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Introduction : I

Cette page reproduit un chapitre de
Sous le ciel pâle de Lithuanie

de Jean Mauclère

Librairie Plon
Paris, 1926

dont le texte relève du domaine public.

Cette page a fait l'objet d'une relecture soignée
et je la crois donc sans erreur.
Si toutefois vous en trouviez une,
je vous prie de me la signaler !

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Introduction : III

 p. IX  II

L'union personnelle de la Lithuanie
et de la Pologne
(1386‑1569)

La Lithuanie tout entière protesta contre les engagements pris par Jogaïla ; le peuple révolté prit pour chef Vytautas, grand-duc d'une Lithuanie qui voulait rester indépendante.

Sous son règne, sa patrie connut un rayonnement éclatant, une prospérité sans égale. Mesurant tout le danger présenté par les hordes asiatiques, Vytautas se rendit en personne dans les steppes de la Russie méridionale, ce qui constituait à cette époque une expédition considérable ; il vainquit les Tartares dans les plaines inexplorées s'étendant au delà du Don.⁠a De ce moment date l'influence qu'exerça la Lithuanie, aux rives de la Volga sur la Horde d'Or, et en Crimée sur les Tartares. Sans doute Vytautas fut battu en 1399, sur les bords de la Vorskla, par Eudigue, général de Tamerlan ; mais vingt ans plus tard, ce même Eudigue envoyait à Vilna une ambassade chargée de riches présents, pour rechercher l'amitié du plus puissant prince de l'Europe. Tels étaient le respect et la  p. X considération dont jouissait Vytautas, qu'on le vit plusieurs fois servir d'arbitre dans les querelles des chefs tartares.

Ce fut le temps de l'apogée de la Lithuanie. Le grand-duché ne se connaissait plus de rivaux à l'est, et à l'ouest Vytautas avait écrasé les Teutoniques. Afin d'en terminer avec eux, le grand-duc, ayant réuni sous ses bannières tout le monde slave occidental, s'était trouvé, le 15 juillet 1410, à la tête d'une forte armée où fraternisaient Lithuaniens, Polonais, Russes et Tchèques. Dans un combat mémorable, à Tannenberg, il avait détruit, et pour quatre siècles, la puissance militaire allemande. Dorénavant les Lithuaniens pouvaient habiter en sécurité les maisons de bois perdues dans les forêts profondes : ces terribles voisins, qui avaient fait verser à la Lithuanie des flots de sang et de larmes, ne les troubleraient plus.

A cette époque, Vytautas dominait, directement ou par ses tributaires, de la mer Baltique au Caucase, de Palanga à Odessa, de Lemberg⁠b à Riazan, c'est-à‑dire sur la moitié de la Russie occidentale de 1914. Il pensa alors à se faire couronner roi, ce qui eût affranchi définitivement la Lithuanie de la domination polonaise. Pour régler cette grave question, et d'autres non moins sérieuses, le grand-duc réunit dans son château de Luck le légat du pape, l'empereur  p. XI Sigismond, le roi de Danemark, Jogaïla devenu Ladislas de Pologne, les envoyés de l'empereur de Constantinople et du khan des Tartares.

Les fêtes durèrent cinquante jours ; les souverains et leur suite furent somptueusement reçus. Vytautas déploya une magnificence inconnue jusqu'alors. On admira son hospitalité, on s'extasia sur sa richesse ; mais les grandes questions qui devaient être tranchées furent à peine examinées. Cependant l'empereur Sigismond promit d'envoyer à Vytautas la couronne royale. Quelques mois plus tard, les envoyés de l'empereur traversant une forêt polonaise tombèrent dans une embuscade : personne ne revit jamais la couronne destinée au grand-duc de Lithuanie.

Peu après, Vytautas mourut au manoir de Trakaï, près de Vilna (1430).

Depuis le mariage de Jogaïla, la Pologne avait multiplié les avances a ses voisins. Le patriotisme lithuanien se tenait toujours sur la défensive. Cependant, en 1413, lorsque Ladislas, par l'union de Horodlo, avait conféré à la noblesse lithuanienne les privilèges de la noblesse polonaise, les boyards de Lithuanie s'étaient rapprochés des nobles polonais, qui les admettaient à l'usage de leurs blasons. Moins de quarante ans plus tard, d'ailleurs, à l'une de ces assemblées ou Diètes solennelles, qu'au fond de leurs  p. XII forêts tenaient a cheval les seigneurs armés de pied en cap, la plupart des magnats lithuaniens, Radzivill (Radvila) en tête, renvoyèrent au roi de Pologne les écus aux somptueux émaux conférés à Horodlo.

Les Polonais s'attachèrent ensuite à gagner à leurs plans la petite noblesse, en lui accordant toutes sortes de libertés et de privilèges : mais la petite noblesse se montra aussi intransigeante que les puissants seigneurs.

Les Lithuaniens ne cessaient d'affirmer leur volonté séparatiste ; on les vit dénier aux Polonais le droit de participer à l'élection du grand-duc, et le nommer eux-mêmes, en le proclamant souverain et indépendant. Ainsi les grands-ducs de Lithuanie Zygmunt, fils de Keistutis ; Kasimir Jagellon, Alexandre Zygmunt I Jagellon, Zygmunt II Auguste.

La Pologne, hantée par la crainte de voir la Lithuanie se séparer d'elle, avait fait des concessions : lorsque les Lithuaniens avaient appelé au pouvoir Alexandre Zygmunt I Jagellon, puis Zygmunt II Auguste, les Polonais, en vue du maintien de l'union, avaient offert la couronne au nouveau grand-duc de Lithuanie.

Ce sont là des années sombres et confuses, d'où se dégage, pour celui qui veut emporter de cette période une vision brève et précise, le sentiment d'un lourd malaise pesant sur le  p. XIII pays. D'éminents patriotes lithuaniens ne cessaient de protester contre la pénible situation faite à leur patrie. Le chef le plus illustre de l'opposition lithuanienne fut, au seizième siècle, le prince Nicolas Radzivill, connu dans l'histoire sous le nom de Radvila le Noir.

La précarité du lien unissant les deux États préoccupait vivement le roi de Pologne Sigismond-Auguste (1548). Il n'avait pas d'enfants ; à sa mort risquait de se rompre définitivement l'union personnelle attachant les deux pays l'un à l'autre. La Pologne tenait trop à son alliance avec la Lithuanie pour permettre à celle‑ci de s'en évader. Sigismond-Auguste décida simplement qu'après lui la Lithuanie aurait désormais pour grand-duc le roi de Pologne élu par les deux noblesses, et quel qu'il fût.

Restait à faire admettre cette résolution aux grands seigneurs de Lithuanie ; ce fut l'objet des négociations de Lublin, qui s'ouvrirent le 10 janvier 1569. Les premières réunions de la Diète ayant révélé que toute entente serait impossible, en raison de l'attitude énergique des magnats lithuaniens, un complot fut tramé par les Polonais : on décida que Sigismond inviterait dans son château les délégués lithuaniens. Avec ceux‑ci se trouveraient les Polonais, qui leur demanderaient d'accepter l'incorporation de leur pays à la Pologne. Sigismond, grand-duc  p. XIV de Lithuanie en même temps que roi de Pologne, userait de son pouvoir grand-ducal pour contraindre les Lithuaniens à accepter cette union et à prêter serment.

Les Lithuaniens ayant eu connaissance de ces projets quittèrent Lublin pendant la nuit. Ils protestaient ainsi contre l'asservissement de leur patrie.

Les Polonais ne pardonnèrent pas aux Lithuaniens l'abandon de la Diète. Plusieurs députés décidèrent même d'imposer cette union aux Lithuaniens par la force des armes ; en attendant ils prièrent Sigismond d'annexer le pays par fragments.

On vit alors ce singulier grand-duc démembrer lui-même le territoire dont il avait fait le serment de défendre l'intégrité et la qualité d'État indépendant : en trois partages, 12 mars, 5 mai, 6 juin, la Pologne s'annexa la Podlachie, la Volhynie, la Podolie, les provinces de Kiev, soit un tiers du territoire lithuanien. Sigismond ordonna aux provinces annexées de prêter serment à la Pologne ; malgré la menace de voir leurs biens confisqués, les magnats pour la plupart refusèrent de se soumettre.

Cependant les députés voyant que malgré leur protestation, et au mépris de toute équité, Sigismond trahissait ses serments, revinrent à Lublin pour tenter encore de sauver leur pays,  p. XV en exigeant le retrait de la lettre d'alliance. Le 27 juin ils supplièrent à genoux Sigismond de rendre à la Lithuanie ses provinces et sa liberté, et de permettre que leur honneur demeurât intact, que la conscience royale restât pure. Tout fut vain. Quand le roi de Pologne leur répondit, une certaine émotion, à la vérité, se lisait sur ses traits ; mais il chercha seulement à calmer les Lithuaniens sans leur faire aucune promesse. Et quatre jours plus tard, l'alliance imposée était conclue. Jamais les compatriotes de Radvila le Noir ne devaient pardonner aux Polonais de les avoir dépouillés de leur indépendance, et de leurs provinces méridionales.

L'acte d'union stipulait que les deux peuples seraient réunis d'égal à égal. Ils auraient un seul souverain, et des chambres communes ; mais chaque pays garderait son nom, son gouvernement, ses finances, son armée, son administration personnelle. Tout cela n'était que dérision, car le nombre de Lithuaniens fut réduit dans les deux assemblées législatives, de manière à donner aux Polonais une grande majorité. Et la Pologne ne dissimula point son souci d'imposer toujours sa prépondérance, à ce point que, contre toute équité, le nom de la Pologne figurait seul dans les relations internationales.

Le pacte de Lublin enlevait à la Lithuanie une partie de son individualité politique. D'autre  p. XVI part, la proverbiale anarchie régnant en Pologne contamina une partie de la noblesse lithuanienne, à l'exception de celle de Samogitie, qui resta fidèle aux traditions des ancêtres. Le peuple fut inébranlable aussi ; malgré tout, la décadence de la Pologne devait fatalement entraîner celle de la Lithuanie.


Notes de Thayer :

a A l'époque, la Russie n'existait pas : confusion, comme si souvent au XIXe siècle et au début du XXe, avec l'ancienne Rus′ ; voir d'ailleurs la carte donnée ici par Mauclère.

Notre auteur entend donc les pays méridionaux, confinant à la mer d'Azov et la mer Noire, de ce que, à son époque, on appelait « Russie » par extension — c'est-à‑dire de l'Union soviétique : en très grande partie il s'agit en fait de l'Ukraine et de la Crimée, dont Moscou ne s'empara que 250 ans et 350 ans plus tard. La bataille de la Vorskla mentionnée plus bas par Mauclère eut lieu dans les environs de Poltava : à l'époque dans les domaines de la Horde d'Or, et de nos jours dans le cœur de l'Ukraine.

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b Nom allemand de Lviv depuis le XIVe siècle ; lithuanien Lvovas.


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Page mise à jour le 13 janv 25

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