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 p33  Deuxième climat

PREMIÈRE SECTION

Après avoir décrit avec les détails convenables, dans chacune des dix sections dont se compose le premier climat, tout ce qu'il y a de remarquable en fait de villes, de villages, de contrées cultivées ou incultes, ainsi que les animaux, les minéraux, les mers et les îles, les rois et les nations, les mœurs, coutumes et religions des peuples, il convient de donner dans ce deuxième climat la description des pays, châteaux, grandes et petites villes, des lieux incultes et déserts, des mers et des îles, des peuples et des distances qui les séparent, comme nous l'avons fait pour le premier climat.

Nous allons donc commencer à présent, à l'aide du secours divin, par la première section du deuxième climat, en disant que cette section à l'extrémité de l'occident, c'est-à-dire à la mer Ténébreuse ; on ignore ce qui existe au-delà de cette mer. A cette section appartiennent les îles de Masfahân et de Lagous, qui font partie des six dont nous avons parlé sous la désignation d'al‑Khâlidât (les îles Fortunées) et d'où Ptolémée commence à compter les longitudes des pays. Dzou 'l‑Carnaïn (l'hommeº aux deux cornes),​a c'est-à-dire Alexandre le Grand, alla jusque‑là et c'est de là qu'il commença son retour.

 p34  Quant à Masfahan, l'auteur du Livre des merveilles rapporte qu'au centre de cette île est une montagne ronde, au-dessus de laquelle on voit une colonne de couleur rouge, élevé par Asad Abou Carib al‑Himyâri, le Dzou l'Carnaïn dont Tobba fait mention dans ses poésies, car on donne cette épithète à quiconque est parvenu aux deux bouts du monde. Abou Carib al‑Himyâri fit placer là cette colonne, afin d'indiquer aux navigateurs qu'au delà de ce point il n'y a point d'issue, point de lieu de débarquement. L'on ajoute que dans l'île de Lagous on voit aussi une colonne de construction très solide, et qu'il est impossible de parvenir à son sommet. On dit que Tobba Dzou 'l‑Marâtsid, qui la fit élever, y mourut, et que son tombeau s'y trouve dans un temple bâti en marbre et en verre de couleur. Le même auteur raconte que cette île est peuplée de bêtes féroces, et qu'il s'y passe des choses qu'il serait trop long de décrire, et dont l'admission répugne à la raison.

Sur les rivages de cette mer on trouve de l'ambre de qualité supérieure, qui semble provenir de ces îles et d'autres, ainsi que la pierre dite baht, renommée dans l'Afrique occidentale, où elle se vend à très-haut prix, surtout dans le pays des Lamtouna, qui prétendent que celui qui en est porteur réussit dans toutes ses entreprises. On dit aussi que cette pierre jouit de la propriété de lier la langue. On y trouve encore un grand nombre d'autres pierres de formes et de couleurs variées, qu'on recherche beaucoup et qui passent de père en fils par héritage, attendu, dit‑on, qu'elles s'emploient avec succès dans le traitement de plusieurs maladies. Telles sont celles que les femmes dont les mamelles sont malades suspendent sur leur sein et qui en calment promptement la douleur ; telles sont encore celles qui facilitent les  p35 accouchements, et celles au moyen desquelles, en faisant un signe à des femmes ou à des enfants, on s'en fait suivre. Ils (les Lamtouna) possèdent beaucoup de pierres semblables et sont renommés pour les opérations magiques qu'ils pratiquent à l'aide de ces pierres.

La présente section comprend le reste du Magzâra, pays de nègres, où, comme nous l'avons dit, l'eau est rare et la culture nulle. Les voyageurs de le traversent qu'exceptionnellement, car, à cause du manque d'eau, ils sont obligés d'emporter avec eux celle qui leur est nécessaire pour pénétrer, soit dans cette contrée, soit dans la partie limitrophe du pays de Camnouria.

Ce dernier pays, qui est situé au nord du Magzâra, confine du côté de l'occident à l'océan Ténébreux, et du côté de l'orient au désert de Nîsar, à travers duquel est la route des marchands d'Aghmât, de Sidjilmâsa, de Dar'a, du Noul occidental (al‑Akça), quand ils se rendent à Ghâna et à la partie du Wangâra, pays de l'or, qui en est limitrophe.

Il existait autrefois dans le Camnouria des villes connues et des résidences remarquables, appartenant aux nègres, mais les Zaghâwa et les Lamtouna du désert, qui habitaient les deux côtés de ce pays (je veux dire de la Camnouria), en entreprirent la conquête, exterminèrent la plupart des habitants et dispersèrent le reste.

Les habitants du pays de Camnouria, d'après le rapport des marchands, se prétendent juifs. Leur religion est un mélange confus de toutes choses ; ils ne sont rien et n'ont pas de croyance bien déterminée ; ils n'ont pas de roi eux-mêmes et n'obéissent pas à un roi étranger, mai ils sont le jouet de toutes les tribus voisines. Anciennement il existait dans la Camnouria deux villes florissantes, dont l'une était connue sous le nom de Camnourî, l'autre sous celui de Naghîra. Elles étaient l'une et l'autre très peuplées ; il y avait des chefs et des chaikhs qui administraient les affaires et rendaient la justice dans les affaires criminelles  p36 et dans les querelles ; mais, avec le temps, ces institutions se perdirent ; la discorde prévalut au milieu d'eux ; les incursions des tribus environnantes désolèrent le pays ; les habitants s'enfuirent, et cherchèrent un refuge dans les montagnes ou se dispersèrent dans les déserts, tombèrent sous le joug de leurs voisins ou se mirent sous leur protection, en sorte qu'il ne reste plus qu'un petit nombre d'individus appartenant aux Camnouriens, et vivant, dispersés dans ces déserts ou sur le rivage, de laitage et de poisson. Ils mènent une vie pénible, ayant à peine de quoi subsister, et errant sans cesse, mais ils sont aujourd'hui en paix avec leurs voisins qui leur permettent de passer leurs jours en tranquillité.

Entre le pays de Camnouria et Sillâ et Tacrour, il y a des routes peu fréquentées, dont les traces et les bornes commencent à se perdre. On n'y trouve de l'eau qu'à de grandes profondeurs, et c'est à peine qu'on reconnaît les lieux où elle se trouve. La distance entre la Camnouria et Sillâ et Tacrour est de 15 journées. De Naghîrâ à Sillâ on compte environ 12 journées et autant de Naghîrâ à Azoggâ (Azoggî), du pays des Lamtouna. L'eau y est très rare ; les voyageurs qui passent par cette route sont obligés de s'en approvisionner et de creuser des puits pour s'en procurer.

Dans le pays de Camnouria on voit la montagne de Manan, qui touche à l'océan. Elle est très haute, d'un accès difficile et de couleur rouge. On y trouve des pierres brillantes qui éblouissent la vue à tel point, qu'aux rayons du soleil il est impossible d'en supporter l'éclat. La couleur de ces pierres est d'un rouge brillant. Au bas de  p37 cette montagne, on trouve des sources d'eau douce ; on se munit de cette eau et on la transporte au loin dans des outres.

Dans le pays qui dépend de Naghîrâ et à l'est-sud‑est de cette ville, est située la montagne de Banbawân, l'une des plus hautes du globe. Elle est stérile et de couleur blanche ; il n'y croît d'autres végétaux que des absinthes et des alcalis. L'auteur du Livre des merveilles rapporte que la pluie n'en atteint jamais le sommet, les nuages ne se résolvent en pluie que dans la partie inférieure de la montagne.

C'est à cette contrée que confine le désert de Nîsar dont nous avons déjà parlé et par où passent les voyageurs qui se rendent à Audaghocht, à Ghâna et ailleurs, comme nous l'avons dit. Ce désert est peu fréquenté et sans bitations. On n'y trouve que peu d'eau, et il faut s'en approvisionner avant d'entrer dans ces solitudes arides parmi lesquelles la plus connue est celle de Nîsar, dont nous avons dit plus haut qu'elle s'étend en longueur l'espace de 14 journées pendant lesquelles il n'y a pas la moindre trace d'eau. On trouve dans ce même désert des serpents d'une longueur et d'une grosseur énormes. Les nègres les tuent à la chasse, leur coupent la tête et mangent le reste accommodé avec du  p38 sel, de l'eau et de l'absinthe, ce qui pour eux est un régal.

C'est en automne que les caravanes traversent ce désert. Voici la manière de voyager : on charge les chameaux de très-bonne heure et on marche jusqu'au moment où le soleil s'est élevé sur l'horizon, au point de communiquer à l'air et à la terre une chaleur insupportable. Alors on s'arrête, on décharge les chameaux et on les entrave ; on déballe les marchandises et on dresse des tentes en tâchant de se procurer de l'ombre, afin d'éviter l'influence fâcheuse de la chaleur des rayons solaires. A trois heures et demie après midi (al‑'açr), c'est-à-dire lorsque le soleil commence à baisser, on repart et on marche jusqu'après la nuit close (al‑'atma), époque à laquelle on s'arrête de nouveau, quelque part qu'on se trouve, et on se repose durant le reste de la nuit, jusqu'au crépuscule du matin, quand on reprend le voyage. Tel est l'usage constamment suivi par les voyageurs qui se rendent au Soudan, car les rayons du soleil seraient mortels pour quiconque s'exposerait à leur action lorsqu'ils tombent verticalement.

A cette section appartient aussi la partie septentrionale du pays de Ghâna où se trouve Audaghocht, petite ville située dans un désert où l'eau est rare. Elle est, comme la Mecque, bâtie entre deux montagnes : la population en est peu nombreuse et le commerce peu considérable. Les habitants élèvent des chameaux, dont ils tirent leur nourriture.

D'Audaghocht à Ghâna, on compte 12 journées ; d'Audaghocht aux villes du Wârgalân, 31 journées ; d'Audaghocht à Djerma, environ 25 journées ; d'Audaghocht à la ville d'Oulîl, où est la mine de sel, 50 journées.

Un voyageur digne de foi qui a parcouru le Soudan, rapporte que dans le territoire d'Audaghocht on trouve, près des eaux stagnantes, des truffes dont le poids s'élève jusqu'à 3 livres et au-delà. On en apporte en abondance à Audaghocht, où on les fait cuire avec de la  p39 chair de chameau ; ce qui compose, dit‑on avec raison, un mets des plus excellents.

DEUXIÈME SECTION

Cette section comprend le reste du désert de Nîsar, et une grande partie du Fezzân et de ses villes comme du pays des nègres Zaghâwa. La majeure partie de ces contrées se compose de déserts contigus sans habitants, de solitudes sauvages, de montagnes âpres et stériles, sans végétation et où l'eau est très rare. Le peu qu'on peut s'en procurer ne se trouve qu'au pied des montagnes et dans les parties basses des marais salés ; on est obligé de s'en approvisionner de station à station. Les habitants, qui mènent une vie errante, servent de guides aux voyageurs.

On trouve dans les plaines diverses peuplades d'hommes nomades, qui parcourent le pays en tous sens pour chercher de la pâture pour leurs troupeaux. Ils n'ont aucune demeure fixe, passant leur temps à voyager, sans toutefois sortir des limites de leur territoire, sans se mettre en contact avec d'autres peuplades, sans se fier à leurs voisins. Chacun prend garde à soi et ne s'inquiète que de soi-même. Les habitants des villes voisines, qui sont de même race, dérobent les enfants des nomades du désert, les emmènent chez eux dans l'obscurité de la nuit, et les tiennent cachés jusqu'au moment où ils peuvent ls vendre à vil prix aux marchands forains, lesquels les transportent aux extrémités du Maghrib occidental (al‑Akça), où il s'en vend annuellement des quantités très considérables. Cette coutume de dérober les enfants est générale et constante dans le Soudan, et l'on n'y voit aucun mal.

Ces peuples sont en général très corrompus et polygames, et ils procréent un si grand nombre d'enfants des deux sexes, qu'il est rare de rencontrer une femme qui n'en ait pas au moins quatre ou cinq. Au reste, ils vivent comme des animaux, sans s'inquiéter en rien des choses du  p40 monde, si ce n'est de satisfaire à leurs besoins physiques.

Les deux villes les plus considérables du Zaghâwa sont celles de Sagwa et de Châma. On y trouve une tribu nomade appelée Çadrata, qui passe pour être berbère. Les individus qui la composent ressemblent aux Zaghâwiens dans toute leur manière d'être, et sont devenus comme une de leurs peuplades. C'est à eux que les Zaghâwiens ont recours pour tous les objets qui leur sont nécessaires, et pour leur négoce. Châma est une petite ville, ou plutôt un gros bourg ; elle est mal peuplée aujourd'hui, les habitants s'étant transportés pour la plupart à Caucau, ville située à 16 journées de distance. Les Châmiens boivent beaucoup de lait, leurs eaux étant saumâtres, et mangent de la viande, tant fraîche que coupée en lanières et séchée au soleil. Ils se nourrissent aussi de serpents, dont ils font une chasse abondante et qu'ils font cuire après les avoir écorchés et leur avoir coupé la tête et la queue. Ces peuples sont très sujets à la gale, qui ne quitte jamais leur cou, en sorte qu'à ce signe, dans tout le pays et toutes les tribus du Soudan, on reconnaît un Zaghâwien. S'ils s'abstenaient de manger du serpent, la lèpre les consumerait. Ils vont nus et cachent seulement leurs parties honteuses au moyen de cuirs tannés de chameau et de chèvre, qui sont coupés en diverses formes et couverts de divers ornements.

Il y a dans la partie supérieure (méridionale) de ce pays une montagne nommée Lounia, très haute et d'un difficile accès, bien qu'elle  p41 soit formée d'une terre blanche et molle. Nul ne peut, sans périr, approcher de la caverne qui se trouve sur son sommet, attendu, d'après ce qu'on assure, qu'on y trouve un dragon d'une grosseur énorme qui dévore toute personne qui, ignorant son existence, s'approche de sa retraite. Les habitants du pays évitent cette caverne. Des sources d'eau découlent du pied de cette montagne, mais leur cours ne s'étend pas loin. Près d'elles est le séjour ordinaire d'une tribu nomade Zaghâwienne, appelée Sagwa. Les chameaux que cette tribu élève se distinguent par une fécondite extrême. Avec le poil de ces animaux ils fabriquent des manteaux de feutre (mosouh) et les tentes où ils demeurent, et ils se nourrissent de leur lait, de leur beurre et de leur chair. Chez eux les légumes sont rares ; ce n'est pas qu'ils n'en cultivent point, mais ils les laissent brouter par leurs troupeaux. La principale production du Zaghâwa, en fait de grains, est le millet : on y apporte quelquefois du blé de Wârgalân et d'ailleurs.

A 8 journées vers le nord de cette résidence de la tribu de Sagwa, est une ville ruinée qu'on appelle Nabrante. Elle était anciennement très célèbre ; mais, d'après ce qu'on rapporte, elle a été envahie par les sables, qui ont couvert les habitations et les eaux, en sorte qu'il n'y reste plus aujourd'hui qu'un petit nombre d'habitants, qui sont trop attachés à leur pays natal pour pouvoir quitter ces ruines. Au nord de cette ville est une montagne dite Gorga, où, d'après l'auteur du Livre des merveilles, on trouve des fourmis de la grosseur d'un moineau, dont se nourrissent les serpents de cette montagne, lesquels, dit‑on, quoique très gros, ne sont presque pas nuisibles. Les nègres les poursuivent et s'en nourrissent, ainsi que nous l'avons dit plus haut.

De Nabrante à la ville de Tîrcâ (Tîreccâ) du Wangâra, pays de l'or, on compte 17 journées.

Au Zaghâwa confine le Fezzân, où sont les villes de Djerma et de Tessâwa. Les nègres nomment cette dernière Djerma la petite. Elles sont situées à un peu moins d'une journée de distance l'une de l'autre, et  p42 égales en grandeur et en population. On y boit de l'eau de puits. Il y croît des palmiers, du millet et de l'orge, qu'on arrose au moyen d'une machine qui porte le nom d'indjafa et que les habitants du Maghrib appellent khattâra. Il y a une mine d'argent dans une montagne nommée Djerdjîs, mais cette mine est trop peu productive pour valoir la peine d'être exploitée, et on l'a abandonnée. Elle est située à environ 3 journées de Tessâwa. De ce dernier lieu à la tribu berbère appelée Azgâr, on compte environ 12 journées vers l'orient. Cette tribu nomade, qui possède beaucoup de chameaux et de laitage, se compose d'hommes très braves, très disposés à se défendre ; ils vivent en paix avec ceux qui vivent en paix avec eux, et ils oppriment ceux qui cherchent à leur nuire. Ils passent le printemps et l'été dans les environs de la montagne dite Tantano, de laquelle découlent diverses sources d'eau vive et au pied de laquelle il y a des étangs où les eaux se rassemblent. Sur les bords de ces étangs on trouve d'excellents pâturages où les chameaux trouvent à se nourrir jusqu'au moment où la peuplade retourne à sa demeure habituelle.

De la montagne autour de laquelle errent les Azgâr jusqu'à la terre de Begâma, on compte 20 journées par un pays désert, aride, peu frayé, et dont l'air est corrompu. Des Azgâr à la ville de Ghadâmes, 18 journées. De la même tribu à ville de Châma, environ 9 journées. On trouve dans l'intervalle deux solitudes arides où l'eau est rare et où elle fait totalement défaut lorsque le vent du désert se joint à la chaleur extrême de l'air.

Les Azgâr sont, à ce qu'on dit dans le Maghrib occidental, les hommes les plus instruits dans la connaissance des caractères magiques dont on attribue l'invention au prophète Daniel, sur qui soit le salut ! Dans tout  p43 le pays des Berbers et dans leurs nombreuses tribus, il n'en est aucune de plus versée dans cette science. Lorsque l'un d'entre eux, grand ou petit, a perdu quelque chose, ou qu'une pièce de son bétail s'est égarée, il trace des signes dans le sable, et au moyen de ces signes il devine où est l'objet perdu, se dirige vers ce point et le retrouve. Si un voleur dérobe un objet quelconque, et l'enfouit sous terre, près ou loin, le propriétaire trace des caractères pour connaître la direction qu'il doit suivre, puis d'autres pour trouver le lieu précis de la cachette, et il retrouve ainsi ce qu'on lui a pris. Il y a plus : par ces caractères il sait aussi quelle est la personne qui a commis le vol ; il rassemble donc les chefs de la tribu, qui tracent eux aussi des signes magiques et discernent par ce moyen le coupable de l'innocent. C'est une chose connue qui fait souvent le sujet des discours chez les Maghribins. Un d'eux racontait avoir vu à Sidjilmâsa un homme de cette tribu qui se soumit à trois expériences successives, et qui réussit trois fois à retrouver, au moyen de caractères magiques, un objet caché dans un lieu qu'il ne connaissait pas ; et c'est une chose d'autant plus surprenante, que ces hommes sont d'ailleurs fort ignorants et fort grossiers. Mais en voilà assez sur ce sujet.

TROISIÈME SECTION

Les pays dont la description est contenue dans cette troisième section sont : une partie du Waddân ; la majeure partie du Couwâr ; une partie du pays des Tâdjowîn idolâtres ; la majeure partie du Fezzân.

Le Waddân se compose d'oasis plantées de dattiers et ayant la mer (Méditerranée) au nord-ouest. Avant l'époque du mahométisme ce pays était très peuplé et gouverné par un roi indigène et héréditaire. Mais à l'arrivée des Musulmans, la crainte qu'en éprouvèrent les habitants les porta à fuir et à se disperser dans le Sahara. Il ne subsiste actuellement que la ville de Dâwoud, à demi ruinée et habitée  p44 par quelques familles de nègres, vivant misérablement, au pied de la montagne de Tantano, avec un très petit nombre de chameaux, et tirant pour la plupart leur nourriture de la racine d'une plante nommée agrastes, la même que les Arabes appellent nadjîl, qui se plaît dans les terrains sablonneux. Ils la font sécher, la réduisent en farine au moyen d'une pierre, et en font du pain pour se sustenter. Les notables d'entre eux vivent de chair de chameau séchée au soleil et leur boisson est le lait de chameau. Ils emploient la fiente de ces animaux avec certaines plantes épineuses comme combustible, le bois étant très rare parmi eux.

Au nord de cette ville (Dâwoud) est celle de Zawîla, fondée par Abdollah ibn Khattâb al‑Houwârî en 306 de l'hégire (918 de J. C.), pour servir de résidence à lui et à sa famille. Elle porte le nom de ce personnage (c'est-à-dire Zawîla Ibn Khattâb) et c'est de lui qu'elle tire sa célébrité. Elle est actuellement florissante, et nous la décrirons, s'il plaît à Dieu, dans le troisième climat du présent ouvrage.

Dans la montagne de Tantano il existe une mine de fer excellent. Au sud sont les lieux de campement et les pâturages des Azgâr, peuplade berbère, qui erre, comme nous l'avons dit ci-dessus, dans ces contrées pour faire paître ses chameaux. Nous avons déjà mentionné quelques particularités de cette tribu.

La partie méridionale des pays qui entrent dans cette section comprend le reste du pays de Caucau et le Damdam avec une partie de la montagne de Lounia, qui est formée de terre blanche et molle, et où l'on voit, dit‑on, de petits serpents à deux cornes. Selon d'autres il y a des serpents à deux têtes.

Les opinions sont très partagées au sujet du fleuve de Caucau. Les  p45 uns disent qu'il prend sa source dans les montagnes de Lounia et qu'il coule du côté du sud jusqu'à Caucau, pour se diriger ensuite vers le Sahara ; d'autres disent que cette rivière n'est qu'un affluent du fleuve de Caucau ; que ce dernier prend réellement sa source au pied d'une montagne dont l'autre extrémité touche au Nil. On rapporte que le Nil se perd sous cette montagne pour reparaître de l'autre côté, qu'il coule ensuite jusqu'à Caucau, puis se dirige du côté de l'ouest vers le Sahara, et qu'il finit par se perdre dans les sables.

Le pays limitrophe de cette contrée à l'orient est en grande partie celui de Couwâr, très connu et très fréquenté. C'est de là qu'on tire l'alun qui est célèbre sous le nom de Couwârî et qui surpasse toutes les autres sortes par sa qualité. Le pays de Couwâr est entouré par le lit d'une rivière courant du sud au nord, où l'on ne trouve point d'eau, si ce n'est qu'en creusant on y obtient de l'eau limpide et froide en abondance. Sur les bords de cette rivière il y a une petite ville nommée al‑Caçaba (le chef lieu), bien bâtie et entourée de palmiers et d'autres arbres du désert. Les habitants sont à demeure fixe ; ils portent pour vêtements la fouta, l'izâr et les cadâwîr de laine. Ils sont riches et font de fréquents voyages à l'étranger pour le commerce. Ils boivent de l'eau de puits, qui chez eux est douce et très abondante.

De là à Caçr Om Isa (le Château de la mère de Jésus), on compte 2 journées vers le sud. C'est une ville peu considérable, mais dont la population, qui est très riche, possède beaucoup de chameaux qui lui servent à se transporter à l'orient et à l'occident. Leur principale richesse et le premier article de leur commerce est l'alun. Autour de la ville sont des palmiers et des sources dont ils boivent les eaux qui sont douces.

De là à la ville d'Ancalâs, on compte 40 milles, en suivant le lit de  p46 la rivière. Ancalâs est, sans contredit, la ville la plus considérable et la plus commerçante du Couwâr. Il y a dans les montagnes près de cette ville des mines abondantes d'alun pur, de qualité supérieure ; pour le vendre les habitants d'Ancalâs vont du côté de l'orient jusqu'à l'Égypte, du côte de l'occident jusqu'à Wârgalân et les autres pays du Maghrib occidental. Ils portent des mocanderât tissues de laine et attachent sur la tête des carâzî de la même étoffe, dont les bouts leur servent à se voiler le visage et à se couvrir la bouche. C'est un usage ancien parmi eux et dont ils ne s'écartent jamais. Ils ont actuellement un chef indépendant né dans le pays, entouré d'une grande famille qu'il soutient et qui l'appuie à son tour. C'est un personnage généreux, d'une conduite irréprochable et qui gouverne légalement. Il est musulman.

D'Ancalâs à Abzar, petite ville située sur une colline de terre, entourée de palmiers et possédant des puits d'eau douce, 2 journées. Il y a, dans le voisinage de cette ville, une mine d'alun d'excellente qualité, mais très mou et qui se laisse aisément émier. Les habitants portent la fouta et le mizar de laine, et vivent du commerce de l'alun.

D'Abzar à Tamalma (Talamla), on compte 1 journée de marche. Tamalma est également une petite ville. L'eau y est rare, ainsi que les palmiers, mais les dattes y sont excellentes. Il y a une mine d'alun de médiocre qualité, attendu qu'elle est sillonnée par diverses veines de terre, mais on mêle ce qu'on en tire avec de meilleures sortes d'alun et on le vend ainsi aux marchands. Cette ville dépend du Couwâr : nous en avons parlé dans le premier climat.

Dans tout ce pays de Couwâr l'alun est très abondant et d'une qualité supérieure. La quantité qu'on en exporte chaque année est immense, et cependant les mines ne s'épuisent pas. Les gens du pays rapportent  p47 que cette substance croît et végète continuellement à mesure qu'ils en extraient, et s'il n'en était pas ainsi, tout le pays disparaîtrait, telle est la quantité d'alun qu'on en tire annuellement pour l'exportation.

Non loin et à l'ouest d'Abzar est un lac considérable et profond ; il a 12 milles de longueur sur 3 de largeur. On y pêche un poisson très gros, qui s'y trouve en abondance et qui ressemble au bourî ; il est gras et procure un mets délicieux. On appelle ce poisson bacac (bacan). La quantité qu'on en pêche est tellement considérable, qu'on le sale pour le transporter dans le Couwâr, où il se vend à très bon marché.

Quant à la partie du pays des Tâdjowîn, comprise dans cette section nous avons parlé d'eux plus haut, dans la description du premier climat, comme d'un peuple nègre infidèle et sans croyance. Nous y ajoutons qu'ils sont fort nombreux et possèdent beaucoup de chameaux, car leur pays offre des pâturages excellents. Ils sont nomades et changent continuellement de domicile. Leurs voisins ne cessent jamais de faire des incursions dans leur pays et tâchent de les surprendre pour les réduire en captivité. Ils n'on que deux villes, qui sont Tâdjowa et Samina (Samiya), dont nous avons parlé ci-dessus. Au nord le pays est borné par une montagne de forme demi-circulaire, dont la couleur est grise tirant sur le blanc, et qui contient des veines d'une espèce de terre douce qu'on applique avec succès à la cure de l'ophthalmie qui s'appelle chassie, de même qu'on emploie la poussière de la caverne qui se trouve  p48 dans le voisinage de Talavera en Espagne, et qui est une poudre de couleur verte terne, pour ôter la gale des yeux. Cette dernière est très célèbre dans toute l'Espagne, l'expérience ayant montré son efficacité.

Cette contrée est voisine des oasis al‑Khâridja (les extérieures), maintenant connues sous le nom de pays de Santarîya, à cause de la ville de Santarîya qui s'y trouve et qui a été fondée dans ces derniers temps : nous en reparlerons ci-après. Au sud de cet endroit sont les ruines d'une ville jadis florissante et peuplée, nommée Chabrou : ses édifices sont détruits, ses eaux se sont absorbées dans la terre, ses animaux domestiques sont retournés à l'état sauvage, sa disposition est devenue méconnaissable ; il n'y reste que des décombres, des débris qui disparaissent de plus en plus, et quelques palmiers qui ne donnent plus de fruits. Souvent les Arabes y pénètrent dans leurs excursions. Au nord-est de la ville est une montagne de peu d'élévation, mais très raboteuse et inaccessible, les pierres se détachant quand on essaie de la gravir. A son pied est un lac considérable d'eau douce d'environ 20 milles de circonférence, mais peu profond, au milieu duquel croissent des roseaux. On y trouve une sorte de poisson désagréable au goût et rempli d'arêtes. Ce lac est alimenté par une source d'eau venant du sud. Sur ses bords sont des campements de Couwâriens nomades, qui parfois sont attaqués à l'improviste par des Arabes qui leur causent du dommage. Dans le même pays est la ville de Marinda, subsistant encore de nos jours et très peuplée. C'est bien rarement que des voyageurs y arrivent, à cause du défaut de productions et du peu d'industrie et de commerce ;  p49 elle n'est qu'un lieu de repos et un asile pour les habitants quand ils reviennent de leurs expéditions.

Au nord de cette région est Zâla, ville fortifiée et gouvernée par un chef indépendant. Celui qui part de cette ville dans la direction du nord-ouest, du côté de la mer, arrive à Sort (Çort) après 9 journées de marche. De Zâla à Waddân, on compte 8 journées, et de Zâla à Zawîla, 10, en se dirigeant vers le sud-ouest.

QUATRIÈME SECTION

Cette section comprend le reste des oasis al‑Khâridja (les extérieures) et la partie du pays des Tadjowîn qui en est limitrophe au sud ; puis la majeure partie du Djifâr et du Bahrain, en retournant vers Santarîya (que nous avons mentionnée incidemment plus haut), passant par les campements des Banî Hilâl, et descendant à côté de la montagne dite de Goliath le Berber, ainsi nommée parce que l'armée de ce géant y fut défaite, et qu'il y vint chercher un refuge avec les siens. A l'est de cette montagne s'étend une grande partie de l'Égypte ; elle est arrosée par le Nil, qui y descend de la Nubie supérieure. Nous décrirons ces pays dans le plus grand détail, n'omettant rien des choses mémorables qu'ils contiennent, s'il plaît à Dieu, ainsi que tous les lieux habités dans le voisinage du Nil, jusqu'à Ahrît, Charouna et Bayâdh, qui touchent aux campements des Balî, des Djohaina et des Çofâra (?), et jusqu'aux extrémités du Ça'îd (de la Haute-Égypte), où il touche à al‑Allâkî. Enfin nous parlerons des demeures des Taim, des Bodjoum et des Coptes, qui sont contiguës à la partie inférieure de cette section.

 p50  Nous disons donc que la partie supérieure (méridionale) de la contrée décrite dans cette section et située du côté de l'occident, où se trouve le reste du pays des Tâdjowîn, n'est qu'un grand désert, inhabité à cause des sables mouvants que les vents transportent çà et là, quoiqu'il y ait plusieurs étangs. Nul ne peut y rester à demeure fixe, à cause de ces sables continuellement poussés par les vents. Ces sables s'étendent d'un côté jusqu'aux oasis extérieures (al‑Wâhât al‑Khâridja), dont ils envahissent le territoire et dont ils abîment les derniers restes de culture, de l'autre côté, c'est-à-dire du côté de l'ouest, jusqu'à Sidjilmâsa et au-delà jusqu'à l'océan.

Ce pays des Wâhât Khâridja, aujourd'hui désert et sans aucun habitant, quoiqu'on y trouve de l'eau, était jadis fertile en palmiers, habité et fréquenté ; il y avait jusqu'à Ghâna des routes frayées et des aiguades bien connues, mais il n'en subsiste plus rien. On trouve encore dans ces Wâhât Khâridja des moutons et des vaches devenus sauvages, ainsi que nous l'avons dit plus haut. De là jusqu'aux frontières de la Nubie, on compte 3 journées de distance, par une contrée déserte. Ces oasis sont traversées par une montagne dite Alsânî, dont la cime est élevée et d'une largeur égale à celle de sa base ; dans cette montagne il y a une mine de lapis lazuli, pierre qu'on transporte en Égypte pour la travailler. C'est dans ces oasis que vit le dragon qui ne se trouve nulle part ailleurs. Les gens du pays disent qu'il est d'une grosseur si énorme, qu'on le tient pour une grande colline, et qu'il avale un veau, un mouton et même un homme ; ce monstre a la forme d'un serpent en ce qu'il marche sur le ventre, mais il a des oreilles proéminentes,  p51 des dents canines et molaires, et s'avance lentement. Il se tient dans les cavernes ou dans les sables, et tue et dévore quiconque se présente devant lui et ose l'attaquer. Dès qu'on le fait sortir de ce pays, il meurt. C'est un fait notoire et bien connu.

Quant aux oasis intérieures (al‑Wâhât ad‑Dâkhila), elles sont habitées par des Berbers et des Arabes qui ont des demeures fixes et y cultivent l'indigo en grande quantité dans les lieux arrosés. Cette substance est renommée pour sa qualité supérieure et connue sous le nom d'indigo des oasis (al‑Lawâhî). Le pays, comme la partie du district de Syène qui y est contiguë, produit aussi une espèce d'ânes aussi petits que des moutons, et tachetés de blanc et de noir. Ils ne sont pas susceptibles de servir de monture, et ils meurent inévitablement lorsqu'on les fait sortir de ce pays. Il existe dans le haut-Ça'id une variété de ces animaux qui est très maigre, mais extrêmement légère et rapide. On trouve dans les sables d'al‑Wâhât et dans le pays d'al‑Djifâr, qui en est voisin, beaucoup de serpents, qui se cachent dans le sable et qui, quand les chameaux des caravanes viennent à passer, savent s'élancer dans les litières pour attaquer les personnes qui se trouvent dedans. Leur morsure est mortelle.

Le pays d'al‑Djifâr est plus bas (c'est-à-dire : plus au nord vers la mer) que les oasis. Il est actuellement désert et inculte, mais autrefois il était très peuplé, florissant et riche. On y cultivait principalement le safran, l'indigo, le carthame et la canne à sucre. Il n'y subsiste plus que deux bourgs, l'un dit al‑Djifâr, et l'autre al‑Bahrain, entre lesquels il y a une distance de 2 journées ; ils sont entourés de dattiers et abondamment pourvus d'eau douce. D'al‑Djifâr à al‑Wâh, on compte 3 journées sans eau.

 p52  Cet al‑Wâh comprend de nos jours un grand nombre de petits villages peuplés de races mêlées, où l'on cultive l'indigo et la canne à sucre, et situés à côté de la grande montagne qui sépare l'Égypte du désert contigu au Soudan.

D'al‑Bahrain à Santarîya 4 journées.

La ville de Santarîya est petite, mais possède un minbar ; elle est peuplée de Berbers et d'Arabes de diverses tribus, à demeure fixe, et située sur les confins du Sahara, à 9 journées au sud de Lacca (Lac), qui est un port de la mer Méditerranée. L'eau que les habitants boivent provient de puits et d'un petit nombre de sources ; ils possèdent beaucoup de dattiers.

De Santarîya à la montagne de Calmarâ, où est une mine de fer de qualité excellente, on compte 4 journées. C'est par Santarîya qu'on passe pour aller, soit dans le Couwâr, soit dans le reste du Soudan, et pour se rendre à Audjala vers l'ouest, qui en est éloignée de 10 journées de marche.

C'est dans cette contrée qu'on trouve la montagne rouge, dite Badîm (Barîm), dans laquelle on a, dit‑on, taillé les deux obélisques d'Alexandrie.

La ville d'al‑Cais, située sur la rive occidentale du Nil, est ancienne et bien bâtie. On y cultive la canne à sucre en grande quantité, et diverses sortes de dattiers. La ville est très prospère.

D'al‑Cais à Dahrout, vers le nord, on compte environ 18 milles.

De la même ville à Monyat Ibni 'l‑Khacib, village charmant sur la rive orientale du Nil, entouré de jardins et de champs où l'on cultive la canne à sucre et la vigne, de belles villas et de lieux de récréation, 1 demi-journée.

 p53  De Monyat Ibni 'l‑Khacib à al‑Achmounî, belle petite ville, entourée de jardins et abondante en dattes, en blé, et en toute sortes de fruits et de céréales, bien peuplée et riche, où l'on fabrique des étoffes bien connues, 1 demi-journée ou un peu plus.

Vis-à-vis, au nord du Nil, est Boucîr, ville petite, mais entourée de cultures. On dit que c'est de là que la plupart des sorciers de Pharaon étaient originaires, et en effet on y trouve encore actuellement quelques personnes qui s'occupent de prestiges.

De Boucîr à Ancinâ,º ville ancienne, située à l'orient du Nil, entourée de beaux jardins et de lieux de récréation, riche en fruits et autres produits, et connue sous la dénomination de ville des enchanteurs, parce que ce fut de là que Pharaon fit venir ceux qu'il voulait opposer à Moïse le jour de la conférence, 6 milles. C'est à cette hauteur que se trouvent, à 2 milles de distance environ du Nil, divers petits endroits, parmi lesquels on distingue an-Nadjâsia, village très peuplé, riche en blé et en fruits ; et vis-à-vis, sur la rive occidentale du Nil, Masnâwa (ou Minsâra), village entouré de jardins et de palmiers, riche en champs cultivés et en pâturages ; puis, au-dessous d'al‑Achmounî, Takhâ, ville célèbre, où l'on fabrique des rideaux et des kisâ's de laine, qui portent le nom de la ville.

On dit que le crocodile est nuisible sur la rive d'al‑Achmounî, mais non point sur celle d'Ancina,º à cause, dit‑on, d'un talisman qui la protège.

D'Ancinaº à al‑Marâgha, petit endroit entouré de palmiers, de plantations de canne à sucre, de champs cultivés et de plusieurs jardins, sur la rive occidentale du Nil, environ 5 milles.

D'al‑Marâgha à Tizmant, sur la même rive, ville dont le territoire  p54 est couvert de jardins et de champs ensemencés, environ 5 milles.

De là à Çoul, gros village et très peuplé, où il se tient des marchés, qui abonde en dattes et autres fruits et possède diverses ressources environ 1 journée. Çoul est situé à l'embouchure du canal dit al‑Menhâ, qui aboutit à l'orient des oasis, qui sert à l'arrosage de beaucoup de terres, et d'où dérivent les canaux du Faiyoum dont nous parlerons ci-après.

Du village de Çoul à Akhmîm, ville sur la rive orientale, et à environ 2 milles du Nil, 1 journée. Akhmîm et al‑Bolaina sont deux villes qui ont à peu près le même nombre d'habitants. Il y a beaucoup de dattiers et on y cultive les cannes à sucre. A Akhmîm on voit l'édifice nommé barba, construit par le premier Hermès avant le déluge. Ce personnage avait prévu par son art que le monde devait périr dans une catastrophe ; mais il ne savait pas si ce serait par l'eau ou par le feu : il fit donc construire d'abord des édifices de terre, qui n'avait pas été exposée à l'action du feu, et le soleil ayant séché cette terre, il fit orner ces édifices de peintures et d'emblêmes scientifiques, dans la pensée que, si le monde périssait par le feu, ces édifices subsisteraient et gagneraient même en solidité, et que la postérité pourrait lire ce qu'il avait écrit. Puis il ordonna qu'on lui construisît d'une manière très solide des édifices de pierre ; il y fit représenter toutes les sciences qu'il jugeait être nécessaires aux hommes, et il dit : Si la catastrophe a lieu par les eaux, les édifices de terres seront dissous, mais ceux‑ci subsisteront, et les sciences ne périront pas. Lorsque le déluge arriva et que les eaux couvrirent la terre dont elles firent périr tous les habitants, les édifices construits de terre tombèrent en dissolution, mais ceux de pierre subsistèrent avec tout ce qu'Hermès y avait fait peindre et ils se sont conservés jusqu'à présent. C'est à eux qu'on donne le nome de barâbî. Il y en a plusieurs, comme celui  p55 d'Isnâ, celui de Dendara, mais celui d'Akhmîm est le plus solidement construit et le plus remarquable par la beauté de ses sculptures ; et, en effet, on y voit non seulement la représentation de quelques astres, mais encore celle de divers arts et artistes, et un grand nombre d'inscriptions. L'édifice est situé au milieu d'Akhmîm, comme nous l'avons dit.

Au-dessus (au midi) de l'embouchure du canal dit al‑Menhâ, et sur la rive occidentale du Nil, est la ville de Zamâkhir, remarquable par ses édifices, ses jardins, ses eaux courantes et la variété de ses productions. Elle est extrêmement jolie. De là, toujours sur la même rive et à 5 milles de distance, est la montagne d'at‑Tailamoun, qui, venant de l'ouest et divisant le pays, obstrue le cours du Nil, en sorte que les eaux ne peuvent franchir cet obstacle qu'avec des efforts impétueux, ce qui intercepte la navigation entre Miçr et Syène. Les Zamâkhiriens disent que Dahîya, la magicienne, demeurait jadis sur le sommet de cette montagne dans un château dont il ne reste que de faibles vestiges. Ils rapportèrent qu'en prononçant certaines formules elle empêchait les navires de passer sous la montagne, malgré la violence du courant qui les poussait en avant. Aujourd'hui encore le passage du Nil en cet endroit est très difficile, comme tout le monde sait.

De cette montagne à celle de Tânsif, on compte environ 2 journées. Dans le flanc de cette dernière il existe un endroit à surface unie où l'on voit une fente très étroite. C'est là qu'un certain jour de l'année se rassemblent des troupes d'oiseaux, de l'espèce dite boukîr, aquatiques  p56 et de couleur mélangée ; et, passant leur tête à travers la fente, et puis la retirant, s'envolent, jusqu'à ce que la fente se ferme sur l'un d'eux, qui, s'y trouvant pris, bat des ailes pendant quelque temps jusqu'à ce qu'il meure ; alors les autres oiseaux s'envolent pour ne revenir qu'au même jour de l'année suivante. C'est un fait très connu en Égypte et constaté dans beaucoup d'écrits.

De la montagne d'at‑Tailamoun, dont nous avons parlé, à Asiout, ville considérable et populeuse sur la rive occidentale du Nil, riche en toutes sortes de bonnes choses, ayant de beaux jardins et des terres étendues, abondant en céréales de toute espèce, belle enfin et nette, on compte 1 journée de navigation.

D'Asiout à Akhmîm, en remontant le fleuve, 1 demi-journée de navigation, et de la dernière à Kift autant, si on se sert d'un bateau à voiles.

Kift est une grande ville, située à une petite distance de la rive orientale du fleuve, peuplée d'hommes de race mélangée, entre autres de quelques familles grecques (Roum). Les habitants sont Chi'ites. On y cultive beaucoup de légumes, particulièrement des raves et des laitues dont ils recueillent la graine pour la cuire et en extraire de l'huile, avec laquelle ils fabriquent diverses sortes de savon très estimé pour sa pureté, qu'on emploie dans toute l'Égypte et qu'on exporte au loin.

De là à Couç, également à l'est du Nil, 7 milles.

Couç est une ville considéarable avec un minbar, de grands bazars et un commerce florissant. C'est un rendez‑vous pour les marchands ; l'importation et l'exportation y sont considérables ; les marchandises s'y vendent à bon prix. Les habitants boivent de l'eau du Nil. On y cultive  p57 d'excellentes légumes et beaucoup de céréales ; la viande y est grasse, belle et délicieuse. Mais à côté de tous ces avantages, l'air n'y est pas sain, le teint des habitants est pâle, et peu d'étrangers échappent aux maladies causées par l'insalubrité du climat.

De Couç à Damâmîl, belle ville de construction récente, riche en froment et autres céréales, en très bon air, sur la rive orientale, environ 7 milles. Les habitants de Damâmîl sont de races mélangées, surtout de Maghribins ; ils sont en général très hospitaliers, l'étranger y est honoré, protégé et respecté. De là à Camoula 5 milles.

Camoula est un bourg considérable, abondamment pourvu de tout ce qui contribue au bien-être de la vie. Un voyageur contemporain digne de foi rapporte que, parmi les fruits de toute espèce qu'on y recueille, il y a vu des raisins d'une beauté et d'une grosseur incomparables ; il ajoute qu'il lui prit envie d'en peser un grain qui se trouva être du poids de 12 drachmes. Il y a aussi des melons (dollâ'), diverses sortes de figues bananes d'une grosseur extraordinaire, des grenades, des coings, des poires (iddjâç), et en général des fruits de toute espèce, qui se vendent à très bas prix.

Au nord de ce bourg est une montagne courant du sud au nord jusqu'à Asiout, et qui s'appelle Borrân, où sont les trésors, dit‑on, du fils d'Achmoun, fils de Miçraïm, qui sont encore de nos jours l'objet de recherches.

De Camoula à Isnâ, sur la rive gauche du Nil, 1 journée de navigation. Isnâ est une ville des plus anciennes, bâtie par les Egyptiens (les anciens Coptes). Elle est entourée de champs labourés et de jardins délicieux ; l'aisance et la sécurité y règnent ; le raisin y est en telle abondance et d'une qualité si supérieure, qu'on le fait sécher pour le transporter ensuite dans toute l'Égypte. Il existe à Isnâ des restes curieux d'anciens édifices bâtis par les Egyptiens.

De là à Armant, sur la rive droite, belle ville également ancienne,  p58 ayant des dattiers et produisant toutes sortes de fruits excellents, d'un goût et d'une beauté incomparables, 1 journée de navigation.

D'Armant à Syène, dont nous avons parlé dans le premier climat, 1 journée de navigation.

Pour revenir au canal dérivé du Nil dont il a déjà été question, nous dirons qu'il a son origine sur la rive gauche auprès de la ville de Çoul, où il porte le nom d'al‑Menhâ, qu'il se dirige ensuite par le nord-ouest vers al‑Bahnasâ, ville florissante et bien peuplée, à 4 journées de distance de Çoul, sur la rive occidentale du canal, et à 7 fortes journées de Miçr.

C'est à al‑Bahnasâ qu'on fabrique depuis longtemps et aujourd'hui encore les tissus précieux qui tirent leur nom de celui de cette ville : des rideaux, des pièces d'étoffe (macâti') d'une splendeur royale, de grandes couvertures de tente (madhârib) et des vêtements exquis. Il y a des fabriques de particuliers et d'autres qui appartiennent à la commune. La valeur de ces tissus sert aux marchands de base pour établir le prix des étoffes précieuses. La longueur d'un rideau est de 30 aunes, plus ou moins, et le prix s'en élève à environ 200 mitscâl [d'or] la paire. On ne fabrique aucun de ces tissus, soit en laine, soit en coton, sans y inscrire le nom de la fabrique d'où il sort ; tel est l'usage dans les fabriques de particuliers aussi bien que dans celles de la commune : il est ancien et il subsiste encore de nos jours. Du reste, ces étoffes sont partout très estimées, soit pour vêtements, soit pour meubles.

Le canal descend ensuite, vers le nord, à Ahnâs, petite ville située à 2 journées de la précédente. Cette ville est très peuplée et abonde en ressources ; son territoire est fertile, les vivres y sont à bas prix, et le négoce y est considérable. De là à al‑Lâhoun 2 journées de marche,  p59 et de cette dernière ville à Dilâç, située sur la rive orientale du Nil, mais à 2 milles du fleuve, on en compte environ autant.

Dilâç est une petite ville florissante où l'on fabrique les mors de cheval qui s'appellent dilâcîya et divers ouvrages en fer. Du temps des anciens Egyptiens, elle était comptée au nombre des villes les plus considérables, mais à présent elle est petite et n'a que peu d'habitants, son territoire ayant été pillé et ravagé par les Berbers de la tribu de Lowâta et par des Arabes vagabonds.

Le canal se termine au Faiyoum, et décharge ses eaux dans le lac d'Acnâ et Tanhamat : nous en parlerons dans le troisième climat. Tarfa et Samistâ sont des châteaux et des métairies, situés à 2 milles du Nil. Ces endroits sont très peuplés ; on y cultive la canne à sucre ; on y fabrique du sucre et du candi en quantité suffisante pour en pourvoir presque toute l'Égypte.

Tout ce pays est tellement peuplé que les villes ne sont distantes l'une de l'autre que d'une journée, ou de deux au plus, et que les champs cultivés se succèdent sans interruption sur les deux rives du fleuve.

De Miçr à Syène, on compte 25 journées.


Note de Thayer :

l'homme aux deux cornes : qu'il faut comprendre symboliquement. Il est en effet représenté avec des cornes sur d'anciennes monnaies (uniquement celles de Lysimaque, après la mort d'Alexandre) ; mais le témoignage antique rapportait déjà ces cornes au symbolisme solaire : voir cette page et sa citation de Macrobe.


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Page mise à jour le  4 août 02

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