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Extrait des
Souvenirs de la Marquise de Créquy de 1710 à 1803,
(Paris, Garnier Frères, s. d. — vers 1839),
Tome II, pp140‑144 :
(La future Marquise de Créquy, jeune fille, accompagne son père accrédité ambassadeur de France auprès du Saint-Siège en 1721.)
p140 Montaigne a dit avant moi combien il est fastidieux de « ramentavoir et longuement destailler les choses cognües et contenues ez livres d'histoire romaine ; » aussi ne vous ramentavoirai‑je en aucune façon les démêlés du Pape Alexandre VIII• avec Louis XIV, non plus que cette audacieuse entreprise d'insulte contre le Duc de Créquy, son ambassadeur, par des soldats de la garde pontificale, en plein jour et dans la rue du Corso. Je vous dirai seulement qu'un des pages de l'Ambassadrice, appelé M. de Polignac, avait été tué derrière son carrosse, et que ces misérables soldats avaient assailli de coups de pierre la Marquise de Créquy, belle-sœur du Duc, à sa sortie de l'église de Saint‑Louis-des‑Français.1 L'Ambassadeur de France se retira d'abord sur les terres de Naples, au pas de ses chevaux, escorté par ses gentilshommes et sa livrée, comme aussi par tous les sujets du Roi qui se trouvaient dans l'Etat romain ; mais la Duchesse et la Marquise de Créquy restèrent, avec seulement une vingtaine de domestiques, dans Rome et dans leur palais Farnèse, dont on ouvrit, pour lors, toutes les grilles et toutes les portes majeures, avec un air de fière indifférence et de sécurité méprisante, parce que le représentant, ou pour mieux dire l'envoyé du Roi très-chrétien ne s'y trouvait plus.2
L'inflexible et résolu Pontife en fut attéré. Le gouvernement romain en était paralysé de terreur. Le Duc de Créquy ne voulut écouter aucune explication, recevoir aucune excuse, aucune satisfaction personnelle.
Certains détails de cette étrange affaire n'ont pas p142 été bien rendus, ni peut-être bien connus par nos historiographes de France, car notre Ambassadeur avait commencé, comme je vous l'ai dit, par se transporter à Campoli, sous la domination du Roi d'Espagne et des Deux-Siciles ; et voici la copie de la première lettre qui fut écrite au Pape Alexandre, par le Roi notre maître, à l'occasion de cet événement. L'original en est aux archives pontificales, d'où Monseigneur Falconnieri voulut bien m'en faire avoir une transcription que je vais copier avec une attention scrupuleuse. (Les inscriptions qui précèdent la lettre du Roi sont du fait de la chancellerie romaine, et sont écrites à l'encre violette.)
Alla Santità del Beatissimo Padre
il Papa Alessandro VIIIo,• Pontefice Massimo,
Nostro Signore.
in Roma la santa.
Settima lettera di sua Maestà, il Re cristianissimo
Ludovico XIVo.
30 d'agosto. 1662. Risp. 149. XXV.
« Très Sainct Père, nostre Cousin le Duc de Créquy nous ayant fait connoistre l'attentat commis sur sa personne, le vingt aoust dernier, dans les rües de Rome, par les gardes corses de vostre Saincteté, nous avons tout aussitost mandé à nostre dit Cousin qu'il eust à sortir de vos estats, à fin que sa personne et nostre dignité n'y restent pas exposées à des actes innouïs mesme chez p143 les barbares. Nous avons égallement ordonné au Sieur Abbé de Bourlemont, Auditeur de Rote, qu'il ait à savoir de vostre Beatitude si elle a dessein de nous en proposer une satisfaction proportionnée à la grandeur de l'offense, laquelle a non seullement attaqué, mais indignement renversé et violé le droit des gens. Nous ne demanderons rien à vostre Saincteté en cette rencontre. Elle a pris une si longue habitude de nous refuser toute chose, et témoigné jusqu'icy tant d'adversion pour nostre personne et nostre couronne, que nous voulons laisser à sa seule prudence le soin de lui fournir une résollution sur laquelle la nostre se reglera : souhaitant seullement de pouvoir rester de vostre Beatitude, le très devot et révérend fils aisné,
Louis.
A Versailles, ce 30 aoust 1662.
Il est assez connu que le Souverain-Pontife envoya son neveu (de son nom), le Cardinal Fabio Chigi, avec le titre de Légat a latere, pour en demander publiquement excuse au Roi, séant sur son trône, à Versailles, On avait décimé les Corses pour la galère, et la garde corse fut licenciée à perpétuité. Enfin, pour attester la réparation d'un pareil outrage, la cour de Rome érigea dans la grande cour du Vatican une pyramide en marbre noir avec une inscription satisfaisante.a Ni M. de Créquy, ni moi, lorsque j'allai dans ce palais avant le conclave, ne voulûmes jeter les yeux du côté de cette pyramide, p144 ce qui fut équitablement apprécié par les Romains, et fort approuvé du Cardinal de Rohan. Nous savons pourtant que les Corses ne sont pas traités charitablement dans l'inscription de cette pyramide, qui les qualifie de nation toujours infâme, odieuse aux peuples, et désormais indigne de servir les Rois. Pour les Corses, avait dit Tacite, primo vindicta, secundo mentiri, tertio negare Deos.b
1 Catherine de Rougé du Plessis-Bellière. Elle nous a laissé des manuscrits dont je vous recommande la lecture. Cette relation de son voyage à Rome est écrite avec un esprit et un agrément infinis.
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2 Je ne puis jamais laisser dire qu'un Ambassadeur soit le représentant du Souverain qui l'accrédite, à moins que ce ne soit par hyperbole emphatique et manière de parler. Un Ambassadeur représente si peu le Roi son maître, à l'étranger, que ni les rois, ni les ministres, ni les particuliers d'aucun pays, n'ont jamais traité un Ambassadeur comme un Souverain. J'ai ouï dire au Chevalier de Folard que le Maréchal de Créquy avait fait arrêter et s'était fait amener un plénipotentiaire de l'Electeur de Mayence, dont on suspectait la conduite et qu'on avait trouvé dans une salle d'auberge à Strasbourg. Le plénipotentiaire se démenait comme un diable, et s'écriait qu'il était le représentant de son Altesse Electorale. — Vous représentez si mal un Archevêque, lui dit ce Maréchal à coups de boutoir, qu'on vous a trouvé dans une tabagie, et vous représentez si peu l'Electeur-Archi-Chancelier du Saint-Empire, que je vais vous faire appliquer cent coups de bâton, si vous dites un mot de plus.
a Toute cette histoire est rapportée de manière bien différente par un savant du 19s, bon catholique et fier d'être romain ! En effet, l'archéologue Rodolfo Lanciani, directeur de nombreuses fouilles dans la ville de Rome, ne dit rien ni du licenciement des Corses ni de cette pyramide (vous aurez remarqué qu'elle se trouvait toujours au Vatican en 1721) ; mais il parle des vicissitudes d'un second monument, érigé à S. Marie Majeure — et il ne manque pas de signaler qu'à sa mort Alexandre VII répudia in extenso l'accord dicté par la France : chose dont la bonne marquise ne souffle mot.
Où est la vérité ?
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b Nulle part ne dit‑il rien de la sorte.
Les images comportant des bordures conduisent à des informations supplémentaires.
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Page mise à jour le 27 mars 00