INTRIGUES DE COUR : MADAME, LE COMTE DE GUICHE, VARDES, MADAME LA COMTESSE, Mademoiselle DE MONTALAIS

Les Mémoires du temps, auxquels j'ai renvoyé le lecteur (p. 552, note) donnent des détails sur les intrigues de cour, qui firent envoyer en Pologne le comte de Guiche et disgracier la comtesse de Soissons. quant à mademoiselle de Montalais, qui avait abusé de la confiance de mademoiselle de La Vallière pour la trahir, elle en fut perdue à jamais. Aux documents déjà cités j'ajouterai l'extrait suivant du Journal d'Olivier d'Ormesson, à la date du 15 mars 1665. Il résume ces intrigues compliquées :

 » M. de Bar nous dit une intrigue découverte à la cour, et, comme je l'ai sue aussi d'autres personnes et qu'elle peut avoir des suites, je la veux écrire tout entière, comme je l'ai apprise : Il y a quelques années que l'intelligence de Madame avec M. le comte de Guiche1 fit un grand éclat ; M. le comte de Guiche fut envoyé en Lorraine, et, après l'accommodement de Lorraine, il fit le voyage de Pologne. M. de Vardes2 fut commis pour retirer les lettres des mains de mademoiselle de Montalais, et étoit le confident entre les deux ; mais il ne rendit pas toutes les lettres et en retint deux, qu'il mit ès mains de madame la Comtesse, pour s'en servir contre Madame en cas de besoin.3

 » Dans ce même temps, les amours du roi et de mademoiselle de La Vallière commençoient, et madame la Comtesse, voulant les rompre, prit une enveloppe d'un paquet du roi d'Espagne à la reine et concerta une lettre avec Vardes, comme du roi d'Espagne à la reine, pour lui donner avis des amours de mademoiselle de La Vallière et du roi, et ils la firent traduire en espagnol par le comte de Guiche, la firent écrire par le beau-frère de Gourville,4 et l'envoyèrent à Gourville, en Flandres, afin qu'il l'envoyât par un courrier. Cette lettre fut adressée à la señora Molina, Espagnole, pour la rendre à la reine. Elle la donna au roi, qui jugea que c'étoit une lettre supposée ; mais ne put découvrir d'où elle venoit, et l'on prétend qu'il en soupçonna madame de Navailles, et que c'est la véritable cause de sa disgrâce.

 » Depuis, M. de Vardes, s'étant brouillé avec Madame, pour avoir dit au fils de M. le comte d'Harcourt,5 qu'il devoit s'adresser à Madame, sans s'amuser aux suivantes, le roi l'a envoyé, à la prière de Madame, à Aigues-Mortes,6 sans néanmoins lui vouloir de mal, disant qu'il seroit son solliciteur d'affaires. Madame la Comtesse, ennuyée de ce long exil, a fait prier Madame de s'adoucir, et, pour l'y obliger, lui a fait dire qu'elle avoit des lettres et de quoi lui donner de la peine. Madame s'en est irritée, et sachant par le comte de Guiche l'histoire de la lettre, elle l'a dite au roi.7 Ce fut dans la tribune, le jour du ballet, qu'elle en fit sortir madame la Comtesse, et le roi l'ayant pressée de faire quelques civilités à madame la Comtesse et lui disant qu'elle la devoit ménager, ayant des lettres, sur cela Madame lui dit la lettre espagnole. Le comte de Guiche, mandé aussitôt par le roi, après avoir obtenu son pardon, lui a dit toute l'intrigue et a fort chargé Vardes, et le roi a pris par écrit sa déclaration et la lui a fait signer.

 » L'on dit que le comte de Guiche a découvert encore d'autres intrigues sur l'affaire de Dunkerque, et qu'il8 avoit conseillé à Madame de s'y retirer avec Monsieur, et que, soutenue du roi d'Angleterre,9 elle se feroit considérer ; et l'on dit que ces lettres ont été rendues au roi, par lesquelles il mandoit à Madame : « Votre timide beau-frère n'est qu'un fanfaron et un avare. Quand une fois vous serez dans Dunkerque, nous lui ferons faire, le bâton haut, tout ce que nous voudrons. » Le roi a envoyé un exempt à Vardes, avec des gardes, pour l'arrêter prisonnier, le conduire dans la citadelle de Montpellier et lui ordonner de se défaire de sa charge. M. le maréchal de Gramont a eu de longues conférences avec le roi, et l'on dit qu'il a obtenu le pardon pour son fils ; mais néanmoins que c'est un homme dont la fortune est perdue. »

 


NOTES

1. Armand de Gramont, comte de Guiche, né en 1637, mort en 1673.

2. François-René du Bec-Crespin, marquis de Vardes, mort en 1688.

3. Cette première intrigue se place en 1662, comme on le voit par les Mémoires de madame de Motteville et de mademoiselle de Montpensier (voy. plus haut, p. 532.)

4. Olivier d'Ormesson a ajouté à la marge : Ce fait est incertain.

5. Alphonse-Henri-Charles de Lorraine, né en 1648, mort en 1719. Il était fils aîné de François de Lorraine, comte d'Harcourt.

6. Vardes était gouverneur d'Aigues-Mortes depuis 1660.

7. Le dénouement de cette intrigue, qui remontait à l'année 1661, n'eut lieu qu'en mars 1665.

8. Vardes.

9. Charles II, roi d'Angleterre, était, comme on l'a vu, frère de Madame, Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans.


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