point du tout une singularité ; on trouve communément des personnes qui font leur delices de leur Chat ; ce sont ordinairement celles qui ont une ame délicate & des passions douces ; ce n'est pas que le goût des Chats ne puisse subsister dans un cœur où regne encore les passions tumultueuses ; mais il est plus ordinairement le partage de ceux qui menent une vie plus voluptueuse qu'agitée.

Quelquefois l'attachement pour les Chats est porté à l'extrême. Cette Automne derniere dans un petit village appellé Passy, & situé sur la route d'Evreux, une Dame qui venoit à Paris avec un grand cortege, arriva fort tard à une très-mediocre Hôtellerie : son premier soin avant de descendre de carosse fut de demander s'il y avoit un Chat dans la maison ; on lui dit que non ; mais d'ailleurs on lui promit des merveilles ; elle répondit qu'il lui falloit un Chat, & que sans cela elle ne pouvoit s'arrêter ; on alla d'abord réveiller tout le village, & on lu apporta enfin la Chatte du Curé ; dès qu'elle la tint dans ses bras, elle entra dans l'Hôtellerie & se crut dans le Palais de Psiché. Elle avoua que lorsqu'elle passoit la nuit dans un appartement où il n'y avoit point de Chat, il lui prenoit des vapeurs insupportables. Le sien étoit tombé malade lorsqu'elle étoit partie ; elle étoit reduite à en emprunter un à chaque séjour qu'elle faisoit, & lorsqu'elle n'en trouvoit point elle passoit la nuit dans la campagne.

* Madame la Duchesse du Maine.

François-Augustin Paradis de Moncrif (1727) Les Chats. Septième lettre: pp. 94-107.

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