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I

Cette page reproduit un chapitre de

France : Été 1940

d'André Morize

publié chez
Éditions de la Maison Française, Inc.
New York,
1941

dont le texte relève du domaine public.

Cette page a fait l'objet d'une relecture soignée
et je la crois donc sans erreur.
Si toutefois vous en trouviez une,
je vous prie de me le faire savoir !

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III

 p20  II

« Pour » ou « Contre » ?

Cette liberté de jugement, à l'égard des hommes et des événements que je retrouverai en évoquant mes souvenirs, je tiens à la conserver jusqu'à la dernière page. Que l'on ne cherche pas ici un pamphlet politique ou simplement un parti-pris : sans doute est‑il plus commode, et même plus profitable, de crier bien fort : « J'accuse ! », que de dire, « Je raconte, et je cherche ma vérité. » C'est pourtant à cette méthode de prudence que je préfère m'arrêter, dût‑elle parfois désappointer des lecteurs avides de sensationnalisme et de conclusions définitives.

De la minute où j'ai passé le portillon du Clipper, le 4 octobre, je crois qu'après le rituel et inoffensif « How do you do? » la question qui m'a été le plus souvent posée est ou bien : « Etes‑vous pour ou contre  p21 Vichy ? » ou bien : « Etes‑vous pour ou contre de Gaulle ? »

A ces ultimatums, formulés de cette façon brutale, j'ai toujours refusé de répondre, et je m'y refuse encore. Ces alternatives sans nuances reflètent une manière de pensée où je ne suis pas à l'aise. Ce qu'il faut chercher, c'est, dans leur complexité parfois contradictoire, les « pour » et les « contre » ; c'est le bilan de ce que l'on rejette avec colère, avec dégoût, ou avec tristesse. Rien n'est plus dangereux, au sein de la tragédie que nous vivons, que ces irréconciliables attitudes, — noir ou blanc, oui ou non. Il ne sert à rien de parler ou de prêcher en termes de totale allégeance ou de révolte irréductible. Tous ceux d'ailleurs qui ont, dès le début, cru devoir prendre des positions aussi décisives sont aujourd'hui contraints par la marche même des événements soit à reconnaître qu'ils s'étaient partiellement trompés, — ce qui est tout à leur honneur, — soit à s'entêter dans leur fanatisme ; et ils découragent des sympathies et des collaborations qui pourraient être utiles à la cause commune. Il serait, par exemple, assez curieux de constituer dès aujourd'hui une  p22 anthologie de ce qui a été dit et écrit aux États-Unis sur le Maréchal Pétain depuis le 16 juin 1940 : on pourrait constater, d'une part, des mises au point, des redressements, des conversions bien frappantes, et, d'autre part, des obstinations assez puériles, des persistances dans l'insulte ou la satire qui révèlent une certaine infirmité de méthode intellectuelle. A chaque instant, au contraire, il faut faire effort pour que rien n'entrave le fonctionnement de notre esprit critique, et de notre sens de l'équité.

« Etes‑vous pour ou contre Vichy ? » est, dans ses termes, une question qui a sa raison d'être pour un dyspeptique qui parle à son médecin de sa maladie du pylore ou du foie ; mais quand il s'agit de la grande souffrance de la France meurtrie, je demande une peu plus de nuances et de prudence.

Or, parler ici de prudence, ce n'est pas prêcher la timidité. Il ne s'agit pas de se ménager une porte de sortie, ni de s'installer dans un peu compromettant « juste milieu ». Beaucoup semblent s'y tromper. Tels Français en séjour aux États-Unis ont été assez violemment critiqués dans certains milieux parce qu'ils se refusaient à prononcer les excommunications qui leur auraient donné  p23 figure d'orthodoxes de l'« Anti-vichyisme. » On les a obligeamment accusés de ménager la chèvre et le chou, comme disent nos braves gens de France, et même de flirter avec la représentation diplomatique du gouvernement abhorré, tout en exprimant leurs vœux pour une victoire de l'Angleterre. On a trouvé dans leur attitude des motifs intéressés, et le souci de leur avenir personnel. Le plus souvent ceux que l'on a ainsi poursuivis de critiques sans bienveillance étaient précisément des hommes qui gardaient la très respectable préoccupation de ne parler que de ce qu'ils savaient, de ne juger que ce qu'ils pouvaient juger en toute connaissance de cause, et qui d'ailleurs se rendaient compte de l'immense complexité de problèmes sur lesquels des esprits prévenus ou fanatisés tranchaient sans hésitation.

Il faut aller plus loin. S'il convient, en toutes ces matières, de peser soigneusement, de distinguer, de nuancer, avant de se prononcer, c'est qu'il ne s'agit pas, tant pour les Français que pour les Américains, de questions abstraites ou académiques, ni de sujets de joutes oratoires. Il s'agit, en fait, de fonder et d'orienter toute notre action, et non seulement pour le jour qui passe ou  p24 pour le mois qui vient, mais pour très longtemps et probablement pour le reste de notre vie. Dans le grand effort que l'avenir demandera à chaque être humain capable de penser et de vouloir, chacun des actes et des gestes que nous ferons sera commandé par les jugements de valeur que nous formons de jour en jour, et c'est pourquoi il faut que nous construisions notre vérité avec infiniment de soin et de probité. Jamais le sage conseil de Descartes n'a paru d'une plus urgente vertu : « Voir clair pour bien agir. »


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Page mise à jour le 13 fév 21