URL courte pour cette page :
bit.ly/MAUCPLintro5


[Une grande partie de mon site vous sera inutile si vous naviguez sans les images !]
courrier :
William Thayer

[Lien à des pages d'aide]
Aide
[Lien au niveau immédiatement supérieur]
Amont

[Lien à ma page d'accueil]
Accueil
précédent :

[Lien à la page précédente]
Introduction : IV

Cette page reproduit un chapitre de
Sous le ciel pâle de Lithuanie

de Jean Mauclère

Librairie Plon
Paris, 1926

dont le texte relève du domaine public.

Cette page a fait l'objet d'une relecture soignée
et je la crois donc sans erreur.
Si toutefois vous en trouviez une,
je vous prie de me la signaler !

suivant :

[Lien à la page suivante]
Introduction : VI

 p. XXVII  V

L'ouragan de la grande guerre
(1914‑1918)

Dès le début du cataclysme, les quatorze députés lithuaniens siégeant aux doumas russes formèrent à Vilna un conseil national, pour examiner les événements et en tirer les suites qu'ils comporteraient. Il apparaissait avec une cruelle évidence que la Lithuanie serait l'un des pays où le fléau accumulerait le plus de ravages : par sa position géographique elle était appelée à servir de champ de bataille oriental, et par son état politique elle fournirait aux deux camps adverses des soldats qui seraient forcés de s'entre-tuer, et de dévaster les uns et les autres leur propre patrie.

Les prévisions les plus sombres furent tôt  p. XXVIII dépassées, en ces jours où se retrouvait mis en question le sort des mondes germain et slave. A plusieurs reprises le flux et le reflux des armées combattantes balayèrent les districts frontières, y apportant les ruines et les souffrances que connurent nos provinces du Nord et de l'Est. Dès mars 1915, le canon allemand, de Virbalis à Jurbarkas, s'attaquant aux villes, obligeait les habitants à quitter leurs demeures pour vivre dans des trous creusés en terre. Puis l'armée russe dévasta le pays en se retirant. Pour que l'ennemi trouve devant lui le vide à peu près complet, les civils mêmes, selon l'ordre du grand-duc Nicolas, furent en grande partie évacués. Et quand les Allemands arrivèrent dans ce pays ruiné, ils envoyèrent en masse, aux camps de concentration, les vieillards, les femmes, les enfants demeurés sur place.

La prise de Kaunas, 7 août 1915, et celle de Vilna, 19 septembre, livrèrent aux Allemands toute la Russie occidentale. Il ne faudrait pas croire que ces villes, dont la chute influença grandement la destinée du front russe, se laissèrent conquérir sans coup férir. Toute la région du Niémen, dont les forteresses avaient tenu les assauts germaniques en échec pendant plus d'une année, fut le théâtre de combats terribles. Puis l'Allemagne s'installa dans sa conquête. A Vilna, l'état-major de la Xe armée — général  p. XXIX von Eichhorn — chargeait un lot de herren professoren de prouver, par le journal, le livre et la conférence, que les occupants retrouvaient à chaque pas, sur les bords de la Vilija, les traces d'une ancienne civilisation germanique. Pendant ce temps, l'intendance organisait l'exploitation économique de la Lithuanie.

Cette exploitation, est‑il besoin de le dire, ne se manifestait que dans l'intérêt germanique, et non pas seulement pour faire face à des nécessités pressantes, mais avec la certitude de préparer le terrain pour l'après-guerre, l'Allemagne entendant bien demeurer définitivement, dans la paix, maîtresse des pays baltes. En attendant, pendant que l'ouragan de fer et de feu dévastait l'Europe, le peuple lithuanien, réduit par ses nouveaux maîtres à un servage lui faisant regretter le temps des Russes, fut contraint de travailler durement pour permettre à l'Allemagne de prolonger sa résistance militaire et économique. La nation souffrait d'autant plus de cet esclavage, que pendant des siècles elle avait lutté héroïquement pour ne pas tomber sous le joug des Teutoniques.

La presque totalité des vivres : animaux, graisse, fruits, etc., étant enlevés à la Lithuanie pour nourrir le peuple allemand, il arriva qu'une cruelle disette sévit sur les plaines du Niémen, dépouillés de tout au profit de l'envahisseur.  p. XXX Vilna se trouva menacée par une famine sévère, alors que sa population était déjà décimée par les épidémies.

Cependant les souffrances du peuple fortifiaient en lui le sentiment national. On se remit à appeler, en frémissant de douleur et d'espérance, une libération qui serait une aurore, une indépendance qui serait une résurrection. L'importante colonie lithuanienne des États-Unis, composée de patriotes que l'oppression russe avait jadis proscrits, prit activement en main la cause de la Lithuanie.

Dès octobre 1914 avait été tenu, à Chicago, un congrès national, avec la participation de plus de trois cents délégués. L'assemblée décida que l'État lithuanien devait être réorganisé conformément au droit qu'ont les peuples de disposer d'eux-mêmes. Un fonds national fut créé pour subvenir à tous les besoins et à tous les frais. Pour la représentation des intérêts lithuaniens, on constitua, en Amérique, un Conseil national auquel participèrent toutes les organisations lithuaniennes.

Avec espérance et fermeté, les Lithuaniens d'Amérique suivaient les événements d'Europe, et spécialement ceux de Lithuanie. Ils se disposaient à intervenir dès que l'heure leur semblerait favorable. Des conférences furent tenues à Berne (août 1915–mars 1916), d'autres à La  p. XXXI Haye. Dans toutes les circonstances, et par exemple au congrès des nationalités, tenu à Lausanne en février 1916, la voix lithuanienne se fit entendre pour réclamer, d'une formule brève et saisissante, « un peuple lithuanien libre, occupant tout le territoire national, et ayant un libre développement politique, intellectuel et économique. »

En septembre 1917, la Lithuanie occupée réunit, avec les difficultés qu'on devine, une assemblée à Vilna, et un Conseil d'État ou Taryba, composé de vingt membres, chargés de régler toutes les questions intéressant la vie nationale, complètement bouleversée par une si longue occupation.

On mesurera les obstacles auxquels se heurta la Taryba, quand on saura que ses membres n'avaient même pas le droit de sortir de Vilna. Cependant les patriotes qui la composaient parvinrent à maintenir le contact avec la nation, dont ils sentaient palpiter autour d'eux l'âme avide de liberté. Le 16 février 1918, la Taryba proclamait l'indépendance de la Lithuanie ; bientôt la victoire des Alliés devait faire passer ce geste encore symbolique dans l'ordre des choses réelles.


[HTML 4.01 valide.]

Page mise à jour le 13 janv 25

Accessibilité