Ambroise Paré, De la Mumie
A note to Pseudodoxia Epidemica,

From Discours d'Ambroise Paré, Premier Chirurgien du Roy. Paris: 1582, folios 1a-14b.

DISCOURS De la Mumie.

Chapitre I.

La Mumie a pris son nom & origine des anciens Iuifs, Arabes, & Chaldees, & principalement des Egyptiens, mesme longtemps auparavant Moyse, & depuis eux, les Grecs & Latins: tous lesquels ont eu en si grand honneur, reverence, & recommandation les corps des trespassez, pour l'esperance de la resurrection, qu'ils ont fort recherché les moyens, non seulement de les ensevelir, mais aussi de les conserver à iamais, s'ils eussent peu faire, par certaines drogues precieuses, & choses odoriferentes: lesquels corps ainsi embaumez se gardoient longuement entiers sans se pourrir. Et par lesdits Arabes ont esté appellez Mumie, qui vault autant à dire, qu'un corps mort accoustré de choses odoriferantes, & conservatrices de pourriture. Or pour le premier Herodote tresancien Historien Grec, & apres luy Diodore Sicilien, parlant de la sepulture & conditure des corps des trespassez, & des pleurs & gemissemens qui se faisoient sur iceux par les anciens Egyptiens, racontent que lors qu'il decedoit quelqu'un des domestiques d'une maison qui estoit de respect & apparence, comme un grand Seigneur ou Dame, alors se transportoient tout d'un costé toutes les femmes de la famille & parentage, au lieu où le defunct estoit decedé, habillees toutes de deuil, pleurantes & lamentantes. Puis ayant laissé le corps mort en son lieu, s'en alloient par la ville comme vagabondes, courant çà & là, estans ceintes & troussees par le milieu du corps, desplorantes leurs vies & miseres, avec leurs mammelles & parties plus proches, toutes nuës & descouvertes. De l'autre costé alloient les hommes, ayans pareillement la poitrine toute descouverte, & se frappoient & battoient en detestation du defunct. Cela estant faict, ils se transportoient par devers ceux qui estoient deputez pour embaumer les corps morts, qu'on appelloit Salleurs, ou Embaumeurs, lesquels leur monstroient trois figures des corps embaumez, peinctes en un beau linceul, de diverse valeur & estimation, l'une comme la plus riche, & exquise & elabouree, vallant un Talent, l'autre un demy, & la tierce de vil pris, & à bon marché, qui estoit pour le commun populaire, qui leur donnoit selon leur puissance. Ayans marchandé l'une des trois effigies ou figures pour les embaumer, & ensevelir, ils laissoient le corps mort entre leurs mains. Et lors les embaumeurs tiroient tout aussi tost avec un fer courbé, par les narines, toute la substance du cerveau, puis incisoient avec une pierre aiguë & bien tranchente le ventre, & en ostoient les entrailles, & puis lavoient tout le corps de vin, auquel avoient bouilly plusieurs choses aromatiques. Cela faict, remplissoient le corps de myrrhe, d'aloes, de Cinamome, Safran, & autres choses odoriferantes, & precieuses: puis apres le salloient, & mettoient en un salloir par l'espace de soixante & dix iours. Lequel temps expiré, le retiroient pour faire seicher, & apres l'enveloppoient en un beau drap precieux, & derechef l'oignoient de certaines gommes assez communes. Apres toutes ces choses, luy faisoient faire une effigie sur sa tombe & sepulcre, où ils vouloient qu'il fust posé pour la memoire eterenelle, & le laissoient là pour dormir & reposer, iusques (disoient ils) au grand iour de la resurrection. Les deux autres façons d'embaumer se faisoient d'autres drogues non si precieuses ny si cheres, & selon l'argent on estoit servy.

Chapitre II.

STRABO dit, que les Iuifs pour la confiture de leurs corps souloient user de bitume, qui est une poix liquide, qui se prend en la mer Rouge près Sodome. Or bien à peine s'est il trouvé nation, tant barbare fust elle, qu'ils n'ayent embaumé les corps morts, non pas mesmes les Scythes, qui semblent en barbarie avoir surpassé le reste des hommes. Car iceux, comme dit Herodote livre quatrième de son histoire, n'enterrent point le corps de leur Roy, que premierement ils ne l'ayent mis en cire, apres avoir curé le ventre, & nettoyé, puis remply de cipre concassé, d'encens, de graine de persil, & d'anis, & en pares recousu. De ceste mesme chose, les Ethiopiens se sont monstrez curieux, faisans leurs sepultures de verre en ceste sorte: C'est qu'apres qu'ils avoient vuidé & descharné iusques aux os, comme une anatomie seiche, le corps de leurs amis defunts, ils les accousteroient & lissoient de plastre, sur lesquels ils iettoient apres une peincture, qui approchoit du vif autant qu'il leur estoit possible. Et ce faict, ils l'enfermoient dans une colomne de verre creux. Le corps ainsi enchassé apparoissoit au travers le verre, sans rendre mauvaise odeur, & sans desagreer aucunement.1 Les plus proches parens le gardoient chez eux l'espace d'un an, en luy faisant offrandes & sacrifices, & au bout de l'an transportoient hors la ville au lieu destiné, ainsi que nous faisons aux cimetieres, comme escrit le mesme Herodote.

Chapitre III.

MAIS le soing & curiosité est encore entré plus avant dedans le cœur des Egyptiens que de nulle autre nation, dont ils ont merité grande louange, s'estans monstrez tant affectionnez à la memoire de leurs parens, que pour la conservation d'icelle ils estoient coustumiers d'embaumer les corps tous entiers d'iceux en vaisseaux de verre diaphanes, & transparens, & les mettoient en lieu le plus honnorable de leurs maisons, pour en avoir tousiours la memoire devant les yeux, & leur servir d'aiguillon pour les stimuler de les ensuivre, & imiter leurs vertus, afin de ne degenerer & forligner de leur naturel & inclination. Et d'avantage servoient iceux corps ainsi embaumez, de souverains gages & asseurance de leur foy: si bien que s'il estoit advenu qu'aucun desdits Egyptiens eust affaire quelques grosse somme d'argent, il ne falloit point de la trouver à emprunter chez ses voisins sur le gaige d'un corps de ses parens, se tenans tous asseurez les crediteurs, que moyennant tel gaige le debiteur manqueroit plustost de vie que de foy, tant ils avoient à cœur de retirer tel gaige. Et si la fortune faisoit, & le malheur fust si grand, qu'aucun s'oubliast de tant en ses necessitez, que de ne vouloir ou sçavoir trouver moyen de retirer son gaige, il tomboit en tel deshonneur & infamie, qu'il n'eust pas esté bon à donner à manger aux chiens, & ne se fust osé monstrer en public: Car on luy faisoit la huee come l'on fait à un loup, ou un chien enragé, & de liberté tomboit en une ignominieuse servitude, comme ayant desavoué & renoncé sa race, & origine. Ce qui est tesmoigné par Claude Paradin, en la preface du livre qu'il a fait des Alliances & Genealogies des Roys, & Princes de la Gaule. Pierre Messie en ses diverses leçons, chapitre 8. escrit, que les anciens Romains avoient une coustume de brusler les corps morts, & que le premier des Senateurs qui fut bruslé apres sa mort, fut Sylla, & apres luy plusieurs autres hommes notables & illustres: les cendres desquels on gardoit dedans des urnes ou vaisseaux de terre, puis on les posoit dedans les sepulcres ou tombeaux sous terre, faits en voultre. Les Grecs avoient aussi cest maniere de brusler les corps morts. Stobee escrit, que les Colchas n'enterroient point leurs morts, mais les pendoient aux arbres. Les Scythes d'Asie se servoient pour boire de l'os du crane de leur parens & amis, enchassez en or, pour en avoir tousiours memoire: & entre tous leurs thresors & choses precieuses estimoient lesdites tasses.

Chapitre IIII.

D'AVANTAGE les Egyptiens recognoissans cest vie estre de peu de duree au regard de celle que nous avons à vivre apres la separation du corps d'avec l'ame, estoient fort negligens à bastir maisons pour eux loger, mais au reste si magnifiques à edifier Pyramides, desquelles ils se vouloient servir pour leurs sepulcres, que pour le bastiment d'une qui fut entreprise par Cherpes l'un de leur Rois, cent mil hommes y furent employez, chacun trois mois, par l'espace de vingt ans: laquelle estant de forme quarree , voit de profondeur cinq stades, & en chacun front huict cens pieds de large, & autant de hault, chaque pierre ayant le plus ordinairement trente pieds, fort bien ouvree, comme raconte Herodote. Or devant qu'enfermer les corps dedans ces superbes sepulcres, ils les portoient avec pompes magnifiques vers les Salleurs ou Embaumeurs, (office bien sallairié du peuple) qui les embaumoient des choses aromatiques & exquises, selon la volonté & puissance des parens & amis, comme nous avons dit cy dessus: lesquels resouls ils retornoient prendre, & estans bien lavez & nettoyez, les lyoient de bandes faictes d'un drap de soye collé avec certaines gommes. Et lors les parens & amis reprenoient le corps, & luy faisoient faire un estuy de bois moulé & effigié d'homme, dedans lequel ils le posoient. Voila comme les Egyptiens enterroient leurs Rois & Princes. Autres mettoient dedans les corps, ainsi preparez, une idole faicte de cuivre, ou marbre, & quelquefois d'or, & d'argent, qu'ils adoroient en leur vivant: & avoient ceste opinion, que le corps estoit gardé & conservé de putrefaction, ayans leurs dieux reposans avec leur corps dedans leur monumens, & que telle superstition donnoit soulagement à l'ame. I'ay veu au Cabinet de Thevet, une petite idole de marbre, blanche, marquettee d'un certain vert, qu'il affirme avoir apportee de ce pays là, & qu'elle avoit esté trouvee en un corps mumié. Ainsi voit on comme les Egyptiens estoient fort ceremonieux, & grands idolatres. Louïs de Paradis, Chirurgien natif de Vitry en Partois, duquel nous avons ia parlé cy devant, m'a dict, que estant au grand Caire, il vit 18. ou 20. Pyramides faictes de bricques. Entre autres il en vit une de merveilleuse grandeur, de figure quarree, ayant en chasque face trois cens pas. Celle-là estoit la plus grande, appellee la Pyramide de Pharaon, où sont plusieurs corps mumiez. En outre, qu'il entra dedans une desdites Pyramides, où il vit plus de cens corps encore tous entiers, qui avoient les ongles rouges: parce que c'estoit la coustume de ce pays là, que pour avoir de belles mains, il falloit avoir les ongles rouges. Les gens du pays ne veulent souffrir qu'on transporte aucun desdits corps, disans que les Chrestiens sont indignes de manger leur corps morts. Que si on les tire hors du pays, c'est par le moyen de quelques Iuifs, qui les emballent avec leur marchandise, afin qu'on ne les puisse cognoistre. Le Seigneur de la Popelliniere en son troisiéme livre des troys mondes dit, que quand les Indiens de Canarie meurent, c'est pitié des heurlemens & plaintes que font les femmes, lesquelles racontent leurs louanges d'avoir bien tué & mangé des hommes: Et qu'apres leur avoir lié les bras & pieds, elles les enveloppent de leur lict de cotton, & les enterrent en une fosse ronde & profonde, & presque tout debout, avec quelques colliers & plumasserie qu'ils auront plus aimé: comme les Indiens du Perou font de leurs Roys & Caciques, avec quantité d'or & pierres precieuses: & les Celtes anciennement, qui estoient enterrez avec le plus beau de leurs meubles, & la femme qu'ils avoient la plus aimee.

Chapitre V.

DE ceste mesme curiosité nos François esmeus & incitez font la plus grand' part embaumer les corps des Roys & grands Seigneurs, & dressent des figures enlevees en bosses ou en plates peintures, approchans de la grandeur & figure au plus pres qu'ils peuvent du trespassé. On en trouve tesmoignage en l'Eglise de S. Denis en France, & en beaucoup d'autres lieux, là-où l'on voit plusieurs effigies des Roys & Roynes, & autres grands Seigneurs: ce que Chrestiennement ils ont evidemment tiré tant du nouveau Testament,2 que du vieil, & façon de faire ancienne des Iuifs. Car il est dict au nouveau Testament, que Ioseph acheta un linceul, & que Nicodeme apporta une mixtion de myrrhe & d'aloes, iusques au poix d'environ cent livres, de laquelle avec autres odeurs aromatiques ils embaumerent & ensevelirent le corps de Iesus Christ, comme la coustume des Iuifs estoit d'ensevelir leurs corps embaumez, en signe de ceste incorruption qu'ils esperoient en la resurrection des morts (comme nous avons dict.) Ce que mesmes depuis eux voulurent faire les Maries: ce qu'ils avoient appris de leurs peres anciens. Car Ioseph au viel Testament3 commanda à ses medecins d'embaumer son pere. Or qui est cause qu'à present nos Rois, Princes, & grands Seigneurs, encores qu'ils soient vuidez & lavez d'eau de vie & de vinaigre, & saulpoudrez de choses grandement aromatiques, n'y espargnans aucune chose pour les embaumer, neantmoins avec tout cela, en cinq ou six iours, ou moins, sentent si mal, qu'on ne peult endurer estre aux lieux où ils sont, & est-on contraint les enfermer en leur cercueil de plombe? Car nonobstant tel appareil, parce qu'ils ne sont plongez en saumeures avec lesdictes choses aromatiques, comme anciennement on faisoit, & aussi pour la grande multitude de gens qui y entrent pour les voir, & le grand nombre de torches & lumieres y estant iour & nuict, l'air s'eschauffe si fort, que le corps n'ayant esté imbu assez long-temps de choses qui gardent la pourriture, il avient qu'en peu de iours s'esleve une vapeur puante, & cadaverneuse, qui offence grandement ceux qui la sentent. Icy donc ie veux advertir le Lecteur, sur ce qu'on m'a voulu donner quelquefois blasme de n'avoir sceu bien embaumer les Rois, attendu la pourriture qui tost apres s'eslevoit de leurs corps. Car ma responce est facile à faire: C'est qu'ils n'avoient esté trempez & salez soixante & dix iours, comme les anciens faisoient, dedans le vinaigre & choses aromatiques, & que la faute ne procedoit que de là, comme il se peut prouver, que le vinaigre garde de pourriture, d'autant qu'il est froid & sec: qui sont deux choses repugnantes à putrefaction, ce que l'experience monstre: attendu qu'en iceluy on garde les herbes, fleurs,fruicts, voire fort humides, comme Concombre, Pourpié, & autres choses, sans qu'elles se pourrissent. Ie puis dire avoir un corps en ma maison, lequel me fut donné par le Lieutenant criminel nommé Seguier, Seigneur de la Verriere, apres avoir esté executé par iustice, il y a vingt sept ans passez, que i'anatomisay, & levay presque tous les muscles du corps de la partie dextre (à fin que lors que ie veux faire quelques incisions à quelque malade, voyant les parties de recente memoire, que ie fois plus asseuré en mes œuvres) la partie senestre laissee en son entier: pour lequel mieux conserver, ie le piquay d'un poinsson en plusieurs endroits, afin que la liqueur penetrast au profond des muscles, & autres parties, & voit on encore à present les poulmons entiers, cœur, diaphragme, mediastin, estomac, ratelle, reins, semblablement le poil de la barbe, & d'autres parties, voire les ongles, lesquels i'ay apperceu evidemment recroistre, apres les avoir par diverses fois couppez.

Chapitre VI.

PAR ce recueil on peut voir, que les anciens estoient fort curieux d'embaumer leurs corps, mais non pas à l'intention qu'ils servissent à manger & à boire aux vivans, comme on les a fait servir iusques à present: Car iamais ne penserent à telle vanité & abomination, mais bien ou pour l'opinion qu'ils avoient de la resurrection universelle, ou pour une memoire de leurs parens & amis decedez. Cela est confirmé par André Thevet en sa Cosmographie, où il dit, avoir esté en Egypte en des cavernes longues d'un traict d'arc, & de largeur assez grande, dans lesquelles il y a des tombeaux où anciennement estoient posez les corps morts embaumez, où il faut porter du feu à raison de l'obscurité, & des bestes veneneuses qui y habitent. Il y a (dit il) des corps passé deux mil ans enclos en des tombeaux de pierre, fermez & cimentez. Ie laisse à penser quelle bonne viande on feroit d'en boire ou manger à present. On dit que la Mumie, dont on a usé iusques auiourd'huy est venue de là: à raison d'un mastin medecin Iuif, qui par une brutalité avoit escrit, que ceste chair ainsi confite & embaumee servoit grandement à la curation de plusieurs maladies, & principalement aux cheuttes & coups orbes & meurtrisseures, pour garder que le sang ne caillebotast & congelast dedans le corps: qui a esté cause que lon les tiroit furtivement, ou par argent, hors des tombeaux. Ce qui semble chose fabuleuse, par ce que les nobles, riches & anciennes maisons n'eussent iamais enduré pour rien du monde, que les sepulcres de leurs parens & amis, desquels il estoient tant curieux, fussent ouverts, & les corps emportez hors de leurs pays, pour estre mangez des Chrestiens, & disent qu'ils ne sont dignes de manger de leurs corps. Et s'il est advenu que lon en ayt transporté, ç'a esté de la populace, qui ont esté embaumez de la seule poix asphalte, ou pisasphalte, dequoy on poisse les navires. Autres disent, que Mumie n'est autre chose qu'une simple chair humaine, prise des corps morts trouvez dans les sables & arénes qui sont és deserts d'Arabie, où lon dict que lesdictes arénes s'eslevent si hault par la violence des vents, que souvent elles couvrent & estouffent les passans: d'où vient que le corps morts, reseichez tant par la chaleur & aridité des arénes, que par le soufflement des vents, se donnent & servent en usage medicinale pour Mumie. Matheole suyvant la plus commune opinion dict, que Mumie n'est autre chose qu'une liqueur reseichee, sortant des corps humains aromatisez & embaumez.

SERAPION & Avicenne n'ont cognu autre Mumie que pisasphalte, qui est une sorte d'escume qui provient de la mer. Ladite escume, pendant qu'elle nage & flotte sur l'eau, est molle, & comme liquide: Mais peu apres estant portee par l'impetuosité des vagues aux rivages, & arrestee entre les rochers & cailloux, se deseiche & affermit plus dure que la poix reseichee, comme il est discouru par Dioscoride, liv. I. chapitre 84.

AUTRES tiennent, que la Mumie se faict & façonne en nostre France: & que lon desrobbe de nuict les corps aux gibets, puis on les cure ostant le cerveau & les entrailles, & les fait on seicher au four, puis on les trempe en poix noire: apres on les vend pour vraye & bonne Mumie, & dict on les avoir achetez des marchands Portugais, & avoir esté apportez d'Egypte. Mais qui voudra rechercher, comme i'ay faict, chez les Apotiquaires, on trouvera des membres & portions des corps morts, voire de tous entiers, estre embaumez de poix noire, lesquels sentent une odeur cadaverneuse. Neantmoins ie croy qu'ils sont aussi bons les uns que les autres.

Chapitre VII.

DEPUIS nagueres devisant avec Gui de la Fontaine, Medecin celebre du Roy de Navarre, sachant qu'ils avoit voyagé en Egypte & en la Barbarie, ie le priay me faire participant de ce qu'il avoit apprins de la Licorne, & de la Mumie: Il me dict que c'estoient toutes bayes ce qu'on bruyoit par deçà de la Licorne, & que iamais n'en avoit rien sceu descouvrit. Et quant à la Mumie, qu'estant l'an mil cinq cens soixante quatre en la ville d'Alexandrie d'Egypte, il ouyt dire qu'il y avoit un Iuif, qui en faisoit grand trafic: En la maison duquel allant, le supplia de luy vouloir monstrer les corps mumiez. Ce qu'il feist volontiers, & luy ouvrit un magazin, où il y avoit plusieurs corps entassez les uns sur les autres. Iceluy priant derechef le Iuif de luy vouloir dire où il avoit recouvré ces corps, & s'ils se trouvoient comme en avoient escrit les anciens, és sepulcres du pays: ledict Iuif en se mocquant de ceste imposture, se print à rire, l'asseurant, & affermant qu'il n'y avoit point quatre ans, que tous lesdicts corps qu'il voyoit là (en nombre de trente ou quarante) il les preparoit luy mesme, & que c'estoient corps d'esclaves, ou autres personnes. Ledit de la Fontaine luy demandant encore, de quelle nation, & s'ils n'estoient point morts de mauvaise maladie, comme de lepre, verole, ou peste: il luy respondit, qu'il ne se soucioit point d'où ils fussent, ny de quelle mort ils estoient morts, ou s'ils estoient vieils ou jeunes, masles ou femelles, pourveu qu'il en eust, & qu'on ne le pouvoit cognoistre quand ils estoient embaumez. Encore luy dist, qu'il s'esmerveilloit grandement comme les Chrestiens estoient tant frians de manger les corps des morts. Ledit de la Fontaine l'importunant de luy declarer la façon qu'il tenoit à les embaumer, dist qu'il vuidoit le cerveau & les entrailles, & faisoit de grandes incisions au profond des muscles, & apres les remplissoit de poix indee, appellee asphaltite, & prenoit des vieux linges trempez en ladite liqueur, & les posoit dans lesdites incisions; apres bandoit chacune partie separément: & estans ainsi bandez, enveloppoit tout le corps d'un drap trempé semblablement à ladite liqueur: lesquels ainsi accoustrez, les mettoit en certains lieux, où il les laissoit pour confire deux ou trois mois. Finalement ledict de la Fontaine disant, que les Chrestiens estoient donques bien trompez de croire que les corps mumiez fussent tirez des sepulcres anciens des Iuifs: le Iuif luy feist response, qu'il estoit impossible que l'Egypte eust peu fournir de tant de milliers de corps, qui ont esté enlevez depuis que ceste ceremonie a esté. Car de dire auiourd'huy qu'elle s'observe, cela est faulx: d'autant que ceste region est seulement habitee des Turcs, & des Iuifs, & des Chrestiens, qui ne sont coustumiers d'user de telle ceremonie d'embaumement, comme du temps que les Roys d'Egypte y commandoient.

Chapitre VIII.

OR par ce discours du Iuif on voir comme on nous fait avaller indiscretement, & brutallement la charogne puante & infecte des pendus, ou de la plus vile canaille de la populace d'Egypte, ou de verolez, ou pestiferez, ou ladres: comme s'il n'y avoit moyen de sauver un homme tombé de hault, contus & meurtry sinon en luy inserant, & comme entant un autre homme dedans le corps, & s'il n'y avoit autre moyen de recouvrer santé, sinon que par une plus que brutale inhumanité. Et si en ce remede y avoit quelque efficace, veritablement il y auroit quelque pretexte d'excuse. Mais le faict est tel de ceste meschante drogue, que non seulement elle ne profite de rien aux malades, comme i'ay plusieurs fois veu par experience à ceux, ausquels on en avoit fait prendre, ains leur cause grande douleur à l'estomac, avec puanteur de bouche, grand vomissement, qui est plustost cause d'esmouvoir le sang, & le faire d'avantage sortir hors de ses vaisseaux que de l'arrester. Les pescheurs vient d'appas puants pour allicher les poissons: à ceste cause ils usent de Mumie, parce qu'elle est fort puante. Thevet dit l'avoir experimenté en soy mesme, en ayant quelquefois pris en Egypte, à la suscitation d'un nommé Idere Iuif. A ceste cause ie proteste de iamais n'en ordonner, ny permettre à aucun en prendre, s'il m'est possible. Quoy, dira quelqu'un, que fera on donc pour garder que le sang ne se coagule dedans le corps de ceux qui seront tombez de haut en bas, ou auront receu coups orbes, comme de pierre, ou de baston, ou de quelque autre chose lourde & pesante: on se seront violentement heurté contre quelque chose dure, ou par une grande extension, comme ceux lesquels on tire sur la gehenne, ou pour extremement crier, dont quelque vaisseau du poulmon se peut rompre, ou pour un coup de haquebute, ou d'espee, ou autre instrument semblable, & pour le dire en un mot, toutes choses qui peuvent inciser, contondre, & meurtrir, casser, escacher, & rompre, non seulement les parties molles, mais aussi les os, & faire sortir le sang hors des veines & arteres, qui à cause de ce sont pressees, exprimees, rompues & dilacerees, dont le sang tombe dedans les parties interieures du corps, & souvent est ietté non-seulement par les playes, mais par la verge, siege, & par la bouche. Ce que i'ay veu plusieurs fois: mesmes les parties exterieures en sont pareillement contusees, & blessees avec playes, & souvent sans playe, de sorte que le cuir demeure tout entier, mais le sang est respandu par la chair des muscles, & entre cuir & chair seulement: dont la partie est renduë livide & noire, laquelle disposition est nommee des anciens Grecs Ecchymosis. En quoy l'on observe entre autres choses, que si quelqu'un est tombé de haut, ou frappé de coup orbe, & qu'il saigne par le nez, bouche, & oreille, cela veritablement demonstre qu'il y a quelque veine ou artere rompue & ouverte dedans la teste, & souvent advient que le malade meurt. Les signes de mort sont vomissemens, defaillance de cœur, perdition de parolle, delire, ou resverie, sueur froide, urine retenue, & les eiections sortent hors involontairement.

En tout cecy faut suyvre la doctrine des anciens, comme Hippocrate en la seconde section des fractures, qui dict, que en toutes grandes contusions il faut saigner, ou purger, ou faire les deux ensemble, à fin de retirer le sang, qu'il ne flue aux parties interieures, & pour l'evacuer quand il y a plenitude. Pareillement Galien sur la sentence 62. de la troisieme section du livre des articles, que si quelqu'un est tombé de haut, encore qu'il n'eust assez de sang, si est ce qu'il luy en faut tirer. Par quoy le Chirurgien ne faudra à tirer du sang selon la grandeur du mal, & plenitude, & force du malade. Ce qu'ayant faict, on luy donnera a boire de l'oxycrat, par le commandement du mesme Gal. liv. 5. de la Meth. cha. 5. qui a faculté de refrigerer, & restraindre, & inciser les trombuz, & caillots de sang, & garde qu'il ne se coagule dedans les parties tant interieures, qu'exterieures. Toutefois il ne faut donner à boire à ceux, qui ont ulceres aux poulmons, & qui ont l'estomac plein de viandes. Au lieu de l'oxycrat, on fera prendre au malade de la Reubarbe, qui est ainsi ordonnee par Rasis & Mensue, comme s'ensuit. RX. Rheubarbari electi pulverisati oz.j. aquæ rubiç maioris & plantaginis an. dr. j. theriacæ. oz.ß. syrupi de rosis siccis dr.ß, fiat potus: lequel sera donné tout aussi tost que le malade sera tombé, & sera reïteré par trois matins, s'il est necessaire. Autres l'ordonnent en cest façon. RX. radicum gentianæ dr.iij. bulliant in oxycrato, in quo dissolutio Reubarbari electi oz.j. fiant potio. D'avantage l'eau de noix vertes tirees par l'alambic est aussi fort louee, donnee à boire la quantité d'une ou deux onces, qui a grandissime vertu de dissoudre le sang caillé, tombé dedans le corps. Qu'à la mienne volonté, les Apotiquaires fussent autant curieux d'en estre fournis, comme ils ont esté, & sont encore d'avoir de la Mumie, & qu'ils la vendissent au quadruple, ce feroit le mieux pour les malades. Et i'espere qu'apres avoir entendu par cest escrit la bonne drogue que c'est que la Mumie, ils ne voudroient tenir à leurs boutiques, ny la plus vendre qu'aux pescheurs pour prendre les poissons. Mais pour retourner à nostre propos, apres avoir baillé au malade les potions susdites, il le faut envelopper dedans la peau d'un mouton, ou d'un veau freschement escorché, sur laquelle sera aspergé & espandu de la poudre de myrrhe: puis le poser dedans un lict chaudement, où il sera bien couvert, & suera tout à son aise, sans toutefois dormir de quatre ou de cinq heures, afin que le sang ne se retira au dedans du corps, & le lendemain on luy ostera la peau, & fera oint de ce liniment, lequel a puissance de seder la douleur, & resoudre le sang meurtry. RX. unguenti dealthea dr. vj. olei lumbricorum camomillæ & anethian. dr. ij. therebentinæ venetæ dr. iij. farinæ fœnugreci, & rosarum rubearum, mirtyllorum pulverisatorum an. dr. j. fiant linimentum: Et si c'est quelque homme qui ne puisse avoir telle commoditez, il le faut mettre dedans du fien: mais premierement dessus un peu de foin, ou paille blanche, puis l'envelopper en un drap, & le couvrir dudit fien iusques à la gorge, & l'y faire tenir tant qu'il ayt bien sué. D'avantage faut que les malades tiennent bon regime de vivre, & ne boire vin de sept iours, ains seulement de l'hydromel, ou oxymel, ou hypocras d'eau. Et si le mal est grand, de sorte que le malade fust tant meurtry, qu'il ne peust remuer les membres, on luy donnera une potion sudorifique, & le baignera on en eau, où on aura fait bouillir herbes nervales, & principalement les semences que l'on trouve souz le foin, qui ont grande vertu de dissoudre le sang meurtry, tant des parties interieures, qu'exterieures. Toutefois s'il y avoit fiebvre, ne le faudroit mettre au bain, & serois d'avis qu'on appellast un docte Medecin. Or apres avoir discouru sommairement des remedes, pour garder que le sang ne se congele, caillebotte, & pourrisse dedans les parties interieures du corps, nous traiterons à present des contusions, & meurtrisseures, qui se font aux parties exterieures, quelquefois avec playe, autres fois sans playe en sorte que le cuir demeure tout entier, mais le sang est respandu par les muscles & entre cuir & chair seulement: laquelle indisposition a esté nommee des anciens Ecchymose.

Chapitre IX.

IL fault diversifier les remedes selon les parties blessees. Au commencement on doit user de remedes froides & astringents, afin que le sang ne tombe sur les parties offensees, & reserrer les veines & arteres, pour empescher la fluxion, comme cestuy cy. Prenez unguent de bolo, blanc d'œuf, huile rosat, & de mirrhe, pouldre de mastic, alun cuit. Autre, que i'ay en usage ordinairement. RX. Albumina ovorum, numero tria, olei myrtillorum, & rosarum an. dr. i. nucum cupressi, & gallarum pulverisatarum, aluminis usti an. dr. ij. incorporentur simul, addendo aceti parum. fiant unguentum. Apres avoir usé suffisamment de repercussifs, on usera de fomentation, emplastres, & cataplasmes resolutifs. Exemple. Prenez de la bouë de vache, lie de vin, son de fourment, therebentine commune, beurre frais, & soit faict cataplasme, y adioustant de l'eau de vie, & un peu de vinaigre. Ce cataplasme est propre à resoudre quelque grande meurtrisseure sur les bras & iambes des pauvres gens.

Aux riches on usera de ces amplastres, qui ont esté de long temps ordonnees pour les Roys, Princes, & grands Seigneurs allans à la chasse. Lors qu'ils tomboient de cheval, ou se heurtoient, les Chirurgiens appliquoient cest emplastre au commencement. RX. Boli armeni, terræ sigillatæ anna dr. j.ß. rosarum rubrarum, myrtillorum anna oz. vj. nucis cupressi oz. ij. ovum sandalorum anna oz. j. nucis moscatæ oz.ß. mastichis, stiracis, calamitæ, anna oz.j.ß. ceræ novæ dr.vj. picis navalis dr.ij. Therebentinæ Venetæ, quantum sufficit. fiat emplastrum. Et quand il estoit besoin de resoudre d'avantage, on usoit de cestuy cy. RX. stiracis, calamitæ, labdani, benioin, anna oz. iij. mastichis, ireos Florentiæ, baccarum lauri, cinamomi, caryophilli, calami aromatici, anna oz.j. ligni aloës, florum camomillæ, lavendulæ, nucis moscatæ, anna oz.ß. moschi oz.j. ceræ novæ dr.vj. resinæ dr.ij. therebentinæ Venetæ dr.iij. olei rosarum quantum sufficit. fiat emplastrum. S'il advient qu'on soit blessé au visage, & que lon ait les yeux (comme lon dit) pochez au beurre noir, fault subit prendre un mouchoir trempé en eau froide, & vinaigre, & en baciner la partie. Cependant on aura blancs d'œufs battus en eau rose pour les appliquer dedans & autour des yeux, & parties proches. Et subit que tel remede sera sec, on y en remettra d'autre: Et apres, du sang de pigeon, ou d'autre volaille, qui ont faculté de seder la douleur, & resouldre le sang meurtry des yeux.

Aussi on fera une fomentation de sauge, thim, rosmarin, mariolaine, boullues en eau & vin. D'avantage on peut prendre d'aluyne hachee, & posee sur une pelle chaude, & l'appliquer dessus entre deux linges. La farine de febves cuitte en oxymel y est aussi bien propre. Quant aux emplastres de diachylon ireatum, de meliloto oxycroceum, elles sont pareillement resolutives. Mais sur tous autres remedes (pourveu qu'il n'y ait ny douleur ny chaleur) la racine de sigillum beatæ Mariæ appliquee par rouelles, ou ratissee, discute & resoult le sang meurtry, comme chose miraculeuse. Que si l'on s'estoit heurté des doigts contre quelque chose dure, ou receu quelque coup, ou pressé, ou escaché les ongles qui sont en danger de tomber, ou marqué de noirceur à raison du sang qui est flué dessouz: Cela advenant, tout subit on prendre un linge trempé en vinaigre froid, & estraindra le doigt blessé de l'autre main, le plus fort que l'on le pourra endurer, afin de reprimer la fluxion: & pour seder la douleur, on mettra dessus un cataplasme fait de feuilles d'ozeille, cuittes soubs les cendres chaudes, puis pilees avec unguent rosat, ou beurre frais. Et pur resoudre le sang ia defflué, on y appliquera cataplasmes faits de crottes de chievres, incorporé avec pouldre de souffre avec un peu d'eau de vie. La cure sera parachevee selon que l'on verra estre de besoin. D'avantage si par une grande contusion & meurtrisseure survient quelquefois gangrene, & mortification, qui se cognoist quand la partie devient fort livide, & noire, iusques à sembler que sa chaleur est presque suffoquee & estainte pour la grande concretion du sang defflué en la partie, qui empesche que les esprits ne peuvent parvenir pour l'entretenir en son estre: Alors il faut user de scarifications superficieles, ou profondes, & appliquer des ventouses, pour faire attraction & vacuation du sang espandu hors des veines: & s'il n'y avoit totale mortification, conviendroit faire amputation de ce qui seroit mort. Si quelqu'un à saulté & tombé sur le talon de hault à plomb, sur quelque chose dure, & par la contusion le sang sort hors de ses veines, dont il survint grande douleur, puis tumeur, & apres il se noircist, & se fige, puis se pourrit. La douleur vient pour la contusion qui s'est faicte à l'aponeurose du gros tendon composé des trois muscles du pommeau de la iambe, qui s'implante soubs le talon, & sus toute la solle du pied, & des nerfs qui sont en ces parties là: à quelques uns leur survient fièvre, spasme, & autres cruels accidens: ce que ie certifie avoir veu advenir. Partant il y faut obvier tant que possible sera, en faisant la saignee au bras du costé malade: puis faire vacuation de sang meurtry, à sçavoir en couppant la peau de dessous le talon, pour luy donner transpiration, de peur qu'il ne se pourrisse, & qu'il ne face aposteme, & gangrene.. Et si la peau estoit dure, comme elle est ordinairement, il est besoin, auparavant que la coupper, faire des fomentations d'eau chaude, & huile, assez longuement: puis y appliquer dessus du cerat, & autres remedes: la muscosité des limaçons avec pouldre d'encens, aloës, & myrrhe seichent à merveille le sang meurtry: faisant le bandage, comme l'on a accoustumé aux fractures, commençant sur le talon, afin de chasser le sang loing de la contusion, & situant le pied plus haut que le reste du corps, & les guarissent en soixante iours, s'ils se tiennent en repos sans nullement marcher. Hippocrate dit, que si l'os du talon vient carieux, la maladie dure un siecle, c'est à dire la vie de l'homme, & que le malade ne doibt bore vin, ains en lieu d'iceluy, de l'hydromel, & non oxymel car lors que les nerfs sont offensez, le vinaigre leur est du tout contraire. Pareillement pour quelque coup orbe, ou s'entorser pour quelque mesmarcheure, ou entorsure que les os peuvent sortir de leurs places, & se rompre, fendre, & esclatter, & enfonssent quelquefois iusques à la mouelle, & selon les differences, fault diversifier la cure. Et sommairement pour ce faire, fault tenir, poulser, eslever, situer, bander, & lier la partie, & la tenir en repos: toutes lesquelles choses trouveras amplement escrites en l'onziesme, quatorziesme, & quinziesme livre de mes Oeuvres.

Le douziesme iour de Mars 1582. un Gentilhomme de la suitte de monsieur le Mareschal de Biron, nommé Bernault de l'Estelle, seigneur dudit lieu, iouant à l'escrime au logis dudit Mareschal, eut une playe contuse dans l'œil senestre, traversant de l'autre part pres la quatriesme vertebre du col, icelle faicte d'une espee rabatue, au bout de laquelle il y avoit un bouton rond & plat, de grosseur d'un bon poulce, qui fut donné par un Gentilhomme du pays de Quercy, nommé le Baron du Bouluet. Toutefois ledit coup n'avoit passé tout oultre de l'autre part, ne rompu entierement le cuir, mais y estoit demeuré une petite tumeur livide & noire, de la grosseur d'une avellene. D'abondant toute la teste & le col luy enflerent, ne la pouvant tourner, pour le sang qui estoit respandu entre les muscles du col. Aussi ledit Seigneur ietta le sang par le nez, & par la bouche, & fut fort estonné dudit coup. Et ne veux oubliez que ledit Seigneur Baron, homme fort & puissant, ayant blessé ledit Bernault, aussi tost qu'il eut donné le coup, voulant retirer l'espee, ne le peut qu'à grande difficulté, & s'efforça par deux diverses foys, auparavant que de la ravoir,, à cause que les os de l'orbité de l'œil avoient esté rompus & enfoncez au dedans par la grande violence du coup. Mondit Seigneur le Mareschal m'envoya prier d'aller en sa maison pour penser ledit blessé: où estant arrivé, le me recommanda d'autant bonne affection, que si c'eust esté un de ses propres enfans. Adonc ie luy feis promesse, que ie le solliciterois comme si c'estoit sa personne. L'ayant veu, ie fus d'avis avec Paradis, Chirurgien de mondit seigneur le Mareschal, & Solin Crinel, Chirurgien des bandes Françoises, hommes bien entendu en la Chirurgie (pour leurs grandes & longues experiences) qui le solliciterent avec moy iusques à ce qu'il fut du tout guary, qu'il fust saigné de la veine Cephalique, du costé de la blesseure: Et en l'œil fut appliqué du sang de pigeon, (qui est un vray baume des yeux,) & aux parties voisines, blanc d'œufs battus en eau rose & plantin, & sur toute la teste luy fut faict une embrocation d'oxyrhodinum: puis luy fut appliqué un emplastre diacalchiteos (apres luy avoir osté le poil) dissoult en huille rosat & vinaigre, pour eviter l'inflammation des parties interieures du cerveau. Il luy fut semblablement faict ouverture à l'endroit où le bout de l'espee n'avoit passé oultre, de laquelle en sortit bonne quantité de sang noir & cailleboté, & fut tenu ouverte, tant que nous vismes la teste & le col tout desenflez: les accidens passez, nous luy feismes plusieurs autres choses, que ie laisse à cause de briefveté. Ie ne veux passer soubs licence, que messieurs Pigray, Cointeret, le Fort, Dioniau, Viard, & Nicolas Marc, & plusieurs autres, tant Medecins que Chirurgiens, vindrent voir penser ceste blesseure, sans perdre la veuë, qui est veritablement chose admirable. Il fut guary grâces à Dieu en vingt quatre iours, & ce sans que nulle portion d'os en fust sortie, qui est encore plus esmerveillable. Que si quelqu'un demande comment cela c'est peu faire: Ie luy respondray, que peut estre les os de l'orbité qui avoient esté poulsez au dedans, peurent aussi estre reduits en leur lieu, retirant l'espee au dehors.

Chapitre X.

DE septiesme iour de Iuin, mil cinq cens quatre-vingts & deux, le fils de Mathurin le Beau, marchant bonnetier demeurant ruë sainct Denis, à l'enseigne de la couronne d'argent, aagé de vingt six mois, estant au milieu de la ruë, une coche chargee de cinq Gentils-hommes, la rouë de devant passa au travers du corps dudit enfant. Le peuple criant au cocher qu'il arrestast ses chevaux, les feist reculer en arriere, & la rouë repassa encore une fois par dessus de l'enfant. Il fut porté en la maison de son pere, & pensoit on qu'il fust mort, & tout eventré. subit ie fus envoyé querir pour penser ledit enfant: lequel ie revisitay bien exactement, & ne trouvay aucune fracture, ny luxation en aucun endroit de son corps. Tout à l'heure i'envoye querir à la porte de Paris, un mouton que ie fis escorcher: & apres avoir frotté le corps dudit enfant d'huille rosat & de myrtille, ie l'enveloppay nud en la peau dudit mouton tout chaudement: puis luy feis boire de l'oxycrat en lieu de Mumie, pour garder que le sang ne se caillebotast, & sigeast dedans le corps. D'abondant ie dis à la mere, qu'elle le gardast de dormir le plus qu'elle pourroit, pour le moins quatre ou cinq heures, afin que le sang ne courust pas tant aux parties interieures du corps (ce qu'elle feist.) En outre ie luy appliquay des fomentations d'herbes resolutives, & emplastres propres aux contusions, pour resoudre le sang meurtry. Trois ou quatre iours apres, appercevant que ledit enfant ne se pouvoit tenir debout, & moins cheminer, ie feis appeler Monsieur Pietre, Docteur regent en la faculté de Medecine, homme d'excellent sçavoir, qui luy ordonna quelque petite medecine, parce qu'il avoit le ventre fort constipé, & craignant que la retention des excremens ne procedast pour la lesion de l'espine, & les nerfs qui laschent & astraignent les excremens: comme ainsi soit que les malades qui ont fracture ou luxation aux vertebres, souvent laissent aller leurs excremens involontairement, autrefois sont retenus sans les pouvoir ietter dehors, ce que i'ay veu plusieurs fois: ioint aussi que par une grande contusion les costes se peuvent separer des vertebres où elles sont ioinctes. Pareillement le deffault de se soustenir & marcher me faisant craindre que ie n'eusse trouvé le vice par a veuë & au toucher, sachant que deux yeux voyent plus qu'un, ie feis semblablement appeler Iehan Cointeret, & Iacques Guillemeau, Chirurgiens du Roy, autant bien entendus en la Chirurgie, qu'il y en ait à Paris: où estans arrivez, visiterent ledit enfant, sur lequel ne trouverent aucune fracture ne luxation. Ainsi poursuyvant la cure iusques à la fin, il est du tout guary, grâces à Dieu, & chemine comme il faisoit au paravant qu'il fust blessé. Et si lon demande comment la rouë de la coche chargee de cinq hommes puisse avoir passé au travers du corps de l'enfant, sans avoit rompu les costes & vertebres: Ie respondray, que les costes, & principalement les faulses, sont cartilagineuses & mollasses, nommément aux ieunes enfans, & partant se peuvent grandement ployer, sans estre rompuës. Ceste present histoire pourra encore servir au ieune Chirurgien, pour faire le semblable, ou mieux, s'il peult, à l'endroit de telles blessures.

VOYLA comme les anciens Medecins commandent de traicter ceux qui sont tombez de hault, ou ont esté frappez, contus & meurtris, pour obier que le sang ne se coagule, ou caillebotte, ou se pourrisse, tant aux parties interieures qu'exterieures, lesquels n'ont iamais parlé, ny ordonné à manger ny à boire de la Mumie, & chair des corps morts. Partant nous la r'envoierons en Egypte, comme avons faict la Licorne aux deserts inaccessibles.

Fin du discours de la Mumie.


NOTES

1. [Cf. Lenin.]

2. Sainct Iehan 20.39 [sic; sc. 19:39: Segonde, 38-40: « Après cela, Joseph d'Arimathée, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate la permission de prendre le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Il vint donc, et prit le corps de Jésus. Nicodème, qui auparavant était allé de nuit vers Jésus, vint aussi, apportant un mélange d'environ cent livres de myrrhe et d'aloès. Ils prirent donc le corps de Jésus, et l'enveloppèrent de bandes, avec les aromates, comme c'est la coutume d'ensevelir chez les Juifs. »].

3. Genes. 5.2. [Sc. 50:2: « Il ordonna aux médecins à son service d'embaumer son père, et les médecins embaumèrent Israël. »]


James Eason.