Mademoiselle de Fouilloux (plus tard madame d'Alluye)

Mademoiselle ne parle qu'en passant de mademoiselle du Fouilloux. J'ai réuni dans cet appendice les traits principaux de la vie de cette personne, qui a eu son moment d'importance et qui traverse tout le règne de Louis XIV, en laissant derrière elle un renom de beauté, de galanterie et d'intrigue. Avec Loret nous assistons à ses débuts. Des correspondances inédites nous la montrent mêlée à la cour peu édifiante de Fouquet et de la comtesse de Soissons. Enfin le peintre de la décadence du XVIIe siècle, Saint-Simon, retrace à grands traits les dernières années de madame d'Alluye, et ses mémoires sont complétés par ceux du marquis d'Argenson.

Ce fut dans les derniers jours de l'année 1652, que Bénigne de Meaux du Fouilloux fit son apparition à la cour; Loret, dans sa Muze historique, en parle en ces termes (Lettre du 28 décembre 1652):

Une fleur fraîche et printanière,
Un nouvel astre, une lumière.
Savoir l'aimable du Fouilloux,
Dont plusieurs beaux yeux sont jaloux,
D'autant que cette demoiselle
Est charmante, brillante et belle
Ayant pour escorte l'amour,
A fait son entrée à la cour
Et pris le nom, cette semaine,
De fille d'honneur de la reine;
Et le roi, se ramentevant,1
Que son feu frère ci-devant
Etoit mort lui rendant service
Dans le métier de la millice
Lui donne en rétribution
Deux mille livres de pension.

La réputation de beauté de mademoiselle de Fouilloux est attestée par les couplets, souvent satiriques, de cette époque. Dans des vers sur les filles de la reine, on lit:

Fouilloux, sans songer à plaire,
Plaît pourtant infiniment
Par un air libre et charmant.

Racine écrivant à son ami La Fontaine, du fond de la province où il était relégué (11 novembre 1661), cite comme types de beauté mesdemoiselles de Fouilloux et de Menneville: « Je ne me saurois empêcher de vous dire un mot des beautés de cette province…. Il n'y a pas une villageoise, pas une savetière, qui ne disputât de beauté avec les Fouilloux et les Menneville. Toutes les femmes y sont éclatantes, et s'y ajustent d'une façon qui leur est la plus naturelle du monde; et pour ce qui est de leur personne,

Color verus, corpus solidum et succi plenum. »

Les lettres, adressées au surintendant Fouquet, nous montrent mademoiselle de Fouilloux engagée dans des intrigues honteuses et animée d'un esprit avide et ambitieux. Elle s'occupe de tout, de trafic de places, aussi bien que d'espionnage à la cour; elle appartient à la cabale de madame la Comtesse, Olympe Mancini, qui voudroit supplanter mademoiselle de La Vallière, dont la faveur n'est pas encore solidement établie. C'est dans les lettres d'une entremetteuse d'assez bas étage que se trouvent ces détails. On y voit d'abord la fin d'une intrigue amoureuse entre mademoiselle de Fouilloux et le surintendant. L'entremetteuse écrivait à Fouquet, en 1661: « Mademoiselle de Fouilloux me dit qu'elle ne pouvoit aller vous parler aujourd'hui, parce qu'elle est obligée d'aller avec Madame2 à la chasse. » Et plus loin: « Je crois qu'il n'est pas à propos qu'elle 3 aille chez vous avec Fouilloux; assurément elles nuiroient l'une à l'autre. »

Lorsque Fouquet songe à vendre son office de procureur général, mademoiselle de Fouilloux lui propose un successeur: « Mademoiselle de Fouilloux m'envoya querir hier, écrit la même femme,4 pour me prier de vous aller trouver et vous dire qu'elle est un peu fâchée contre vous de ce que vous ne lui avez point dit, lorsqu'elle vous a parlé de votre charge pour M. le président Larcher, que vous étiez engagé avec M. Fieubet.5 Car l'on a dit que vous aviez traité avec celui que je vous nomme; que même il a demandé l'agrément à la reine. Elle souhaite fort que vous me disiez ce qui en est et vous prie de lui mander par moi, et que, si cela est, comme on le dit, elle vous demande la grâce de ne dire à personne que M. le président Larcher y ait songé.

» Ensuite elle se mit à me parler de mademoiselle de La Vallière,6 et, pour vous dire le vrai, je vis fort qu'elle doit enrager de n'être point en cette confidence-là…. Elle déclama fort contre mademoiselle de La Vallière, disant que ce n'étoit pas son coup d'essai et qu'elle en avoit fait bien d'autres; et par tout ce qu'elle me dit, je vis bien qu'elle en veut faire dire quelque méchant discours au roi, afin que cela l'en dégoûte. »

Dans une autre lettre, l'entremetteuse disait à Fouquet: « J'ai vu mademoiselle de Fouilloux qui m'a dit que mardi le roi s'enferma avec Madame, madame la Comtesse, madame de Valentinois et les filles de Madame, et ne voulut qu'aucun homme ni d'autre personne y fût. Elle me dit qu'ils firent cent folies jusqu'à se jeter du vin les uns aux autres; que le roi lui parla fort et lui témoigna mille bontés;7 qu'assurément ce ne sera rien que La Vallière, et que tout le tendre va à Madame. Elle m'a dit de vous dire que le roi a la dernière confiance en madame la Comtesse et qu'il lui dit toutes les choses les plus particulières, même touchant la reine, et cent autres choses de cette force; qu'il n'y a que deux jours que l'on parla fort de vous au roi, lui en disant cent biens et de votre générosité, parlant même de votre charge, et elle m'a dit de vous dire qu'elle ne fut pas celle qui en dit le moins. Elle dit que vous devez bien toujours témoigner de l'amitié à madame la Comtesse. »

Cette cabale, qui espérait dominer Louis XIV, fut trompée dans son attente. Mais mademoiselle de Fouilloux se maintint encore quelque temps dans les bonnes grâces du roi: elle est citée dans une lettre de Louis XIV à Colbert (mai 1664),8 parmi les dames de la cour admises à la loterie royale. En 1667, elle épousa le marquis d'Alluye, et fut compromise, ainsi que son mari, dans l'affaire des empoisonnements, avec la comtesse de Soissons. Il faut laisser madame de Sévigné raconter cette aventure:9 « Pour madame la comtesse de Soissons, elle n'a pu envisager la prison; on a bien voulu lui donner le temps de s'enfuir, si elle est coupable. Elle jouoit à la bassette mercredi: M. de Bouillon entra; il la pria de passer dans son cabinet, et lui dit qu'il falloit sortir de France, ou aller à la Bastille. Elle ne balança point; elle fit sortir du jeu la marquise d'Alluye; elles ne parurent plus. L'heure du souper vint; on dit que madame la Comtesse soupoit en ville. Tout le monde s'en alla, persuadé de quelque chose d'extraordinaire. Cependant on fit beaucoup de paquets: on prit de l'argenterie, des pierreries; on fit prendre des justaucorps gris aux laquais, aux cochers; on fit mettre huit chevaux au carrosse. Elle fit placer auprès d'elle, dans le fond, la marquise d'Alluye, qu'on dit qui ne vouloit pas aller, et deux femmes de chambre sur le devant. Elle dit à ses gens qu'ils ne se missent point en peine d'elle; qu'elle étoit innocente; mais que ces coquines de femmes10 avoient pris plaisir à la nommer: elle pleura. Elle passa chez madame de Carignan, et sortit de Paris, à trois heures du matin. On dit qu'elle va à Namur. »

Madame d'Alluye était accusée, dans ce triste procès, d'avoir empoisonné son beau-père. Mais, soit faute de preuves, soit indulgence de la cour qui craignait de trouver trop de coupables, elle ne tarda pas à rentre en France, où elle continua sa vie d'intrigues jusqu'à la dernière vieillesse. Saint-Simon en a parlé à l'occasion de sa mort, arrivée en 1720.

Il n'est pas sans intérêt de voir dans cet écrivain la fin et pour ainsi dire l'agonie d'une société, qui avoit eu, dans ces vices comme dans ses vertus, un éclat incomparable. Saint-Simon montre dans leur décrépitude les femmes qui avoient paré la cour de Louis XIV de leur beauté et de leur esprit. Il résume en une page la vie de madame d'Alluye:11 « Elle s'appeloit de Meaux du Fouilloux; avoit été fille d'honneur de Madame,12 première femme de Monsieur. Elle épousa, en 1667, n'étant plus jeune, mais belle, le marquis d'Alluye, fils et frère de Charles et de François d'Escoubleau, marquis de Sourdis, chevaliers de l'ordre, l'un en 1633, l'autre en 1688. D'Alluye, qui étoit l'aîné, eut le gouvernement d'Orléanois de son père, fut encore plus mêlé que sa femme dans l'affaire de La Voisin; furent longtemps exilés, et le mari, qui mourut sans enfants en 1690, n'eut jamais permission de voir le roi quoique revenu à Paris. Sa femme, amie intime de la comtesse de Soissons, et des duchesses de Bouillon et de Mazarin, passa sa vie dans les intrigues de galanterie, et quand son âge l'en exclut pour elle-même, dans celles d'autrui. Le marquis d'Effiat, dont il a été si souvent mention ici, avoit épousé une sœur de son mari, dont il n'avoit point eu d'enfants et qu'il perdit de bonne heure. Il protégea la marquise d'Alluye dans la cour de Monsieur, avec qui elle fut fort bien, et avec Madame, toute sa vie. C'étoit une femme qui n'étoit point méchante, qui n'avoit d'intrigues que de galanterie, mais qui les aimoit tant que jusqu'à sa mort, elle étoit le rendez-vous et la confidente des galanteries de Paris, dont tous les matins, les intéresés lui rendoient compte. Elle aimoit le monde et le jeu passionnément, avoit peu de bien et le réservoit pour son jeu. Le matin, tout en discourant avec les galants qui lui contoient les nouvelles de la ville, ou les leurs, elle envoyoit chercher une tranche de pâté ou de jambon, quelquefois un peu de salé ou des petits pâtés, et les mangeoit. Le soir, elle alloit souper et jouer où elle pouvoit, rentroit à quatre heures du matin, et a vécu de la sorte, grasse et fraîche, sans nulle infirmité, jusqu'à plus de quatre-vingts ans qu'elle mourut d'une assez courte maladie, après une aussi longue vie sans souci, sans contrainte et uniquement de plaisir. D'estime, elle ne s'en étoit jamais mise en peine, sinon d'être sûre et secrète au dernier point; avec cela tout le monde l'aimoit, mais il n'alloit guère de femmes chez elle. »

Ce tableau des dernières années de madame d'Alluye est confirmé par les Mémoires du marquis d'Argenson; mais entre cet écrivain et Saint-Simon la différence est profonde: Saint-Simon, auquel on a souvent reproché une liberté excessive dans son langage et dans ses jugements, est loin d'avoir la crudité du marquis d'Argenson, même expurgé, comme je suis obligé de le donner dans le passage suivant. Le premier, quoique écrivain en plein XVIIIe siècle, appartient par ses idées comme par son style à une époque antérieure. Le second est de la nouvelle génération autant par le cynisme de l'expression que par la hardiesse des systèmes. Dans le parallèle qu'il établit entre madame de Fontaine-Martel et madame d'Alluye, il ne peut être question de ses idées systématiques, mais si le morceau était cité textuellement et complètement, on y sentirait toute la licence du temps. Tel que nous le donnons, abrégé et mitigé en plusieurs endroits, il peint encore assez crûment la décrépitude d'une société et d'une femme jadis si brillante:

« Feu la comtesse d'Alluye logeoit au Palais-Royal; elle étoit pauvre, n'ayant pas eu de conduite;

» Madame de Fontaine-Martel vit encore aujourd'hui; elle est de la cour du Palais-Royal; elle a une maison sur ce jardin; mais elle est riche et avare, quoiqu'elle ne laisse pas de dépenser en victuailles;

» Chez la d'Alluye, on déjeunoit beaucoup de boudins, saucisses, pâtés de godiveau, vin muscat, marrons;

» Chez la Fontaine-Martel, on dîne peu, on ne déjeune jamais; mais on soupe tous les soirs. Les soupers se piquent d'être mauvais, et force drogues comme chez la d'Alluye;

» Elles ont été fort vieilles toutes deux;

» La Fontaine-Martel a plus d'amis, et la d'Alluye étoit plus aimée; elle étoit si bonne femme qu'on ne cessoit de dire qu'on l'aimoit. La Fontaine-Martel a des sorties qu'elle fait quelquefois qui dégoûtent d'elle, quoiqu'on s'en moque; elle est haïe dans son domestique; ce qui est un grand point.

» Les matins, la bonne compagnie alloit à midi déjeuner chez la d'Alluye. J'appelle la bonne compagnie; car c'étoit des gens gais, des gens qui avoient des affaires, des amants, des ménages; et cela devoit divertir la bonne femme qui y prenoit part, au lieu que la Fontaine-Martel rassemble des beaux esprits, à quoi elle n'entend rien, quoiqu'elle ait composé un conte de ma mère l'oye. Elle se pique de ne pas recevoir chez elle des femmes et des amants, qui aient des affaires; mais je sais qu'on y fait pis selon Dieu; car les affaires s'y commençent.

» Toutes deux ont toujours entretenu quelque homme nécessiteux jusque dans la plus grande décrépitude: La d'Alluye entretenoit un pauvre Merinville, vieux mousquetaire; elle lui fournissoit de la soupe et lui payoit le fiacre pour arriver, de peur que ses souliers ne crotassent le sopha; mais il s'en retournoit à pied.

» La Fontaine-Martel en entretient un grand nombre avec une semblable et aussi raisonnée économie. »

 


NOTES

1. Se rappelant.

2. Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans.

3. Mademoiselle de Menneville, autre fille de la reine mère. L'intrigue de mademoiselle de Menneville et de Fouquet commençait alors.

4. Cette lettre doit être de juillet ou août 1661. Il n'y a pas de dates à la plupart de ces lettres; mais les événements relatés permettent de les fixer approximativement.

5. Les noms sont altérés dans ces lettres; mais au moyen des autres documents de l'époque, on peut les rétablir. On trouve dans le tableau du parlement un conseiller du nom de Fieubet qui est ainsi caractérisé: « Homme gracieux et raisonnable, s'appliquant à sa charge en homme d'honneur; faisant plaisir aux occasions et à l'amitié duquel on se peut assurer; gouverné par son frère, maître des requêtes. »

6. A cette époque mademoiselle de La Vallière était une des filles d'honneur d'Henriette d'Angleterre.

7. On voit que mademoiselle de Fouilloux cherchait à faire valoir son crédit, sans doute pour vendre plus cher les avis qu'elle faisait donner à Fouquet. Cette honteuse correspondance est remplie de demandes d'argent pour les filles de la reine.

8. Tome V, p. 182-184, des Œuvres de Louis XIV.

9. Lettre du 26 janvier 1680.

10. La Voisin, La Vigoureux, etc.

11. Mémoires, t. XVII, p. 472-473 (édit. Hachette in-8).

12. Saint-Simon aurait dû dire fille d'honneur de la reine.

 


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