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Visite à l'église de Sierijaï, construite par les Radzivill pour être un temple calviniste, voilà trois cent cinquante ans. C'est un bâtiment modeste, mais de pierre, ce qui se remarque en Lithuanie, le pays n'ayant pas de carrières. Dans le chœur même pend la cloche, qu'un large galon brodé suffit à mettre en branle ; devant l'autel un catafalque, supportant un cercueil en forme de sarcophage. Ce décor funèbre, habituel aux églises villageoises, n'est pas préparé pour un service : il rappelle aux fidèles l'idée de la mort. On le démonte pour les offices du dimanche, et dès le lundi le catafalque reprend sa place d'honneur.
Comme nous traversons la cour de la ferme avoisinant le presbytère, un puissant froufroutement d'ailes trouble la paix de cette claire matinée. Sur une cheminée dominant un toit p46 de bois, une cigogne se pose. Méditatif, se rengorgeant comme un pigeon boulant, une patte relevée et l'œil mi-clos, l'oiseau semble un philosophe, le menton dans son jabot.
— Les cigognes sont à ce point nombreuses en Lithuanie, commence T…, que lorsqu'en novembre, elles s'assemblent avant de partir pour l'Égypte, des champs, par‑ci, par-là, en sont couverts. Suivies de leur famille, elles reviennent, dès le mois de mars, au nid qu'elles ont construit, et cela avec une fidélité dont on s'est assuré en peignant les ailes de quelques‑unes. Peu après leur retour elles pondent, généralement quatre œufs, et ne veulent en tout cas pas plus de quatre petits. Quand il en éclôt cinq, le père jette le plus chétif par-dessus bord. Une autre singularité des gandras : si des hommes, par exemple pour réparer un toit, semblent attaquer un nid, plusieurs cigognes voisines, on ne sait comment alertées, surgissent à tire d'ailes pour défendre le couple qu'elles croient menacé.
Ces propos ont égayé le repas : M. le curé, haussant un flacon où rutile de l'or liquide, demande tout à coup :
— Monsieur Mauclère, vous allez me dire ce que vous pensez de ma midus. Nous donnons ce nom à la plus ancienne de nos boissons lithuaniennes, celle qu'on buvait aux festins des guerriers, du temps que notre grand-duc Ringaudas, il y a huit siècles, tenait en sa vassalité la Blanche et la Noire Russie. C'est un variété p47 de l'hydromel scandinave, à base de miel fermenté avec du houblon, additionné d'un peu d'eau. Goûtez-moi cela, vous m'en direz des nouvelles.
Cet élixir, à saveur particulière de miel et de cire, est agréable en somme.
Vite, en route ! les lacs nous attirent. Nous roulons bientôt entre deux gigantesques miroirs de cristal bleu, jetés dans la campagne en un jour de fantaisie par le dieu Perkunas ; à leur surface la course des nuages fait chatoyer, en taches violettes sans cesse déformées, les jeux prestigieux de la lumière et des ombres. Des vaguelettes griffent de leurs crêtes blanches l'eau silencieuse. En fond de décor, très loin, des dunes, des arbres, isolés ou groupés, entre lesquels se sertissent, dans l'émeraude veloutée des champs, des maisonnettes que l'éloignement rend mal distinctes, comme en un rêve à demi ébauché.
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Un gué dans la région des lacs |
Mais déjà se sont enfuis derrière nous les lacs baignés de mystère. Voici des moissons que séparent, aussi touffues, aussi éclatantes que nos ajoncs bretons, les nappes dorées du sinapis en fleurs.
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La campagne lithuanienne au moment des moissons |
De nouveau nous sommes en la forêt primitive, aux fûts trop rapprochés, aux feuillages confondus. Les arbres ont crû sans autre loi que le caprice de la nature, la discipline imposée par l'homme serait ici nécessaire.
Je n'ai pas le temps d'exprimer cette réflexion ; T…, penché sur la carte, me déclare :
— Nous arrivons à Punia.
p48 En effet, nous atteignons une butte fort escarpée, des arbres escaladent ses pentes. Au faîte de la colline, le vent règne en maître, secouant un jeune orme qui semble, de touts ses branches, envoyer des signes amicaux à la campagne creusée du vallons verdoyants. T… se découvre :
— L'arbre du Souvenir, dit‑il. Notre grand-duc Mindaugas, qui vint au pouvoir après Erdvilas, le vainqueur des Tatars, mena de 1239 à 1263 une lutte incessante contre les chevaliers teutoniques, ces étranges croisés qui pratiquaient à cœur joie, en bons Allemands qu'ils étaient déjà, le vol et le pillage, et prétendaient contraindre la Lithuanie au christianisme par leurs forfaits. Marguis était un des lieutenants de Mindaugas. Cerné par les chevaliers dans la forteresse qui dominait d'ici tout le pays ondulant à nos pieds, il opposa aux envahisseurs une résistance héroïque et désespérée. Quand toute lutte fut devenue impossible, Marguis fit dresser un bûcher, il y monta avec les soldats qui lui restaient, et les flammes du sacrifice, teignant au loin le Niémen, montrèrent à l'ennemi ce que vaut l'âme lithuanienne.a
— Il ne reste plus aucune trace du château, observai‑je.
— Les ruines ont subsisté jusqu'au dix-septième siècle. Cet arbre fut planté l'an dernier, par une de nos formations militaires, le régiment Marguis. Les hommes en creusant le sol p49 ont précisément mis au jour des armes de l'époque, et une certaine quantité de pierres disjointes. C'est ici pour nous un lieu de pélerinage sacré, pourtant il n'y demeure plus rien, que le souvenir.
Moins nationale est la station thermale de Birstonas, que nous avons visité en regagnant la capitale. Bien qu'ayant été brûlé par les Allemands, le pavillon central, récemment reconstruit, a suivi, pour sa décoration, l'inspiration munichoise. Les frises vert et noir sont sans gaieté, certaines tentures d'aspect funèbre ne doivent pas donner de folâtres pensées aux rhumatisants qui viennent demander la santé à la source de Biruté…
Visitons le parc : nous nous y retrouvons en pleine Lithuanie. Lithuaniennes, les villas de bois découpé dressant sur les pelouses leurs pignons en dentelle et leurs balcons fleuris. Lithuaniens, les bouleaux gigantesques, unissant leur feuillage clair aux ramures des sapins orgueilleux ; lithuanien aussi le Niémen au large cours nonchalant, qui, à cent mètres, dans un coude brusque, s'évade entre les collines, laissant le regret des belles choses trop vite disparues.
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Villa de bois découpé à Birstonas |
a Il y a confusion ici, soit de la part de notre auteur, soit dans le récit qui lui fut fait par son ami. De nos jours et depuis au moins le début du XIXe siècle, le mont de Punia, lieu où se sont succédées au moyen âge plusieurs fortresses, est identifié à Pilėnai, site d'une bataille qui fut livrée non à l'époque de Mindaugas († 1263) mais en 1336. Dans la légende — car il s'agit bien d'une légende, remontant à des sources fragmentaires et incertaines — le chef lithuanien est appelé Margiris (Marguis, Margis, Margalis, Merger).
Les images comportant des bordures conduisent à des informations supplémentaires.
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Page mise à jour le 13 janv 25