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TRAGEDIE

Acteurs.

GRISETTE, Chatte de Madame Deshouillieres, Amante de Cochon.

MIMY, Chat de Mademoiselle Deshouillieres, Amant de Grisette.

MARMUSE, Chat de Madame Deshouillieres, confident de Mimy.

CAFAR, Chat des Minimes de Chaillot, Député des Chats du Village.

Troupe de Chats du Voisinage.

L'AMOUR.

Decoration

La Scene est à Paris dans la maison de Madame Deshouillieres.


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TRAGEDIE.

Le Theâtre s'ouvre, & represente une Therasse de plein pied aux Goutieres.

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SCENE I.

MIMY, MARMUSE, Chœur de Chats du Voisinage.

MIMY.

JE ne puis souffrir les rigueurs dont Grisette Paye mes soins & mon tourment. Pour Cochon, tu le sçais, l'ingrate me maltraite ; Ciel, quel déreglement ! Une Chatte choisir un Chien pour son amant : Conçois-tu bien, mon cher Marmuse, L'excès des peines que je sens ? Depuis deux ans Un vilain Chien possede un cœur qu'on me refuse.

MARMUSE.

A votre desespoir, Mimy, Je ne puis exprimer combien je suis sensible, J'ai vers la belle gloire une pente terrible ; Et de plus je suis votre ami, Croyez-moi, quittez une Chatte Assez peu délicate, Pour préferer un Chien au plus parfait des Chats.

MIMY.

Je ne sçaurois cesser d'adorer ses appas ; Mais il faut aujourd'hui que ma vengeance éclate ; Ami, ne m'abandonne pas, Viens m'aider à punir une maîtresse ingrate.

MARMUSE.

Quand il faut vous servir, pour moi rien n'est sacré ; Allons, je vous offre ma pate, Disposez-en à votre gré.


SCENE II.

MIMY, MARMUSE, CAFAR, Chœur de Chats du Voisinage.

CAFAR.

APPRENEZ, beaux Matoux, une grande nouvelle, Cochon vient de perdre le jour ; Une rage affreuse & cruelle A Grisette a ravi l'objet de son Amour.

MARMUSE.

Le cœur de Grisette Est donc à louer ; Avec la Coquette Qui veut se jouer ? Pour moi qui me pense Un Chat d'importance Je ne ferai rien Qui vous fasse dire Que mon cœur aspire Aux restes d'un Chien.

MIMY.

Quelle main favorable a lavé notre injure Dans le sang de ce Chien maudit ? Cafar, faites-nous le récit De cette agréable avanture.

MARMUSE.

Ne va pas imiter le stile triomphant D'un genre de mortels que Beaux Esprits on nomme, La Mouche entre leurs mains devient un Elephant ; Et l'on pourroit aller de Paris jusqu'à Rome, Avant qu'ils eussent dit le chagrin d'un enfant A qui l'on dérobe une pomme.

CAFAR.

Je n'ai garde d'être si sot. Un Village ici-près qu'on appelle Chaillot, Agréable, abondant, vaste, peuplé tout comme ....

MARMUSE.

Justement, t'y voilà, nous pouvons faire un somme, Avant que nous soyons à la mort de Cochon, Harangeur fastueux, dont l'éloquence assomme, Puisse-t'on de ta peau bien-tôt faire un manchon.

CAFAR, à Mimy.

Ce fou vous est-il nécessaire ?

MIMY.

Ne vous amusez pas à ses emportemens.

CAFAR.

Sçachez donc que depuis un temps Chaillot est devenu le séjour ordinaire D'un Maréchal vaillant comme défunt Cæsar, Sage comme un Caton, sçavant comme un Homere ....

MARMUSE.

Alte-là, mon ami Cafar, L'éloge n'est pas ton affaire ; Nous connoissons ce Maréchal, Ce qu'il a fait, ce qu'il peut faire, Et nous l'aimons, foi d'animal.

CAFAR, à Mimy.

Ne voulez-vous pas faire taire Ce petit fripon de Matou ?

MIMY, à Marmuse.

Ah ! Marmuse, écoutez, si vous voulez me plaire.

MARMUSE.

Qu'il me soit donc permis de baailler tout mon sou.

CAFAR.

Cochon trop orgueilleux des faveurs de son Maître, De tous les autres Chiens attirant le courroux : C'en est trop, dirent-ils, vengeons-nous, vengeons-nous ; Il faut nous défaire d'un traître. La rage à cet instant vint s'offrir devant eux : Qu'un de vous aujourd'hui, dit-elle, me reçoive, Sans qu'on s'en apperçoive, Je punirai cet orgueilleux. Citron, sans tarder davantage, Ouvre toute son ame à la cruelle rage ; D'abord ce Chien adroit Parcourut le Village, Puis vint prendre Cochon par un vilain endroit, Et l'envoya là-bas tout droit.

MIMY.

La fortune pour nous devient donc favorable ; Ce Chien, ce Rival redoutable, Pour qui nos tendres soins ont été négligez, A subi des Destins l'arrêt irrévocable ; Mais peut-être les maux dont l'Amour nous accable N'en seront pas plus soulagez. Grisette pleurera ses plaisirs dérangez. Quand on aime, est-ce un avantage, De voir du fier objet, à qui l'on rend hommage, Les beaux yeux toujours affligez ?

CHŒUR DE CHATS.

Miaou, miaou, nous sommes tous vengez.

MARMUSE, à Mimy.

Au lieu de vous répandre en de belles paroles, Nous ferions mieux d'aller à pas bien ménagez Dérober là-bas quelques soles, Ou de certains chapons, de graisse tout chargez, Que je sçai qu'on n'a pas mangez.

MIMY.

Marmuse, un autre soin m'occupe.

MARMUSE.

En Heros de Roman, comme une franche dupe, Cher ami vous vous érigez.

CHŒUR DE CHATS.

Miaou, miaou, nous sommes tous vengez.


SCENE III.

GRISETTE, MIMY, MARMUSE, CAFAR, Chœur de Chats du Voisinage.

GRISETTE.

CRUELS Matous, qu'osez-vous dire? Songez-vous que vous m'outrager ?

CHŒUR DE CHATS.

Miaou, miaou, nous sommes tous vengez.

GRISETTE.

A mes cruels ennuis je ne sçaurois suffire, Mon juste desespoir va finir mes malheurs, Miaou, miaou, coulez, coulez mes pleurs Malgré la haine naturelle, Que le Ciel en naissant imprima dans nos cœurs : Cochon desarma mes rigeurs ; Et je perdis pour lui le beau nom de cruelle ; Miaou, miaou, coulez, coulez mes pleurs.

MARMUSE.

Grisette, rougissez de vos folles douleurs.

CHŒUR DE CHATS.

Grisette, rougissez de vos folles douleurs.

GRISETTE.

Non, ce n'est point assez de pleurer ce que j'aime ; Son trépas demande le mien. Mourons pour cet illustre Chien : A ces manes errans immolons-nous nous-mêmes ; Non ce n'est point assez de pleurer ce que j'aime, Son trépas demande le mien.

MIMY.

Ce n'est donc pas assez, Chatte injuste & barbare, D'avoir trahi votre devoir, Par une passion bizarre, Quand la mort d'un rival rallume mon espoir, Il faut encore me faire voir Tout ce qu'à mon amour votre douleur prépare. Craignez que cette pate .... ah ! ma raison s'égare, Je frissonne .... je meure ....

MARMUSE, à Mimy.

Bon soir.

A Grisette.

C'est un diable quand on l'irrite ; Ne vous exposez pas à son ardent couroux, A contenter ses feux tout en lui vous invite ; Cochon n'avoit d'autre merite Que celui d'être aimé d'un Heros & de vous.

GRISETTE.

Son choix autorisoit ma fatale foiblesse ; On sçait pour mon Amant la douleur qui le presse, Mon cher Cochon étoit le plus beau des tou-tous. Miaou, miaou.

MARMUSE.

Peste des Miaous. Beauté capricieuse Soyez un peu moins précieuse, Le ridicule suit de bien près les grands goûts. Cet assemblage de merveilles, Ce Cochon, ce Chien tant aimé, Etoit sans queue & sans oreilles ; Il fut, dit-on, sauvé de l'égout de Marseilles, Et Cochon fut nommé, Tant il avoit de l'air de cette bête immonde ; Il sortoit de sa gueule une certaine odeur, Qui se faisoit sentir de cent pas à la ronde ; Il ne lui restoit plus qu'un œil distillateur : C'étoit à cela près le beau Chien du monde.

GRISETTE, CHŒUR DE CHATS.

Non, Cochon étoit faitPour enflamer un cœur.
Pour faire mal au cœur.

MARMUSE.

Durant tout le cours de sa vie, Il ne se passa jour, je n'en excepte aucun, Qu'il ne lui prît une sincere envie De dévorer toujours quelqu'un ; Chapons, Perdrix entroient dans sa panse profonde, Sans qu'il prît soin de les mâcher. Caresses, ni bienfaits ne pouvoient le toucher ; C'étoit, à cela près, le meilleur Chien du monde.

GRISETTE.

Ose-t-on à mon cœur porter de pareils coups ? Ah ! que d'horreurs, & quel blasphême ! Redoutez, médisans Matous, Redoutez ma fureur extrême, Tremblez, tremblez tous. Toi divine Venus, dont je suis descendue, Viens ici défendre mes droits ; Ne laisse pas pour moi ta tendresse inconnue ; Punis des habitans des toits La brutale & dure insolence, C'est en moi ton sang qu'on offense.

MARMUSE.

Nous redoutons peu sa vengeance, Un Chat aux bords du Nil fut jadis son époux, Et nous avons fait connoissance, Tandis qu'elle étoit parmi nous. Cessez donc d'invoquer la charmante Déesse, Redonnez-vous à votre espece, Votre destin sera plus doux.

CHŒUR DE CHATS.

Redonnez-vous à votre espece, Votre destin sera plus doux.

GRISETTE.

Je dois à Cochon ma tendresse ; Dussiez-vous être encor mille fois plus jaloux, Vous verrez à quel point pour lui je m'interesse.

CHŒUR DE CHATS.

Redonnez-vous à votre espece, Votre destin sera plus doux.

MARMUSE.

MENUET

Il faut n'être pas mal folle, Pour aimer un Amant mort ; Les humains en sont d'accord ; On apprend à leur école Que l'absent a toujours tort.

MIMY.

L'ingrate a déja fait retraite, Elle fuit mes feux irritez. Ah ! cruelle Chatte, arrêtez, Grisette, Grisette, Grisette.

CHŒUR DE CHATS.

Grisette, Grisette, Grisette. Ah ! cruelle Chatte, arrêtez.


SCENE IV.

L'AMOUR, MIMY, MARMUSE, CAFAR, CHŒUR DE CHATS.

L'Amour à califourchon sur une Goutiere.

TENDRE Matou, laissez-la faire, Votre infortune finira ;

J'en jure par mon arc, j'en jure par ma mere ; La constance est une chimere, Dont Grisette se lassera.

CHŒUR DE CHATS.

Croyons, croyons l'Amour, ce Dieu nous vengera.

FIN.

François-Augustin Paradis de Moncrif (1727) Les Chats. Tragedie: pp. 190-204.

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