SÉANCE ROYALE OÙ FUT PROCLAMÉE LA RÉGENCE D'ANNE D'AUTRICHE

 


SÉANCE ROYALE OÙ FUT PROCLAMÉE LA RÉGENCE D'ANNE D'AUTRICHE (18 mai 1643)

Le Journal d'Olivier d'Ormesson donne un récit complet de cette séance, que Mademoiselle s'est bornée à indiquer :

« Le lundi, 18 mai [1643], M. de Breteuil me vint prendre, entre quatre et cinq heures, pour aller au parlement en robes rouges. Nous trouvâmes les portes bien gardées et grande facilité à entrer pour ceux qui y bien devoient entrer. Je me mis dans le premier barreau proche la lanterne du côté du greffe. Toute la compagnie s'assembla en très-grand nombre, et il y avoit quantité de maîtres des requêtes en robes rouges.1 M. le Prince y arriva, sur les huit heures, avec M. le prince de Conti, et après M. de Vendôme. M. le duc d'Orléans vint ensuite porté par le comte de Cyré et Des Ouches, qui le mirent en sa place, ne se pouvant soutenir à cause de la goutte. M. de Beauvais2prit place du côté des clercs, seul, en chappe violette ; chacun le regardoit comme le confident de la reine, et M. le Prince lui vint parler deux ou trois fois. Enfin le roi arriva, au-devant duquel furent les quatre présidents anciens après le premier président, et six conseillers. Il étoit porté par M. de Chevreuse3 ;derrière étoit Charost, capitaine des gardes, et en avant quatre hérauts et deux massiers. Il fut vu avec une joie universelle, qui paroissoit sur les visages, chacun admirant sa beauté et la bonne mine, qui est très-grande en sa personne. Il fut assis dans le trône royal et ne témoigna aucune impatience ni étonnement ; madame de Lansac se mit à sa gauche tout debout. La reine suivit incontinent après ; elle se mit au-dessus de M. le duc d'Orléans, M. le prince de Condé, M. le prince de Conti.4sons fils, MM. les ducs de Vendôme, d'Uzès, de Ventadour, de Luyne, de Sully, de Lesdiguières, de la Rochefoucauld, de la Force. Suivoient les maréchaux de Vitry, de Châtillon, de Bassompierre, d'Estrées, de Guiche5 ;aux pieds du roi étoient M. de Chevreuse, comme grand chambellan : trois capitaines des gardes venoient ensuit : Charost, en quartier, de Tresmes et de Gesvres, père et fils, n'étant que pour un, et Chandenier6 ; Villequier étoit en son gouvernement de Boulogne. Après étoit M. de La Châtre, colonel des Suisses, M. de Saint-Brisson, comme prévôt de Paris, étoit assis sur le degré qui descend au parquet, avec un bâton blanc à la main. M. le chancelier étoit assis dans la chaire, qui fait l'encoignure du parquet, avec sa robe de velours violet, son bonnet carré et sa soutane de satin violet. Sur le banc des présidents étoient MM. Molé, Potier, de Mesmes, Le Bailleul, de Nesmond, de Bellièvre, de Longueil. Sur le banc du doyen étoient MM. l'archevêque Paris,7l'évêque de Senlis, comme ayant été conseiller de la cour, MM. de Chaulnes, Amelot, Montescot et Courtin, maîtres des requêtes, après MM. les conseillers de la grand'chambre. Sur un banc vis-à-vis les présidents étoient MM. de La Vrillière,8Guénégaud et Le Tellier, secrétaires d'État ; M. Bouthillier-Chavigny n'y étoit pas. Sur le banc au devant des maîtres des requêtes et conseillers étoient les comtes de Brigueil, de Saint-Chaumont et le marquis de Parabère. Sur un autre banc, devant celui-là, étoient madame la Princesse, mesdames de Longueville9et de Vendôme. Sur le banc des conseillers d'État, vis-à-vis celui-là, étoient MM. Bouthillier, surintendant de Léon, doyen du conseil, qui n'arriva qu'après M. le chancelier, Aubery et trois maîtres des requêtes, en robe de satin noir, comme les conseillers d'État, avoir Saint-Jouis, Le Lièvre et Fouquet.10 Il étoit honteux de voir le peu de suite du chancelier ; mais je crois qu'il l'affectoit et ne convia personne, contre l'ordre. M. Aubery y fut, sans être prié. tous les conseillers et présidents des enquêtes remplissoient le surplus des bancs et barreaux. Voilà l'ordre de la séance.

» Silence fait, on leva le roi tout debout, la reine le tenant d'un côté et madame de Lansac de l'autre, pour le faire parler ; mail il se rassit plaisamment, sans vouloir rien dire.11 La reine parla alors, et lui adressa la parole ; mais je ne pus l'entendre. M. le duc d'Orléans parla aussi, se tournant vers le roi, nu-tête. J'entreouïs quelques mots, par lesquels il se plaignoit de la déclaration et demandoit qu'elle fût réformée, selon que diroient les gens du roi. M. le Prince en fit de même. M. le chancelier, après, monta vers le roi et la reine, se mit à genoux, selon l'ordre ; et puis, ayant repris sa place, il commença, la voix tremblante, sa harangue, par laquelle il montra d'abord le malheur des États de perdre leur prince, et, après, comme Dieu, dans ce malheur, relevoit nos espérances, nous ayant donné un roi, et, pour la conduite du royaume, pendant sa minorité, une reine, dont il célébra la piété et la vertu ; elle devoit avoir seule la pleine, entière et absolue autorité (c'étoient les mots qu'on lui avoit ordonné de dire), et incontinent après il acheva. Sa harangue étoit bien faite, mais,soit qu'il ne la sût pas bien ou qu'il fût interdit, il hésita beaucoup, et s'interrompit, dont tout le monde témoignoit être bien aise, tant il étoit haï.12

» L'avocat général Talon prit ensuite la parole ; il parla d'abord du feu roi, dit qu'il avoit régné trente-trois ans, comme David, étoit mort le même jour de son avénement à la couronne, comme Auguste, parla de la monarchie, qui étoit indivisible, et de la régence, qui en étoit un rayon ; dit qu'elle devoit être indépendante et qu'il ne falloit pas la lier à une nécessité de conseil, à une pluralité de voix, par des clauses dérogeantes ; que M. le duc d'Orléans et M. le Prince s'en déportoient ; que toute l'assistance le désiroit ; ajouta qu'ils espéroient que la reine, pleine de piété et de vertu, ayant l'administration et l'instruction de la jeunesse du roi, lui inspireroit ses vertus. Par sa harangue, il maltraita fort le chancelier et requit qu'il plût au roi de déclarer la reine mère régente, avec une pleine et entière autorité ; que M. le duc d'Orléans seroit lieutenant général du royaume et chef du conseil, et, en son absence, le prince du Condé seroit le chef du conseil ; que la reine pourroit appeler telles personnes de prudence et expérience, que bon lui sembleroit, pour prendre conseil d'eux sur les affaires, sans être obligée de suivre leurs avis ni la pluralité des voix, sinon quand bon lui sembleroit ; que le présent arrêt fût envoyé, etc.

» Après, M. le chancelier monta vers le roi et la reine, et puis, étant redescendu, M. le duc d'Orléans opina et reconnut que la reine devoit être seule régente ; qu'il renonçoit volontiers à la déclaration vérifiée au parlement et fut d'avis des conclusions. M. le Prince dit qu'après la déclaration de Monsieur, à qui plus qu'à lui, par sa naissance, appartenoit l'administration du royaume, étant de la famille royale, et lui n'étant que premier prince du sang, à qui il falloit des lettres, outre qu'il avoit reconnu en la reine tant de vertus et d'excellentes qualités, il ne pouvoit qu'il ne fût d'avis des conclusions. Après, M. le prince de Conti opina du bonnet. M. le chancelier, laissant le duc de Vendôme, se tourna devers M. de Beauvais, qui, après avoir loué les vertus de la reine, fut de même avis. Après, on revint à M. de Vendôme, aux ducs et maréchaux, qui ne dirent tous l'un après l'autre que trois paroles. Il est à remarquer que toute parole s'adressa au roi, et qu'ils opinèrent debout et découverts, inclinés vers le roi. Ensuite M. le chancelier demanda l'avis dans le parquet aux conseillers de la grand'chambre et puis aux enquêtes. Le président Barillon, qui s'étoit placé au bout d'un banc, vis-à-vis le premier président, dit quelques paroles que je n'ouïs point, et finit disant que la déclaration étoit telle, qu'il étoit d'avis qu'elle fût tirée des registres, et que l'on prononçât conformément à la volonté du roi défunt, et qu'il demandoit la permission, au nom du parlement, de pouvoir s'assembler pour voir les moyens de secourir l'État et faire des remontrances sur la conduite qu'on avoit observée dans les affaires par le passé. Après, messieurs des enquêtes, opinant par troupes, disoient : de l'avis de M. Barillon; parla encore le président Gayant et fut de l'avis des conclusions. Les présidents de la cour opinèrent du bonnet. Le premier président parla un peu.

» Ensuite M. le chancelier monta au roi et à la reine, et puis ayant repris sa place prononça : « Le roi séant en son lit de justice, assisté de la reine sa mère, accompagné de M. le duc d'Orléans, de M. le prince de Condé, de M. le prince de Conti et autres pairs et officiers de la couronne, a déclaré et déclare la reine sa mère régente, etc. » comme aux conclusions. Cet arrêt avoit été concerté et donné tout écrit au chancelier. Il le prononça hésitant, et j'admire comment il s'en tira si bien, vu les sensibles affronts, qu'il avoit reçus en la présence et avec l'applaudissement d'une si grande compagnie. On avoit plaisir à lui faire injure, l'avocat général n'ayant rien dit qu'avec ordre, lui-même dans sa harangue ayant été obligé de condamner ce qu'il avoit fait. Je voyois la reine et Monsieur très-satisfaits, et pour le combler, M. de Vendôme le vint quereller de ce qu'il avoit demandé l'avis à M. de Beauvais avant lui, et que, dans la prononciation, il ne l'avoit pas nommé comme prince. Le chancelier fut obligé d'avouer avoir fait une faute, et promit que l'on écriroit, dans l'arrêt, comme il le désiroit. M. de Vendôme, après cela, descendit parmi messieurs des enquêtes, leur dit la satisfaction que lui avoir faite M. le chancelier, et qu'il les prioit qu'ils vissent l'arrêt, pour examiner s'il seroit bien. Après cela, le roi et la reine se retirèrent, et tout le monde sortit, ravi d'avoir vu cette action solennelle et se promettant beaucoup de douceur du règne futur. Je le souhaite ; mais, ou je me trompe, ou ils seront trompés dans leur attente. Ce n'est pas que la reine n'ait bonne intention ; mais elle trouvera tous les jours des difficultés à ses bons desseins. Je n'en sortis qu'à midi, et en fis le récit à mon père. »

 


NOTES

1. Le costume ordinaire des maîtres des requêtes était une robe de satin noir ; ils ne prenaient la robe rouge que lorsqu'ils assistaient aux séances du parlement comme membres de cette assemblée.

2. Augustin Potier, évêque et comte de Beauvais, premier aumônier de la reine Anne d'Autriche, mort en 1650.

3. Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, né le 5 juin 1578, mort le 24 janvier 1657.

4. Armand de Bourbon, prince de Conti, mort en 1666.

5. Antoine de Gramont, mort en 1678.

6. François de Rochechouart, marquis de Chandenier.

7. Jean-François de Gondi, mort le 21 mars 1654.

8. Louis Phelypeaux, marquis de la Vrillière, mort en 1681.

9. Anne-Geneviève de Bourbon, duchesse de Longueville, morte en 1679.

10. Thomas Le Lièvre, reçu maître des requêtes au mois d'avril 1634. Le Portrait des maîtres des requêtes le caractérise ainsi : « Fin, adroit, avec beaucoup de suffisance et de capacité, faisant bien ses affaires et capable de celles des autres, s'il vouloit s'en charger ; bon juge, mais formaliste au dernier point » ; Nicolas Fouquet, maître des requêtes, devint surintendant en 1653, et est surtout célèbre par sa disgrâce et son procès.

11. Il avait 4 ans d'âge au temps de cette séance..

12. Omer Talon, à la même date, parle de la haine contre le chancelier Séguier : « Il se trouva dans la haine publique, tant à cause qu'il avoit été établi dans sa charge par défunt M. le cardinal de Richelieu, aux volontés duquel il avoit déféré absolument, comme aussi parce qu'il s'étoit extraordinairement enrichi. »

 


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