Anselm Boetius de Boodt on Fossil Horn, or Unicorns Horn
A note to Pseudodoxia Epidemica, Book III, chapter 23

From Le Parfaict Ioaillier, ou Histoire des Pierreries, Liv. II, chap. CCXLI-CCXLIV (pp. 546-561), (in the 1644 edition, trans. Iean Bachou, ed. André Toll).

De la Corne Fossile, qu'on appelle vulgairement Corne de Licorne, & sçavoir s'il se trouve de Licorne.

Chapitre CCXLI.

Quoy que la corne que l'on tire de terre ne puisse pas estre proprement rapportée entre les pierres: neantmoins parce qu'elle n'est pas beaucoup esloignée, de l'osteocolle, & qu'elle se petrifie & s'endurcit de mesque qu'une pierre. I'ay trouvé à propos de ne pas obmettre son histoire; principalement à cause qu'elle est de haut prix, & de grande auctorité. Car plusieurs Princes l'acheptent pour la vraye corne de licorne. La pierre ceratites peut estre appellée corne fossile: car elle ressemble une corne par sa couleur, & politesse, & quelquefois aussi par sa forme. De plus quelquefois elle se trouve de si excessive grandeur, & espaisseur, que l'on ne peut pas dire qu'elle ayt esté produitte par aucun animal. Sa substance est toujours pierreuse, dure, ou molle. Elle est dure pour l'ordinaire exterieurement, & au dedans molle, blanche, legere, fresle, bien serrée, sans aucuns pores, adstringeante, desiccative, gluante à la langue, d'odeur fort agreable, de mesmes que si on eust meslé de laict avec d'amandes. L'escorce & crouste exterieure tire quelquefois sur le iaune, le gris, le blanc, & le noir.


Où elle se trouve, comment elle s'engendre, & ses especes.

Chapitre CCXLII.

Ces cornes se rencontrent en divers lieux d'Allemagne, à sçavoir dans une caverne sousterraine que l'on appelle vulgairement baumansholtz, proche Helbeingerode de la forest d'Hercinie, ou Cherusce sous le gouvernement des Comtes de Stolberga. Item proche d'Heidelberga, & Hildeshein. Comme encores dans Moravie, Silesie, Saxe, & plusieurs autres lieux. Quant à la matiere plus prochaîne de la generation de ces cornes, i'estime que c'est la à marne, ou un espece de marne, laquelle estant arrousée, ou resoute par une eau petrifiante, qui est sous terre, coule toute liquefié parmi les cavités de la terre, comme du laict, dans lesquelles cavités & fentes, si la portion plus sereuse de l'eau est succée & beuë par la terre, ou qu'elle s'en soit separée & ayt coulé ailleurs, la partie plus crasse emplissant les cavités & fentes, & y estant arrestée, & l'humeur en estant toute espreinté & consommée, se fige & s'endurcit, & exprime la forme des pierres & des cornes, ou de la marne seulement, si l'eau a eu une fort petite vertu & force de petrifier. Ce qui est cause que quelquefois on voit de semblables morceaux tantost fort crasse & tantost fort extenués. Mais si ceste humeur de laict ne tombe pas dans des cavités, mais sur quelque bois desia tout sec de vieillesse, & qu'elle en petentre le corps leger & poreux, la portion de l'eau plus subtile estant exhalée, & la plus crasse demeurant, qui s'y coagule, transforme le bois, & le rend semblable à sa nature: de telle sorte neantmoins que l'on peut reconnoistre l'espece du bois, & quelquefois l'odeur. Ce qui anime au bois, cela mesme peut aussi arriver aux cornes de cerfs, à la dent de l'Elephant, & autres parties d'animaux à quatre pieds, qui tombent dans ces lieux là. D'ou vient que les cornes fossiles different quelquefois tellement entre elles, que peu paroissent de mesme sorte. Mesmes que quelques unes ont la forme & ressemblance de dents, de iambes, de machoires, & autres parties du corps. I'en ay à la maison de plus de vingt differences: neantmoins elle m'ont toutes eté données pour corne de la Licorne. Une de celles-là monstre manifestement sous sa premiere escorce & crouste le bois de fraisne. Une autre de ces differences qui fut trouvé proche Brine Ville de Moravie ressemble tellement un tronc de noyer à l'exterieur, & interieur, que personne à moins que d'estre aveugle, ne peut s'empescher de s'appercevoir que ce n'ayt esté un tronc de cet arbre, & qu'il n'ayt soufert ce changement dans terre. Son odeur aussi rend tout à faict l'odeur de la noix de son arbre. Et ce morceau que i'en ay me fut aussi donné sous le nom de corne de Licorne. De ce mesme lieu fut tirée une piece d'un tronc plus gros qu'une teste d'animal. Les cailloux proche de ces troncs, contenoient dans leurs creux la mesme matiere, mais beaucoup plus molle, & plus fresle, ny ne rendoit l'odeur de la noix. En sorte que personne ne doit douter de la generation de ces pierres.


Les facultés des Cornes fossiles, que l'on prend vulgairement pour la Corne de Licorne.

Chapitre CCXLIII.

Toutes les cornes fossiles ne possedent pas une mesme faculté, ou autant efficace. Car comme elles sont differentes entre-elles en leur forme, origine, & substance; ainsi elles le sont en qualités & facultés. Toutes celles qui sont dures comme des pierres, n'ont aucune odeur, ny aucune moëlle, & à peine sont-elles doüées d'autres force que de celle de desecher. Mias celles qui se reduisent facilement en poudre, qui sont gluantes à la langue, & molles, possedent de grands forces. Car en premier lieu elles sont desiccatives, & adstringentes, elles cicatrizent les ulceres sans mordication. Elles sont bonnes au flux de ventre, de la chaude pisse, & des menstruës blancs. Elles arrestent le sang qui sort des narines, des hemorrhoïdes, des playes, ou de la poictrine. Elles empeschent aussi les larmes des yeux de couler; si apres que l'on les a reduit en poudre ters-desliée, on les distille dans les yeux avec du laict. Outre ce si leur moëlle a une odeur agreable, elle est en premier lieu amie & agreable au cœur, & le conforte & le fortifie, de mesmes que le boli armeni ou la terre Lemnienne, de peur qu'il ne soit facilement opprimé par l'air infect, ou par le venin qu'on aura prins. Et mesmes si la substance de ceste moëlle devant la transmutation a esté d'un cerf, d'un elephant, d'un fresne, d'une noix, d'un arbre, ou autre chose qui resiste & est contraire aux venins, elle aura une tres-grande energie pour les chasser & surmonter: & encores plus grande si l'odeur de l'arbre mesmme, ou premiere substance, peut estre apperceuë. Car alors il est certain que quelques qualités sont encores restées dans le corps changé, & que les forces qui sont attachées à la matiere plus subtile, ne sont pas encores peries, mais qu'elles sont augmentées, une nouvelle matiere sousterraine survenant. Une corne donc de ceste sorte & qualité est un tres-souverain & unique antidote, pour chasser tous venins, fievres pestilentielles, & la peste mesme, en faisant prendre au malade avec eau appropriée, ou vin oligophore; lors qu'il n'y a pas grande ardeur de fievre, le poids d'une dragme, ou quatre scrupule: & qu'apres een vaoir pris on se mettre en estat & devoir de suer. Car par les sueurs toute sorte de venins; quoy qu'il fust coulé iusques dans les veines, & habitude de tout le corps, est facilement chassé, & le cœur muni & preservé contre tout daner. Ce que de verité i'ay experimenté en plusieurs, & ay ouy dire à ceux à qui i'en avois baillé de con (que i'avois premierement remarqué estre d'un bois de fresne) l'avoir experimenté.

Un certain enfant ayant avallé une petite balle de plombe, qui avoit esté cachée l'espace de plusieurs années sous des toiles d'araignées, prit sur le champ le ventre tellement enflé, qu'il paroissoit à ceux qui estoit presens, dansle peril de crever. Iceluy ayant beu un scrupule de ceste moëlle fut delivré de son mal. Ce qui surprit l'admiration de tout le monde. Une femme ayant esté blessée d'un fer evenimé, dont le venre luy estoit devenu enflé, comme un outre; en sorte qu'elle estoit tres-proche de mourir, ayant subitement prise de la poudre, elle fut guerie pardessus l'esperance de tout le monde. Elle profite contre l'epilepsie, sincope, cadiaque passion, tremeur du cœur, la baillant au malade avec eau appropriée, du poids d'une dragme. Elle provoque puissamment les sueurs, pour ceste raison elle est propre aux fievres malignes & pestilentielles, & pousse tout le venin dehors sur la peau.


De la vraye Corne de Licorne, & sçavoir si elle se trouve.

Chapitre CCXLIV.

Depuis plusieurs années aucune chose n'a possedé tant de dignité & d'estime parmi les Ioaliers, & les Peintres que la corne de licorne, comme n'estant rien au monde de plus souverain pour connoistre, pour preserver, & pour surmonter toutes sortes de venins: en sorte qu'elle surpasse de beaucoup le prix de l'or. Mais parce que plusieurs doutent, si l'animal dont la corne doit posseder tant de vertus admirables, est sur la terre, ou non; les uns l'asseurans & le depeignans, & les autres nians qu'il s'en trouve; i'ay iugé à propos, puis quil y a plusieurs animaux, qu portent une corne seulement au front; à qui partant le nom de Licorne convient, de les escrire tous succinctement, & aussi leurs cornes; & de plus examiner quel est cét animal, qui porte une corne de si grandes facultés. Car il me semble tout à faict absurde de nier qu'un tel animal, comme est celuy que Pline, Elian, & Vertoman descrivent pour Licorne, ne se trouve pas dans tout le monde. Car quoy qu'en ce temps plusieurs parties du monde par l'industrie des navigeurs, ayent esté descouvertes; qui neantmoins est celuy qui a parcouru tous les coings de l'Asie, Chine, Cathaïe, Tartarie, Afrique, & Amerique pour sçavoir si un tel animal se trouve. Nous devons donc croire tout autant de temps à ceux qui asseurent avoir veu cét animal, & sçavvoir les facultés de la corne d'iceluy par experience, qu'il apparoisse, tous les coings du monde estans foüillés, que l'animal qu'ils ont descrit ne se trouve en aucune part. Mais comme i'ay dict, parce qu'il y a plusieurs animaux, qui portent seulement une corne; peut estre qu'à un de ceux-là, quoy qu'ily ayt à present un autre nom (comme avec le temps les noms des choses changent) il arrive qu'il porte ceste veritable & tant chantée corne: & qu'à un autre, quoy qu'il ayt le nom de Licorne & porte seulement une corne, il arrive que ceste corne qu'il porte, soit privée de toutes ces forces. Pline escrit au Livre 8. Chap. 21. qu'és Indes on trouve des bœufs, qui ont la corne des pieds d'une piece, & qui n'ont qu'une corne. Apres un peu plus bas: qu'il y a aussi des Licornes, qui est la plus furieuse beste de toutes, lesquelles ont le corps entierement comme un cheval, la reste de cerf, les pieds d'Elephant, & la queuë de sanglier. Qu'elle heurle fort hideusement, & a une corne au milieu du front, qui est de deux coudées de long.a Garsias ab Horto Medecin du Lieutenant du Roy des Indes,, escrit que les Indois tiennent le Rhinocerot pour la vraye Licorne, qu'il porte une corne courte au front, noire, de l'espaisseur d'un bras, se terminant en poincte, lequel aussi a le poil d'un asne: & qu'ils se servent de sa corne contre les poisons & venins, ayans opinion que c'est la corne de Licorne. Mais luy n'estime pas que cét animal que les Autheurs appellent proprement Licorne, & qu'ils ont descrit sous ce nom soit le Rhinocerot. Et de plus il n'estime pas que les Autheurs qui ont descrit la vraye Licorne, l'ayent iamais veu. Il rapporte en ces termes tout ce qu'il en a entendu dire. Ie raconteray en c'est [sic] endroit ce que i'en ay appris par personnes dignes de foye. Ils disent qu'entre le Promontoire de bonne esperance, & celuy que vulgairement on appelle Descourantes, ils ont veu une certaine espece d'animal terrestre. Encores qu'il se plaist aussi fort en la Mer, lequel avoit la teste & le crin d'un cheval (toutefois que ce n'estoit pas un cheval marin) ayant une corne de deux empans de long, mobile, & laquelle il tournoit tantost à dextre, tantost à senestre, tantost la haussant, & tantost la baissant. Que cét animal combat furieusement contre l'Elefant, & que sa corne est fort prisée contre les venins, dont ils avoient faict l'essay ayant donné à boire de poison à deux chiens, l'un desquels à qui on avoit fait boire double quantité dudict venin, ayant avalé de la poudre de ladicte corne avec de l'eau, soudain avoir esté guery; & l'autre auquel on n'avoit donné que ien peu du mesme poison sans luy faire prendre de la corne susdicte, estoit tombé roide mort tout incontinent. Iusques à present Garsias.1 Il y a aussi un autre animal qui porte seulement une corne au front, que Pline au Livre 11. Chap. 37. de l'histoire naturelle, & au Chap. 46. appelle asne Indique, & en dict les choses suivantes. Les asnes d'Inde ont seulement une corne, aussi ont certains chevreuls, qu'on appelle Oris, qui neantmoins ont le pied fourchu. Les asnes d'Inde seuls entre tous animaux, qui ont la corne du pied d'une piece; ont des talons. Aristote au Livre 2. de l'histore des animaux, Chap. 8. & au 3. Livre de la part. des animaux, Chap. 2. faict aussi mention de l'asne d'Inde, & de chevreul Oris, qui n'ont qu'une corne, & asseure que l'asne d'Inde porte une corne sur le front, & qu'il a la corne des pieds d'une piece, & qu'il a aussi des talons; & que l'Oris porte aussi une corne au front, mais qu'il a le pied fourchu. Il se treuve donc de cinq sortes d'animaux differens, qui portent une corne, le bœuf d'Inde, le Rhinocerot, la Licorne, l'asne d'Inde, & l'Oris. Or la raison pour laquelle les anciens on[t] baillé le nom de monocerot, ou Licorne a un animal particulier, different du bœuf d'Inde, du Rhinocerot, & de l'Oris, est clairement enseigné par le tesmoignage & rapport d'Ælian. Car il dict dans son second Livre des animaux avoir ouy dire: (car il n'est pas tesmoins oculaire) que le monocerot qu'ils appellent cartazonon approche de la grosseur d'un cheval, qu'il est de poil & de crin roux, qu'il a les pieds forts, & est d'une parfaicte constitution de tout le corps, qu'il a comme l'Elephant les doigts du pied conioincts, qu'il a une queuë de sanglier, qu'il a entre les deux sourcils une corne noire, non lissée & unie, mais toute entaillée de rayes naturelles, un peu profondes, & qu'elle se termine en pointe fort aiguë, qu'il a une voix fort hideuse, plus que tous autres animaux,2 & qu'il revest un naturel doux parmi toutes les autres bestes qui l'approchent; mais qu'il combat avec celles de son troupeau, & n'est pas seulement en dissension avec les masles de son espece par une certaine naturelle contention: mais qu'il combat aussi contre les femelles; & que leur combat s'eschauffe iusques à s'arracher la vie. Car il est doüé de tres-grandes forces, & armé d'une corne qu'on ne peut surmonter: & qu'il court par les regions desertes. Il faut icy remarquer que Ælian ne descrit aucune facultés de la corne du Monocerot. Il escrit de plus les choses suivantes de l'asne d'Inde, dans le Livre cinquiesme. I'ay appris que dans les Indes naissoient des asnes sauvages, non moins grands que des chevaux, lesquels ont le corps blanc, & la teste de couleur de pourpre, qu'ils ont les yeux noirs, & qu'ils portent une corne sur le front, dont le dessus est de couleur rouge, le dessous de couleur blanche, & le milieu de couleur noire. Que les Indois, non pas le vulgaire, mais les plus riches, & les plusnobles, ont de coustume de boire dedans: apres les avoir doré & façonné toutes autour par espaces esgaux; de mesmes que des brasselets qui sont autour du bras. Que celuy qui boit dans ceste corne est preservé & empesché de tomber en maladies incurables, d'estre attaqué de convulsions, de mal caduc, & de venin. Et mesme s'il a beu premierement quelque chose de pestilent qu'il le vomit, & recouvre la santé: desquels deux passages d'Ælian l'on peut recueillir, que la corne de l'asne d'Inde, est celle-là qui est recherchée de tout le monde pour les venins, & non pas la corne de Monocerot, qui n'a qu'une couleur noire, & est toute pleine de rayes un peu profondes: & est monstrée & gardée ordinairement par les Princes, pour la vraye corne de Monocerot, qui est pourtant privée de toute force contre les venins. La cause pour laquelle les facultés que la corne d'asne d'Inde possede, sont attribués à la corne de Monocerot, a esté peut-estre le nom de Monocerot, qui comme i'ay dict devant, peut estre concedé à l'asne d'Inde. Car l'asne d'Inde est un animal aussi bien unicorne que l'animal appellé proprement monocerot. Or sçavoir mon si l'animal, que Garsias ab Horto descrit sous le nom de monocerot, & qui se trouve proche le Cap de bonne esperance, est le mesme que l'asne Indique, l'on ne le peut pas assez coniecturer par les signes & marques qu'il baille. Vertoman tesmoigne d'avoir veu deux Monocerots, qui n'avoient qu'une corne, & estoient de la grandeur d'un cheval.3 Qu'ils avoient les iambes, les pieds, & la teste d'un cerf, la peau toute mouchetée de poils de diverses couleurs, un crin de cheval; mais non pas si espais, & que c'est une espece d'animal docile & traictable. Ceste description convient assez bien avec celle d'Ælian: en sorte qu'u mesme animal semble estre descrit. Pour ce qui touche l'Oris il est à present incertain quel animal ç'a esté. Il est neantmoins certain que ç'a esté une espece de chevre sauvage, qui porte une corne seulement. A present quelques-uns croyent que ce soit le chevreüil dont l'on recueille le musc, le gazelle, ou le pigarge, ausquels animaux neantmoins quelques-uns attribuent deux cornes, d'autres une seulement. L'on trouve chez les Princes & grands Seigneurs diverses particules & morceaux de corne, sous le nom de corne de Licorne. Mais iusques à present (quoy que i'en aye ramassé plus de vingt differentes sortes) ie n'en ay iamais veu particule semblable à la corne de l'asne d'Inde. Tout autant que i'en ay retirent sur le noir, sont pasles, ou blanchissent: de sorte que tous ces morceaux representent ou l'yvoire, ou la corne de cerf, ou b la dent de rosmarin. Et si ils sont tirés de terre l'ont peut facilement iuger qu'ils y ont esté mangées par le temps, qui consomme tout, & qu'ils y sont devenus plus mols. La mere de ma belle-sœur avoit une particule, qui fut coupée d'une corne assez grande, laquelle avoit esté vendue plusieurs milles. Elle m'asseuroit que sa mere avoit operé des prodiges, & des miracles avec ceste particule. Elle estoit blanche, de mesme qu'est l'yvoire & interieurement creusée, comme ont de coustume d'estre les cornes. La partie exterieure estoit de espaisseur de la peau de pourceau, presques transparente, & tirant sur le iaune. Vous eussiés iugés que c'estoit une piece de lard de pourceau avec la peau, changée en corne. Car elle estoit marquée d'un ligne droicte, iustement au dessus de la partie interieure tres-blanche, laquelle representoit parfaictement la peau de pourceau. Ceste corne estoit tres-dure, & à peine pouvoit-elle estre surmontée par la lime. Elle rendoit aussi l'odeur que toutes cornes ont coustume de rendre, quand on les ratisse avec la lime. Mais elle n'a esté ny corne du Monocerot, ou d'asne d'Inde; & il n'importe aucunement, veu que la nature peut aussi bien enrichir les cornes des autres animaux de forces & facultés, que celle-là. Pour confesser ingenuément la corne de cerf, selon l'experience de plusieurs, ne possede pas de petites forces contre les venins: en sorte que la corne de l'asne d'Inde defaillant, elle peut iustement succeder en sa place. Lors que i'estois à Venise, il y a plus de vingt cinq ans, deux cornes me furent monstrées, par un certain Simpliste, fort curieux des choses antiques, dont l'une estoit de quatre pieds de longueur pour le moins, & estoit environ aupres de la base de l'espaisseur d'un gros œuf de poule, & insensiblement se degrossissoit & se terminoit en pointe esmoussée: sa couleur exterieure estoit d'yvvoire, & l'interieure tres-blanche. Despuis la base iusques quasi à la cime, estoient gravées de petites rayes un peu profondes. Il asseuroit que c'estoit la corne d'un animal appellé hypopotame, vray Licorne, & qu'elle estoit doüée des facultés que l'on attribuë à la corne de Licorne. I'ay veu plusieurs fois l'hypopotame dépeint, & les anciens Empereurs de Rome en faisoient graver l'effigie dans leurs escus, & dans les symboles. Mais ils estoient tousiours sans cornes. De quel donc animal a esté ceste corne, ie ne l'ay peu sçavoir, iusques à present: il m'a neantmoins semblé que c'estoit la dent de Rosmarin. L'autre corne estoit longue de six pieds; la base estoit de l'espaisseur d'un gros œuf de pigeon, ou d'un petit œuf de poule, qui s'extenuoit & se diminuoit petit à petit en pointe fort aiguë. Elle estoit cresée au dedans, despuis la base iusques à la profondeur de deux pieds. Sa couleur exterieure estoit presque noire, comme a de coustume d'esstre le dedans du bois guayac: elle estoit tellement polie & lissée, & avoit despuis la base iusques à la poincte des rayes gravées & couchées par esgale distance avec tant de proportion, qu'elles sembloient estre faictes par la main d'un artisan. Il disoit que celle-là n'estoit pas la corne de la Licorne, mais du gazelle, que quelques-uns appellent chevreüil, qui baille le musc, & disent estre unicorne. Mais avec abus (comme Gesnerus a remarqué) car le gazelle est un animal à l'endroict duquel d'autres ont d'autres opinions, & est entierement different du chevreüil qui baille le musc. Peut-estre que c'estoit la corne du pigarge que quelques-uns disent aussi estre unicorne & estre une espece de chevre sauvage. A la verité ce Lapidaire, ou Simpliste, qui avoit ceste corne, asseuroit que la Gazelle portoit deux semblables cornes, mais qu'elles estoient courbées, & que l'on les redressoit avec de l'eau chaude. Car la corne s'y mollifie, & apres avec la main on les redresse. Pour dire le vray ceste corne respondoit de tous points, & avoit toutes les marques de la vraye corne de Licorne; & ie l'ay prise pour elle mesme, quoy qu'il n'eust un tout contraire sentiment. Car les Marchands persuadent facilement à ces personnes peu experimentées, à qui elles croyent. Peut-estre parce qu'elle n'estoit pas doüée de forces pour chasser & empescher les venins, il ne l'a pas voulu tenir pour la corne de Licorne; quoy que neantmoins, comme i'ay dict la corne de Licorne n'est doüée d'aucune de ces vertus. I'ay veu une toute à faict semblable corne chez Philibert de Boïs Marchand de Prague, lequel l'avoit receu du Legat du Duc de Moscovie, estant à Prague, en gage pour mille Ducats. Mais lors que l'on eust apperceu qu'elle ne possedoit aucune force contre les venins, elle fut iugée par les Ioaliers n'estre pas la corne de Licorne; quoy qu'elle en eust toutes les marques pour la faire passer telle.

Celuy donc qui desire la corne de la Licorne, doüée de forces, qu'il cherche ou la corne de l'asne d'Inde, ou du Rhinocerot, ou ceste corne qui ressemble une piece de lard, ou la corne qu'on tire de terre, qui ayt esté premierement ou yvore, ou corne de cerf, ou bois de noyer, ou de fresne, ou bien d'autre substance & matiere loüée pour resister aux venins; & qui contienne une moëlle gluante à la langue, blanche, rendant bonne odeur, & boüilant dans le vin. Car ainsi il aura obtenu ce qu'il veut, & aura un medicament, qui n'est pas de petite consideration contre les venins.

a.  Au Livre premier dans l'histoire des aromats & des simples, Chap. 14.

b.  Pierre Belon dans ses observations Livre 1. Chapitre 14. tesmoigne qu'autrefois fut venduë la dent de Rosmarin pour la corne de Licorne. Voicy ses parolles. Qui est celuy là, ie vous prie, des anciens tant Grecs que Latins, qui croye qu'une particule d'une chose mesprisable & inconnuë, laquelle neantmoins sçavons pour l'ordinaire estre de la dent du poisson, que les François appellent Rohart, & les habitans de la mer Septentrioonale (comme Olaus Magnus) mors, dotue estre estimée trois cents Ducats. Car lon nous en a monstré des fragmens pour les reconnoistre & discerner, lesquels avoient esté acheptés pour la corne de Licorne trois cents Ducats, lesquels neantmoins n'estoient que des petits orbes, la dent du poisson Rohart. En ce mesme lieu il tracite plusieurs choses de la Licorne.


NOTES

1. Garcias ab Horto (1589), Dell'Historia de i semplici aromati, I,xiv. Boodt quotes nearly word for word Garcias's description; for the Italian, see the note in Pseudodoxia Epidemica, Book III, Chap. XXIII.

2. Like the Woozy.

3. One horn each, of course. Vartomannus says that one was the size of a horse of 30 months or so, the other the size of a colt. His Latin leaves it unclear whether he saw the unicorns at Mecca himself, but he is generally thus understood and translated.


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