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— La voie ferrée qui nous conduira à Klaipeda, m'avait dit T…, passe à Smalininkaï, à dix kilomètres d'ici. Pour la rejoindre, c'est l'affaire de deux heures de voiture.
… Rapports imprévus de l'espace et du temps !
Mon ami ajoute avec un air d'amusante confusion :
— Je dois vous dire que la route n'est pas très bonne… c'est plutôt une piste. Même, vous excuserez la voiture… c'est plutôt une charrette. Et privée de ressorts, parce qu'aucun ne résisterait à pareils chemins.
M'ayant de la sorte averti, T… fait avancer un véhicule qui n'a rien de commun avec la caracolante troïka. Qu'on imagine une caisse à rebords très bas directement clouée sur les essieux de quatre roues grossières ; le fond de cette boîte est abondamment garnie de foin, par p155 égard, me dit‑on, pour les seigneuries que nous sommes. Comme attelage, un cheval attaché à la diable par des cordelettes, et qui ne paye pas de mine ; cependant, entre les touffes de crinière mal peignée qui lui retombent sur les yeux, luit un regard résolu d'animal prêt à vaincre toutes les difficultés semées devant ses sabots par un destin fâcheux. L'ensemble porte le nom de « voiture de messieurs », parce que jamais paysanne lithuanienne, si accoutumée qu'elle fût à la dure, n'a confié sa personne à ce redoutable équipage.
Nous commençons de cahoter cruellement à travers la ville. A peine a‑t‑on l'esprit à remarquer au passage une vieille baraque de bois, trois étages sous toit de chaume, fenêtres irrégulières clignotant au soleil : c'est, paraît‑il, l'école juive d'été. Après quoi nous nous engageons sur la route : percée de trous, semée de pierres, elle secoue comme grains au crible les imprudents qui se sont confiés à elle.
Le blanc ruban du chemin se coule entre des champs magnifiques, bornés à l'horizon par le décor des forêts, devant lesquelles des hameaux tassent leurs petites maisons brunes. La récolte qui s'apprête est fort belle. T…, à qui j'en fais la remarque, me répond :
— Notre peuple déploie un gros effort pour travailler toutes nos terres labourables représentant 46 pour 100 de notre territoire total. Actuellement, à ne citer que quatre de nos cultures principales, sachez que nous avons ensemencé p156 en seigle 542 000 hectares ; en avoine, 345 000 ; en pommes de terre, 163 000 ; en lin, 81 000. Comparés à ceux d'avant-guerre, ces chiffres accusent une progression qui, dans l'ensemble, atteint 87 100 hectares, soit un gain de plus de 9 pour 100.
— Il me semble, à voir ces épis si pleins, que le rendement à l'hectare doit être important !
— Il atteint, dans les meilleures années, pour le seigle, 1 385 kilos ; pour l'avoine, 1 350. Quant aux pommes de terre, elles rendent jusqu'à 14 000, et le lin, 1 300 pour les fibres et les graines. Je vous signale en passant que nous sommes, dans le monde civilisé, parmi les premiers producteurs de lin. La production de cette précieuse matière se monte actuellement chez nous à 80 000 tonnes, graines et fibres, dont nous envoyons 64 000 à l'étranger, ce qui représente 17,7 pour 100 de l'exportation lithuanienne.
— Quels sont, avec le lin, vos principaux chefs d'exportation ?
— Le bois, qui se chiffre par 28,8 pour 100, et les produits alimentaires, 18,98.
Les chiffres, notés par le crayon, prennent des aspects imprévus, suivant le caprice des cahots. Ceux‑ci, d'ailleurs, changent de nature, ils se font maintenant moelleux, si j'ose dire : la route, traversant une forêt, est parsemée de mares, où le cheval enfonce philosophiquement jusqu'au canon, sans souci du bercement accentué que parfois en reçoit notre esquif.
p157 La futaie, à travers laquelle nous progressons avec une sage lenteur, se montre à peu près intacte. Les coupes, rares et réduites, n'offensent pas la majesté des pins, hauts et droits comme des mâts de navire. Je m'en étonne ; T… donne la clé de l'énigme :
— Les Allemands avaient méthodiquement dévasté nos régions les plus lointaines, pensant qu'ils auraient toujours le temps de prendre ce qui était près de chez eux. La victoire de l'Entente les obligeant à repasser en hâte le tout proche Niémen, leur calcul a fait faillite.
L'ex-frontière allemande était voisine, en effet, car, à la lisière de la forêt, le cheval secoue la tête dans un frémissement d'aise, la « voiture de messieurs » roule, avec rudesse, mais sans heurts, sur une route digne de ce nom, bordée de maisons en briques. Nous voici dans la Lithuanie mineure, c'est-à‑dire sur un territoire où l'Allemagne était reine et maîtresse jusqu'en 1919.
Dans le wagon qui nous emporte à travers ce qui, pendant cinq années, fut le territoire de Memel, et qui se trouve depuis la convention du 8 mai 1924 placé sous la souveraineté de la Lithuanie, souveraineté limitée par une assez large autonomie, T… me donne quelques indications :
— Le territoire de Klaipéda est une bande longue de 150 kilomètres et large de 20 : ce sont nos confins maritimes, de première importance pour nous. Le pays est peuplé de quelque p158 142 000 habitants, pour la plupart Lithuaniens. Un groupe allemand de 30 000 âmes à peine est massé à Klaipéda : c'est le seul noyau germanique important que possède le territoire.
Cependant le petit train se coule en flânant par la plaine ; fatigué d'un effort si rude, il s'arrête à toutes les stations. Celles‑ci n'ont pas de personnel : ce sont des baraques de tôle ondulée, à deux compartiments ; l'un sert de salle d'attente, l'autre contient le téléphone à la disposition des agents de la compagnie qui accompagnent les trains, délivrant les billets en cours de route, comme il en va dans nos tramways.
La campagne, autour de la voie, est sillonnée de chemins reliant les fermes aux haltes, et que les fermiers entretiennent à leurs frais. A Pagegiaï l'express de Berlin nous recueille ; et nous voici repartis à travers un pays coupé de haies épaisses faites de sapins taillés bas. Parfois, la forêt développe ses profondeurs, sombre pineraie ourlée de bouleaux argents. Ce mélange, assez fréquent en Lithuanie, communique au paysage un charme délicat. Bientôt nous arrivons à Memel, que la Lithuanie appelle Klaipéda.
C'est, à coup sûr, une fort belle ville, aux voies larges, aux maisons cossues. Une plaque allemande, sur une maison de pierre : Société de secours aux veuves des marchands, donne à la cité un cache hanséatique, nullement démenti par le pignon pointu s'élevant au milieu p159 des façades. Et c'est d'un album de Hansi que semblent tout droit échappés ces têtes, blondes comme des pots de bière, qui nous regardent passer sans bienveillance, à travers les grosses lunettes chevauchant des nez robustes.
Les images comportant des bordures conduisent à des informations supplémentaires.
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Page mise à jour le 13 janv 25