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Chapitre I.3

Cette page reproduit un chapitre de
La Papauté
de Fernand Mourret

publié chez
Bloud & Gay
[Paris]
1929

dont le texte relève du domaine public.

Cette page a fait l'objet d'une relecture soignée
et je la crois donc sans erreur.
Si toutefois vous en trouviez une,
je vous prie de m'en faire part !

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Chapitre II.2

Deuxième partie :
La Papauté et l'Eglise

 p67  Chapitre I
La papauté pendant la période d'expansion et de lutte des premiers siècles

I. La mission de la Papauté dans l'Eglise

Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise.
Et les puissances de l'Enfer ne prévaudront point contre elle.
Pais mes agneaux… Pais mes brebis.
J'ai prié pour que ta foi ne défaille pas ; à ton tour, affermis tes frères.

Dans ces paroles du Christ, toute la mission de l'apôtre Pierre et de ses successeurs, par rapport à l'Eglise, se trouve nettement indiquée.

Tout d'abord, la Papauté sera le fondement nécessaire de cette société que le Sauveur appelle son Eglise ; tout ce qui ne  p68 se rattachera pas à la Papauté ne sera pas de l'Eglise du Christ.

En second lieu, cette Eglise, les Papes auront à la défendre contre les attaques de Puissances mauvaises. Celles‑ci ne parviendront pas à la détruire, mais leurs assauts, à considérer la solennité de la formule qui les prédit, semblent devoir être terribles et fréquents.

En troisième lieu, à l'imitation du berger, qui ne se contente pas de protéger son troupeau contre les loups ravisseurs, mais qui cherche à le rendre de plus en plus prospère, le successeur de Pierre devra se faire le guide, le conducteur de cette Eglise ; et il la dirigera dans des voies qui, si l'on se réfère à d'autres paroles du divin Maître, seront les voies d'un développement et d'un progrès voulus par Dieu.

Enfin, la Papauté aura une mission plus haute, qui, pour la société spirituelle que le Fils de Dieu veut établir, est la condition indispensable des trois autres : la Papauté sera la Gardienne infaillible et toujours vivante de ce qui constitue l'élément essentiel d'une pareille société : à savoir, une foi commune, toujours identique dans son fond, mais sans cesse adaptée dans ses formules aux divers milieux de temps et de lieu que traversera cette Eglise aux immortelles destinées.

Enumérer ces fonctions de la Papauté, c'est résumer toute son histoire, dès les premiers siècles de l'Eglise.

La société fondée par Jésus-Christ, nous l'avons déjà indiqué dans notre première partie, n'est ni un vague mouvement spirituel, ni une pure fraternité d'amour et d'assistance ; c'est une vraie société, hiérarchiquement organisée. Elle a un Chef. Et ce Chef, on n'a pas à le chercher longtemps dans les documents authentiques des premiers temps. C'est celui que les Ecritures placent toujours en tête en nommant les apôtres ; c'est celui à qui l'apôtre par excellence, saint Paul, va rendre compte de sa mission ; c'est celui dont Clément de Rome, avant la fin du premier siècle, suppose l'autorité suprême, lorsque lui, son successeur et sans autre titre que celui-là, intervient, du vivant même de l'apôtre saint Jean, pour régler  p69 un différend soulevé dans l'Eglise de Corinthe. Ce Chef, c'est l'apôtre Pierre, l'évêque de cette Eglise Romaine, dont saint Ignace d'Antioche nous dit, vers l'an 110, qu'elle « préside dans le pays des Romains », c'est-à‑dire, selon Mgr Duchesne et selon le protestant Harnack lui-même, qui préside à toutes les Eglises ;1 l'apôtre Pierre, chef de l'Eglise « avec laquelle, dira au second siècle saint Irénée, toute Eglise doit s'accorder ». Pourquoi ? parce qu'elle a, dit saint Irénée, une « primauté de puissance », et parce qu' « en elle se trouve la tradition des apôtres ». « Il est difficile, dit Mgr Duchesne, d'imaginer une expression plus nette : 1o de l'unité doctrinale dans l'Eglise universelle ; 2o de l'importance souveraine, unique, de l'Eglise romaine comme témoin, gardienne et organe de la tradition apostolique ; 3o de sa prééminence supérieure dans l'ensemble des chrétientés ».2

II. La Papauté dans la primitive Eglise

Bossuet a glorifié, en son magnifique langage, « cette Chaire romaine, tant célébrée par les Pères, où ils ont exalté, comme à l'envie, la principauté de la chaire apostolique, la principauté épiscopale, la source de l'unité et, dans la place de Pierre, l'éminent degré de la chaire sacerdotale, l'Eglise Mère qui tient en sa main toutes les autres Eglises ; le chef de l'épiscopat d'où part le rayon du gouvernement ; la Chaire principale, la Chaire unique, en laquelle seule tous gardent l'unité ».3 « Vous entendez bien par ces mots, continue Bossuet, saint Optat, saint Augustin, saint Prosper, saint Avit, saint Théodoret, le Concile de Chalcédoine et les autres ; l'Afrique, les Gaules, la Grèce, l'Asie ; l'Orient et l'Occident unis ensemble ».

 p70  « Il y a quelque chose de plus frappant encore, ajoute Joseph de Maistre, c'est le sentiment général qui résulte d'une lecture attentive de l'histoire ecclésiastique. On y sent, s'il est permis de s'exprimer ainsi, on y sent je ne sais quelle présence réelle du Souverain Pontife sur tous les points du monde chrétien. Il est partout, il se mêle à tout, il regarde tout, comme de tout côté on le regarde ».4

En vain hérétiques et infidèles nous opposeront la liste des Pères et des écrivains ecclésiastiques des premiers siècles qui n'ont point parlé de l'autorité des Papes ou qui n'en ont parlé que d'une manière vague. Pascal lui-même a répondu à leur objection. « Il ne faut pas, dit‑il, juger de ce qu'est le Pape par quelques paroles des Pères…, mais par les actions de l'Eglise et des Pères et par les canons. Le Pape est le premier. Quel autre est connu de tous ? Quel autre est reconnu de tous comme ayant pouvoir d'influer par tout le corps, parce qu'il tient la maîtresse branche qui influe partout ? »5 Et Pascal a grandement raison d'ajouter : « Règle importante ». Car on est trop porté à exiger, dès les débuts de l'Eglise, dans la détermination théorique des pouvoirs du Pape et dans l'exercice de ses fonctions, une précision technique de termes et une complexité de rouages qui eût été, à cette époque, inutile, gênante, déraisonnable. Joseph de Maistre fait justement remarquer, à ce propos, que « le pouvoir pontifical, à raison même de son caractère et de son importance, était sujet plus qu'un autre à la loi universelle du développement » ; que, « devant durer autant que la religion, on ne peut trouver que sa maturité ait été retardée », que « tout pouvoir constitué immédiatement dans toute la plénitude de ses forces et de attributs, serait, par cela même, faux, éphémère et ridicule », et qu' « autant vaudrait imaginer un homme adulte-né. »6

Cette histoire des premiers siècles, à laquelle Maistre et  p71 Pascal veulent qu'on se rapporte, c'est précisément celle des Papes luttant ou dirigeant la lutte des chrétiens des premiers temps contre ces Puissances des Ténèbres prédites par le Sauveur ; c'est celle des Pontifes de Rome veillant sur les chrétientés les plus éloignées, pour les encourager ou les réprimander, suivant les circonstances ; c'est l'histoire de ces successeurs de Pierre s'appliquant à garder dans son intégrité, à expliquer suivant les temps, et à développer suivant les besoins, le dépôt sacré de la Révélation divine.

III. La Papauté en face des persécuteurs de l'Eglise

Les trois premiers siècles de l'Eglise sont les siècles des grandes persécutions. A une époque où l'Eglise est obligée, par prudence, de cacher son organisation hiérarchique, ses dogmes et ses sacrements, il n'est pas étonnant que les témoignages en faveur de l'autorité pontificale soient relativement rares et quelque peu voilés. Mais ce qui est incontestable et singulièrement frappant, c'est que, toutes les fois qu'un mot d'ordre est donné aux chrétiens relativement à l'attitude à prendre en face des persécuteurs, ce mot d'ordre vient de l'évêque de Rome, jamais d'ailleurs ; c'est que les initiatives venues d'autre part ne sont tenues comme obligatoires pour toute l'Eglise qu'autant que Rome les a sanctionnées ; c'est que les offensives les plus violentes des persécuteurs sont dirigées contre le Chef de l'Eglise de Rome ; c'est enfin que, toutes les fois que les empereurs jugent à propos de négocier avec un représentant authentique de l'Eglise, c'est avec le Pontife romain qu'ils traitent.

Le premier des martyrs est un simple diacre ; mais la première, l'immortelle devise des chrétiens persécutés, que répéteront les Papes de tous les siècles en présence de tous les persécuteurs, c'est le Non possumus prononcé par le premier Pape, par saint Pierre, au milieu du Sanhédrin. Si les 54 premiers  p72 évêques de Rome sont honorés par l'Eglise comme martyrs, c'est que ses ennemis ont voulu, dans leur habile hostilité, « frapper à la tête ». Quand l'empereur Maximin ordonne de mettre à mort « seulement les chefs de l'Eglise », les exécuteurs de l'ordre impérial ne se trompent pas sur l'interprétation à donner à ce commandement : ils arrêtent aussitôt le Pape Pontien, et même, dans l'ardeur de leur zèle, l'antipape Hippolyte. L'empereur Dèce, au rapport de saint Cyprien, a une si haute idée de la puissance de l'évêque de Rome, qu'il redoute plus l'influence de ce chef des Eglises chrétiennes que celle d'un compétiteur à l'empire.7 Pour terrifier les chrétiens, l'emperor Gallus ne trouve rien de mieux que de faire arrêter le Pape Corneille ; mais, au rebours de ses prévisions, cette arrestation soulève une telle émotion que, pour la calmer, il s'empresse d'adoucir le traitement imposé à son prisonnier. Si ce même souverain se hâte de bannir le Pape Lucius au lendemain de son élection, c'est pour briser le faisceau des Eglises chrétiennes en les privant de leur chef ; mais, ici encore, la mesure va contre son but, et l'un des premiers actes de l'empereur Valérien est de rappeler de l'exil le Pontife, et celui‑ci rentre à Rome au milieu d'ovations dont saint Cyprien nous a conservé le tableau. Sous Aurélien, les liens qui rattachent toutes les Eglises au Pape sont si manifestes, que le pouvoir civil lui-même ne peut plus feindre de les ignorer. Dans un jugement porté sur un conflit de propriété qui divise les chrétiens d'Antioche, un rescrit impérial déclare que « le bien litigieux appartiendra à ceux qui sont en communion avec l'évêque de Rome ».

On voit combien il serait inexact de dire que l'Eglise doit à l'empereur Constantin la reconnaissance de sa constitution hiérarchique sous l'autorité suprême du Pape. Cette reconnaissance, en réalité, s'est, peu à peu, imposée à l'opinion, puis aux pouvoirs publics. Le mérite de Constantin sera de reconnaître la nécessité de sa proclamation officielle.

 p73  IV. Les premiers Papes
et la discipline intérieure de l'Eglise

Le Pontife de Rome ne représente pas seulement toutes les Eglises devant les puissances du monde, il gouverne, dirige, réforme au besoin chacune de ces Eglises, quand il juge utile d'intervenir dans leur fonctionnement ou dans leur organisation.

Qu'un conflit s'élève, dès le premier siècle, trente ans à peine après la mort de Jésus-Christ, dans l'Eglise de Corinthe, le Pape saint Clément, nous l'avons vu, malgré la présence à Ephèse d'un survivant du collège apostolique, de saint Jean, le Pape saint Clément intervient, enquête et juge souverainement.

Ce que saint Clément a fait pour l'Eglise de Corinthe, le Pape saint Victor le fera, à son tour, au second siècle, pour l'Eglise d'Ephèse. Des troubles, ayant pour objet direct la date de la célébration de la Pâque, mais où se mêle l'opposition latente qui divise alors l'Orient et l'Occident, se sont produits dans la ville de dans la région qui l'entoure ; ils menacent de déchaîner de graves désordres. Victor donne l'ordre à l'évêque d'Ephèse de réunir ses suffragants, reçoit communication de leurs délibérations, et, dûment informé, prescrit à tous les évêques de la chrétienté de célébrer la Pâque, non pas au quatorzième jour qui suit la lune de Mars, comme le veulent les chrétiens d'Asie, mais au dimanche qui suit ce quatorzième jour, comme il est de tradition de le faire en Occident.

Au cours du même siècle, une intervention du Pape saint Etienne tranche la question, très vivement débattue dans les Eglises d'Afrique, de la validité du baptême conféré par les hérétiques. Comment, disent les uns, celui qui est hors de l'Eglise pourrait‑il incorporer les autres à l'Eglise ? Peut‑on concevoir, répliquent les autres, que l'incorporation à l'Eglise visible dépende de dispositions tout intérieures, donc invisibles ?  p74 Le Pape, faisant appel à l'autorité que lui donne sa chaire épiscopale et à la tradition dont il est le gardien, proclame valide le baptême conféré par les hérétiques, et, non content d'imposer cette solution aux Eglises d'Afrique, notifie sa décision à l'Eglise universelle.

Au IIIe siècle, c'est à un patriarche d'Alexandrie que l'évêque de Rome demande la justification de sa doctrine. Denys d'Alexandrie, que l'antiquité chrétienne désigne sous le nom de Denys le Grand, est un disciple d'Origène, et c'est en s'appuyant sur le système origéniste qu'il entreprend de réfuter l'hérésie sabellienne, laquelle nie toute distinction réelle entre les Personnes divines. Mais, en combattant cette inadmissible confusion, le patriarche ne s'aventure‑t‑il pas jusqu'à admettre, à l'exemple des marcionites, trois hypostases ? On l'en accuse. Son homonyme, Denys, évêque de Rome, l'invite, par lettre, à s'expliquer. Le patriarche obtempère aussitôt à l'ordre du Pape, et se justifie par un long mémoire de l'accusation portée contre lui.8

La juridiction du Pontife de Rome s'étend donc sans conteste, dès les premiers siècles, à l'Orient comme à l'Occident, à l'Afrique comme à l'Asie et à l'Europe ; et, quand, au IVe siècle, l'Eglise grecque se constituera, avec cette autonomie de liturgie et de coutumes dont elle se montrera si jalouse et si fière, la juridiction universelle du Pape ne sera pas mise en doute par elle. Bien plus, les appels au Pape seront fréquents dans cette Eglise ; et par appel au Pape on ne doit pas seulement entendre un recours à son tribunal suprême contre une sentence supposée injuste, mais une sollicitation de son intervention personnelle dans une circonstance quelconque où elle est jugée nécessaire.9 Sans doute les conflits,  p75 les difficultés se règleront le plus souvent dans les limites de la province où ils ont surgi ; mais, quand tous les recours locaux seront épuisés, il sera fait appel à celui dont Sozomène a ainsi résumé les privilèges : « Il est une loi de l'Eglise, qui déclare sans valeur tout ce qui se fait en dehors de l'assentiment de l'évêque des Romains. »10

V. Les premiers Papes, docteurs infaillibles de l'Eglise

Parmi ces privilèges, il en est un qui mérite une mention toute spéciale, celui de l'infaillibilité dans l'enseignement de la doctrine.

Ce privilège n'a jamais été contesté par les vrais chrétiens. De tout temps, quiconque a refusé obstinément de se soumettre à une décision dogmatique du Pape, a été considéré, aussi bien par les simples fidèles que par leurs chefs, comme un hérétique, exclu du sein de l'Eglise.

Il n'en pouvait être autrement. Cette croyance à l'infaillibilité de l'évêque de Rome est une conséquence nécessaire de la foi à son autorité suprême, que nous venons de voir si solidement établie depuis les origines du christianisme. Le chef d'une société spirituelle, d'une société reposant sur une fond de croyances, qui pourrait se tromper en lui enseignant ce qu'elle doit croire, ne serait pas son chef. L'obéissance au chef d'une société qui nous enseigne ce que nous devons faire, peut reposer sur une présomption d'infaillibilité ; l'obéissance au chef d'une Eglise qui nous enseigne ce que nous devons croire ne peut se justifier que par une réelle infaillibilité.

Tel est évidemment le raisonnement très simple qui s'impose aux premiers fidèles. Résister à l'évêque de Rome, lorsqu'il impose ce qu'ils doivent croire pour être sauvés, ce serait, pour eux, perdre la foi en cette Eglise à qui le Sauveur a promis que les Puissances de l'Enfer ne prévaudront point  p76 contre elle ; ce serait perdre la foi au Sauveur lui-même, qui, en assurant à son Eglise qu'il serait avec elle « jusqu'à la fin des siècles », lui a donné pour chef, non pas seulement l'apôtre Pierre, mais ses successeurs, par la même raison qu'en accordant à tous ses apôtres les pouvoirs de prêcher, de baptiser et de pardonner les péchés, il a concédé les mêmes pouvoirs à tous ceux qui leur succéderont dans leur ministère. En effet, dit Bossuet, « qu'on ne dise point, qu'on ne pense point que ce ministère de saint Pierre finisse avec lui : ce qui doit servir de soutien à une Eglise éternelle ne peut jamais avoir de fin. Pierre vivra dans ses successeurs ; Pierre parlera toujours dans sa chaire : c'est ce que disent les Pères ; c'est ce que confirment six cent trente évêques au Concile de Chalcédoine. »11

Bossuet ne fait qu'exprimer, en ces paroles, la croyance des temps apostoliques, croyance qui nous est attestée par le témoignage de saint Irénée. « Il est nécessaire, dit‑il, que toute Eglise s'accorde avec l'Eglise Romaine, Ad hanc Ecclesiam… necesse est omnem convenire Ecclesiam. » Et les raisons qu'il en donne, c'est que l'Eglise romaine « possède une autorité éminente, et que par elle la tradition venant des apôtres a toujours été conservée, propter potentionem principalitatem… in qua semper ab his qui sunt undique conservata est ab apostolis traditio. »

L'importance capitale de ce texte ressort à la fois des circonstances au milieu desquelles il a été écrit et de son contexte.

Le but de saint Irénée est de mettre fin aux échappatoires des gnostiques, qui prétendent rester fidèles à la doctrine du Christ et des apôtres, mais refusent de se soumettre à l'Eglise Romaine. Saint Irénée leur montre qu'ils n'ont pas la foi apostolique, par ce seul fait, qu'ils sont en désaccord avec l'Eglise de Rome, laquelle, par la succession de ses évêques, tient des apôtres la vraie foi demandée par Jésus-Christ. L'accord avec l'Eglise Romaine doit donc être un accord dans la foi.

Ce sens est exigé, d'ailleurs, par tout le paragraphe qui suit,  p77 où saint Irénée montre que c'est par l'enseignement de la succession ininterrompue des évêques de Rome, depuis la fondation de l'Eglise jusqu'au Pape Eleuthère, que la prédication de la vérité est venue jusqu'à son temps.

Au surplus, une observation, faite plus haut à propos de l'autorité disciplinaire du Pape, trouve ici sa place. La foi en l'infaillibilité du Pape n'est pas seulement affirmée par les docteurs, elle se manifeste dans l'histoire de l'Eglise. Les Papes parlent à l'Eglise avec une fermeté qui révèle leur conscience d'un don surnaturel d'inerrance, et les fidèles leur obéissent avec une confiance absolue. C'est quand le Pontife de Rome s'est nettement prononcé contre le montanisme, que le peuple l'abandonne ; c'est quand le Pape Zéphirin a rejeté la doctrine de Praxéas et de Noët, que le peuple s'en écarte.

Autre fait significatif. Un Cyprien, un Tertullien, un Denys le Grand, un Origène, s'imposent par leur talent, par leur influence personnelle ; un patriarche d'Antioche ou de Constantinople s'impose par le prestige de son siège : ni les uns ni les autres cependant n'oseront parler avec autorité à toute l'Eglise. Les docteurs agitent les questions, l'évêque de Rome seul les tranche ; et, dans la vivacité des débats, les dissidents eux-mêmes lui reprochent plutôt d'abuser de son autorité qu'ils ne la mettent ouvertement en doute, et ceux-là mêmes qui se révoltent contre elle ne peuvent s'empêcher parfois de rendre un témoignage involontaire à la tradition contre laquelle ils s'insurgent. Tel est Tertullien devenu montaniste, lorsque, par ironie, il s'applique, dans son De Pudicitia, à appeler l'évêque de Rome « l'évêque suprême », « l'évêque des évêques ».

VI. La Papauté des premiers siècles
et les initiatives individuelles ou collectives

Dira‑t‑on que l'autorité de l'évêque de Rome lui vient de l'antiquité et de la gloire de la Ville où il a son siège ? Rien ne confirme une pareille hypothèse, tout la dément. Pour les  p78 chrétiens des premiers siècles, comme pour saint Pierre, la Rome païenne, c'est Babylone,12 c'est la ville maudite ; et chaque fois qu'ils invoquent la présence suprême de la ville de Rome, ils mettent une sorte d'affectation à l'appeler : la ville de saint Pierre, le Siège de Pierre.

Le doux et paternel gouvernement du successeur de Pierre n'a rien de commun, par ailleurs, avec l'impérieuse suprématie des Césars. « N'ayez rien de dominateur dans le gouvernement des Eglises, avait dit saint Pierre dans son Epître, et paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, veillant sur lui, non par contrainte, mais de bon gré… et devenez les modèles du troupeau. »13 º La plupart du temps, le Pape n'intervient autoritairement qu'après de longues et patientes admonitions. Il aime à laisser le dogme se manifester par la pratique commune des fidèles, par l'enseignement usuel des pasteurs ; c'est ce que le Concile du Vatican appellera le « magistère ordinaire de l'infaillibilité » ; et quand il choisira le mode de la définition ou de la condamnation solennelles, il s'entourera de conseillers, il convoquera des conciles généraux, soit pour se prononcer avec une formule plus claire, plus adaptée à la mentalité de l'époque, soit pour que sa décision s'impose plus facilement aux âmes d'une foi moins forte ; car, dit Jean-Jacques Olier, « si le Souverain Pontife n'a que faire de mendier ailleurs le secours de la science, il s'associe parfois des Pères, des prélats, pour témoigner de la fragilité et de la faiblesse humaines, dont il faut qu'il se souvienne, mais sans chercher sa lumière ailleurs qu'en lui seul. »14 Par ces paroles, le Fondateur de la Compagnie de Saint-Sulpice nous indique assez clairement que, dans sa pensée, de tout point conforme à la pensée traditionnelle, les diverses voies par lesquelles l'enseignement dogmatique ou moral se communique à l'Eglise n'ont d'autorité infaillible que pour autant que le Saint Père les a  p79 faites siennes par une approbation expresse ou implicite.

Dans l'exercice de son autorité disciplinaire, le Pape apporte la même discrétion. Les diverses formes de vie chrétienne qui se manifestent dans la vocation des ascètes, des ermites, des cénobites, des stylites, les coutumes diverses qui s'établissent dans les pratiques de dévotion, dans l'administration des communautés chrétiennes, dans la liturgie elle-même, tout cela jaillit, en quelque sorte, de la spontanéité du peuple fidèle, sous l'inspiration de l'Esprit de Dieu, et tout cela est religieusement respecté ; mais, qu'on y regarde de près, et l'on se convaincra que toutes ces coutumes, émanées d'une initiative individuelle ou d'un mouvement anonyme, n'ont acquis de valeur dans l'Eglise que par une approbation, au moins tacite, du Saint-Père. Aucune législation peut-être n'a fait un plus grand cas de la coutume que celle de l'Eglise catholique ; mais l'esprit le plus juridique de ces premiers siècles, Tertullien, lie étroitement la Coutume à la Tradition, et il ne leur assigne la même valeur, que parce que, dans sa conception, l'une et l'autre ne valent que par l'approbation, tacite ou expresse, de celui qui représente le Christ.15

VII. La Papauté et l'Eglise
au lendemain de la paix constantinienne

De nombreuses hérésies avaient surgi au cours des trois premiers siècles ; mais presque toutes avaient été ou locales ou de courte durée. Il n'en est pas de même de celle que le prêtre Arius commence à propager au lendemain de l'Edit de Milan. L'arianisme, qui s'attaque aux vérités les plus fondamentales du christianisme, qui, niant la divinité du  p80 Christ, ébranle, dans ses éléments les plus essentiels, la foi aux dogmes de l'Incarnation, de la Rédemption et de la grâce, gagnera toutes les provinces de l'empire, débordera ses frontières, deviendra la religion de peuples entiers ; de telle sorte que saint Jérôme pourra dire un jour, non sans quelque exagération, que « le monde étonné s'est reconnu arien ».

A cette grande hérésie se rattacheront d'autres erreurs ruineuses du dogme catholique, qui en seront les suites, les imitations, les survivances clandestines, ou qui lui emprunteront seulement son esprit de révolte, sa tendance à diminuer la foi au surnaturel dans la vie chrétienne. Telles seront le semi-arianisme, le macédonianisme, l'apollinarisme, le manichéisme, le pélagianisme, etc.

Après la période des grandes persécutions, qui a duré trois siècles, s'ouvre une nouvelle période de trois siècles, qui est celle des grandes hérésies. Elle est aussi celle des grands Conciles. On la désigne également sous le nom de période des Pères, car c'est à cette époque que brillent ces prodiges de science et de vertu, qui sont : en Occident, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin et saint Grégoire le Grand ; en Orient, saint Athanase, saint Jean Chrysostome, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze. Mais ni la voix de ces grands hommes, ni celle de l'Eglise universelle, représentée dans les Conciles œcuméniques, ne couvrent la voix du Pontife de Rome, qui domine et gouverne plus que jamais l'Eglise entière.

VIII. La Papauté et les hérésies des IVe et Ve siècles

Non seulement les Papes, au cours de cette nouvelle période, vont faire face, avec une énergie redoublée, aux périls grandissants qui menacent l'Eglise, ne laissant se produire aucune assertion blessante pour la foi sans la frapper d'anathème ; mais les Pères de l'Eglise, ces génies puissants, dont les combats et l'éloquence semblent parfois éclipser l'action personnelle  p81 des Papes aux regards de l'histoire, s'inclineront aussi profondément que leurs devanciers devant l'indéfectible enseignement des Pontifes romains ; et les Conciles, ces Conciles dont on prétendra un jour leur opposer la supériorité, proclameront l'autorité doctrinale des Papes avec une précision et une clarté inconnues jusqu'alors. Les plus grands des empereurs se feront un honneur d'y souscrire, et tels hérétiques la combattront de telle manière, qu'ils la mettront en évidence, malgré eux, aux yeux de tous.

L'hérésie arienne, qui, en faisant du Christ une manière de demi-dieu, ressuscite, en quelque sorte, un demi-paganisme, demande un remède proportionné à l'immensité du danger. Le Pape Sylvestre et l'empereur Constantin pensent qu'il ne faudra rien de moins pour le conjurer, que de faire se dresser devant l'erreur une représentation authentique de toutes les Eglises chrétiennes, en la personne de leurs évêques, rassemblées en un Concile général, dans la ville de Nicée.

« Pour opposer une phalange divine à l'ennemi de l'Eglise, dit Eusèbe, Constantin convoqua un concile œcuménique. »16 Le Liber Pontificalis et le Concile de Chalcédoine nous apprennent que cette convocation fut faite par l'empereur de concert avec le Pape Sylvestre.17 En tout cas, le consentement du Pape ne fait pas de doute, puisque, ne pouvant prendre part à l'assemblée à cause de son grand âge,⁠a le Pontife s'y fait représenter.18 Par ces représentants, dont nous parle Eusèbe, il faut entendre, non seulement les prêtres Vite et Vincent, qui sont nommés comme tels, mais aussi le président de l'assemblée, Osius, évêque de Cordoue, car on ne voit pas quel autre titre lui aurait permis de prendre le pas sur tous les évêques, y compris les patriarches orientaux, si jaloux de leurs droits. Constantin, après avoir ouvert le Concile, comme président d'honneur, cède la parole au président ecclésiastique.

 p82  Nous n'avons pas à rapporter ici en détail comment le résultat désiré par le Pape et par l'empereur est obtenu, autant du moins qu'on pouvait l'espérer en de si tragiques circonstances. La solennité du Concile œcuménique de Nicée, l'affirmation de la foi traditionnelle par tant de vénérables personnages, dont plusieurs, ayant confessé la foi dans les persécutions, portent sur leur corps les stigmates de leur glorieux martyre, obtient le grand retentissement que l'on en a attendu. Arius, comparaissant en personne, est publiquement confondu, et les longues et minutieuses descriptions des Pères leur permettent de couper court à la plupart des échappatoires des hérétiques. Tel est le résultat de ces admirables formules dont se nourrira désormais la foi des chrétiens par la récitation « Symbole de Nicée ».

Les définitions des vérités de foi par la voie conciliaire se renouvelleront au cours du IVe siècles et dans les siècles suivants ; mais elles ne supprimeront pas les interventions personnelles des Papes, s'adressant, en vertu de leur autorité suprême, à l'Eglise entière, pour promulguer un dogme ou pour proscrire une erreur.

L'hérésie cependant n'a pas désarmé. Sous le nom d'eunoméens, de macédoniens, d'apollinaristes, des esprits aventureux reprennent en partie les doctrines condamnées, tandis que les photiniens renouvellent les théories de Sabellius. En 380, le Pape saint Damase publie vingt-quatre anathèmes contre les partisans d'Arius, de Macédonius, d'Eunomius, d'Apollinaire, de Sabellius et de Photin. Et sa conclusion est formelle : il fait de l'obéissance à la doctrine qu'il enseigne une question de salut.19 Vers la fin du IVe siècle, un certain Helvidius dénie tout mérite aux vœux monastiques et proclame l'inamissibilité de la grâce une fois obtenue, préludant ainsi aux erreurs de Luther et de Calvin. Le Pape saint Sirice déclare que la profession de pareilles erreurs est un cas d'exclusion de l'Eglise.20 Au  p83 début du Ve siècle, le moine Pélage soutient que l'homme, exempt du péché originel, peut, par ses propres forces, sans la grâce, faire son salut. Le Pape saint Innocent Ier condamne cette nouvelle hérésie, en ratifiant, de sa propre autorité, deux décisions portées par des conciles africains. C'est à propos de cette sentence d'Innocent Ier que saint Augustin s'écrie : « Deux conciles ont été envoyés au Siège Apostolique, et les réponses sont arrivées : la cause est finie. Puisse finir également l'erreur ».21 La crainte de l'évêque d'Hippone se réalise, hélas ! et, en 419, le Pape saint Zozime est amené à publier l'important document, connu sous le nom de Tractoria, dans lequel, en vertu de son autorité apostolique, il définit, contre les pélagiens, le dogme traditionnel du péché originel et celui de la nécessité de la grâce pour tout bien surnaturel.

IX. L'autorité souveraine de la Papauté est proclamée
solennellement par les conciles et par les Pères

Un autre fait remarquable est celui du Pape saint Célestin Ier, condamnant, de sa propre autorité, en 430, à la veille de la réunion du Concile d'Ephèse, l'hérésie de Nestorius, et prononçant, de lui-même, une sentence définitive d'excommunication contre l'hérésiarque. Le concile reconnaît qu'il n'a plus qu'à enregistrer la sentence, et le prêtre Philippe, légat du Saint-Siège, peut proclamer devant l'assemblée, « comme une chose connue de tous les siècles », la primauté de l'évêque de Rome, « parce que, dit‑il, Pierre vit en lui et lui communique ses pouvoirs ». De telles paroles, dans les circonstances où elles sont prononcées, n'ont pas sans doute une valeur dogmatique, mais on y trouve la substance des définitions solennelles que, quatorze siècles plus tard, prononcera  p84 le Concile du Vatican, lequel, dans ses déclarations, insérera, en les faisant siennes, les propres paroles du prêtre Philippe au Concile d'Ephèse.

Un témoignage analogue est donné, en 451, par le Concile de Chalcédoine, au magistère infaillible du Pape saint Léon le Grand. L'assemblée reconnaît comme une « règle de foi » et insère dans ses Actes la Lettre pontificale connue sous le nom de Tome à Flavien, dans laquelle le Chef suprême de l'Eglise expose la doctrine de l'Incarnation. « Pierre, s'écrient, d'une commune voix, les Pères du Concile, Pierre a parlé par le Pape Léon ! »

Ce que les évêques assemblés en Concile acclament d'une manière si solennelle, ils le proclament dans leurs discours, dans leurs actes et dans toute leur vie. La voix de « l'épiscopat dispersé », pour employer le langage de la théologie, rend le même son que celle de l'épiscopat réuni en concile.

Saint Athanase, patriarche d'Alexandrie, ne se contente pas de défendre avec une inébranlable énergie les doctrines romaines ; il déclare qu'il faut recevoir le jugement du Pape Denys, condamnant l'arianisme, comme une sentence dogmatique irréformable.22

Durant le même temps, en Gaule, saint Hilaire, évêque de Poitiers, qui mène le même combat qu'Athanase contre les mêmes erreurs, fait entendre le même langage. « Qu'on s'en réfère à la tête, s'écrie‑t‑il, c'est-à‑dire au Siège de Pierre, referant ad caput, id est ad Petri Apostoli Sedem ».23

Saint Jean Chrysostome à Constantinople et saint Ambroise à Milan se font écho dans la même profession de dévouement à la parole souveraine du Pontife romain. Tandis que le premier proclame que l'attachement au successeur de Pierre est le seul principe de cohésion et d'unité dans la foi,24 le second  p85 s'écrie : « Qui n'est pas avec Pierre n'aura point part à l'héritage de Pierre ».25 « Là où est Pierre, là est l'Eglise ».26

L'Afrique, avec saint Cyrille d'Alexandrie et saint Augustin d'Hippone, donne la même note que l'Europe et l'Asie. Saint Cyrille, invoquant « l'antique coutume de recourir au Siège de Rome quand la foi est en danger », supplie le Pape Célestin de se prononcer sur les doctrines de Nestorius,27 et l'indéfectible attachement de saint Augustin au Pape ressort de toute son œuvre. Ici il fait appel à l'autorité du Saint Siege pour mettre fin à l'hérésie ; là il se réjouit de voir l'unité dans la croyance ramenée par l'intervention de Rome.28

X. L'autorité suprême de la Papauté dans l'Eglise
est reconnue par les empereurs et implicitement avouée par les hérétiques

On pourrait multiplier de semblables témoignages.

Les empereurs eux-mêmes, quand les intérêts de leurs ambitions ne sont pas en jeu, se font les témoins de la foi unanime et traditionnelle des fidèles, en demandant à Rome la solution de toutes les questions qui intéressent le dogme ou la morale. Aux donatistes, qui font appel à son tribunal, Constantin répond que, le jugement des prêtres étant irréformable comme le jugement de Dieu, on doit s'en tenir aux sentences portées par les Papes Miltiade et Sylvestre.29 Un siècle plus tard, l'empereur Marcien demande au Pape saint Léon le Grand de confirmer de son autorité les Actes du Concile de Chalcédoine.30

 p86  Il n'est pas jusqu'aux manœuvres les plus perfides des hérétiques qui ne témoignent, à leur façon, de la croyance universelle à l'autorité des décisions dogmatiques des Papes. Les intrigues multipliées auprès du Pape Libère, au IVe siècle, pour lui faire souscrire à un symbole semi-arien ; les efforts des pélagiens, au Ve siècle, pour obtenir le silence du Pape Zozime sur leur hérésie ; la ténacité déployée, deux siècles plus tard, par les partisans du monophysisme, pour amener le Pape Honorius à professer leur opinion, tout cela ne s'explique que par le désir qu'ont ces hérétiques de gagner, ou de paraître gagner à leur cause celui dont l'autorité est, dans l'opinion des fidèles, prépondérant en matière de foi.31

Les Conciles œcuméniques, du moins, ne se sont‑ils pas déclarés supérieurs au Pape, ou n'ont‑ils pas agi comme tels ? L'histoire des conciles des premiers siècles ne nous offre aucune trace d'une pareille prétention. Plusieurs d'entre eux, ainsi que nous l'avons vu, ont proclamé hautement la primauté de l'évêque de Rome, dans l'enseignement doctrinal comme dans l'autorité disciplinaire. D'ailleurs, ils n'ont jamais agi que d'accord avec les Papes ; ils ne se sont assemblés que par la volonté des Papes, n'ont délibéré que sous la présidence des Papes, et n'ont légiféré qu'avec l'approbation des Papes. Si les huit premiers Conciles ont été convoqués par les empereurs, ce n'a été que du consentement des Papes ; si ces empereurs y ont exercé une certaine présidence d'honneur, consistant en un proto­cole d'hommages et de respect de pure forme, ou une présidence « de protection », se réduisant à l'emploi de moyens efficaces pour maintenir l'ordre et la liberté parmi les membres de l'assemblée, la présidence effective, c'est-à‑dire la direction donnée aux débats et le gouvernement de l'assemblée, a toujours appartenu aux Papes, agissant, soit directement par eux-mêmes, soit, plus souvent, par des légats nommés et accrédités par eux ; enfin, si certains  p87 décrets et canons conciliaires ont été portés en dehors de la présence personnelle des Papes, ces décrets et canons n'ont été considérés comme authentiques par l'Eglise, que parce que les Souverains Pontifes les ont confirmés par des ratifications subséquentes.32

Sans doute certaines réunions de prélats révoltés ou servilement soumis aux empereurs, telles que le Conciliabule du Chêne, en 403, et le Brigandage d'Ephèse, en 449, ont prétendu imposer leurs décisions aux fidèles ; mais l'Eglise n'a jamais reconnu l'autorité de ces assemblées, manifestement irrégulières ; elle n'a pas plus accepté les décrets de ces pseudo-conciles que les théories des faux docteurs et le gouvernement des antipapes.

C'est en s'autorisant des faits que nous venons de rappeler, que les Pères du Concile du Vatican, en définissant « le magistère infaillible du Souverain Pontife », ont pu dire : "Telle fut toujours le croyance du Saint-Siège de Rome, confirmée par la tradition constante de l'Eglise ; ainsi l'ont déclaré les Conciles œcuméniques eux-mêmes, ceux‑là surtout où l'Orient s'est uni à l'Occident dans la foi et dans la charité ».33


Notes de l'auteur :

1 Duchesne. Eglises séparées, p127‑129 : Harnack, cité par Batiffol, dans L'Eglise naissante et le Catholicisme, p170.

2 Duchesne. Eglises séparées, p113.

3 Bossuet. Sermon sur l'Unité de l'Eglise.

4 J. de Maistre. Du Pape, liv. I, ch. VIII.

5 Pascal. Pensées.

6 J. de Maistre. Du Pape, liv. II, ch. X.

7 S. Cyprien. Ep., LV, 9.

8 Duchesne. Hist. anc. de l'Eglise, t. I, p486‑497.

9 De nombreux appels au Pape sont cités dans les savants articles de P. Bernardakis, publiés sous ce titre : Les Appels au Pape dans l'Eglise grecque jusqu'à Photius, dans les Echos d'Orient, t. VI, année 1903, p30 et s., 118 et s., 248 et s.

10 Sozomène. Hist. Ecclés., III, 10, dans Migne, P. G., t. LXVII, col. 1057.

11 Bossuet. Discours sur l'Unité de l'Eglise.

12 Prima Petri, V, 13.

13 Prima Petri, V, 2‑3.

14 Esprit de M. Olier, t. I, p524.

15 Voir, sur cette question, René Wehrlé, De la Coutume dans le droit canonique, un vol. in‑8, Paris, 1928, en particulier, p33‑40. Cf. le canon 25 du Codex Juris Canonici.

16 Eusèbe. Vie de Constantin, III.6.

17 Liber Pontificalis, édit. Duchesne, t. I, p75 ; Hardouin, t. II, col. 687.

18 C'est Eusèbe lui-même qui nous l'atteste, Vie de Constantin, III, 7.

19 Migne, Patrologie latine, t. XIII, col. 358 et s.

20 Ibid., t. XXIII, col. 1171.

21 S. Augustin, Serm., CXXXI, 10. C'est la phrase que l'on cite communément sous cette forme abrégée ; Roma locuta est, causa finita est.

22 S. Athanase. De Sententia Dyonisii : Migne. Patr. Lat., t. XXV, col. 500.

23 Largent. Saint Hilaire, p175.

24 Cf. Dict. Apol., t. III, col. 1385.

25 Ambroise. De pœnit., liv. I, ch. VII.

26 S. Ambroise. In psalm., XL, n. 30.

27 Migne. Patr. Lat., t. I, col. 447.

28 Dict. Apol., t. III, col. 1386‑1387. Cf. Batiffol, Le Catholicisme de saint Augustin.

29 Hefele-Leclercq. Hist. des Conciles, t. I, p265‑298.

30 Migne. Patr. Lat., t. LIV, col. 1029.

31 Sur ces diverses intrigues et sur leur échec final, voir Histoire générale de l'Eglise, t. I, 133‑137, 147‑149, 420‑421, et t. II, p107‑113, 117‑119.

32 Sur ces questions de la convocation, de la présidence et de la confirmation des Conciles par les Papes, voir Hefele-Leclercq. Histoire des Conciles t. I, p8‑68, le Dictionnaire de théologie et le Dictionnaire Apologétique au mot Concile, et Pesch. Prælect. Dogmaticæ, t. I, p270.

33 Constitution Pastor Aeternus du Concile du Vatican, ch. IV, dans Denzinger-Bannwart, n. 1832.


Note de Thayer :

a L'absence du pape Sylvestre est attribuée à son âge par Socrate, Sozomène et Théodoret. Sa date de naissance, cependant, nous est inconnue ; il est souvent dit, sans que j'en sache la source, être né vers l'an 285, ce qui lui aurait donné vingt-neuf ans à son élection, et trente-neuf ou quarante ans lors du concile.


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Page mise à jour le 17 avr 23

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