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Chapitre II.2

Cette page reproduit un chapitre de
La Papauté
de Fernand Mourret

publié chez
Bloud & Gay
[Paris]
1929

dont le texte relève du domaine public.

Cette page a fait l'objet d'une relecture soignée
et je la crois donc sans erreur.
Si toutefois vous en trouviez une,
je vous prie de m'en faire part !

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Chapitre III.1

Deuxième partie :
La Papauté et l'Eglise

 p116  Chapitre III
Le Pape et l'Eglise
dans les temps modernes

I. Vue générale

De la prétendue Réforme à a Révolution, les Papes, en luttant contre le protestantisme, le gallicanisme, le jansénisme et la fausse philosophie du XVIIIe siècle, et en réagissant contre ces erreurs par de multiples œuvres de science et d'apostolat, ne font que reprendre le perpétuel combat que le Christ leur a prédit contre ces « Puissances de l'Enfer », qui sont l'hérésie, le schisme et l'incrédulité. De la Révolution française à nos jours, le spectacle est le même. Pie VI, en condamnant la Constitution civile du clergé ; Pie VII, en défendant les droits de l'Eglise contre le despotisme impérial ; Grégoire XVI et Pie IX, en fulminant l'anathème contre les diverses formes du libéralisme religieux ; Léon XIII, en déjouant les plans du Kulturkampf germanique ; Pie X, en réprouvant le modernisme de l'exégèse, de  p117 l'apologétique et de la théologie ; Pie XI, en étendant la condamnation au modernisme politique et social ; tous ces Pontifes, en promouvant ou en encourageant la science catholique, l'apostolat, les œuvres de zèle et de charité, en un mot, l'idéal évangélique contre l'idéal païen, ne font que reprendre, sous des formes nouvelles et dans des conditions nouvelles, l'antique tâche de leurs premiers devanciers.

II. La Papauté devant le péril protestant

Nous n'avons pas besoin d'examiner ici en détail les erreurs de Luther (pour nous en tenir à lui seul), et de montrer combien sa doctrine est dissolvante de tout dogme et de toute discipline. Corruption foncière de la nature humaine, négation du libre arbitre, justification par la foi seule, interprétation individuelle de la Bible, suppression du sacrifice de la messe et abolition de tous les ordres religieux : c'est toute l'organisation traditionnelle de l'Eglise qui va s'effondrer si les novateurs triomphent. Cependant Léon X, avant de condamner l'hérésiarque, multiplie les avertissements, provoque des interventions pacifiantes, encourage les discussions capables d'éclairer le moine révolté, bref, suivant le mot du protestant Léopold de Ranke, « se montre à la hauteur de la position difficile où les circonstances l'ont placé ».1 Le ton même de la Bulle Exsurge, du 15 juin 1520, qui condamne 41 propositions extraites des œuvres de Luther, est tout apostolique. Le Pontife promet « d'oublier toutes les injures passées et d'user de la plus grande indulgence ». Dans un même esprit d'apaisement, le Pape Paul III, par sa Bulle du 22 mai 1542, qui convoque à Trente un concile universel, propose l'examen pacifique de toutes le justes réclamations par lesquelles Martin Luther a essayé d'accréditer ses théories  p118 révolutionnaires. Il sollicite le concours de tous « pour assurer l'intégrité de la religion chrétienne, la réforme des mœurs, la concorde des princes et des peuples chrétiens ». Dans les délibérations de l'assemblée, les légats représentants du Pape veillent à écarter toute formule irritante ; et les décrets de réformation votés par le Concile répondent à tous les légitimes griefs qu'un chrétien ait pu présenter. Depuis les simples clercs jusqu'aux « illustrissimes cardinaux », auxquels on n'hésite point à imposer une « illustrissime réforme », et jusqu'au Souverain Pontife lui-même, nul n'est oublié ; et le Concile terminé, les Papes ne se prêtent qu'à regret aux mesures répressives ; ils favorisent toutes les enterprises qui se proposent de ramener les égarés en les éclairant, de leur obtenir des grâces de conversion en priant pour eux. Inutile de rappeler ici les nombreuses congrégations religieuses de cette époque qui se proposent ces deux missions.

III. La Papauté devant les périls janséniste, gallican et révolutionnaire

Quand le jansénisme prône, avec Jansénius, l'existence d'une grâce irrésistible, étouffant à peu près complètement la liberté humaine, quand il comprime, avec Saint-Cyran, toutes les affections de la famille et tous les attraits de la nature, quand il écarte, avec Arnauld, les âmes de la pratique de la communion, quand il prétend se réfugier, avec Quesnel, dans l'orthodoxie d'une Eglise invisible ; quand le quiétisme, à son tour, propose, avec Mme Guyon, à toutes les âmes en état de purification consistant en une perpétuelle contemplation d'amour et excluant tout acte distinct de charité, et quand il va jusqu'à soutenir, avec le P. Lacombe, que « certaines souillures peuvent être un moyen dont Dieu se sert pour élever une âme à de hauts degrés de spiritualité », qui oserait prétendre que les Papes, en détournant les fidèles de ces étranges doctrines, n'ont pas servi la cause du christianisme  p119 le plus authentique, le plus conforme aux constantes traditions de l'Eglise catholique ?

Pour s'acquitter de cette mission, les Souverains Pontifes ont souvent besoin d'un grand courage. C'est au très puissant Louis XIV qu'Innocent XI doit s'attaquer, lorsque ce roi, non content de multiplier ses empiètements sur le spirituel, comme dans les célèbres affaires des « Franchises » et de la « Régale », cherche à faire renouveler, par une Assemblée servilement soumise à sa volonté, les déclarations schismatiques des Conciles de Constance et de Bâle. C'est aux maîtres incontestés de l'opinion publique dans les plus hautes sphères que se heurtent les Papes Clement XIII et Benoît XIV, en condamnant les œuvres de Voltaire, de Rousseau et l'Encyclopédie. La franc-maçonnerie n'a pas encore dévoilé ses plans révolutionnaires et elle a des attaches fort étroites avec les grands, quand Clement XII et Benoît XIV mettent en garde les fidèles contre sa funeste influence.

La Révolution, en bouleversant de fond en comble le régime social et politique de la France et de l'Europe, semble inaugurer un ordre nouveau ; mais, pas plus que la ruine de la Chrétienté, pas plus que la chute de l'empire romain, elle ne modifie l'orientation de la Papauté, ni, au fond, le caractère des Puissances du mal qui menacent l'Eglise et que les Papes ont à combattre.

IV. La Papauté des XIXe et XXe siècles
en face de l'autocratie, du libéralisme et du modernisme

La Constitution Civile du clergé, dont le Pape Pie VI dénonce, par son Bref du 10 mars 1791, « les principes hérétiques et schismatiques », ne fait que reproduire, en les exagérant, les idées du gallicanisme d'ancien régime. Les attentats de l'empereur Napoléon Ier contre les droits de l'Eglise, qui lui attirent les anathèmes de Pie VII, ne diffèrent guère, dans leur genre, de ceux de Louis XIV et de  p120 Joseph II. Pie IX lutte contre Cavour et Léon XIII contre Bismarck, comme l'ont fait les Papes du moyen âge contre les féodaux italiens et contre les empereurs germaniques. L'Encyclique Mirari Vos de Grégoire XVI en 1832 et l'Encyclique Quanta Cura de Pie IX en 1864, en anathématisant le libéralisme, rappellent fort à propos à la société du XIXe siècle que la volonté du peuple ne suffit pas, non plus que la volonté d'un seul, pour créer le droit ; et un historien fait justement remarquer que ces deux Papes ne parlement pas autrement que ne l'ont fait, au moyen âge, Grégoire VII et Innocent III. « Sous Grégoire XVI comme sous Grégoire VII, écrit M. Georges Goyau, César se dressait, avec ses colossales prétentions, qui outrageaient, en même temps que Dieu, la liberté et la dignité humaines ; il avait une tête au XIe siècle, mille têtes au XIXe ; mais le chiffre seul avait changé ».2 Quand, sous le pontificat de Pie IX, un décret de l'Index, du 24 août 1863, interdit la lecture de la Vie de Jésus par Renan, Mgr Pie, évêque de Poitiers, ne voit là, à juste titre, qu'un nouveau Sylvestre condamnant un nouvel Arius. Que sont‑ils enfin, et ce modernisme de la philosophie, de la foi, de l'histoire, de l'apologétique et de la discipline, proscrit par l'Encyclique Pascendi de Pie X, et ce modernisme politique et social de l'Action Française, condamné par les décrets du 29 janvier 1914 et du 5 janvier 1927, sinon, le premier, une résurrection du protestantisme, opposant le « sens individuel » de ses adhérents à l'enseignement de l'Eglise, et le second, une rénovation du paganisme, prétendant, par la voix de ses chefs d'école, qu'on peut édifier un ordre social en dehors de la conception du surnaturel, en dehors même de l'idée de Dieu ?

 p121  V. La Papauté et les grandes œuvres
d'édification et d'apostolat des temps modernes

Il serait également facile de montrer comment les Pontifes des temps modernes ont continué, non seulement l'œuvre négative des plus grands et des plus saints de leurs devanciers en protégeant l'Eglise contre les erreurs, mais encore leur œuvre positive d'édification et de progrès, en favorisant le développement du dogme et de la morale du christianisme.

D'un saint Vincent de Paul à un saint curé d'Ars, d'un saint François Xavier à un Charles de Foucault, d'un saint Vincent Ferrier à un Lacordaire, d'un saint Charles Borromée à un Bérulle ou à un Jean-Jacques Olier, d'une sainte Thérèse d'Avila à une sainte Thérèse de Lisieux, tout ce qui s'est fait de grand, de fécond, au sein de l'Eglise catholique, dans l'ordre de la charité, de l'apostolat missionnaire, de l'éloquence chrétienne, de la sanctification du clergé, de l'édification des fidèles, a trouvé à Rome, auprès du Saint-Siège, son inspiration, sa direction ou sa confirmation. Chacun des saints personnages que nous venons de nommer, et on pourrait en prolonger indéfiniment la liste, aurait pu dire comme Lacordaire : « J'aimerais mieux être jeté à la mer avec une pierre autour du cou que d'entreprendre un foyer d'œuvres en dehors de la hiérarchie catholique ». Tous ont trouvé dans la coordination de leurs efforts personnels avec l'action générale de l'Eglise catholique soumise au Pape, le secret de la fécondité de leurs œuvres. « Un Ignace de Loyola, a écrit quelque part, en substance, le protestant Macaulay, n'eût peut-être abouti qu'à une agitation stérile et caduque, s'il n'eût inséré son activité dans l'organisation puissante de l'Eglise romaine ». Un Luther, un Lamennais, s'ils eussent eu la courageuse humilité de soumettre leur action au contrôle de l'Autorité suprême, en renonçant à leurs vues propres et en réprimant l'intempérante impatience de leur esprit réformateur,  p122 eussent sans doute donné à leurs exceptionnelles facultés un emploi digne des dons qu'ils avaient reçu de la Providence. Car la souple discipline de l'Eglise romaine, loin de paralyser les initiatives de ses fidèles, en favorise la puissance et l'élan ; l'originalité des œuvres suscitées par les hommes dont on vient de citer plus haut les noms, en est la preuve vivante.

VI. La proclamation de l'infaillibilité pontificale

Une importante décision conciliaire vient, d'ailleurs, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, en faisant la lumière sur les objets de pénibles discussions, en définissant d'une manière précise la nature, l'ampleur et la portée de l'autorité des Papes, donner à l'action des catholiques une sécurité nouvelle.

Dès les débuts du christianisme, nous avons vu les fidèles accepter, non seulement l'autorité suprême du Pontife de Rome dans le gouvernement de l'Eglise, mais l'indéfectibilité de sa doctrine dans son enseignement. Cette inerrance du Chef de l'Eglise leur paraissait sans doute liée à l'infaillibilité de la société spirituelle qu'il avait mission de diriger. Il leur semblait que, si le Pape pouvait se tromper dans son enseignement, l'Eglise, qui lui doit obéissance, ou bien devrait accepter l'erreur, et par conséquent tomber sous le joug de ces « Puissances de l'Enfer », contre lesquelles le Christ lui avait promis son appui infaillible, ou bien devrait refuser d'obéir à cette autorité du successeur de l'apôtre Pierre, que le Fils de Dieu avait lui-même instituée.

Mais, à côté de cette croyance essentielle, que d'ombres, que de contestations !

Cette inerrance du Pontife romain n'est évidemment pas sans limites. Mais jusqu'où s'étend‑elle ? Est‑elle attachée à sa dignité de juge suprême, à sa mission de souverain législateur ? Va‑t‑elle jusqu'à rendre possible l'hypothèse d'un  p123 Pape définissant un dogme nouveau, sans rapport avec la révélation primitive, d'un Pape se mettant en opposition avec toute l'Eglise ? S'étend‑elle aux simples conseils ? Garantit‑elle, en même temps que la vérité des enseignements proprement dits, celle des arguments apportés par le Pontife ? Cette infaillibilité des Papes leur conférerait‑elle le droit de déposer les chefs d'Etat qu'ils jugeraient répréhensibles ? S'applique‑t‑elle à un enseignement adressé à une Eglise particulière ?

La définition votée, le 18 juillet 1870, par le Concile du Vatican à l'unanimité de ses membres présents, moins deux voix,3 répond à toues ces questions. Le Concile déclare d'abord que le secours du Saint-Esprit « n'a pas été donné aux Papes pour qu'ils publient une doctrine nouvelle, mais pour qu'ils gardent saintement et pour qu'ils exposent fidèlement les révélations transmises par les apôtres ». Il définit ensuite que « le Pontife romain, lorsqu'il parle ex cathedra, c'est-à‑dire lorsque, remplissant la charge de Pasteur et Docteur de tous les chrétiens, en vertu de sa suprême autorité apostolique, il définit qu'une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par l'Eglise universelle, jouit pleinement, par l'assistance divine qui lui a été promise dans la personne du Bienheureux Pierre, de cette infaillibilité dont le Divin Rédempteur a voulu que son Eglise fût pourvue ; et, par conséquent, que de telles définitions sont irréformables par elles-mêmes, et non en vertu du consentement de l'Eglise ».

VII. Le vrai sens de l'infaillibilité pontificale

De cette définition la théologie a justement conclu :

1o Que l'infaillibilité n'appartient aux Papes, ni comme  p124 juges, ni comme législateurs, mais seulement comme Pasteurs et Docteurs et en tant qu'ils remplissent ces charges ;

2o Que cette définition exclut l'hypothèse d'un Pape définissant une doctrine nouvelle, puisque son pouvoir ne lui a été conféré que pour « garder le dépôt des révélations faites aux apôtres » ;

3o Que cette définition écarte pareillement la supposition d'un Pape se mettant en opposition avec l'Eglise, puisque « il ne jouit que de l'infaillibilité dont l'Eglise est pourvue » ;

4o Que le privilège de l'infaillibilité pontificale ne s'étend ni aux simples conseils, ni aux enseignements donnés à une église particulière, ni aux questions étrangères à la foi et aux mœurs, ni aux arguments que les Papes peuvent apporter à l'appui de leurs enseignements ;

5o Enfin que cette définition, suivant une déclaration faite par le Pape Pie IX lui-même le 20 juillet 1871, « n'a aucune analogie avec ce droit de déposer les souverains, que les Papes, sollicités par le vœu des peuples, ont dû exercer quand le bien général le demandait ».4

Un des principaux membres du Concile du Vatican, le cardinal Manning, s'est fait l'écho de l'impression générale des catholiques au lendemain de cette définition : « Depuis la prorogation du Concile du Vatican, écrit‑il, une multitude d'événements se sont succédé. L'empire français a disparu ; Rome a été occupée par les armées d'Italie ; la paix de l'Europe a été rompue. L'Eglise pourra souffrir. Mais, à Rome ou en  p125 exil, le chef de l'Eglise sera ce que le Concile du Vatican a déclaré qu'il est. Il se peut que la réunion des Conciles œcuméniques soit rendue temporairement impossible, que l'administration ordinaire devienne à peine practicable ; le Chef infaillible ne sera jamais soumis à la souveraineté d'un homme. La barque de l'Eglise est munie de ses provisions pour les temps à venir ».5


Notes de l'auteur :

1 Ranke, Hist. de la Papauté, t. I, p83, 86.

2 Goyau-Pératé-Fabre, La Papauté et la Civilisation, p239.

3 Les deux évêques opposants se soumirent immédiatement après le vote ; les 55 prélats qui s'étaient absentés firent également tous leur soumission.

4 Il est bon de faire remarque, pour donner une idée complète de nos devoirs envers le Saint Père, qu'en dehors de son magistère infaillible dans l'enseignement, le Concile lui reconnaît un pouvoir suprême et de droit divin dans le gouvernement de l'Eglise universelle, « non seulement en ce qui concerne la foi et les mœurs, mais en ce qui concerne la discipline » (Const. Pastor Aeternus, cap. III). Le Syllabus avait déjà condamné ceux qui prétendaient que « l'obligation qui concerne les maîtres et les écrivains catholiques se borne aux choses qui ont été définies par le jugement infaillible de l'Eglise » (Prop., XXII).

5 Manning. Hist. du Concile du Vatican, trad. française, p187 et s.


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