Anselm Bœtius de Boodt on Bezoar
A note to Pseudodoxia Epidemica, Book III, chapter 23

From Le Parfaict Ioaillier, ou Histoire des Pierreries, Liv. II, chap. CXCI-CXCIV (pp. 463-478), (in the 1644 edition, trans. Iean Bachou, ed. André Toll).

De la pierre Bezoard.

Chapitre CXCI.

La pierre Bezoard prend son nom du mot Persique pazar ou pazan, qui signifie bouc, ou de beluzaard nom Hebraique & Chadaique, qui signifie Maistre du venin. Car bel chez les Chaldeens signifie Maistre, & zaar venin, que ceste pierre dompte. Partant l'on compose d'icelle des medicamens appelés bezoardiques par antonomasie, tres uniques & tres souverains contre tous venins. Ces pierres ne sont pas toutes de mesme forme: Car il y en a de longuettes, orbiculaires, tantost un peu enfoncées & inesgales, & tantost en forme de roignon ou de chastaigne, mais icelle est tousiours esmoussée, & ne se termine en pointe. Leur couleur est tantost noire, tantost entrecendrée, quelquefois entreiaune & entreverte, mais pour l'ordinaire elles sont de couleur enfumée, d'un rouge luisant, de coleur azurée, ou d'un vert tirant sur le noir. Ceste pierre est composée de tuniques ou petites croustes, tantost plus crasses, tantost plus desliées, s'embrassans les unes les autres, comme l'on void arriver dans les oignons, lesquelles sont quelquesfois polies & esclattantes, (mais tousiours plus celles qui sont dessous) & quelquefois un peu aspres, principalement la crouste exterieure qui enveloppe les autres, comme l'on peut voir dans les pierres de la vescie & des freins. Souventefois ces croustes & escailles sont rompuës: en sorte que l'on peut voir l'herbe ou fragment de paille, qui est au milieu pour base, & à l'entour de laquelle la pierre s'est formée & accreuë.

Some bezoars
Bezoars

L'Empereur Rodolphe II. tres-invincible, & mon Seigneur tres-clement, a eu une pierre bezoard de la grandeur d'un œuf d'oye, ou un peu plus grosse, de laquelle lors qu'il eut commandé en estre façonnée une tasse, l'on trouva au milieu, des herbes d'une tres-souëfve odeur, autour desquelles des peaux & croustes avoient esté amoncelées par la nature. L'on dict que quelquesfois le milieu est concave, & quelquefois qu'il s'y trouve une poudre, qui est tousiours une marque d'une legitime & naturelle pierre. Ceste pierre est polie & unie, & se peut racler de mesme que l'albastre, & estant tenuë dans l'eau, ou moüillée de la salive de la langue, elle s'y liquefie.

a. Le mesme Bontius cité au Chap. 182. de ce Livre, apporte une autre etymologie du mot Bezoard, dont voicy les parolles. Mais puisque personne (que ie sçache n'a mis au iour devant moy la vraye étymologie de la pierre besoard, ny comment, & dequoy elle s'engendre, escoutés-là en peu de mots. Les Perses, donc, appellent ceste pierre pa-zaar par un mot composé de pa & zahar, dont le premier signifie contre, & le second venin, comme si par un mot Grec vous l'appelliés antidote. D'où l'on iuge combien l'etymologie est trompeuse, par laquelle l'on veue que ceste pierre precieuse soit appellée de pazar ou de bazahar; veu que personne n'a iamais veu ceste pierre venale au marché. Or la pierre besoard naist en ceste façon dans la Perse, comme i'ay appris tres-certainement des Marchands Armeniens & Persans dignes de foy. Il y a un lieu dans la Perse appellé Stabonon, de trois iours de chemin pardessus la Ville Lara, celebre lieu de foire dans la Perse, dans les chams duquel lieu il croist une certaine herbe, tres-semblable au safran & hermodactiles, où puissent grande quantité de boucs & chévres, dans les estomachs desquels: à cause qu'ils ont mangé ces herbes, ces pierres se forment, qui sont parmi les Roys de Perse en tel prix & estime sur les autres, qui sont engendrées en d'autres lieux, que le Grand Xaa-bac le dernier mort des Empereurs Persans, l'an 1628. y loga des Gardes, & voulut se rendre & s'attribuer siennes toutes les pierres ba-zahar, qui excederoient une certaine grosseur. Or que la cause materielle de ceste pierre, soit la cause susdicte; non seulement les Marchands Armeniens & Persans me l'ont rapporté, mais encores Pierre Taxeira Portugais afferme le mesme, dans sont traicté eloquent, qu'il a escrit en sa langue Espagnolle des actions & gestes des Roys de Perse,1 & dict qu'il y a une certaine Isle entre Ceylan & la terre continente Chormandel, qui est appellée des Hollandois Isla de Vaccas, qui signifie Isle des Vaches, tres-connuë aussi: à nos Nochers, dans laquelle se trouve une grande quantité des pierres susdictes, qui se forment dans les chévres que l'on y faict paistre pour ce subject. Ez le mesme Autheur raconte aussi que l'année 1585 apres qu'une large & horrible inondation eut noyé ceste Isle, & aussi toute la terre continente Chormandel, que toutes les chevres qui peuvent estre sauvées de ce deluge, estans conduites allieurs, cesserent d'engendrer ces pierres: à cause qu'aux lieux où elles furent menées, l'herbe susdictes n'y croissoit point. Mais qu'apres quelques années escoulées, & apres que l'Isle fut purgée & exempte de la salure de la Mer, elle produisit derechef ceste herbe, & que les chevres derechef y estans remenées produisirent ces pierres. Il m'a semblé à propos de vous communiquer ces choses: puisque & nos Marchands & les Anglois confirment le mesme.


Le gendre de la pierre Bezoard, où elle se trouve, & comment elle s'engendre.

Chapitre CXCII.

L'on establit deux genres de ceste pierre, L'Oriental, qui est apporté d'Egypte, Perse, Indes, Chine, Cathaïe, ou Regions voisines. L'autre Occidentale, qui est apporté de l'Amerique, & du Peru. L'un & l'autre genre au tesmoignage de tous les Autheurs, s'engendre dans le corps d'un animal. Mais il veulent que ce soient divers animaux. Car les Medecins Arabes devant cinq cens ans ont escrit que ceste pierre se trouvoit dans un chevreau cerf, au tesmoignage de Rhasis. Quelques modernes asseurent qu'elle se forme dans le Pazan de Perse, c'est à dire bouc, d'où le nom Bazar a esté derivé. Les autres dans une chevre sauvage. Les autres ont creu, mais ridiculement, que c'estoit une larme de cerf endurcie. Christophorus à Costa qui a descrit les simples des Indes, rapporte qu'elle s'engendre dans l'estomach d'un animal semblable à un bouc, de la grandeur d'un gros belier, de couleur rousse, presque comme les cerfs, agile, d'ouye fort aiguë, appellé des Perses Pazan, & qui se trouve en diverses Provinces des Indes, comme au Promontoire Commorin, & autres lieux de Malacca; comme aussi en Perse & Corasone, & aux Isles qui ont leur nom des Vaches. Charle Cluse remarque que l'animal, de l'estomach duquel la pierre Bezoard se tire, a presque la grandeur & l'agilité d'un cerf, mais qu'il est quasi semblable à une chevre par ses cornes reflechies, & courbées sur le dos, & par la forme de son corps, & que pour ceste raison on l'appelle chevre de montagne: quoy qu'au iugement de Cluse mesme, il doive plustost estre appellé chévre-cerf. Il escrit de plus que cet animal se trouve dans les Indes pardessus le Gange, dans des montagnes proches les Regions de la Chine, d'un poil court, & de couleur pour l'ordinaire cendrée & rousse. Du tesmoignage desquels Autheurs on peut conclure que l'animal qui porte la pierre bezohar Orientale est une certaine espece de chévre sauvage, ayant des cornes, qui n'est pas guere dissemblable de la figure d'un cerf: en sorte que l'on la peut appeller non absurdement chevre-cerf. L'on dict qu'elle a deux cornes brunes, & tirans sur le noir, & presques toutes droites, unies, un peu contournées, & remplies de nœuds, comme celles des chevreuls sauvage, & assez semblables aux cornes de cet animal que les Allemans appellent gemsen. Mais pour ce qui regarde l'animal qui porte la pierre Occidentale, il est tout asseuré qu'il est entierement autre, (quoy que peut-estre il n'ayt pas une forme dissemblable du premier) dautant qu'il n'a point de cornes comme la chévre-cerf. Un Gentilhomme le despeint en ces termes, escrivant à Nicolas Monardes (comme luy-mesme le tesmoigne dans sont Livre des simples medicamens.) Vous descrivés dans vostre Livre la forme de l'animal, dont la pierre bezohar se tire. Apres l'avoir consideré curieusement, ie vois que nous trouvons dans ces montaignes une certaine sorte d'animaux fort frequens, grandement semblable aux boucs (si ce n'est qu'ils sont privés de cornes) que vous rapportés estre trouvés dans les Indes Orientales. Ils sont de couleur rousse en la plus grande partie, & paissent des herbes fort salutaires (dont il y a grande quantité dans ces montagnes où ces animaux sont) tellement legers & prompts à courir, qu'il n'y a que la balle de canon qui les puisse atteindre. Du tesmoignage & collection de ces Autheurs, la forme de l'animal paroist la mesme; si ce n'est que l'Oriental a des cornes, & l'Occidental n'en a point. Devant quelques années il a esté incertain en quelle partie du corps, d'où, & comment s'engendroient ces pierres, mais selon l'attestation de ceux qui ont coupé beaucoup de ces animaux, & d'iceux ont tiré les pierres, elles s'engendrent dans un certain receptacle, ou bourse faict en forme de bande, & composé d'une chair veluë de la longueur de deux paulmes, & presques de la largeur de trois onces, adherante à l'estomach. Dans ceste bourse sont receuës les herbes qu'ils ont mangé, iusques à tant que par la rumination elles passent dans l'estomach: & y estans toutes formées, on les y void rangées & disposées de la façon & ordre que sont les nœuds, qui servent à fermer le devant d'une robe: en sorte que l'un soit tousiours plus grand que l'autre. La matiere dont ceste pierre se forme est un suc visqueux & terrestre d'herbes, ou si on aime mieux dire, c'est un suc terrestre d'herbes resout en humeur: lesquelles si elles sont aromatiques & salutaires, augmentent les forces de la pierre: si elles sont privées de toute sauveur, comme la dent de chien, elles produisent une pierre qui est destituée de facultés. Ce que les Indois cognoissent bien. Car ils ne prisent point les pierres de ces animaux qui paissent dans les plaines, comme inutiles à la medecine, mais ils prisent beaucoup les pierres de ceux qui paissent dans les montaignes, comme souveraines contre les venins, & contre les maladies les plus difficiles. Car dans les montaignes ils sont nourris d'herbes odorantes, & utiles contre diverses maladies. Or la pierre s'engendre dans la bourse de l'animal susdit, d'un suc herbeux & terrestre, separé des parties plus tenuës & subtiles, à qui lors qu'une portion du suc terrestre de l'animal sutuient, petit à petit l'humide estant exprimé, la partie plus terrestre qui demeure s'endurcit & se fige, laquelle si une sue semblable ne survient pas si tost, devient glissante & lissée, se revest de la forme de pierre, & prend une peau & superficie fort polie. Apres à icelle s'unissant tout à l'entour une nouvelle matiere (les coctions de la nature estans achevées) elle est enveloppées d'une nouvelle crouste crasse, ou extenuée, à mesure de la quantité & affluence de la matiere, laquelle derechef estant sechée & endurcie, est couverte encores d'une autre crouste: & la nature continue de faire ces operations, iusques à tant que la pierre soit venuë à une iuste grosseur, ou que la matiere qui sert pour former la pierre ne puisse plus estre substituée : car quelquefois ceste pierre croist iusques à la grosseur d'un œuf d'oye ; qui dans sa naissance a esté fort petite, comme i'ay dict, s'augmentant, & s'accroissant petit à petit par ces croustes, comme des oignons, perles, & coquilles des perles, dans la bourse susdictes, iusques enfin que a l'animal meure.

a. Il est à propos d'alleguer icy les paroles du mesme Iacque Bonce (cité au Chap. 182. de ce Livre) qui sont telles. Ces pierres sont autant fascheuses & nuisibles à ces miserables boues & chevres, comme le sont aux hommes les pierres de la vescie & des reins. Ces chevres ne sont pas beaucoup dissemblables de celles d'Europe ; si ce n'est qu'elles ont les cornes dressées, & plus longues, & que quelques-unes d'entre elles sont marquetées de diverses couleurs, comme la peau des Tygres, belles à voir, telles que nous en voyons tous les iours icy dans la Citadelle de Leyden. Ces chevres donc à mesure qu'elles portent des grosses ou petites pierres, une ou plusieurs, marchent avec plus de peine ou plus viste. Ce qui est fort connu aux Armeniens & Persans fort experimentés en cela. Enfin i'ay veu des pierres Pa-zahar, qui avoient esté formées dans des estomachs de singe, & estoient rondes-longuettes, & quelquefois excedoient la longueur d'un doigt, que l'on estimoit icy pour les meilleures de toutes.


De la nature, facultés, & vertu de la pierre Bezoar.

Chapitre CXCIII.

Ceste pierre n'a aucune faculté manifeste, hors celle de secher & exciter la sueur, mais à la verité elle en a plusieurs occultes : car à present il n'y a point de medicamens si loüés, ny si celebres contre les venins & autres maladies difficiles, que la pierre bezoar ; soit que l'on l'applique exterieurement, ou que l'on la prenne au dedans. Elle profite contre tous les coups ou morsures d'animaux venimeux, si elle est mise sur la playe, & sa poudre n'est pas moins souveraine aux playes ouvertes par un iavelot & flesche envenimée, ou autre instrument, y estant esparse. On dict que la liant au bras gauche contre la chair nuë, elle resiste aux venins, & deffend le cœur d'estre endommagé d'iceluy, ou de l'air pestilentiel & contagieux. On dict aussi que sa poudre estant mise sur les charbons pestilentiels persés, elle en succe tout le venin. Et qu'estant prise au dedans despuis quatre grains iusques à dix, dans quelque liqueur convenante, elle aide merveilleusement à toutes les maladies du cœur. On en baille au poids de quatre grains pour la syncope dans l'accés, ou un peu devant, dans d'eau rose, s'il y a fievre, ou s'il n'y en a point dans eau de cardon benit, de melisse, de scorzonera, ou de fleurs de girofles. En donnant deux grains tous les matins à estomach ieun dans d'eau de melisse, elle profite beaucoup contre la palpitation du cœur. Elle produit des effects admirables pour dompter les humeurs melancholiques, soit qu'elles occupent tout le corps, soit qu'elles en occupent une partie ; à sçavoir la teste. Car elle guerit comme un remede souverain la lepre des Arabes, ou l'elephantiase des Grecs, la mauvaise roigne,demangeaison, gratelle, erysipeles, & autres maux à qu la peau est subjecte. Et quoy qu'elle ne guerisse pas du tout la fievre quarte, neantmoins elle en faict passer les symptomes : car elle adoucit & dissipe les fascheries de l'esprit, les anxietés, & affections du cœur, qui sont communes en ceste maladie. Elle ne sert pas peu contre l'epilepsie & mal caduc, soit qu'elle faisisse les personnes desia advancées sur l'âge, ou les enfans. On la donne aux enfans qui allaittent avec du laict, & aux plus âgés & hommes robustes, avec eau de lis, de convallium, de pyvoine, ou de tilleul. Aux enfans sous le poids de deux grains, aux hommes le triple, ou quadruple, quelquefois plus, selon la constitution du corps, & l'estat de la maladie. On prend aussi ceste pierre seule contre les vers du corps avec un heureux succés, dans de l'eau de dent de chien, ou cardon benit. Monardes louë ceste poudre dont il raconte avoir operé des prodiges, & avoir deslivré, des vers qui s'engendrent au ventre, un grand nombre tant d'hommes que d'enfans. Prenés deux dragmes d'herbe de vers (que ie crois estre la tanaise,) une dragme de semence de santonicum, demye dragme de corne de cerf bruslée, de semence de portul. & de carlina sing. autant d'un que d'autre, & demye dragme de pierre de Bezohar du Peru. Faictes-en une poudre, dont la dose se baillera & augmentera selon la force & temperamment du corps. Mais on la louë non seulement pour toutes les maladies susdictes, mais encores pour les venimeuses & contagieuses. Car elle appaise & esteint aussi tost, & comme miraculeusement la peste, & le venin des fievres pestilentielles, & mesmes de celles qui produissent des ampoulles, herpes, pustules, & bourgeons à la face, contre lesquels maux les Indois en font prendre tous les iours dans de l'eau rose le poids de deux grains. Ceste dose me paroist fort petite là où la fievre est, ou quand les accés sont proches. De moy i'ay de coustume d'en bailler six ou huict grains, dans une once d'eau d'ozeille avec beaucoup d'heureux succés, iusques à tant que le malade à force de suer, ou d'uriner se commence à porter mieux, & luy deffendre pendant une heure de toute autre boisson : depeur que par la prise de quelque autre boisson, l'action & vertu de la pierre ne soit esmoussée & empeschée. Car à mon iugement ceux-là se trompent, qui ordonnent au malade de prendre quelque chose devant ou apres ceste poudre, quoy qu'ils creussent que ceste chose fut doüée dautant de vertu & forces. Car il y a souvent une secrette & cachée dispathie & de consentement entre les choses, qui n'est pas connuë à l'homme, & telle qu'elle empesche l'effect, que l'une ou l'autre chose prise separément eust produit. Celuy qui ne comprend pas cela, qu'il examine l'antipathie, qui est entre l'esprit de vitriol & l'esprit de tartre : car l'un & l'autre est tres aigre, & tres aigu, & subtil. Si vous les meslés, l'acrimonie de l'un & l'autre se perd & s'esvanouïr, & la liqueur devient sas saveur. Ie conseille donc que ce noble medicament soit tousiours baillé seul, si on en veut avoir un secours & aide certaine.

L'on ne sçauroit rien presenter à une personne de plus souverain, contre toutes sortes de venins que la pierre bezohar. Car non seulement elle preserve du venin, mais encores elle deslivre & guerit celuy qui en a pris. Pour s'en preserver deux grains suffisent, pris le matin avec une once de vin ou eau cordialle, comme de melisse ou cardon benit. Mais pour se guerir quand l'on en a prins, il en faut prendre huict ou dix grains. Ceux qui deviennent enflés pour avoir beu de quelque eau, où des animaux venimeux se trouvent, apres avoir pris deux ou trois fois de ceste pierre sont gueris, de mesme que ceux qui ont pris de venin. A peine peut-on trouver rien de plus souverain contre le venin du napellus & arsenic, que l'on dict estre si cruellement ennemy aux hommes. Ainsi que font foy les exemples rapportés par Matthiole a dans ses commentaires sur Dioscorides, & par d'autres doctes personnages. La pierre bezoard guerit promptement de toute sorte de maladies longues, languissantes, & facheuses, mesmes de celles qui viennent par le souffle & haleine, tout ainsi que le panaces, si apres avoir faict preceder la purgation, l'on en faict prendre le matin, pendant quelques iours. Les Indois pour conserver la vigueur de la ieunesse, fortifier & corroborer les membres, & preserver le corps de maladies, prennent avec beaucoup d'utilité & de succés dix grains de ceste pierre, deux fois l'année, pendant cinq iours continus, avec eau rose faisant preceder la purgation ; & mesmes dans leurs medicamens purgatifs trop violens, ils y adioustent quelques grains de ceste pierre, de crainte que leurs qualités maligne ne puissent nuire au corps. Car par ce moyen le medicament opere sans douleurs & sans danger ; & ceste precaution à la verité, comme elle ne peut estre que profitable, de mesmes elle me semble devoir estre observée par les medecins.

a. Au Livre 5. de la matiere Medicinale, Chapitre 73.


De la dignité, election, prix, & falsification de la pierre de Besoar.

Chapitre CXCIV.

A Cause des admirables facultés, dont la pierre besoar est doüée contre les venins, elle est beaucoup prisée des Princes, & n'est pas seulement de grande auctorité, mais encores de grand prix. Car l'on vend l'Orientale ceste année 1600. (car autrefois elle se vendoit beaucoup plus dans l'Inde mesme) dans la basse Germanie, du poids d'une dragme, deux ducats, & quatre dans la haute Germanie.2 Mais l'Occidentale se vend seulement à moitié de ce prix. Quand elles sont grandes : parce qu'elles sont rares, & recherchées des Princes, le vendeur leur baille le prix qu'il veut. L'on choisit celles-là qui sont tirées des chevres-cerfs, qui paissent sur les montagnes. Car les pierres que l'on tire de celles qui paissent dans les plaines, sont tout à faict privées de forces : à cause qu'elles ne mangent pas d'herbes salutaires, & aromatiques, comme celles qui sont és montagnes, c'est pourquoy l'on prise peu les pierres de Malacca. Car là ils nourrissent les chevres-cerfs, pour la boucherie, mais celles de Perses sont beaucoup estimées : à cause que l'on y nourrit ces animaux dans des montaignes. Outre ces choses il faut examiner curieusement la substance la pierre, la couleur, & la forme. Car on louë fort celles dont la couleur verte tire sur le noir & l'azuré, & dont la poudre est entreverte (a Matthiole neantmoins louë celles qui tirent sur le iaune) apres celles dont la premiere crouste estant ostée, ont la crouste de dessous fort luisante, & sont concaves au milieu, ou bien contiennent un petit sable au milieu, de mesme substance que la pierre, mais plus efficace contre les venins, & de plus celles qui se liquefient contre la langue, ou dans l'eau, & qui n'ont rien de sablonneux. Celles qui ont ces marques sont iugées Orientales. Car les Occidentales ont une couleur entrecendrée, & n'esclatent pas comme les susdescrites : elles ont aussi des croustes plus crasses, & comme de plastre. L'on dict que les Indois pour connoistre les bonnes les pressent dans les mains, puis les enflent avec leur haleine, & si le vent en sort, ils iugent qu'elles sont falsifiées. Les autres croient celles-là estre sophistiquées, au milieu desquelles il se trouve une paille, ou herbe b, mais ceste façon de les connoistre est reiettée de plusieurs, comme estant plustost un indice de la veritable pierre. La semence ou grain autour duquel les Indois forment la pierre, descouvre la tromperie. La splendeur des croustes n'est pas iugée de tout le monde pour un signe infallible d'une legitime & naturelle pierre. si ayant frotté la pierre de chaux vive dettempée avec de l'eau, il resulte un peu apres de ceste confrication une couleur iaune d'ochre plusieurs iugent la pierre estre bonne & naturelle. Les autres frottent un papier avec de la croye. Apres ils frottent la pierre sur la croye. Si la pierre trace en frottant des lignes vertes, ils iugent que la pierre est naturelle. Il n'y a neantmoins aucun indices de la verité & bonté de la pierre plus certain, que lors que l'on donne du venin à un homme, ou à un chien, & que la poudre luy estant baillé, il est deslivré & gueri. Car qui est celuy-là qui peut mieux distinguer la pierre de montagne, d'avec celle de plaine ou de marests, & la contrefaicte de la naturelle (que l'on dict que les Indois sçavent si exactement imiter) que par l'effect, qui emane de toute l'essence de la pierre. Car celle qui a les marques principales, & qui resiste à tous venins doit estre reputé pour naturelle & legitime. Mais par quels moyens l'on peut contrefaire ceste pierre ; ie ne le veux pas enseigner icy, depeur de faire naistre l'occasion aux impositeurs c de la contrefaire.

a Sur Dioscoride de la matiere medicinale, au Livre 5. Chap. 73.

b Ce que escrit aussi le mesme Iacobus Bontius (cité au Chap. 182. de ce Livre) dont voicy les parolles. L'Autheur (à sçavoir Garcias ab Horto) dict que la vraye pierre Bezoar a tousiours une paille au milieu ou quelque chose semblable. Ce qui ne trompe iamais, mais bien dans les contrefaictes. Mais encores l'on reconnoit les fausses si la premiere tunique estant raclée, il n'en succede pas une autre, qui enveloppe la pierre : tout ainsi que dans les oignons, iusques a tant que l'on soit venu à ceste paille. Mais l'on descouvre plus seurement la fraude par la façon suivante, si vous frottés avec un peu de chaux la pierre, & si au lieu frotté il apparoit une couleur rouge, il est asseuré qu'elle est veritable & naturelle. Secondement si apres l'avoir pesé iustement, vous la iettés dans un bassin plein d'eau, & la tiriés apres deux ou trois heures, & que l'ayant pesé derechef elle n'ayt rien perdu du premier poids, ou qu'elle n'y soit point devenue plus pesante, elle est vraye & naturelle pierre bezoar. Mais si estant frottée de chaux elle se fend, ou si estant tirée de l'eau elle a perdu de son poids, ou qu'elle y soit devenue plus pesante dictes hardiment qu'elle est fausse & contrefaicte.

c Andreas Baccius des pierres precieuses & communes, & Wolphgangus Gabelchouerus en ses annotations sur le mesme, Chap. 34, escrivent plusieurs choses de la pierre besoar. Comme aussi parmi les modernes Gaspar Bauhin personnage tres fameux a mis au iour tout un Lire de la pierre besoar in 8.


NOTES

See also Acosta on bezoars.

1. Relaciones de Pedro Teixeira d'el origen descendencia y succession de los reyes de Persia, y de Harmuz, y de un viage hecho por el mismo autor dende la India Oriental hasta Italia por tierra. Amberes, 1610. Teixeira discusses bezoar in Chapter XXXIII of the Kings of Persia. The Hakluyt Society translation of 1902 gives Teixeira's "digressions" — that is, his interpolations of extraneous material, often eye-witness observations, into his own translation of the narrative; the editor has given summaries of some of the material omitted by the translator.

2. Depending on exactly which ducats and the (more or less arbitrary) value one assigns to them in modern money, we are talking here (at a lowish estimate) of about $25,000 an Apothecaries' pound in "basse Germanie", and of course double that in "haute". In any case, a lot of money.


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