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Cette page reproduit une partie de

Mes Évasions

du Général
Henri Giraud

publié chez
Hachette
1949

dont le texte relève du domaine public.

Cette page a fait l'objet d'une relecture soignée
et je la crois donc sans erreur.
Si toutefois vous en trouviez une,
je vous prie de me le faire savoir !

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I

Chaque homme a son destin.

J'ai trop vécu avec les Musulmans pour ne pas être devenu fataliste. Le destin a fait de moi un éternel évadé. Le destin ! voire, comme disait Panurge. N'est‑ce pas plutôt l'attrait de l'aventure !

L'Aventure, avec un grand A, avec tout ce qu'elle comporte de méditation, de lente préparation, de rapide exécution, d'efforts, de risques, de déceptions, mais aussi de satisfaction, de plaisir et d'enthousiasme.

L'Aventure, à base d'audace, d'énergie, d'habileté parfois, de danger toujours.

L'Aventure, fille de l'amour, amour d'un être chéri, ou amour de la Patrie.

Cet amour‑là je l'ai sucé avec le lait de ma mère, je l'ai appris sur les genoux de mon père, je l'ai raisonné par l'étude de l'histoire, je l'ai fortifié par le vie intense que j'ai menée.

Dès mon plus jeune âge, j'ai voulu être soldat, non par désir d'avoir un bel uniforme, ou de parader  p6 dans les salons, mais pour imiter ceux dont j'avais lu les aventures, qu'ils soient les soldats du Roi, de la République ou de l'Empire.

J'ai eu la vie que j'avais rêvée. Je ne regrette rien. Ce serait à recommencer que je recommencerais, avec la même foi, la même ardeur, la même folie si j'ose dire.

Mais il faut avouer que j'ai été gâté.

Ce ne sont pas les garnisons de France qui m'ont beaucoup retenu. Elles m'auraient peut-être donné quelques satisfactions mondaines, procuré quelques aventures sentimentales, elles ne m'auraient pas permis de vivre dans l'Aventure, dans la Liberté.

Liberté, liberté chérie, voilà, sans hésitation, le bien le plus précieux qui soit, celui qui comprend tout, la santé, l'indépendance, la gaieté.

Ceux‑là ne savent pas le prix de la liberté, qui n'en ont jamais été privés. Il faut avoir vécu dans une prison, dans un camp, sous la surveillance, même discrète, de gardiens sinon hostiles, du moins payés pour vous garder, pour savoir le prix de n'importe quel acte, si insignifiant soit‑il, fait librement, sans contrainte, sans autorisation préalable, sans vexation préméditée.

Ce besoin de liberté, il est à la base de la vie des aventuriers, qu'ils soient de grands chemins ou de  p7 tout petits sentiers. C'est lui qui fait négliger la pauvreté, la faim, la souffrance et mépriser la mort. C'est lui qui provoque toutes les audaces et enflamme les enthousiasmes. Des mercenaires peuvent se battre bien : des volontaires se battent mieux.

Et quand ces volontaires ont dans le sang l'amour de la Patrie, ils ne peuvent pas admettre un instant que la servitude les arrête dans le service de cette Patrie. La liberté est la condition même de leur existence. Mieux vaut la mort que l'esclavage.

Pour un Français, il s'agit seulement de savoir où finit la liberté et où commence la licence. Notre histoire est farcie de cet antagonisme permanent entre notre besoin inné de liberté et notre attrait malsain pour le désordre, je n'ose pas dire l'anarchie.

Il faut que l'autorité soit assez forte et assez sage pour arrêter l'un et permettre l'autre. Nous avons eu Louis XIV et Napoléon, mais nous ne devons oublier ni Henri IV, ni saint Louis. Rappelons‑nous une bonne fois que l'Histoire de France commence a Vercingétorix et non pas à Danton, ou même à M. de Lafayette.

Ceci dit pour préciser la mentalité dans laquelle vit un « aventurier », il est facile de comprendre  p8 que, s'il est prisonnier, l'évasion est pour lui un besoin aussi impérieux que le boire et le manger.

On s'évade d'une prison, comme on s'évade de la vie bourgeoise dans laquelle on étouffe.

On échappe aux appels, aux corvées, aux rassemblements, comme on échappe aux obligations mondaines, au train-train monotone de la vie trop bien réglée.

Qui sait si certains explorateurs, certains voyageurs, ne sont pas eux aussi des évadés ? Là encore, attention ! Il ne faut pas que l'attrait de l'inconnu ou le besoin des découvertes se confondent avec bougeotte et instabilité.

De l'équilibre, là comme ailleurs.

Sans compter que, pour réussir une évasion, il ne faut pas s'en remettre au système D. Une évasion se prépare, autant et plus que n'importe quelle autre opération. Je dirai même qu'une évasion ne réussit que si elle est minutieusement préparée.

Là comme ailleurs, il faut être extrêmement pessimiste dans la préparation, autant qu'il faut être follement audacieux dans l'exécution.

Quant aux modalités de l'évasion, elles sont aussi variables que multiples.

On ne s'évade pas d'un camp comme d'une prison, on ne s'évade pas à soixante ans comme à trente ans, on ne s'évade pas au XXe siècle comme  p9 au XVIIIe. Mais que ce soit à pied, à cheval, en avion ou en sous-marin, on s'évade toujours en faussant compagnie à ceux qui vous gardent. On a dû endormir leur surveillance, ruser avec leur opiniâtreté, déjouer leurs précautions.

Cela demande de la réflexion, de la persévérance, du calme, et puis, le moment venu, du courage tout simplement.

Ensuite, il faut la veine, la Veine avec un grand V. Le vieux proverbe : Audaces fortuna juvat est toujours vrai. Il faut comtper avec la veine, car malgré toute la préparation, malgré toutes les précautions, on ne prévoit jamais l'imprévisible. L'indispensable est de garder son calme, et d'autant plus que la situation est plus grave. On y est d'ailleurs très résolu, lorsqu'on sait très bien qu'on joue sa tête et que la moindre imprudence ou hésitation peut vous perdre.

Il faut enfin avoir une robuste santé, être insensible à la fatigue, pouvoir ne pas dormir pendant des jours et des jours, et ne manger que le minimum. C'est le sommeil qui manque le plus, car on s'arrange avec la faim, et en Europe, on trouve toujours à boire.

Mais tout cela n'est que secondaire quand on veut réussir, et l'on réussit quand Dieu le veut.


[ALT de l'image : HTML 4.01 valide.]

Page mise à jour le 25 avr 21