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Je tiens à souligner au lecteur de cette page que les attitudes qui y sont exprimées, inacceptables, ne sont pas les miennes, mais celles du document source ; elles reflètent l'époque et le parcours de l'auteur.
Puisse Palanga, si quelque jour elle devient la Nice du Nord, conserver la saveur de son charme agreste ! C'est la pensée qui nous obsède en suivant vers la plage la rue de Keistutis, bordée tour à tour de jardins… et de champs. Vient ensuite un bois de pins maritimes, éclaboussé de soleil. Puis un parc où les arbres, d'essences occidentales, ombragent les pelouses fleuries allongées devant un château Louis XVI.
— L'un des domaines du comte Tiskevicius. Et maintenant, puisqu'il vous tente, voyons celui de Biruté.
Mon ami m'offre une main fraternelle, et nous voici gravissant la colline au bas de laquelle nous a laissées l'auto. Le chemin, s'enroulant autour de la butte, comme fait un ruban pour un œuf de Pâques, est singulièrement p198 escarpé. Afin de charmer l'ascension, T… raconte :
— En novembre 1413, trois ans après la célèbre victoire de Tannenberg, qui délivra enfin la Samogitie des Chevaliers teutoniques, Vytautas et son cousin Jogaïla (Jagellon) se rendirent dans cette province pour la convertir au christianisme. Les princes n'ignoraient pas que leur parole avait plus de poids sur le peuple que celle des prêtres étrangers parlant polonais ; ils expliquèrent donc eux-mêmes les dogmes de la foi chrétienne. La population cependant se montra plus difficile à convertir que dans la haute Lithuanie, malgré que le grand-duc eût fait éteindre le feu sacré et cesser les sacrifices à Perkunas.
Nous étions parvenus à une étroite plate-forme baignant dans la lumière versée à flots par le ciel et renvoyée par la mer, dont le bleu miroir rayonnait au bas de la dune, entre les fûts des pins. T… poursuivit :
— En 1416, Biruté, parvenue à la vieillesse, décida de terminer ses jours près de l'autel de la déesse qu'elle avait jadis adorée. Notre peuple ne se pénétrait que lentement des vérités chrétiennes ; une fois de plus, il s'efforça d'adapter ses coutumes religieuses à sa foi nouvelle. Ainsi, peu à peu, la vénération conduisant les Samogitiens au tombeau de la vestale Biruté se mua en un pèlerinage en l'honneur de la Vierge Marie, accueillante à ceux qui souffrent. Une chapelle lui fut élevée sur l'emplacement de p199 l'ancien temple : vous le voyez devant vous.
Nous nous approchons de cet oratoire : la porte fermée résiste à notre curiosité. Un regard à travers les vitres permet au passant d'emporter la vision familière d'une Vierge du Perpétuel Secours. On gagne le rivage par un chemin de chèvres, semé d'aiguilles de pins qui le rendent si glissant, qu'il serait impraticable si quelques racines à fleur de terre ne formaient par endroits les marches d'un escalier rudimentaire. Et voici enfin la plage, derrière vingt mètres de dunes.
Elle rappelle notre côte du Pas-de-Calais, cette longue bande de sable blanc échauffée par le soleil. La plage, dès l'abord, paraît déserte, comme la mer, comme les dunes chevelues d'herbes sèches. Et la première remarque est, devant les lames allongeant leur caresse moirée sur le sable sec :
— Tiens ! la mer est pleine !
— Elle est toujours pleine, notre Baltique. Pas de marées, à cause de sa cuvette presque close ; nos grèves ne sont mouillées que par l'eau du ciel.
Je cherche des traces de vie sur cette nappe de saphir pailletée d'or. Point de voiles ; mais, dans l'eau jusqu'aux jarrets, voici un cheval qui boit à longs traits. Ma surprise fait rire T… :
— La Baltique, par suite de son étranglement au Skager-Rack et des apports des fleuves à grand débit qu'elle reçoit, est à peine salée, sept fois moins que l'Atlantique. C'est d'ailleurs cette faible salure qui la fait prendre en glace, p200 lorsque, à température égale, l'Océan demeure libre. Notre latitude est fort heureusement assez basse pour que nous échappions à la grave complication qu'est un port inutilisable pendant les mois d'hiver.
Nous longeons la plage en causant ; mais quoi donc ? La dune s'anime. De‑ci, de-là, des formes se dressent, s'avancent. Ce sont des filles d'Ève, candides et charmantes, dans le costume de leur mère. Généralement fort bien faites, quoique de stature plus vigoureuse que délicate, elles se dirigent vers la mer. L'une laisse flotter sur ses épaules ses bruns cheveux ; elle les relèvera pour les fixer sur sa tête, d'un geste gracieux, tout en marchant. Cette autre, blonde, blanche et rose, arbore, unique vêtement, un bonnet de bain rouge et bleu, recroquevillé, chiffonné, provocant.
Au bord de l'eau, on s'attend, on se rejoint et l'on cause en formant des groupes délicieux aux yeux d'un Occidental, qui doit se tenir d'ailleurs à distance respectueuse. Avec de petits cris et de jolies mines, on entre dans l'eau fraîche, et l'on s'ébat joyeusement. Le promeneur surpris, plus encore charmé, s'avance-t‑il alors ? Sans témoigner d'aucune gêne, on le voit s'approcher, et volontiers on soutient avec lui une conversation aimable. Mais si le quidam veut prendre son kodak, on se fâche, car on est une grande dame, et la pudeur n'est pas un vain mot. Même on attendra que le passant se soit éloigné, pour quitter l'abri de l'eau et regagner p201 sans se presser la cuvette creusée dans les dunes où l'on a laissé ses vêtements. Là, avant que de les reprendre, et bien abritée du vente, on s'étendra sur le sable doux, et l'on se réchauffera en suivant d'un regard amusé les flocons argentés que la brise promène au ciel pâle…
Je risque une plaisanterie pas bien méchante, et mon cher T… s'indigne :
— En vous étonnant de ce qui nous paraît à tous si simple, ne témoignez‑vous pas, proteste-t-il, de cette sorte de perversité que la civilisation apporte souvent dans ses rapports avec la nature innocente ?
Peut-être… après tout.
L'après-midi est consacré aux pêcheurs de la Baltique. Nous les visitons chez eux, au hameau de Kunigiské. En même temps que nous arrivons, un homme revient de la mer, porteur d'un panier plein de poissons. Nous nous approchons, et voyons, si frais qu'ils sont comme vernissés, un turbot, une lotte de belle taille, des flets et des carrelets, désignés ici sous le même nom de peksnés ; des gades aux rondes nageoires voisinent avec des anguilles, de menus anchois, et voici un petit poisson, un tubé, armé d'une sorte de bec transparent… Non, ce ne sont pas tout à fait les poissons de nos côtes.
On nous invite à voir la maison, en s'excusant qu'elle ne soit pas terminée : les hommes la reconstruisent en hâte, dès qu'ils ne sont plus à la mer, car le logis a brûlé récemment, incident p202 tragique fréquent dans un pays où les demeures de bois offrent aux flammes un aliment facile. Ces désastres répétés n'affectent nullement, d'ailleurs, la population. Quatre petites fenêtres éclairent trois lits, pauvres bâtis d'où émergent de rudes couvertures ; un chromo accroche à la paroi de planches sa note internationale de fantaisie à bon marché. Sous le plafond, une tringle supporte, pendus par leurs hameçons, les cordonnets des lignes de fond.
Un vaste jardin entoure la maisonnette ; des tentatives de culture donnent de maigres résultats, car le sol n'est qu'une lande plus riche en sable qu'en terre végétale.
Sur la plagette sont tirés une dizaine de canots, sans gouvernail, ni pont, ni mâture, tous pareils avec leurs deux extrémités pointues. Ils portent à la hanche un numéro, mais point de nom, en sorte que l'esquif, qui n'est qu'un bateau à peine, semble vivre moins que chez nous, car il a moins de personnalité.
Le flot n'a déposé sur la grève aucun débris ; il n'existe, en effet, pas de coquillages dans cette région, pas de crustacés non plus ; les fonds ne présentent point les récifs nécessaires à la vie de ces animaux. De même l'absence de rochers entraîne celle des algues.
Au large, une barque est en pêche, dont le travail m'attire ; T… parlemente avec un groupe de pêcheurs, et l'affaire est vite arrangée. Nous nous approchons d'un canot ; il est calé sur le sable par des racines de pins, qui semblent des p203 bras rougeâtres, ayant gardé un geste crispé dans la mort. Plusieurs hommes accourent, et aussi une femme, aux traits agréables bien que trop tôt flétris. Comme ses compagnons, elle trousse bonnement ses vêtements jusqu'à la taille.
Mais que fait donc ce vieux, qui, lui, a sauté dans le bateau ? Il se baisse et disparaît, cependant qu'un filet d'eau, du fond de la barque, gicle sur le sable. Nous approchons… quelques gouttes encore, puis un bouchon, un vulgaire bouchon de liège s'introduit dans le trou pratiqué au fond de la quille. L'air satisfait, notre homme se redresse… Et tout à l'heure, sur la Baltique, équipage et passagers seront à la merci d'un bouchon qu'un coup de pied maladroit peut déplacer.
Tout aussitôt, nos gens commencent une manœuvre pénible ; les voilà poussant, tirant la lourde embarcation dont le contact rugueux meurtrit leur chair, car les pêcheurs agrippent le bordage pour tirer le bateau, au lieu de le haler à la corde, comme font les marinières sur les côtes de la Manche. Il n'y a ici que quelques mètres à franchir, puisque la mer ignore le reflux ; mais les rouleaux s'enfoncent dans le sable, la quille cahote et tangue, et les pauvres gens scandent leurs efforts de « hollos ! » essoufflés.
Nous enjambons le bordé, et bientôt nous flottons sur une eau transparente et verdâtre, à travers laquelle apparaissent les rides du fond p204 sablonneux. Mais nous nous éloignons, et la profondeur augmente rapidement. Pas de vagues, un clapot qui fait durement rouler notre esquif, mal appuyé par de pesantes rames jouant dans des tolets primitifs. Et voici que s'éteint là-bas, au long de la côte, la chanson des vagues sur la grève.
Cependant n'oublions pas que si nous avons embarqué, c'est pour pêcher. Nous nous dirigeons vers une bouée rudimentaire, en forme de bouteille grossière, un peu grande, qui tressaute sur l'eau non loin d'un repère porteur d'un fanion. L'un de nos compagnons détache le filin amarré à cette bouée, notre canot le prend en remorque et s'éloigne. Après un assez long parcours circulaire, nous revenons au fanion, et un autre pêcheur délie le cordeau du repère : le poisson a dû être enfermé dans le mouvement tournant du filet, maintenant on peut haler.
Les deux marins, du même geste lourdement cadencé, amènent le cordage, qu'ils lovent à mesure, chacun à ses pieds. Les brasses succèdent aux brasses, jusqu'à ce qu'apparaisse enfin le rets, sorte de senne aux parois hautes de soixante centimètres, se terminant par une poche que leste une brique. Au fond palpitent environ deux kilos de poissons plats ; les pêcheurs paraissent très satisfaits. Je m'informe de ce que peut produire le labeur de deux hommes pour une journée.
— Il faut compter, traduit T…, une quinzaine de levées de filet, rapportant ensemble p205 vingt kilos de poissons en moyenne. Plus au large, se pratique la pêche au cordeau, avec une ligne montée de huit mille hameçons appâtées de tubés coupés en morceaux. Quatre hommes la mouillent un jour ; ils se rendent généralement à une trentaine de kilomètres des côtes, et dressent pour ce voyage un mât avec sa voile. Le lendemain on relève la ligne : quand vingt pour cent des hameçons se trouvent garnis de prises, la pêche est magnifique… et c'est déjà dur à tirer.
Mon ami se doute-t‑il que, comparées à nos pêcheries françaises, je trouve celles de la Baltique peu actives ? Peut-être, car il reprend :
— Notre mer, très poissonneuse, ouvre à l'industrie des pêcheurs lithuaniens les possibilités d'une exploitation importante, qui n'avait pas encore été rationnellement organisée. Pour combler cette lacune, le gouvernement fait construire, à l'embouchure de la Sventojia, près de la frontière lettone, un port qui sera muni de tous les perfectionnements modernes. La première pierre du quai a été solennellement posée le 28 avril dernier, en présence d'une mission anglaise ayant à sa tête le professeur Simson.
En rentrant à Palanga, nous voulons voir la jetée, que jusqu'à présent nous n'avons fait qu'apercevoir de la plage. C'est une longue estacade de bois, à l'extrémité de laquelle les tempêtes, cet hiver, ont arraché de lourds madriers non remplacés encore : si les tempêtes de la p206 Baltique sont rares et courtes, elles laissent la preuve de leur violence. Au nord s'allonge la côte, dunes et grèves, mordue par la crique de Kunigiské, où nous étions tout à l'heure. Quelques kilomètres plus loin, c'est l'embouchure de la Sventojia. Au sud, après la ville dissimulée derrière les monticules hérissés d'oyats, la rive se prolonge, grave et sereine, vers Klaipéda. A la naissance de la jetée, sur pilotis, les cabines d'un établissement de bains, désert à cette heure tardive, et peu fréquenté d'ailleurs, parce que le maillot y est obligatoire. Déserte aussi la plage, déserte comme la mer, que pare le glacis mauve du couchant. Pourtant, de ce paysage indubitablement mélancolique, monte un charme étrange, prenant ; un attrait inexplicable retient le promeneur à ce rivage demeuré presque tel que l'a façonné la nature : c'est le miracle de Palanga.
Les images comportant des bordures conduisent à des informations supplémentaires.
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Page mise à jour le 13 Jan 25