JOCKO

AU THÉÂTRE

J'ai dit que le petit conte de Pougens à été mis au théâtre. Quand, par qui et comment comment, c'est ce que nous dira le titre d'une brochure que j'ai sous les yeux :

« Jocko ou Le Singe du Brésil, drame en deux actes, à grand spectacle, mêlé de musique, de danses et de pantomime, par MM. Gabriel et Rochefort, représenté pour la première fois à Paris, sur le théâtre de la porte Saint-Martin, le 16 mars 16825 ; et, le 6 avril, devant Son Altesse Royale Madame, Duchesse de Berry. Musique de M. Alexandre Piccini, ballet de M. Blache, décorations de M. Ciceri. Prix : 1 fr. 25 cent. Avec une jolie lithographie. Paris, chez Quoy, libraire éditeur de pièces de théâtre, boulevard Saint-Martin, nº 18. 1825. »

La « jolie lithographie » annoncée sur ce titre est effectivement abominable. Elle est signée Feillet ; elle représente Jocko avec les beaux mollets et la fine taille d'un maître danseur, prenant dans ses bras un enfant épouvanté à la vue d'un serpent qui se lève.

L'imagination de MM. Gabriel et Rochefort ajouta beaucoup à celle de Pougens, tant pour l'action que pour les personnages, dont voici la liste avec les noms des acteurs :

Jocko M. MAZURIER.
Fernandez, traitant portugais, faisant le commerce du riz M. GOBERT.
Pedro, vieux domestique de Fernandez M. PIERSON.
Dominique, fils de Pedro, d'un caractère simple M. PAUL.
Cora, jeune brésilienne, esclave de Fernandez Mlle LOUISE PIERSON.
Fernand, fils de Fernandez ; il a sept ans Mlle CHARLOTTE BORDES.
Un brésilien parlant M. BLANCHARD.
Une jeune femme, personnage muet.
Matelots, brésiliens, créoles, et nègres.

Jocko, cette Virginie des bois, transportée sur la scène du boulevard par les deux joyeux vaudevillistes, perd, avec son sexe dont il n'est plus question, sa naïveté, sa grâce, son charme, et tout ce qu'elle avait d'original. Ce n'est plus qu'un quadrumane moqueur, jovial, qui fait des grimaces et des sauts périlleux, renverse malicieusement un pot de crème et une bouteille d'eau-de-vie et enferme fort à propos deux amoureux dans le filet destiné à le pendre lui-même. Mais il est capable des plus belles actions. Fernandez, « traitant portugais, faisant le commerce du riz », lui a sauvé la vie dans les circonstances que le même Fernandez raconte en ces termes à son jeune domestique Dominique :

« Il y a six moins environ, que, tourmenté par le désir de découvrir des objets d'histoire naturelle, je dirigeai ma promenade du côté du Morne de la Grande-Savane, dans l'espoir de trouver au bord de la mer quelques-uns de ces coquillages qui ornent mon cabinet ; lorsque tout-à-coup, des cris aigus frappent mon oreille ; je m'approche et je vois un énorme serpent qui livrait un combat terrible à un fort gros singe, dont l'espèce est connue sous le nom de Jocko ; le reptile venimeux quitte sa victime pour s'élancer sur moi....

DOMINIQUE

« Ah ! mon Dieu !

FERNANDEZ

« J'étais armé, je tirai sur lui et le tuai. Jocko, tout couvert de sang, restait sur la place ; ses flancs, déchirés et meurtris, battaient avec force ; le commun danger que nous avions couru tous les deux m'inspira pour lui un vif intérêt. Je pansai ses blessures, et j'obtins un peu de temps la plus complète guérison. »

C'est, on le voit, la dernière scène du roman, avec un heureux dénouement, au lieu d'un funeste. On a remarqué, sans doute, que Fernandez, malgré le désir qui le tourmente de découvrir des objets d'histoire naturelle, n'est pas fort avancé dans cette science, puisqu'il prend les jockos pour de grands singes, tandis qu'en réalité ils en sont de fort petits.

Jocko est plein de reconnaissance. Remarquant que Fernandez porte un diamant au doigt, et se rappelant en avoir vu de pareils « dans une mine », il va les lui chercher et l'enrichit de la sorte. Il faut admettre que dans « cette mine » se trouvaient à fleur de terre des diamants tout taillés. Mais, hors cette petite difficulté, la chose se conçoit assez bien. MM. Gabriel et Rochefort ont pris cet épisode à Pougens, mais ils ont fait comme les malfaiteurs qui martèlent l'argenterie qu'ils ont volée.

Le reste du drame est inepte et ne rappelle plus en rien notre conte. Le jeune fils de Fernandez, ayant fait naufrage, est jeté sans connaissance sur la côte. Jocko le relève, le fait revenir à la vie et l'enlève pour le sauver de la morsure d'un serpent qui va l'enlacer. Mais, à ce moment, ce singe sublime est tué par un matelot qui croit bien faire.

« Jocko, dit alors le livret, Jocko, qui a encore rassemblé assez de force pour aller jusqu'à sa cabane, où il a saisi avec peine les diamants qu'il avait apportés le matin, se traîne difficilement près de Fernandez et les jette à ses pieds. »

Malgré ses graves défauts, Jocko obtint un grand succès, non seulement au théâtre, où la mise en scène pouvait l'expliquer, mais encore en librairie, car, si nous en croyons Quérard, il y eut trois éditions de cette pièce, outre celle que nous signalons.

A. F.


Jocko, par M. C. de Pougens. Précédé d'une notice par Anatole France. Paris: Charavay Frères, 1881. Jocko au théâtre: pp. 133–140.

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