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Cette page reproduit un chapitre de

France : Été 1940

d'André Morize

publié chez
Éditions de la Maison Française, Inc.
New York,
1941

dont le texte relève du domaine public.

Cette page a fait l'objet d'une relecture soignée
et je la crois donc sans erreur.
Si toutefois vous en trouviez une,
je vous prie de me le faire savoir !

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II

 p11  I

Pièces d'identité

Tout titre donné à un livre est presque de nécessité trompeur et créateur de malentendus. Appeler ces quelques pages : « France : Été 1940 », c'est d'emblée promettre plus que je n'ai l'intention de tenir. N'étant ni historien de profession, ni spécialiste des questions militaires ou économiques, mon témoignage ne peut avoir qu'une valeur personnelle, donc limitée. N'ayant ni attaches politiques, ni rancunes à satisfaire, ni plaidoyer à prononcer, ni révélations inédites à apporter, mon propos et mon ambition doivent rester modestes. Rien dans les passages qui suivent ne prétend expliquer des mystères, ni dénoncer des trahisons. Beaucoup ont déjà construit leur vérité, et seuls leur plaisent les écrits qui leur en apportent la confirmation. D'autres ont été, ou croient  p12 avoir été, en possession de renseignements qui jettent des clartés sur tel ou tel point de l'histoire la plus tragique que ce monde ait connue : ils trouveront ces chapitres d'un médiocre intérêt. Je m'en consolerai aisément, si le lecteur de bonne foi veut bien ne trouver ici que ce que l'on a voulu y mettre : la déposition incomplète et provisoire, mais honnête et sincère, d'un témoin.

Un témoin appelé à la barre doit d'abord justifier de son identité. Cette justification est particulièrement nécessaire ici pour éviter toute interprétation erronée de son témoignage. Qu'il me soit donc permis de dire dans quelles conditions je me suis trouvé à même de voir les choses que je désire rapporter.

Le 16 août 1939, je m'embarquai sur le « Normandie », pour arriver à Paris le 22. Quelques semaines plus tôt, le 29 juillet, par décret signé du président du conseil, Édouard Daladier, mon très cher et ancien ami Jean Giraudoux avait été nommé Commissaire Général à l'Information. Après plusieurs tentatives infructueuses, le Gouvernement se préoccupait de créer un organisme chargé de centraliser tous les efforts tendant à assurer au dedans comme au  p13 dehors l'expansion des idées et de la vie françaises. Si la France avait été capable de comprendre et de réaliser ce que l'on appelle ailleurs propagande, le Commissariat Général aurait dû en avoir la responsabilité. En fait, il s'agissait de donner une forme concrète à quelques‑unes des idées que Jean Giraudoux avait magnifiquement exprimées dans Pleins pouvoirs dont l'achevé d'imprimer porte la date du 19 juillet 1939 : édition française et diffusion du livre français à l'étranger, relations avec la presse et divers organes de la radiodiffusion française, urbanisme, éducation populaire, expositions artistiques, manifestations musicales ou dramatiques, conférences et tournées théâtrales, enseignement du français à l'étranger et accueil des étudiants étrangers en France, présence en un mot de la France dans le monde, y compris la France elle‑même, tels étaient quelques-uns des problèmes dont devait se charger le Commissariat nouveau-né. Jean Giraudoux me demanda de collaborer avec lui, d'une part en qualité d'assistant immédiat dans le travail d'organisation, et d'autre part avec la responsabilité particulière de tout ce qui devait concerner l'expansion universitaire  p14 de la France. Le programme était tentant, l'œuvre à accomplir me passionnait déjà.

Dès le 23 août nous nous mettions au travail, et nous jetions les bases de cette grande œuvre pacifique de rayonnement intellectuel et spirituel. Dans un modeste petit bureau du Quai d'Orsay, sans d'ailleurs aucun moyen matériel, sans personnel et sans budget, nous nous préparions à réaliser un beau rêve.

Le réveil fut rapide et brutal. Le 26 au matin, Giraudoux me dit que la mobilisation générale apparaissait imminente, et qu'il fallait nous y préparer. L'orage approchait. On passait de « l'état de tension No. 1 » à « l'état de tension No. 2 » — et cette « tension » progressive nous menait tout droit aux irrémédiables décisions. Le Commissariat Général à l'Information, œuvre de paix, consacrée aux choses de l'esprit, allait cesser d'exister, pour se transformer en organisme de guerre. Sans changer de nom, il changeait complètement de nature : il absorbait les « Services généraux d'Information en temps de guerre », prévus par des instructions secrètes préparées par le Conseil Supérieur de la Défense nationale ;  p15 l'autorité militaire remit à Giraudoux, à qui l'on donnait la direction de ces Services, les plis et dossiers confidentiels qui contenaient l'organisation complète du nouveau Commissariat, et les noms de tous les collaborateurs et employés qui devaient en constituer le personnel. Dans une bousculade inouïe, qui déjà dénonçait une préparation insuffisante, les services s'installaient à l'Hôtel Continental, et j'y devenais l'adjoint de Jean Giraudoux. Commissaire Général.

J'ai quitté l'Hôtel Continental le 11 juin 1940, à la fin de l'après‑midi, alors que les colonnes allemandes avançaient entre Pontoise et l'Isle-Adam, que Paris était déjà presque débordé à l'est et à l'ouest. La veille au soir, du balcon de ma chambre au cinquième étage, on entendait le canon de la bataille qui menaçait Paris.

Entre temps, le Commissariat Général était devenu Ministère de l'Information, avec à sa tête L. O. Frossard, remplacé lui‑même aux derniers jours par Jean Prouvost, directeur de Paris-Soir, dont le règne éphémère finit avec le dernier cabinet Reynaud au matin du 16 juin.

Il faudra, un jour, écrire dans tous ses détails l'histoire de l'Information en France  p16 pendant la guerre, tele qu'elle s'est déroulée non seulement à l'Hôtel Continental, mais à la Présidence du Conseil et à la Direction Générale de la Radiodiffusion française. Nul n'en a parlé encore avec une réelle connaissance des hommes et des choses. Tout ce que j'ai lu sur ce sujet est inexact, incomplet ou tendancieux. Les uns y ont étalé leurs rancunes personnelles ou leurs jalousies, les autres y ont fait de la satire facile et d'ailleurs injustifiée, d'autres enfin ont montré qu'ils parlaient de ce qu'ils ne connaissaient pas. Le manque total de prévision et de préparation qui a réduit la France à opposer à la formidable machine de guerre que dirige Goebbels depuis 1933, une entreprise improvisée et mal outillée ; — l'histoire de la censure et du rôle qu'y a joué la politique ; — l'incompréhension incroyable manifestée par le haut-commandement militaire à l'égard des nécessités de l'information ; — les difficultés sans cesse opposées au travail des correspondants de guerre étrangers ; — les lenteurs désespérantes de certains organes gouvernementaux dans les questions budgétaires ; — l'opposition tantôt sournoise, tantôt bruyante des parlementaires à une organisation que Jean  p17 Giraudoux tenait noblement à maintenir à l'écart de toute politique de parti ; — les misérables manœuvres pour conserver à la radiodiffusion française une indépendance qui paralysait l'action du Commissaire Général qui aurait dû en être le maître incontesté ; — le manque de vision du gouvernement Daladier qui n'a jamais voulu comprendre que, de par la volonté de l'ennemi, information et propagande, à l'intérieur comme à l'extérieur, étaient devenues des armes de guerre aussi redoutables que les sous-marins ou les gaz asphyxiants ; — tout cela et beaucoup d'autres choses encore, il faudra un jour le mettre en pleine lumière. Mais ce n'est pas le moment, et, d'ailleurs, ce n'est pas mon but. Nous en reparlerons le jour où il sera possible de mettre de nouveau la main sur les archives et sur les documents, et où les principaux acteurs et témoins pourront en toute liberté dire ce qu'ils savent, ce qu'ils ont vu, et ce qu'ils ont souffert. De ce récit, de cette déposition, il y aura d'utiles leçons à tirer, et pour la France et pour d'autres pays.

Le 16 juin 1940, lorsque le Maréchal Pétain fut appelé par le Président de la République à succéder à Paul Reynaud, et  p18 qu'il forma son premier cabinet, le Ministère de l'Information fut supprimé. Cette disparition inattendue des services dont j'étais chargé, je l'appris par hasard, dans un bourg de la Corrèze, à Treignac, en écoutant de la rue la radio par une fenêtre ouverte. J'étais ce matin‑là en route de Moulins à Cahors, dans des conditions que je dirai, et trois jours après, je me rendis à Bordeaux, dans l'espoir de reprendre la liaison avec le gouvernement, de rendre compte de ma mission, et de savoir où nous en étions tous. C'est là, le 20 juin à onze heures du matin, que j'ai demandé à être relevé de mes fonctions. Ma mission officielle a dès lors complètement et définitivement pris fin. De ce jour, je n'ai plus été qu'un simple citoyen, libre de ses actes et de sa pensée, sans mission d'aucune sorte, sans attaches ni dépendance, et qui ne doit de comptes qu'à sa conscience, et à sa Patrie, qui est la France.

Revenu aux États-Unis, ce Français offre le récit de ce qu'il a vu en France au cours de cet été de catastrophe nationale. Si André Maurois n'avait pas donné à son récit, si précieux et si authentique, le titre simple et douloureux de « Tragédie en France »,  p19 c'est celui que j'aurais voulu donner à ces quelques pages. En les appelant « France : Été 1940 », j'en précise exactement l'intention et les limites chronologiques. Il me semble pourtant que j'aimerais leur donner un sous-titre que j'emprunterais, en le modifiant, à un livre de l'autre guerre :​a « Histoire d'une conscience libre depuis la défaite de la France. »


Note de Thayer :

a Romain Rolland, « Clérambault : histoire d'une conscience libre pendant la guerre ».


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Page mise à jour le 13 fév 21