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Lorsque, vers l'an 41 ou 42, une dizaine d'années après la mort du Sauveur, l'apôtre Pierre entra pour la première fois dans la ville de Rome, vraisemblablement par la Porte Capène, accompagné de quelques Juifs, « l'idolâtrie, pour parler comme le Livre des Actes à propos d'Athènes, y régnait partout ».1 On y adorait les divinités des eaux et des bois comme celles du foyer et de la patrie, celles des héros antiques comme celles des divins empereurs, celles de l'ancienne Grèce comme celles d'un plus lointain Orient, lequel y avait récemment introduit ses rites magiques et voluptueux. « Tout y était dieu, a dit Bossuet en parlant de cette p8 époque, excepté Dieu lui-même ». Et toutes ces divinités y étaient adorées dans un cadre resplendissant de richesse et de majesté souveraines. Rome, la Rome d'alors, c'est l'immortelle Cité que Claudien nous a décrite, où « l'éclat de l'or, frappant de partout les yeux éblouis, fatigue par son scintillement perpétuel les prunelles tremblantes » ; c'est la Ville Eternelle, dont le poète célèbre « les innombrables arcs de triomphe chargés des dépouilles des nations, et ces colonnes rostrales recouvertes de l'airain des navires, et ces édifices audacieux construits au sommet des collines, et ce peuple de statues qui semblent s'agiter dans les nuages », et, au milieu de ces splendeurs, « le palais des monarques, élevant au‑dessus du Forum sa tête altière, tandis qu'à ses pieds, les temples des dieux, rangés en cercle, sont là comme autant de postes avancés pour le protéger ».2
Plusieurs groupes de Juifs se sont établis dans la ville, notamment dans les quartiers de la Porte Capène, du Transtévère, de la Suburre et du Champ de Mars. Marchands, boutiquiers ou misérables mendiants, n'ayant avec les Romains d'autres rapports que ceux du commerce et de l'argent, ils se tiennent à l'écart, fidèles au culte du Dieu Unique, vivant de l'espérance messianique, pratiquant sans respect humain, malgré les ironies et les injures de la foule païenne, leurs rites traditionnels. La foi chrétienne cependant n'est pas absente des ces groupes. Elle y a été apportée par quelques‑uns de ces Juifs résidant à Rome qui, se trouvant à Jérusalem au jour de la Pentecôte, y ont été baptisés par l'apôtre Pierre, et ont fait connaître à leurs coreligionnaires la religion du Christ ressuscité. Pierre n'est donc pas un inconnu parmi eux. On l'a vu à Jérusalem parler et agir comme un chef. Pierre, c'est ce Simon, à qui le Maître, en lui imposant un nom nouveau, a dit : « Tu es la pierre sur laquelle je bâtirai mon Eglise… Pais mes agneaux pais mes brebis… Affermis tes frères ».
Les compagnons de Pierre ne tardent pas sans doute à raconter à leurs compatriotes quel a été jusque là le rôle de l'apôtre p9 qui vient leur annoncer la Bonne Nouvelle : comment Jésus, voulant se survivre en une Société qui durera jusqu'à la fin des siècles, a institué, en la personne de Pierre, une autorité suprême, qui subsistera aussi longtemps que son Eglise ; et comment Pierre a exercé sans conteste cette suprême autorité. N'est‑ce pas lui qui a donné le premier témoignage devant tout le peuple de la résurrection de Jésus-Christ, qui a pris l'initiative du remplacement de Judas par l'élection d'un nouvel apôtre, qui a ouvert le premier les portes de l'Eglise aux Gentils ? Ils leur rappellent sans doute aussi la fière réponse donnée par Pierre au Sanhédrin, au nom de tous les disciples du Christ : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes ».
Si l'on s'en rapporte aux vieux documents et aux plus anciennes traditions, celui qui vient d'exercer une telle autorité, celui dont l'emprisonnement a naguère mis en prière l'Eglise entière, celui que l'Eglise honorera comme le premier des Papes, a la physionomie, l'attitude et les manières très ordinaires d'un homme du peuple, auxquelles se joint pourtant un air d'intelligence, de franchise et de bonté.
Suivant une conjecture très vraisemblable, l'apôtre Pierre s'établit d'abord dans une de ces sombres ruelles où s'entassent les Juifs du Transtévère. Plus tard il acceptera l'hospitalité d'une famille de condition plus élevée, chez Aquila et Priscille. Son apostolat n'a rien d'éclatant extérieurement. Il lui faut conquérir patiemment les âmes une à une, en des entretiens familiers, en prêchant, d'exemple plus que de paroles, « cette charité douce et humble, cette amitié de frère » dont il parlera dans sa première Epître.3 Cet apostolat béni de Dieu déborde bientôt le monde des juiveries ; il atteint un certain nombre d'âmes païennes, d'abord parmi ces groupes d'Orientaux que la communauté de race rapproche des Juifs, puis parmi la haute aristocratie romaine, dont certains membres fréquentent les riches boutiques de p10 quelques marchands israëlites. Une respectable tradition veut même que saint Pierre ait habité, pendant ses dernières années, la demeure du sénateur Pudens, converti par lui à la religion du Christ. Dans ce centre aristocratique, Vicus Patricius, il aurait, par l'entremise de certains affranchis juifs, fait pénétrer le christianisme dans plusieurs familles patriciennes.
Quoi qu'il en soit, la religion chrétienne fait à Rome des progrès très rapides. Vingt ou trente ans après l'arrivée de l'apôtre, elle se recrute parmi les familles impériales et consulaires. En l'an 58, saint Paul écrit aux fidèles de Rome : « Votre foi, ô Romains, est connue dans tout l'Univers ». Tacite, racontant la persécution de Néron, en 64, parle d'une immense multitude, ingens multitudo, de chrétiens, et saint Ignace d'Antioche, dans son Epître aux Romains, écrite au début du second siècle, déclare s'adresser à « l'Eglise sainte et illuminée… qui préside à la charité… qui préside dans le pays des Romains ».4
Il serait aussi puéril de se représenter le premier Pape porté sur une sedia gestatoria, au milieu des flabelli, que de se figurer le roi Mérovée siégeant sur un trône avec l'entourage et le cérémonial en usage à la cour de Louis XIV. Le premier des souverains Pontifes ne se distingue aucunement par son costume des fidèles et des prêtres qui l'entourent. Le nom de Pape ne sera réservé exclusivement à ses successeurs qu'au VIe siècle. L'évêque, l'épiscopos de Rome, durant les deux premiers siècles, vivra, comme les chefs des autres Eglises, sur un fonds commun, avec les pauvres.5 Chaque Eglise particulière, en p11 effet, va, peu à peu, se constituer, avec les dons des fidèles, un patrimoine ecclésiastique, dont il sera fait trois parts : pour les besoins du culte, pour l'entretien du clergé et pour les pauvres.
Dans ses fonctions religieuses, l'évêque de Rome ne se distingue pas des autres évêques. Au début, les réunions des fidèles seront faites dans les synagogues ; mais bientôt elles ont lieu dans des maisons particulières, chez Aquila et Priscille, ensuite peut-être chez Pudens. Le Pontife célèbre les Saints Mystères entouré de ce Presbyterium, de cette couronne de prêtres, qui sont, avec lui, ministres du Saint Sacrifice, et dont parlent saint Ignace et le Liber Pontificalis.6 Alors se déroule la série des rites que nous suggèrent les plus anciennes « anaphores, » et que décrira, au milieu du second siècle, saint Justin : une lecture des Livres Saints, peut-être suivie d'une exhortation aux fidèles, des actions de grâces rendues à Dieu par toute l'assistance, la bénédiction des offrandes faites par les fidèles, un très court récit de la Cène, avec changement du pain et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ, le baiser de paix en signe de fraternité chrétienne et finalement une quête pour les pauvres.7 Pour les baptêmes, les confirmations et l'instruction catéchistique, le chef de l'Eglise de Rome se rend hors de la Ville, dans la crypte funéraire d'un cimetière appartenant à un riche chrétien. De très anciens auteurs désignent, comme lieu de ces ministères, le Cimetière Ostrien, sur la voie Nomentane, dans la banlieue septentrionale de Rome. Là, disent‑ils, se trouvait « le siège où siégea Pierre, » « l'endroit où Pierre baptisa ».8
Mais cet évêque de Rome, que rien, dans les apparences extérieures, ne distingue des autres évêques, exerce en réalité sur toute l'Eglise une autorité incontestée. Dans les deux p12 Epîtres de lui qui nous sont parvenues, on remarque un ton particulier de commandement. Pour désigner le groupe des Pasteurs, saint Luc dira : « Pierre et les apôtres ». Dans les récits évangéliques, où les noms des douze apôtres sont souvent intervertis, Pierre sera toujours nommé le premier. C'est lui qui, accompagné de Jean, va en Samarie imposer les mains aux convertis qui ont été baptisés par le diacre Philippe. C'est lui qui prononce contre Simon le Magicien une redoutable malédiction. Quand saint Paul entreprend, dans son Epître aux Galates, de justifier ses droits d'apôtre, il ne se contente pas de dire que Dieu l'a appelé directement à l'apostolat, il croit devoir ajouter qu'il est allé à Jérusalem se présenter devant Céphas, déclaration d'autant plus significative que l'évêque de Jérusalem est Jacques le Mineur, et non Pierre. Dans les passages mêmes de la Première Epître aux Corinthiens et de l'Epître aux Galates, où saint Paul rappelle un désaccord, d'ailleurs purement disciplinaire, avec saint Pierre, un examen attentif du texte et du contexte montre que Pierre est indubitablement considéré par l'auteur de la lettre et par ses destinataires comme jouissant d'une autorité exceptionnelle dans l'Eglise du Christ.9
Saint Pierre ne se révèle pas seulement, dès le début, comme le chef de la discipline, il s'affirme, en enseignant les vérités fondamentales du christianisme et en les déclarant essentielles à la profession de foi du chrétien, comme le docteur infaillible de la foi.
Dans ses Epîtres, saint Pierre, on l'a souvent remarqué, s'applique à faire reposer les admirables préceptes de vie morale qu'il inculque aux fidèles, sur une doctrine dogmatique p13 solide et précise. Pour lui, « Jésus, déjà prédestiné avant la création du monde » est le « Fils bien-aimé de Dieu ». La première Personne de la Trinité est appelée, par rapport à lui, « Dieu le Père, » ou « Le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ ». Il proclame très ouvertement la divinité de Jésus, le représente assis à la droite de Dieu, le mentionne, à côté du Père et du Saint-Esprit, comme leur égal, et lui attribue une sainteté parfaite. Pour le Prince des apôtres, comme pour saint Paul, la mort du Christ possède une valeur expiatoire proprement dite.10 Or, tout cela, suivant un historien que l′on n'a jamais accusé de majorer le dogme de l'Eglise des premiers siècles, Mgr Duchesne, « tout cela, c'est la Trinité chrétienne, non sans doute à l'état de formulation qu'elle atteindra plus tard et que l'on opposera à des hérésies passagères, mais à l'état où elle pénètre la conscience commune des chrétiens et réclame l'adhésion de leur foi. Le comun des chrétiens, au premier siecle, au temps même des apôtres, en est, sur ceci, au même point que le commun des chrétiens d'à présent ».11 Disons plus : tout cela, ce n'est pas seulement le dogme de la Trinité, c'est le dogme de l'Incarnation, c'est le dogme de la Rédemption.
On ne sera point étonné que de pareils témoignages aient arraché au célèbre historien protestant Adolphe Harnack l'aveu suivant : « Que Romain égale catholique, je l'ai déjà exposé, en qualité d'historien protestant, il y a vingt-deux ans, dans mon Manuel d'Histoire des dogmes, avec certaines réserves. Mais depuis lors cette thèse a été accentuée, et des historiens protestants ne seront plus choqués de cette proposition, à savoir, que des éléments capitaux du catholicisme remontent p14 jusqu'à l'âge apostolique… Ainsi paraît se former l'anneau, ainsi triomphe12 la conception que les catholiques se font de cette histoire ». Il est vrai que, quelques lignes plus loin, le savant allemand croit pouvoir signaler l'existence « d'un fossé entre Jésus et les apôtres ». Mais, qu'on veuille bien considérer que, du point de vue de la doctrine, l'enseignement de saint Pierre est identique à celui que donne simultanément saint Paul, à celui que prêchent en même temps les autres apôtres, à celui qui sera bientôt consigné dans les Evangiles ; par ailleurs, du point de vue de la discipline, la hiérarchie primitive de l'Eglise, constituée par des évêques, des prêtres et des laïques, rangés autour d'un Chef Suprême, reproduit exactement celle qui a groupé autour de Jésus des apôtres, des disciples et de fidèles auditeurs. On ne peut donc que constater, entre la période de la vie publique du Christ et la période dite apostolique, la plus parfaite continuité. »
Elle n'est donc pas exagérée l'application faite à l'apôtre saint Pierre de cette parole, que « jamais pied d'homme n'a imprimé sur un sol une plus forte trace ». Bientôt, dans son aspect extérieur lui-même, la « Rome des Césars » va devenir la « Rome de Pierre ». Quand le premier Pape aura scellé de son sang sa divine mission, les pèlerinages ne cesseront plus à son tombeau. Des témoignages authentiques du commencement du second siècle nous apprennent que la « Confession » de Pierre au Vatican, la « Chaire de Pierre » sur la Voie Nomentane, sont l'objet d'honneurs exceptionnels.13 Des objets artistiques, de plus en plus nombreux, peintures, sculptures, vases dorés, sarcophages, offriront l'image de Pierre, souvent avec son nom.14 Désormais, suivant une juste p15 remarque, d'autant plus frappante qu'elle émane d'un écrivain étranger à notre foi, M. Jean Carrère, « quelles que puissent être les vicissitudes et les tribulations de l'Eglise à travers les orages de l'histoire, quel que puisse être le tempérament particulier de chaque Pape, l'Eglise ne cessera jamais d'être la suite de Pierre, le Pontife de Rome ne cessera jamais de représenter, aux heures décisives, l'idéal que le pêcheur galiléen portait avec lui. Or, cet idéal, quel était‑il ? Quel est‑il encore ? Exactement et absolument le contraire de celui que représentait l'empire romain ».15 Au fond, l'histoire de l'Eglise sera‑t‑elle autre chose qu'une lutte sans trêve contre un paganisme sans cesse renaissant ? « Oui, s'écrie saint Jean Chrysostome, c'est à Rome qu'il fallait écraser le paganisme, avec sa philosophie, ses idoles et sa formidable puissance. Pierre, avec plus de hardiesse qu'au jour où il marcha sur les flots agités, est allé planter là, au milieu des remparts de la Ville Eternelle, le Signe de la Croix ».
Le paganisme n'a pas attendu les manifestations cultuelles que nous venons de rappeler, pour se soulever, de toutes ses forces, contre son mortel ennemi. Vers l'an 67, saint Pierre et saint Paul sont mis à mort, et, à partir de ce moment, pendant trois siècles, toutes les ressources dont l'esprit païen dispose : la puissance formidable de l'empire romain, celle d'une philosophie rompue au sophisme, et les attraits prestigieux d'une civilisation corrompue, seront mises à profit pour étouffer dans son sein l'Eglise naissante. Pendant cette terrible tourmente, la Papauté va‑t‑elle sombrer ? Elle ne fera que s'affermir. La tradition a fait de chacun des Papes de cette période un p16 martyr ;16 c'est sous ce titre que la liturgie les invoque ; et, si l'histoire nous apprend qu'ils n'ont pas tous versé leur sang pour la foi, et que ce titre doit être pris dans un sens large, elle nous prouve, du moins, qu'ils ont tous défendu l'Eglise au péril de leur vie, et qu'à ce point de vue, leur primauté dans la juridiction a été glorieusement confirmée par leur primauté dans le martyre. D'autre part, les hérésies amèneront les chefs de l'Eglise à préciser les formules de ses dogmes ; les schismes pousseront les fidèles à se grouper plus étroitement autour de leurs évêques ; et ceux‑ci, dans les fréquentes controverses et incertitudes de ces temps troublés, recourront au Pontife Suprême. De la grande épreuve, la Papauté sortira providentiellement grandie et fortifiée.
Pendant ces trois siècles, sans doute une menace perpétuelle de mort oblige l'Eglise à se cacher. Elle est réduite à dérober aux regards des profanes les signes extérieurs de sa hiérarchie, comme ceux de ses sacrements. Pendant ces trois siècles, on voit toute une population, dont le nombre augmente chaque jour, passer indifférente devant les temples antiques et les splendides monuments de la Rome païenne, pour aller s'enfoncer dans des cimetières souterrains, afin d'y célébrer les Saints Mystères. C'est l'âge des catacombes.
Mais là, dans ces catacombes, le Pape retrouve le plein exercice de son autorité suprême. Ancien esclave ou ancien affranchi, comme le furent peut-être les deux premiers successeurs de saint Pierre, ou issu de race patricienne, comme saint Clément, le chef de l'Eglise de Rome pontifie, entouré de prêtres, qui préludent déjà à la future curie pontificale ; car ils peuvent recevoir de lui une délégation de pouvoirs sur l'Eglise universelle ; on verra, en effet, au IIIe siècle, après la mort de saint Fabien, pendant la vacance du Saint-Siège, ces prêtres de l'Eglise romaine écrire à saint Cyprien, au sujet des apostats ou lapsi, des recommandations que l'évêque de Carthage recevra avec une respectueuse déférence.17 p17 Les restes des Papes défunts sont réunis dans une crypte spéciale, sur la Voie Appienne, auprès des reliques du Pape saint Xyste, décapité dans la catacombe même, au moment où il célébrait les Saints Mystères ; et l'on appellera cette crypte le Cimetière, comme s'il était le seul de Rome, en réalité parce que, après la crypte du Vatican, où le premier Pape a été enterré, il n'y a pas, pour les Chrétiens, de cimetière plus vénérable.18
Nous verrons, dans la suite de cet exposé, ces Pontifes de Rome appelés à intervenir dans tous les conflits qui s'élèveront parmi les fidèles ou le clergé, en Orient comme en Occident. Des hérétiques essayeront d'appuyer leurs erreurs sur leur autorité ; des récalcitrants les accuseront d'abuser de leurs pouvoirs, mais n'oseront pas en mettre en doute la légitimité. Au cours de vives controverses, des hommes d'un génie supérieur tenteront de faire prévaloir leurs doctrines, mais jamais, ni un Cyprien, ni un Firmilien, ni un Denys d'Alexandrie, n'oseront parler avec autorité à toute l'Eglise. Le Docteur discute, l'évêque de Rome, seul, tranche les difficultés. A la fin du IIe siècle, Denys de Corinthe donne la vraie formule de cette souveraineté de l'Eglise de Rome, lorsqu'il écrit au Pape : « Depuis le commencement vous avez donné toutes sortes de secours à tous les Frères, dans toutes les Eglises, à chaque ville… C'est vous qui gardez les traditions que nous ont laissées nos pères ».19
Les empereurs eux-mêmes finissent par être obligés de reconnaître, au moins comme un fait, l'autorité du Chef de p18 l'Eglise de Rome sur tous les chrétiens. A la fin du second siècle, sous l'empereur Commode, le Pape saint Victor est mandé au palais impérial, à l'effet de transmettre au Procurateur de Sardaigne des Lettres de grâce pour un pretre condamné aux mines.20 Au cours du IIIe siècle, sous Philippe l'Arabe, l'Eglise paraît bien être considérée comme une institution, dont le chef est parfaitement reconnu ; c'est avec lui que traitent les pouvoirs publics à propos de la propriété des « associations funéraires ». Enfin il est impossible de ne pas voir une reconnaissance officielle de la Papauté dans un décret de l'empereur Aurélien, daté de 272, ayant pour objet de faire restituer des biens litigieux à ceux des chrétiens d'Antioche « qui sont en communion avec l'évêque de Rome ».21
Encore un pas, et l'Eglise et l'Etat traiteront de puissance à puissance. Ce pas est franchi par Dioclétien, lorsque, au début de son règne, il accorde aux chrétiens la liberté complète de leur culte. Les Papes, avec un empressement d'autant plus justifié qu'ils prévoient des persécutions prochaines, profitent de la liberté qui leur est accordée pour faire de grands travaux dans les catacombes. C'est alors que l'architecture de ces constructions se transforme. Les chambres funéraires s'agrandissent et prennent l'aspect de petites basiliques. L'histoire ne nous a conservé aucun détail sur les artistes chrétiens qui les ont ornées. « N'ayant pour but de leurs travaux que la gloire de Dieu et l'édification de leurs frères, l'art ne fut pour eux qu'une belle forme de leur charité ».22 Tous les arts chrétiens, la peinture et l'architecture, ainsi que la musique et que la poésie des premières hymnes, sont nées du sein des catacombes. L'art païen, empreint de tant de sensualisme, avait sans doute besoin de ce baptême sévère. Peintures naïves, sculptures grossières, qui ne valaient que par les idées surnaturelles de pureté, de joie de l'âme, d'espoir en Dieu, qu'elles avaient p19 pour but d'inspirer ! Mais ces idées, où les premiers chrétiens ont trouvé leurs plus grandes consolations et leurs plus grands réconforts, sont celles qui, un jour, donneront à l'art antique purifié une splendeur inconnue jusqu'alors, une grandeur simple et noble qui le rajeunira. La beauté de la Rome chrétienne est encore sous terre, mais elle en surgira un jour. « Lorsque, écrit Louis Veuillot, remontant au jour, du sol extérieur des catacombes, on contemple Rome, ses ruines et ses dômes, et l'imposante masse de Saint-Pierre que couronne la croix, on songe aux hypothèses des géologues sur les effets du feu central. Ce volcan des catacombes, ce feu divin a produit des affaissements et des soulèvements ; les fiertés du Capitole et du Palatin se sont affaissées et enfoncées sous l'herbe, et cette montagne éternelle du Vatican a surgi, portant dans le ciel la croix qui domine le monde ».23
Après ce que nous venons de constater, il est facile de voir combien il est peu exact de prétendre, comme on a osé le faire si souvent à la suite de Voltaire,24 que la Papauté a tenu tout son prestige de la protection de l'empereur Constantin. D'une part, la substitution du christianisme au paganisme était dans la force des choses, les temps étaient mûrs, et l'Eglise s'était déjà imposée au respect de l'opinion publique par les bienfaits de ses institutions, par la pureté de ses dogmes et par les vertus de ses fidèles ; et, d'autre part, le chef de cette Eglise était manifestement l'évêque de Rome, le successeur de l'apôtre Pierre, le Pape. C'est avec lui, et avec nul autre, que les empereurs eux-mêmes ont dû traiter quand, forcés p20 par les circonstances, ils ont eu à réglementer dans un sens moins hostile l'exercice de la religion chrétienne. Il n'en est pas moins vrai que la victoire du Pont-Milvius, la conversion de Constantin qui en est la conséquence, et l'Edit de Milan, qui couronne ces deux faits, inaugurent pour la Papauté une ère nouvelle. La « liberté pleine et définitive, accordée aux Chrétiens par l'Edit de 313, de pratiquer leur religion », permet désormais au Souverain Pontife de donner à l'organisation de l'Eglise un développement nouveau.
Tout d'abord, Constantin cède au Pape Sylvestre le magnifique palais du Latran. Ce superbe édifice avait été confisqué, dit‑on, par Néron à la riche famille des Laterani. Le Chef de l'Eglise s'installe dans ces appartements où, naguère, l'impératrice Fausta, fille de Maximien Hercule, a rêvé la ruine de la religion chrétienne ; et c'est à côté de ce palais, résidence habituelle des Papes jusqu'à la fin du moyen âge, que s'élèvera la Basilique Constantinienne, « Mère de toutes les églises ». Dédiée d'abord au Christ Sauveur, elle prendra, au Xe siècle, le titre de Saint-Jean Baptiste. Il faut lire dans le Liber Pontificalis les merveilles d'art accumulées dans ce temple. L'or, le porphyre, les pierres précieuses les plus rares, naguère prodigués à glorifier toutes les passions, servent maintenant à la gloire du Christ. Un cadre merveilleux de temples sacrés vient bientôt s'ajouter à cette magnificence. Les édifices primitifs des Sept Eglises, pieusement visités par les pèlerins, la plupart des grandes basiliques, sont d'origine constantinienne. Les églises de Saint-Paul sur la voie d'Ostie, de Sainte-Agnès de Jérusalem, de Sainte-Agnès, de Saint-Laurent, des Saints-Marcellin et Pierre sur la voie Labicane, sont également de cette époque. Les successeurs de Constantin suivent son exemple. Le Pape Marc dédie une église à son patron, le Pape Jules construit celle des Saints-Apôtres et de Sainte-Marie du Transtévère, et le Pape Libère, au cours de son pontificat si agité, élève sur le mont Esquilin une toute petite église, qui sera un jour la grande et somptueuse basilique de Sainte-Marie-Majeure.
p21 Le Pape saint Damase continue la tradition. Il bâtit, sur l'emplacement de sa maison paternelle, près du théâtre de Pompée, la basilique de Saint-Laurent ; mais il s'occupe surtout des catacombes, où affluent les pèlerins. Il les orne de peintures et de marbres précieux, il restaure les tombes des martyrs. Il en est aussi le poète. Ses petits poèmes, gravés sur le marbre, en caractères souples et majestueux, sont des monuments d'art et de littérature. Un des plus touchants est celui qu'il a placé dans la crypte des Papes, où il déclare ne point vouloir qu'on l'enterre lui-même. « Je craindrais, dit‑il, de troubler la cendre des saints ».
La ravissante mosaïque absidale de Sainte-Pudentienne, construite sous le pontificat du Pape Sirice, vers le déclin du IVe siècle, nous reste comme un des plus parfaits chefs-d'œuvre de l'art chrétien de cette époque. Un monument non moins admirable de ce temps est la nouvelle basilique de Saint-Paul, bâtie sous le même pontificat, la plus grande église de la Chrétienté jusqu'à la construction de celle de Saint-Pierre, et qui a subsisté à peu près intacte jusqu'au terrible incendie de 1823.
Bref, au commencement du Ve siècle, le peuple chrétien de Rome, vivant naguère comme isolé au milieu de statues païennes et de symboles offensants pour sa foi, voit enfin se dresser, de tous côtés, des temples rayonnants de jeunesse et de pureté.
Mais le début du Ve siècle, c'est l'époque où, de Rome, l'on entend déjà le bruit des pas des Barbares. Que vont devenir tant de trésors ? En 410, les troupes d'Alaric se précipitent sur la Ville Eternelle, et, pendant dix jours, massacrent, pillent et brûlent palais, temples et maisons privées. Cependant, ô miracle ! les monuments chrétiens sont tous respectés. « Je suis venu faire la guerre aux hommes, non aux apôtres » dit le terrible p22 chef des Wisigoths. Et le peuple bénit saint Pierre, qui a sauvé sa Cité. Un demi-siècle plus tard, en 452, un successeur de saint Pierre, le Pape saint Léon III, arrête sous les murs de Rome celui qui se proclame la terreur des hommes et le fléau de Dieu. Attila, derrière le Pontife, discerne saint Pierre, et rebrousse chemin. D'autres Barbares seront moins respectueux ; mais un Barbare, l'Ostrogoth Théodoric, au VIe siècle, secondera le Pape Symmaque, le grand Pontife, dont les multiples travaux de construction, de restauration et d'embellissement donneront à la Rome chrétienne des temps antiques son dernier achèvement.
Les Barbares ne sont pas, pour la Papauté, le seul danger. Il en est un autre qui menace plus directement le Chef de l'Eglise, car il s'attaque à l'exercice de son autorité ; et ce danger lui vient des empereurs eux-mêmes, des successeurs de Constantin.
Nous les verrons favoriser et, au besoin, susciter des schismes et des hérésies, essayer de gagner à leur cause le haut et bas clergé, opposer audacieusement Byzance à Rome. Mais nous n'avons à nous occuper ici que des attentats commis contre la Papauté.
La loi de l'élection des Papes, pendant toute la période antique est très nette : l'évêque de Rome est élu, comme tous les autres évêques, par les suffrages du peuple, avec l'assentiment indispensable des évêques de la province et du métropolitain, universæ fraternitatis suffragio et episcoporum judicio, dit saint Cyprien.25 Le canon 6 du Concile de Nicée insiste sur la nécessaire condition du consentement du métropolitain. Or, les empereurs ne résistent pas à la tentation de s'immiscer dans les élections pontificales. En 418, l'empereur Honorius prétend avoir le droit d'intervenir dans les opérations électorales contestées ; il va même jusqu'à légiférer sur la matière et déclarer la nullité de toute élection qui n'aura pas été faite à l'unanimité des suffrages. Qu'un Pape, comme Libère, au p23 milieu du IVe siècle, se montre réfractaire aux volontés du souverain, l'empereur Constance, par l'exil, l'isolement de ses conseillers et les agissements d'un courtisan, lui arrache une souscription à une formule équivoque. Qu'un autre, tel que saint Martin, se montre incorruptible, Constant II le condamne à la déportation en Chersonèse, où il meurt martyr des mauvais traitements qui lui sont infligés. Ce même empereur va jusqu'à décréter qu'une élection de Pape ne sera pas regardée par lui comme valide, si le nouvel élu refuse de souscrire à une profession de foi réglée par l'autorité impériale.
Mais toutes ces interventions ne font que mettre en lumière et raffermir l'autorité pontificale. Non seulement Libère se rétracte dès qu'il a compris l'interprétation abusive qu'on a donnée à sa signature, mais le peuple, montrant bien qu'il ne confond pas une défaillance passagère, déterminée par la violence, avec l'indéfectibilité de la papauté, qui reste entière, l'acclame à son retour d'exil. Le Pape Martin, mort exilé, est aussitôt vénéré comme un saint. Les Papes, le clergé et les fidèles passent outre à toutes les prescriptions impériales relatives aux élections pontificales, et l'Eglise entière souscrit à ces paroles adressées par le Pape Gélase à l'empereur Anastase : « La confession du Siège apostolique ne saurait subir le contact d'aucune erreur ». Et la conclusion de tant de démêlés et de tant de luttes est la souscription faite, en 519, par le patriarche de Constantinople comme par l'empereur, par les évêques d'Orient comme par ceux d'Occident, du célèbre Formulaire dit de saint Hormisdas : Nous voulons suivre en tout la communion du Siège Apostolique, où réside l'entière et vraie solidité de la foi chrétienne, où la religion s'est toujours conservée immaculée.
Tel est le célèbre « Formulaire d'Hormisdas », signé par deux mille cinq cents évêques orientaux. Plusieurs conciles d'Occident l'enregistreront avec enthousiasme. Fénelon l'opposera aux Jansénistes, et le concile du Vatican en insérera les phrases principales dans son décret sur la primauté du Saint-Siège.
En un sens, le domaine temporel du Saint-Siège remonte aux origines de l'Église, car, dès les premiers jours, l'évêque de Rome, comme tous les autres évêques d'ailleurs, administre le produit des offrandes que les fidèles font à la communauté, en vue de subvenir aux nécessités du culte, à la subsistance des pauvres et à celle du clergé. Il ne paraît pas cependant que les Eglises aient possédé des biens-fonds durant les deux premiers siècles. Mais un rescrit de Septime Sévère ayant, à la fin du IIe siècle, autorisé la formation de sociétés capables de posséder des cimetières, les Papes en profitent pour organiser, sous leur propre direction, des associations de ce genre. Il est, par ailleurs, vraisemblable que les Papes aient fait entrer, vers cette époque, dans le cadre d'associations de secours mutuels autorisées par la loi, des institutions déjà fondées pour les besoins de l'Eglise.26
La législation de Constantin provoque un nouvel élan au développement de la propriété ecclésiastique. Non seulement l'empereur accorde aux chrétiens toute liberté de recevoir des dons, mais il encourage ces libéralités, et il en fait lui-même dans une mesure très large. Cette évolution se manifeste surtout dans l'Eglise romaine, où les offrandes affluent de toutes les régions converties au christianisme. M. Charles Diehl constate qu'à la fin du Ve siècle le Pape est peut-être le plus riche propriétaire de l'Italie.27 Ce n'est pas encore là la souveraineté. Mais, parallèlement à l'accroissement de son domaine, le Pontife de Rome voit grandir son autorité. Il n'est pas vrai, sans doute, que Constantin ait fondé la souveraineté temporelle du Saint-Siège, et le document connu sous p25 le nom de « Donation de Constantin » est manifestement apocryphe ; mais, par le seul fait de la fondation de Constantinople, en 329, et du transfert de la capitale de l'empire en Orient, Constantin, quelle qu'ait été son intention personnelle, laisse le Pape occuper plus librement et plus ostensiblement la première place dans la ville de Rome. D'abord investi du pouvoir de juger les diverses causes intéressant les clercs, le Pape est amené ensuite, sur la demande spontanée des plaideurs, à se prononcer, au moins comme arbitre, sur les affaires séculières. La loi permet finalement à ceux‑ci de récuser les tribunaux séculiers, pour recourir à la juridiction ecclésiastique. Voilà le Pape pourvu de pouvoirs judiciaires. Il acquiert en même temps, et par la force même des choses, des pouvoirs administratifs. Les empereurs d'Orient, qui n'ont pas renoncé à leur suzeraineté sur Rome et sur l'Occident, et pour qui un Odoacre et un Théodoric ne sont que des lieutenants, s'aperçoivent facilement que nul intermédiaire ne peut leur rendre plus de services que l'évêque de Rome. Lui seul serait capable d'apaiser des sujets mutinés ; à lui seul on peut confier la gestion des deniers publics, qu'un officier impérial dilapiderait peut-être. Et c'est ainsi que le Pape devient, peu à peu, non seulement le plus riche propriétaire de l'Itale, mais la plus grande autorité sociale et politique de la Péninsule.
Cette situation de fait, l'empereur Justinien la consacre législativement par sa célèbre Pragmatique Sanction de 554, qui concède à l'évêque de Rome le droit de prendre part à la nomination des administrateurs des Provinces, de recevoir leur serment et de les citer devant son tribunal pour malversations. Le Pontife est désormais chargé de l'entretien des aqueducs, ponts et murailles ; il est le protecteur légal de chacun contre les vexations des juges ; le jour du combat, il doit être le premier sur les remparts. « Le Pape, dit Ernest Lavisse, est dès lors le vrai maître de Rome ».28 Au jour de p26 son élection au Souverain Pontificat, en 590, saint Grégoire le Grand, effrayé de sa tâche, écrit : « Je me demande si être Pape, en ce moment, c'est être un chef spirituel ou un chef temporel ».29
Après saint Grégoire, les pouvoirs du Pontife ne font que s'accroître. Le peuple de Rome s'attache de plus en plus à une autorité dont il apprécie de jour en jour la bienfaisance. Aux coups de force tentés contre Rome par les Barbares, ou même par les troupes impériales, il s'indigne, il se révolte. Des milices urbaines s'organisent. C'est l'exercitus romanus, dont les douze scholæ répondent aux douze quartiers de la ville. Alors apparaissent, dans les documents de l'époque, des expressions nouvelles et bien révélatrices de l'état des choses. Rome, le duché qui l'entoure et les diverses colonies qui en dépendent, c'est la Respublica Romana, la Sancta Respublica, la Respublica Sancti Petri.
Nous n'avons pas à raconter ici des faits historiques qui sont dans toutes les mémoires : l'invasion des Etats de saint Pierre par les Lombards, l'inertie de l'empereur, l'appel aux Francs et leur conquête. On s'explique sans peine qu'après ces événements, Pépin le Bref, roi des Francs, ait déclaré restituer au Souverain Pontife ses Etats. « Il n'y a pas en Europe, a écrit Joseph de Maistre, de souveraineté plus justifiable ».30 Services rendus par les Papes, qui, après avoir embelli, transformé et, pour ainsi dire, créé cet Etat, en avaient assumé le gouvernement en des circonstances difficiles ; abdication effective des empereurs byzantins ; manifestation expresse et unanime de la volonté du peuple de Rome et de l'Italie ; restitution, après la plus légitime des guerres, par le plus régulier des traités : « La plupart des souverains, a dit le gallican Fleury, n'ont pas d'autres titres de légitimité ».
Pendant cette période, le Souverain Pontife réside toujours au Palais du Latran ; mais, au début du VIe siècle, le Pape saint Symmaque, chassé de sa demeure par une émeute,a s'installe, auprès de Saint-Pierre, à côté du baptistère construit par saint Damase, et c'est à lui que l'on doit attribuer l'origine du Palais du Vatican. Sous saint Zacharie cependant, le Latran, réparé, redevient la résidence habituelle des Papes. Le Pontife y est entouré de sept diacres, qui sont ses assistants permanents. Vingt-cinq prêtres-cardinaux, un par église presbytérale, forment son conseil officiel ; c'est l'origine du Sacré-Collège. Le gouvernement temporel des Etats de saint Pierre exige d'autres services. Le personnel du Palais comporte : un vidame, des chambellans, des cellériers et des écuyers ; la chancellerie a des notaires, dont le principal, le primicier, a la garde des archives ; l'administration financière a un caissier en chef, un payeur général et un service d'avouerie et de police. Quelques-unes de ces fonctions se laïcisent au VIe siècle.31
Le Pontife de Rome officie ordinairement au Latran entouré des prêtres-cardinaux, qui forment comme sa couronne dans les cérémonies. Il porte alors, par dessus la tunique et la pænula, sorte de pardessus sans ouverture sur le devant et sans manches, la dalmatique, qui, démodée comme vêtement commun vers la fin du Ve siècle, est devenue dès lors son insigne propre, à lui et à ses clercs. Le pallium, ou large bande de laine blanche, drapée autour des épaules, lui est aussi réservé à cette époque.32 Sous l'empereur Justin Ier, son costume devient plus somptueux. Le souverain, pour remercier le Pape Jean Ier de l'avoir couronné, l'autorise à p28 porter les couleurs impériales. Le rouge devient désormais l'insigne de la dignité pontificale. Vers le Xe ou XIe siècle, les Souverains Pontifes adopteront la soutane blanche ; mais ils conserveront jusqu'à nos jours la couleur rouge pour le manteau, la mozette, la calotte, les mules et l'étole.33
A une époque où les splendeurs éblouissantes de l'art oriental se mêlent, dans Rome, à la grâce impérissable des antiques statues et des vieux temples, de plus en plus délaissés, sans doute, mais toujours debout, ces magnificences du culte ne sont pas inutiles pour aider les jeunes chrétiens à surmonter la fascination tentatrice de l'antique paganisme. D'ailleurs, même au temps des catacombes, l'Eglise a toujours considéré un certain éclat des formes et des décorations, uni à la pureté et à la majesté, comme un élément de sa liturgie.
Le plus beau des monuments païens est encore debout cependant. Au milieu de l'immense plaine du Champ de Mars, s'élève le Panthéon. Construit, en l'an 28 avant Jésus-Christ, en briques revêtues de plaques de marbre,b il a été dédié, en 202 de notre ère, par les empereurs Septime Sévère et Caracalla, à tous les dieux. Un des Pontifes les plus zélés pour la liturgie, saint Boniface IV, au début du VIIe siècle, obtient de l'empereur Phocas l'autorisation de transformer ce monument du paganisme en temple chrétien, et il en fait l'église de Sainte-Marie et de tous les martyrs ; puis, des catacombes il extrait un grand nombre de corps saints, et il les fait ensevelir sous la « confession » de la nouvelle église. La Rome du VIIe siècle est déjà la Rome chrétienne du moyen âge.
1 Act., XVII, 16.
2 Claudien. In sext. cons. Honorii, 51.º
3 I Petr., III, 8.
4 Sur l'historicité du séjour de saint Pierre à Rome, indûment contestée par quelques libres-penseurs, voir Duchesne. Hist. anc. de l'Eglise, t. I, p61‑63. Résumé dans Hist. Gén. de l'Eglise, t. I, p119‑120.
5 Didachè, ch. XIII.
6 Funck. Patres apostolici, I, 224, 244, 270. : Lib. Pont., édit. Duchesne, I, 126.
7 S. Justin, Apol., XLV‑XLVII.
8 Martyrologium Hieronymianum, XVI, col. octobris : Fouard. Saint Pierre, p425‑426 : De Rossi. Del luogo appellato ad Capream.
9 X. Roiron, Saint Paul témoin de la primauté de saint Pierre, dans Recherches de science religieuse, 1913, p498‑499.
10 Fillion, Saint Pierre, p172‑173.
11 Duchesne. Hist. anc. de l'Eglise, t. I, p42.
12 Cité par Batiffol. L'Eglise naissante et le catholicisme, 5e édition p13‑14.
13 Eusèbe. Hist. Eccl., dans Patrol. Grec., t. XX, p207 ; Tertullien, dans Patr. Lat., t. I, 1203 ; t. II, 49, 151 ; Marucchi. Arch. Chrét., p25.
14 Marucchi. op. cit., p11.
15 J. Carrère. Le Pape, p45‑46.
16 Les 54 premiers Papes, de saint Pierre à saint Félix III (526‑530), sont honorés par l'Eglise comme martyrs.
17 Patr. Lat., col. 307‑324.
18 Gaston Boissier. Promenades archéologiques, p156‑158.
19 Eusèbe. Hist. Eccl., liv. IV, ch. XXIII.
20 Duchesne. Hist. anc. de l'Eglise, t. I, p251‑252.
21 Eusèbe. Hist. Eccl., liv. VII, ch. XXII.
22 Gerbet. Esquisse de Rome chrétienne, t. I, p252‑253.
23 L. Veuillot. Le Parfum de Rome, t. II, p175.
24 D'après Voltaire, c'est grâce à Constantin que « la religion chrétienne monta sur le trône ». Par suite, « le crédit de la place fit bientôt du Pasteur des chrétiens de Rome l'homme le plus considérable de l'Occident ». (Essai sur les mœurs, ch. X : Oeuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XV, p371, 375.
25 S. Cyprien. Epist., 58.
26 Hist. Gén. de l'Eglise, t. I, p268‑269.
27 Charles Diehl, dans l'Atlas Schrader, XVI, l'Orient Byzantin.
28 J. Lavisse et Rambaud Hist. Gén., t. I, p231.
29 S. Grégoire. Epist., Lib. I, ep. 6.
30 J. de Maistre. Du Pape, liv. I, ch. VI.
31 Duchesne. Les Premiers Temps de l'Etat Pontifical, p100‑102.
32 Duchesne. Origines du culte chrétien, ch. XI : Le Costume liturgique.
33 Barbier de Montault. Le costume et les usages ecclésiastiques suivant la tradition romaine.
a Les détails sont donnés par Hodgkin, Italy and Her Invaders, III.445 et ss. ; l'émeute proprement dite, p452.
b Entièrement reconstruit — depuis les fondations — après 126, en béton revêtu de brique ; voir Platner et Ashby, A Topographical Dictionary of Ancient Rome, p382‑386.
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