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Sans grâce à l'extérieur, somptueuse à l'intérieur, telle pourrait, en deux mots, être définie la cathédrale de Kaunas. Point de vitraux ; une vive clarté tombe à crue sur les fresques et les peintures décorant les piliers comme les murailles, et les met en valeur. Dix colonnes de marbre rose, à chapiteaux corinthiens, soutiennent un prestigieux retable. Entre elles, des statues, le geste véhément : apôtres, pèlerins, saintes femmes, apportent dans l'édifice la vie expressive caractéristique du rococo italien, devenu ici le baroque lithuanien. L'ensemble donne une impression chatoyante de luxe et d'allégresse, baignant dans la clarté. Cependant, la foule s'est amassée, silencieuse et ordonnée, guidée par des bedeaux, portant, sur leur costume de ville, une sorte de tablier blanc à empiècement ouvert en carré.
p73 Les rites majestueux d'une messe de Fête-Dieu se déroulent avec une solennité accrue par des chants, dont les ondes emplissent l'immense vaisseau :
— Paroles chrétiennes sur air païen, me souffle T… Vous savez que le christianisme ne s'est établi chez nous qu'avec difficulté. Pour ne pas heurter notre peuple, la clergé jugea habile d'adapter des cantiques aux chants païens populaires. Certains de ces arrangements sont venus jusqu'à nous.
Après la messe, des prêtres, portant sur la poitrine le ruban de moire blanche qui distingue les curés, organisent le défilé processionnel.
Pendant des heures, d'un reposoir à l'autre, un cortège de trente mille personnes s'est déroulé, derrière le président de la République, car le catholicisme est ici religion d'État.
— Cette journée est émouvante pour notre peuple, fit T… : la Russie interdisait toute manifestation catholique, celle-ci est donc une fête de la libération autant que de la foi.
Je regagne l'hôtel. On m'annonce Mgr Dambrauskas :
— Monsieur, fit-il, je viens vous remercier de m'avoir indiqué des ouvrages français qu'on puisse lire avec fruit. Je vais en faire venir bon nombre. La littérature de votre pays est d'une richesse qui nous effraye. Nous n'osons guère nous risquer sans guide dans cette forêt où croissent tant de fleurs, des plus salutaires aux plus vénéneuses, et toutes enchanteresses…
p74 J'assure le directeur de la Société de Saint-Casimir qu'au jardin de la France on peut réaliser une merveilleuse récolte, dont à bon droit s'enorgueillissent nos lettres. J'ai la joie de le convaincre. Il me propose :
— Êtes‑vous libre ? Je veux vous faire passer une soirée lithuanienne.
Nulle proposition ne pouvait m'être plus agréable. Au soir, nous nous rendons vers un faubourg ; le prélat me donne quelques indications :
— Il s'agit d'un banquet offert à l'Université populaire par les jeunes filles de Sainte-Zyta, association de servantes auxquelles les professeurs et étudiants de l'U. P. ont donné des cours et des conseils. Elles les en remercient une fois par an par un dîner offert dans la maison qu'elles ont acquise. Je dois me rendre à l'évêché tout à l'heure, la France présidera à ma place.
Installé devant une table qu'ornent des guirlandes de rùta et des serviettes minuscules en papier semé de fleurettes, je regarde les convives. Ils ont des têtes de travailleurs, sérieuses, presque concentrées, la plupart dénonçant une origine terrienne ; pas allemandes, à coup sûr, l'ovale n'est pas assez carré ; pas françaises non plus, il n'est pas assez allongé — lithuaniennes, et bien de cette race qui s'est fixée sur les bords de la Baltique après avoir émigré des Indes, et que Michelet qualifiait de « fille de l'ombre ».
Au dessert, tout ce monde s'anime, sous impulsion du professeur Eretas. Jadis ce professeur à l'Université de Kaunas était Suisse et s'appelait p75 Ehret. Avec beaucoup d'entrain, il met en branle cette jeunesse, garçons et filles : les voilà tous chantant d'une façon un peu appliquée, recueillie peut-être, et qui ne ressemble point à la manière de chez nous. J'admire, sans en comprendre les paroles, un chœur à deux parties. Puis le chant s'égaie, les visages s'éclairent, tout le monde est vraiment en fête.
— C'est un chant humoristique, me dit M. Ehret. Les garçons se plaignent des filles, celles‑ci répondent, et de la belle manière.
Mais nous gagnons la salle des fêtes ; devant nous les couples se forment, les danses commencent, au son des voix unies : l'orchestre en principe est banni des réunions lithuaniennes où triomphe la kanklès, luth ancien à sept ou neuf cordes, les nombres sacrés de la Lithuanie païenne. M. Ehret m'informe :
— Le thème de toutes ces danses est identique : recherche des jeunes gens pour se former en couples, accord, petite bouderie, généralement réconciliation. Mais quelle variété dans les chants comme dans les pas !
Rien de plus divers en effet que les évolutions qui, pendant deux heures, ont déroulé devant nous leurs pimpantes figures. Fixer sur le papier le détail de ces pas, de ces révérences, de ces pirouettes, de ces mines, ce serait vouloir prendre aux ailes des papillons fous… Pourtant je veux me souvenir de la klumpakoïs, polka des plus gracieuses, dans laquelle les jeunes filles, puis les jeunes gens, ayant du doigt gentiment p76 menacé leur partenaire, s'enlacent avec réserve, puis tournoient gaiement. Et voici la plus curieuse de ces danses, Puikios rozès, les belles roses.
Les jeunes filles chantent seules :
Les belles roses fleurissent joliment, Verdoient joliment ; Mon cœur s'inquiète Parce que je suis seule… |
Les danseuses, groupées au centre d'une ronde formée par les danseurs, font, entre eux, leur choix ; puis chacune chante à celui qu'elle a distingué :
Viens, gentil garçon ; Donne-moi ta douce main, Nous irons nous promener Pour chercher le bonheur. |
Une brève marche par couples suit ; mais voici qu'on se regarde sans amitié, la bonne harmonie a peu duré… la promenade cesse, on se donne la main : une première fois la droite, une seconde fois la gauche. Cela pour se dire adieu, sur ces paroles :
Adieu, adieu, gentil garçon, Il faut se quitter… Ne garde pas d'amertume, Trouve pour toi une plus gentille. |
La deuxième figure est inversée : les cavaliers cherchent leurs danseuses puis s'en éloignent. Ne voilà-t‑il pas, si la technique moderne s'en emparait, une entrée de ballet ?
Les images comportant des bordures conduisent à des informations supplémentaires.
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Page mise à jour le 13 janv 25