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EPITRE

De Tata

Chat de Mad. La Marquise de Monglat,

A Grisette

Chatte de Madame Deshouillieres.

J'AI reçû votre compliment ; Vous vous exprimez noblement, Et je voi bien dans vos manieres Que vous méprisez les goutieres. Que je vous trouve d'agrémens ! Jamais Chatte ne fut si belle ; Jamais Chatte ne me plus tant : Pas même la chatte fidelle Que j'aimois uniquement. Quand vous m'offrez votre tendresse, Me parlez-vous de bonne foi ? Se peut-il que l'on s'interesse Pour un malheureux comme moi ? Hélas ! que n'êtes-vous sincere ? Que vous me verriez amoureux ! Mais je me forme une chimere ; Puis-je être aimé ? puis-je être heureux ? Vous dirai-je ma peine extrême ? Je suis réduit à l'amitié, Depuis qu'un jaloux sans pitié M'a surpris aimant ce qu'il aime. Epargnez-moi le récit douloureux De ma honte & de sa vengeance ; Plaignez mon destin rigoureux. Plaindre les maux d'un malheureux, Les soulage plus qu'on ne pense ; Ainsi je n'ai plus de plaisirs.

Indigne d'être à vous, belle & tendre Grisette, Je sens plus que jamais la perte que j'ai faite, En perdant mes desirs, Perte d'autant plus déplorable Qu'elle est irréprarable.

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REPONSE

De Grisette a Tata

COMMENT osez-vous me conter Les pertes que vous avez faites ? En amour c'est mal debuter,

Et je ne sçai que moi qui voulût écouter Un pareil conteur de fleurettes. Ha ! fy (diroient nonchalemment Un tas de Chattes précieuses) Fy, mes cheres, d'un tel amant ; Car si j'ose, Tata, vous parler librement, Chattes aux airs panchez sont les plus amoureuses. Malheur chez elles aux Matous Aussi disgraciez que vous. Pour moi qu'un heureux sort fit naître tendre & sage, Je vous quitte aisément des solides plaisirs ; Faisons de notre amour un plus galant usage : Il est un charmant badinage, Qui ne tarit jamais la source des desirs. Je renonce pour vous à toutes les goutieres, Où (soit dit en passant) je n'ai jamais été ; Je suis de ces Minettes fieres, Qui donnent aux grands airs, aux galantes manieres. Hélas ! Ce fut par-là que mon cœur fut tenté, Quand j'appris ce qu'avoit conté De vos appas, de votre adresse Votre incomparable Maitresse. Depuis ce dangereux moment, Pleine de vous autant qu'on le peut être, Je fis dessein de vous faire connoître Par un doucereux compliment L'amour que dans mon cœur ce récit a fait naître. Vous m'avez confirmé par d'agréables vers Tout ce qu'on m'avoit dit de vos talens divers. Malgré votre juste tristesse, On y voit, cher Tata, briller un air galant, Les miens répondront mal à leur délicatesse : Ecrire bien n'est pas notre talent ; Il est rare, dit-on, parmi les hommes même. Mais de quoi vais-je m'allarmer ? Vous y verrez que je vous aime, C'est assez pour qui sçait aimer.

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REPONSE

De Tata a Grisette

GRISETTE, avec raison je suis charmé de vous, Vous avez de l'esprit plus que tous les Matous ; Jamais, à ce qu'on dit, Chatte ne fut mieux faite : Mais ceci soit dit entre nous, N'êtes-vous point un peu coquette ? Vous pouvez l'avouer, sans paroître indiscrete. Le mal n'est pas grand en effet ; Et, s'il faut tout dire, Grisette, Moi-même franchement je suis un peu coquet, Malgré la perte que j'ai faite. On peut bien sans amour écrire galamment, Quand on a comme vous tant de belles lumieres. Mais, croyez-moi, pour parler sçavamment, Sur-tout en certaines matieres, Il faut avoir frequenté les goutieres ; On ne devient pas habile autrement. text decoration Apres tout, c'est une foiblesse A nous de n'oser coquetter : Sur ce point pourquoi nous flatter ? Les Matous coquettent sans cesse, C'est-là leur vrai talent ; à quoi bon le cacher ? Il n'est point de Chatte Lucrece, Et l'on ne vit jamais de prude en notre espece ; Cela soit dit sans vous fâcher. text decoration Coquettons, cherchons à nous plaire, Puisque le sort le veut ainsi ; En un mot, aimons-nous, nous ne sçaurions mieux faire ; Vous avez de l'esprit ; j'en ai sans doute aussi ; Je croi que je suis votre affaire. text decoration Avec moi votre honneur ne court aucun danger, C'est un malheur dont quelquefois j'enrage, Et c'est pour vous, Grisette, un petit avantage ; Car, s'il est vrai que vous soyez si sage, Je n'aurois pû vous engager. Ah ! vous m'entendez bien, mais changeons de langage, Je pourrois vous desobliger. text decoration Eh bien, ma chere Grisette, Etablissons un commerce entre nous ; Foi de Matou, vous serez satisfaite Des respects que j'aurai pour vous.

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REPONSE

De Grisette a Tata

LORSQUE j'abandonne pour vous De charmans, de tendres Matous,

Quand je pense établir une amitié parfaite, Car c'est tout ce que l'on peut établir entre nous, Pourquoi m'appellez-vous coquette ? La réprimande est indiscrette ; D'une bizarre humeur elle paroît l'effet : Est-ce, sur le nom de Grisette, Que vous me soupçonnez d'avoir le cœur coquet ? Mon nom ne convient pas à l'air dont je suis faite. text decoration Quoi ! pour écrire galamment, Pour avoir dans l'esprit quelques vives lumieres, Falloit-il assurer qu'on ne peut sçavamment Parler sur certaines matieres, Sans avoir couru les goutieres ? Chats connoisseurs en jugent autrement. text decoration Mais quand même on auroit quelque douce foiblesse, Est-ce avec vous, hélas ! qu'on voudroit coquetter ; Vous aimez trop à vous flatter. Il est temps que votre erreur cesse, Elle m'outrage enfin, pourquoi vous le cacher ? S'il n'est point de Chatte Lucrece, Il n'est point de Tarquins, Tata, de votre espece, Cela soit dit, sans vous fâcher. text decoration Quand un Chat, comme vous, se propose de plaire, Il devroit en user ainsi, Des jaloux soupçons se défaire, Et de ses airs grondeurs aussi, Sans cela, Tata, point d'affaire. text decoration Je ne veux point du tout m'aller mettre en danger D'entendre tous les jours dire morbleu j'enrage : Il n'en faudroit pas davantage Pour me rebuter d'être sage ; Et souvent par dépit on se peut engager A quelque bagatelle au de-là du langage, Ceci soit dit encore, sans vous desobliger. text decoration Adieu, Tata, foi de Grisette, Mais de Grisette comme nous, Je ne suis pas plus satisfaite De votre Lettre que de vous.

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REPONSE

De Grisette a Cochon,

Chien du Maréchal de Vivonne.

ON auroit bien connu, sans que vous l'eussiez dit, Que vous êtes sorti de la race cinique ; L'air dont vous répondez à ce qu'on vous écrit, En est une preuve authentique ; Vous ne mordez pas mal ; pour vous rien n'est sacré ; Devant vous rien ne trouve grace ; Vous déchirez tout, & malgré De vingt siecles le long espace, Du beau talent de votre race Vous n'avez point dégeneré : Mais qu'il soit véritable, ou qu'il soit apocrise, Que vous soyez des descendans De ces Philosophes mordans, Si vous avez de bonnes dents, Nous n'avons pas mauvaise griffe ; Cependant, comme j'aime à n'en jamais user, Si vous vouliez bien vous défaire De certaine hauteur qui ne me convient guère, Je pourrois avec vous quelquefois m'amuser. Vous me croyez peut-être une Chatte vulgaire : Je m'en vais vous desabuser. Si pour ayeux vous comptez Diogene, Cratès, & tous les autres Chiens, Moi, que vous méprisez, je compte pour les miens, Tous les Dieux dont la Fable est pleine. Quand les Titans audacieux Risquerent follement d'escalader les Cieux, Le Dieu qui lance le tonnerre, Incertain du succès d'une insolente guerre, Voulut que Déesses & Dieux Quittassent le Ciel pour la terre ; Dont, soit dit en passant, ils furent tous joyeux : Entre tous les pays l'Egypte fut choisie. Là, sous de différentes peaux, Sous de jolis, de laids museaux, Se cacherent un temps les bûveurs d'ambroisie. L'un étoit Bœuf, l'autre étoit Ours ; L'autre d'un beau plumage emprunta la parure : Une Chatte fut la figure Que prit la Reine des Amours ; Et comme elle est bonne Princesse, Pour éviter oisiveté, Elle contenta la tendresse D'un jeune Chat épris de sa beauté, Tant qu'enfin la belle Déesse Fit des Chatons en quantité. C'est de cette source divine Que je tire mon origine. Qui de nous deux, Cochon, dites la vérité, Doit se piquer de qualité ? Ce discours vous déplaît peut-être. Parlons de votre esprit, vous en faites paroître Dans tout ce que vous écrivez. Mais est-il à vous seul cet esprit qui sçait plaire ? Et ne devez-point à votre Secretaire Tant de brillans endroits si finement trouvez ? Entre nous, Cochon, je soupçonne Qu'un tel Secretaire vous donne Plus d'esprit que vous n'en avez. Je connois son tour, ses manieres Vives, charmantes, singulieres. Apollon, ne fait pas des Vers plus élevez : Pour moi, je n'ai que mes seules lumieres ; Je vous l'apprens, si vous ne le sçavez ; Et que je ne cours point les toits, ni les goutieres : Jamais cris aigus, scandaleux, Ne sont sortis de ma modeste gueule. Lorsque l'Amour me fait sentir ses feux, Ce n'est qu'à ma Maitresse seule Que j'ose confier mes secrets amoureux. Alors sensible aux tourmens que j'étale, D'un Chat digne de moi sa bonté me régale ; Cela s'appelle-t-il un destin malheureux ? Si ce Maréchal qui vous aime, Vouloit pour vous faire de même ; Si ce véritable Heros, Qui seul a plus d'esprit & de valeur que trente, Lorsque l'Amour trouble votre repos, Offroit à vos desirs une Chienne charmante, On ne vous verroit point réduit A la nécessité d'idolatrer sans fruit Une Maitresse égratignante.

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REPONSE

De Grisette a Cochon.

JAMAIS Chien n'eut tant de sçavoir, Jamais Chien n'eut tant d'éloquence,

Tant d'esprit, tant d'amour que vous en faites voir. Veuillent les Immortels, auteurs de ma naissance, Soutenir contre vous mon chancellant devoir. Ils exaucent mes vœux, & déja je commence A sentir dans mon cœur l'effet de leur secours. Je vous vois des défauts qui vont rompre le cours D'un feu, qui m'auroit pû couter mon innocence : Oui, je remarque en vous un défaut furieux ; En est-il un plus grand que l'indigne foiblesse, Qui vous fait renoncer à vos doctes Ayeux ? Il vous seroit plus glorieux Qu'on crut qu'avec leur sang vous avez leur sagesse, Que de puiser votre noblesse Dans la source du sang des Dieux ; Semblable à ces humains, dont la vaine folie Est de traîner d'illustres noms, Et qu'à prix d'argent on allie Aux plus éclatantes Maisons, Dont l'antique Histoire est remplie, Découvrent-ils des noms plus grands ? Un fourbe Genéalogiste D'eux, à ces noms trouve une piste ; Comme ils changent d'habits, ils changent de parens ; Chez eux l'orgueil domine, & non pas la nature. Je connois leurs défauts mieux qu'ils ne font les miens ; Mais je ne sçavois pas, Cochon, je vous le jure, Qu'il fut des d'Oziers chez les Chiens ; A-peu-près voilà votre histoire : Hier Cynique, aujourd'hui Dieu ; Vous êtes dans les Cieux, aux bords de l'onde noire, Et sur terre, en troisième lieu ; Cela n'est pas facile à croire. Quoi ! vous seriez tout-à-la-fois Le grand Chien dont l'ardeur nous brûle ? Le laid Chien à la triple voix ? Le gros Chien dont je fais scrupule D'écouter les tendres abois ? Vous parois-je assez bête, ou bien assez credule, Pour croire qu'un Chien en soit trois ? Lorsque je vous contai la galante avanture Qu'eut Venus sur les bords du Nil, Je n'eus point, comme vous, recours à l'imposture ; Je ne prouve pas bien, dites-vous, qu'en droit fil Je sois de la Mere des Graces ; Quelle preuve vous en faut-il ? Passons-nous des Contrats qui des premieres Races Jusqu'à nous conservent les traces ; Je ne puis donc avoir pour moi Que la seule Mytologie. Quel livre est plus digne de foi, Qu'un livre qui contient en soi La premiere Théologie ? Si parmi les celestes feux Qui reglent le sort de chaque être, On voit votre espece paroître, N'en soyez pas plus orgueilleux. L'Asne de l'yvrogne Silene, Le Bouc sale & puant, le Scorpion hideux, Et mille monstres affreux Font, comme elle, briller la lumineuse plaine. Mais, Cochon, montrez-moi quelqu'un de parmi vous, Dont on ait cru la cervelle assez saine, Pour lui donner la forme humaine, Comme les Dieux ont fait pour nous. Jadis un jeune fou possedoit une Chatte, Pour qui l'histoire dit qu'il prit beaucoup d'amour ; Il ne se passoit pas un jour Qu'il ne baisât cent fois & sa gueule & sa patte, De cet étrange amour c'étoit-là tout le fruit ; Et comme il faut quelqu'autre chose, Ce pauvre Amant se vit réduit A demander aux Dieux une métamorphose. Il n'épargna ni soins, ni pleurs, ni revenus, Pour se rendre Venus propice. Le celebre Temple d'Erice Fuma de plus d'un sacrifice. Il fit tant enfin que Venus, Par excès de pitié pour sa bizarre flamme, De sa Chatte fit une femme. N'allez pas en Chien ignorant Croire encor que j'impose à la belle Déesse ; De l'honneur fait à mon espece, Je donne Esope pour garant : Mais oublions tous deux notre Race immortelle. Finissons, Cochon, j'y consens, Une si fameuse querelle ; Soyez pour moi tendre & fidelle. Malgré les Dieux, je cede au trouble que je sens. Que les galans propos, que les jeux innocens Naissent chez nous d'une tendresse Que ne soutiendra point le commerce des sens. Allons ensemble, allons sans cesse Cueillir aux rives du Permesse De ces fleurs qui durent toujours. Couronnons-en ce Maître incomparable, Dont le divin Genie embellit vos discours ; Et laissons dans le monde un souvenir durable De nos singuliers Amours.

FIN.

François-Augustin Paradis de Moncrif (1727) Les Chats. Le Correspondance de Tata & Grisette: pp. 169-189.

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