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Le premier partage eut lieu en 1772, et coûta à la Lithuanie plusieurs de ses provinces blanc-russiennes. Si douloureuse que fût cette mutilation, elle n'était que le prélude de démembrements ultérieurs. La Lithuanie et la Pologne pressentant le sort à elles réservé par ces voisins avides, tentèrent de réaliser des réformes qui leur permissent de résister au péril. Mais les résultats obtenus, après une Diète qui ne dura pas moins de quatre années, ne purent être maintenus.
En 1793, nouveau partage, et la République unie, resserrée dans d'étroites frontières, se sentait menacée d'un troisième et définitif démembrement. La Lithuanie agonisante résolut de se confier à un citoyen digne de la dictature, et capable de défendre les libertés de ses frères. Le choix se porta sur Kosciuszko.
Lithuanien d'origine, ce grand patriote avait acquis en Amérique, auprès de Washington, la pratique de la science militaire, et en France, le goût des idées émancipatrices. Le pouvoir p. XX dictatorial, tel qu'il le conçut, trouvait son fondement et son appui dans les masses populaires : c'était la première fois qu'on osait battre en brèche la vieille constitution polonaise, tout imbue de traditions aristocratiques.
Le 24 avril 1794, l'insurrection soulevée à Vilna crée un Conseil suprême lithuanien, qui réorganise la vie publique du pays sur ces nouvelles bases. L'autorité de Kosciuszko est établie sur les deux nations. Malgré l'attitude hostile que, même à ce moment critique, les Polonais observent à l'égard d'une organisation plus autonome de la Lithuanie, le Conseil suprême lithuanien fit un large appel au peuple, et ce fut dans la vieille langue des aïeux qu'il le convia à la défense nationale.
On ne peut suivre ici en ses détails héroïques l'épopée de Kosciuszko ; disons seulement qu'il jugeait la partie égale lorsqu'il avait affaire à un ennemi cinq fois seulement plus fort que lui. Cependant le poids du nombre finit par écraser la petite phalange des patriotes, et en 1795 Catherine II publiait un manifeste annonçant l'annexion de la Lithuanie à l'empire russe.
Tilsitt fut attribué à la Prusse ; mais la Lithuanie située sur la rive droite du Niémen, c'est-à‑dire les gouvernements de Vilna et de Kaunas, ainsi que la Blanche-Russie lithuanienne, devinrent province moscovite. La Russie p. XXI supprima l'armée nationale, et décida la russification du pays, en commençant par les emplois publics. La chaîne ainsi fut étroitement serrée ; le congrès de Vienne devait en 1815 y ajouter un dernier maillon, en transférant le titre de grand-duc de Lithuanie aux tsars de Russie.
On peut compter le dix-neuvième siècle, malgré la civilisation dont se piquait l'Europe, comme la période la plus cruelle du martyre de la Lithuanie. Il fut marqué par deux révoltes, et par des répressions d'une particulière vigueur.
En novembre 1830, un soulèvement éclate en Pologne pour secouer le joug des tsars et rétablir l'union avec la Lithuanie ; la noblesse lithuanienne, entraînant les paysans, prit part au mouvement, et créa des comités révolutionnaires. La tentative échoua en peu de mois, amenant pour la Pologne la perte de ses dernières libertés, et pour la Lithuanie de cruelles mesures ; suppression de l'université de Vilna, abolition du statut judiciaire lithuanien.
Nicolas Ier ayant découvert que le clergé et les fidèles catholiques étaient parmi les plus ardents patriotes lithuaniens, une ère de persécution religieuse s'ouvrit dans la malheureuse vallée du Niémen. La flagellation était de pratique courante contre les prêtres. Nombre d'entre eux, envoyés en Sibérie, jonchèrent de leurs corps les étapes de leur martyre. D'autres furent p. XXII emprisonnés dans des cloîtres orthodoxes. Plusieurs même se virent enterrés jusqu'au cou, en attendant qu'on leur tranchât la tête avec une faux au ras du sol. Tous les habitants plus ou moins convaincus d′avoir adhéré au soulèvement furent expulsés ; pour un paysan qui se révoltait, tout le village était puni ; les Lithuaniens encadrés de cosaques prenaient alors en rangs serrés le chemin des monts Ourals… Enfin en 1840 le tsar Nicolas Ier, par un décret spécial, supprima le nom même de la Lithuanie, qui devint le Pays du Nord-Ouest.
De tels traitements ne pouvaient qu'appeler la révolte : en 1863 un nouveau soulèvement éclata en Pologne contre la Russie ; en même temps, Kalinowski, dictateur lithuanien, déclara que la Lithuanie lutterait pour sa propre liberté aux côtés de sa voisine, mais resterait toujours indépendante.
— On ne peut pas, disait‑il, remettre les destinées de la Lithuanie aux mains de la marâtre de Varsovie.
Mais une fois encore la force triompha du droit ; l'exil, la séquestration des biens, les mesures vexatoires ou odieuses, trouvèrent libre cours en Lithuanie ; enfin Moscou, pour gouverneur, envoya Mouraviev le pendeur.
Ce général, dès son arrivée, déclara que dans quarante années il n'y aurait plus ni Lithuanie p. XXIII ni Lithuaniens. Des measures d'un extrême rigueur furent prises : des garnisaires kalmoucks et tartares se chargèrent de les appliquer. Toute l'administration passa aux mains des Russes ; on ne compta plus les biens de toutes sortes qui furent confisqués. En moins de deux ans, 9 361 Lithuaniens furent condamnés à des peines diverses, allant de la déportation en Sibérie à la potence. Aux peines corporelles se joignit la persécution intellectuelle. La première mesure prise fut la défense d'imprimer. Mouraviev n'ignorait pas que la langue est l'ultime refuge des nationalités opprimées, qui trouvent en elle la force et le moyen de résister aux tentatives d'assimilation de l'étranger. Les Lithuaniens tenaient fortement à leur langue : le gouverneur s'empressa de la bannir de l'église et de l'école. Bientôt Mouraviev défendit l'emploi de l'alphabet latin, et répandit une grammaire lithuanienne en caractères russes ; des ouvrages lithuaniens écrits en ces caractères furent distribués gratuitement. Mais c'était là une faveur dérisoire, car c'était bien à la suppression de l'âme lithuanienne que devait conduire la défense d'imprimer, dans l'esprit de ses promoteurs.
Le monde civilisé vit alors ce spectacle pénible : un peuple de trois millions d'âmes, habitant le sol de ses ancêtres, et n'ayant pas p. XXIV le droit de parler sa langue maternelle. La résistance s'organise ; les écoles se vidèrent, les mères entreprirent l'instruction de leurs enfants : en s'aidant de vieux livres de prières, elles leur apprirent à lire et à écrire en lithuanien. Mais on n'emportait pas ces livres à l'église, par peur des commissaires russes, qui, pour les découvrir, fouillaient les fidèles, et punissaient ensuite les délinquants.
La passion religieuse envenima encore la situation. Pour l'orthodoxie moscovite, le catholicisme lithuanien avait toujours été un ennemi. Dans la seconde partie du dix-neuvième siècle, la persécution reparut sur la terre du Vytis ; on vit, en Samogitie, l'église de Telsiaï prise après un siège prolongé, et les gendarmes crever son toit et ses fenêtres pour empêcher que le culte y fût célébré ; on vit, à Kraziaï, plusieurs centaines de Lithuaniens défendre leur église, et les cosaques leur faire une chasse sanglante et des plus cruelles (1896).
La terre même fut disputée aux Lithuaniens. La Russie s'était emparée des biens de la Couronne, des domaines d'État et des biens des congrégations. Elle interdit à l'aristocratie l'acquisition de propriétés foncières, et limita à cinquante hectares les champs des paysans. Encore ceux‑ci devaient‑ils présenter, pour avoir le droit de les acheter, un certificat de patriotisme.
p. XXV De telles mesures appelaient une réaction. Des patriotes lithuaniens, formés dans les universités de l'étranger, se groupèrent afin de travailler au relèvement de leur peuple. Ils trouvèrent, pour des publications lithuaniennes, un asile en Allemagne. De Tilsitt, de Ragnit, partirent clandestinement des ballots d'ouvrages destinés à maintenir la flamme sacrée au cœur des opprimés.
Tout d'abord l'Allemagne vit d'un assez bon œil ce réveil, de nature à créer des difficultés à la Russie. Puis l'élan de la résurrection lithuanienne prit un si rapide essor que Bismarck s'inquiéta pour la Lithuanie prussienne. Des complications nouvelles vinrent de ce côté, à peu près dans le temps que l'avènement de Nicolas II permettait de nourrir quelques espérances. Les censeurs de Vilna autorisèrent l'impression de plusieurs ouvrages en lithuanien ; l'opposition systématique dressée contre le catholicisme connut un peu de relâchement… mais les espoirs qu'on s'était plu à concevoir demeurèrent stériles. La Lithuanie, poussée à bout, se raidit une fois encore dans ses liens.
Le 29 octobre 1905, un appel au peuple lithuanien, signé du président du comité d'organisation, docteur Basanavicius, le Père de la Renaissance lithuanienne, invitait tout Lithuanien à participer à la Diète nationale qui allait s'ouvrir p. XXVI à Vilna. Six semaines plus tard, l'assemblée réunie à l'hôtel de ville de la capitale lithuanienne, décidait de :
« Demander l'autonomie pour la Lithuanie, avec une Chambre, à Vilna, élue par le suffrage universel direct et secret.
… « La Lithuanie autonome doit être formée de la Lithuanie ethnographique actuelle, comme noyau, et des territoires voisins qui se rattachent à la Lithuanie pour des raisons économiques, sociales, politiques ou autres, et dont les habitants veulent en faire partie. »
Suivait l'énumération des moyens prévus par le peuple pour se faire rendre justice : abandon des écoles, grève de l'impôt, refus de fournir des recrues pour le service militaire. Effrayé, Fröse, gouverneur général de Vilna, promit que les revendications lithuaniennes seraient prises en considération par le gouvernement. Il autorisait dès maintenant l'usage du lithuanien dans les écoles primaires et dans les administrations communales. La liberté de la presse fut rétablie, les persécutions religieuses prirent fin. Mais on ne parla plus de l'autonomie.
Les Lithuaniens s'occupèrent activement d'utiliser les avantages obtenus, pour en conquérir d'autres. La presse se mit à l'œuvre. Trois cents volumes virent le jour chaque année, durant la période 1905‑1914 ; malgré la puissante p. XXVII réaction russe que le pays subit à ce moment, les sociétés éducatrices se multiplièrent. D'autre part les groupements nationaux prenaient une force inconnue jusqu'alors.
Ainsi le pays s'apprêtait à revivre, dans la pleine conscience de ses grandeurs passées et de ses destinées futures, quand éclata la tempête où faillit sombrer la civilisation d'Occident.
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Page mise à jour le 13 janv 25