Ambroise Paré, Epistre de la corne de Licorne

From Discours d'Ambroise Paré, Premier Chirurgien du Roy. Paris: 1582; the second introductory epistle, unnumbered pages 5-9.

EPISTRE
De la corne de Licorne.

Monseigneur apres vous avoir discouru de la Mumie voulustes aussi sçavoir ce qu'il me sembloit de la corne de Licorne, & si i'avois cogneu par quelque experience qu'elle eust puissance contre les venins. Lors ie vos feis reponce qu'on ne sçait à la verité quelle est ceste beste, mesmes que aucuns doutent que ce ne soit une chose controuvee: Car les uns disent que c'est une beste incognue, & qu'elle naist aux Indes: les autres en Æthiopie, d'autres és terres neufues, & les autres és deserts inacceßibles, & n'en parlent tous que par ouy dire, & comme ils sont differens de la description des lieux ou naist laditte Licorne, ils sont pareillement discordans de la forme & figure & couleur & de sa corne, & des pieds & des mœurs: Car les uns disent qu'elle est la plus furieuse & cruelle de toutes les bestes, & qu'elle heurle fort hideusement, & que iamais on ne la prend vive: Autres au contraire la disent fort doulce & benigne, & s'amouracher des filles, prenant plaisir à les contempler, & qu'elle est souvent prise par ce moyen. Plusieurs tiennent que si l'on fait tremper de la corne de Licorne en de l'eau, & que de ceste eau on face un cercle sur une table: Puis qu'on mettre dedans ledit cercle un Scorpion ou araignee, ou un crapault, que ces bestes meurent, & qu'elles ne passent aucunement par dessus le cercle. Je l'ay voulu experimenter, & ay trouvé cela estre faulx & mensonger.

Autres disent que si on faisoit avaller à un poulet ou pigeon qui eust pris Arsenic ou sublimé ou quelque autre venin, il n'en sentiroit aucun mal: cela est pareillement faux, comme l'experience en fera foy.

Autres tiennent pour choses veritables que la vraye Licorne estant mise en l'eau se prend à bouilloner, faisant eslever petites bubes d'eau comme perles: Je dits que cela se fait außi bien aux cornes de bœuf & de mouton & d'autres animaux, voire és tez de pots, tuilles & briques: ce que vous veistes par experience lors que ie mis en un verre d'eau des os de mouton & des tez de pots & vous en dis la raison, dont fustes fort content.

Autres disent avoir grande vertu contre la Peste, & autres venins, & croy pareillement estre chose fabuleuse. Quelqu'un me dira que poßible les cornes dont i'ay fait mes espreuves n'estoient vrayes cornes de Licorne. A quoy ie responds que celle de sainct Denis en France & celle du Roy que l'on tient en grand' estime, & celles des marchans de Paris que l'on vend à grand prix ne sont donques vrayes cornes de Licornes: Car ç'a esté sur celles la que i'ay fait espreuve: & si on ne me veult croire qu'on vienne à l'espreuve comme moy: Et on cognoistra la verité contre la mensonge.

Or Monseigneur ces contrarietez d'opinions, & les espreuves qu'on en faict font iuger que tout ce que l'on dit des Licornes est chose controuvee à plaisir par les paintres & historiographes: Et ne suis seul de cest opinion. Car il y a plusieurs doctes Medecins gens de bien, craignans Dieu, qui sont de mon avis, comme ie monstreray cy apres en ce discours: Et principalement feu Monsieur Chappelain Conseiller & premier Medecin du Roy Charles neufieme, lequel en son vivant estoit grandement estimé entre les gens doctes. Un iour luy parlant du grand abus qui se commettoit en l'usage de corne de Licorne, ie priay veu l'authorité qu'il avoit à l'endroit de la personne du Roy nostre Maistre d'en vouloir oster l'usage & abus, & principalement d'abolir cest coustume qu'on avoit laisser tremper un morceau de Licorne dans la coupe ou le Roy beuvoit, craignant la poison, & qu'elle est beaucoup plus chere que l'or, comme l'on peut voir par la supputation: Car à vendre le grain d'or fin unze deniers pite, la livre ne vault que sept vingts huict escus sol, & le grain de corne de Licorne vallant dix sols, la dragme à raison de soixante grains vault trente livres, & l'once à raison de huit dragmes vaut deux cens quarante livres, & consequemment la livre à raison de seize onces vault trois mil huit cens quarante livres, lesquels reduicts en escus vallent douze cens quatre vingts escus: A cest cause il feroit beaucoup d'oster ceste superstition & larcin qu'on faict au peuple. Il me feist responce qu'il voyoit l'opinion qu'on avoit de la Licorne tant inveteree & enracinee au cerveau des Princes & des peuple, que ores qu'il l'eust volontiers ostee, il croyoit bien que par raison n'en pourroit estre maistre, & que les Medecins ayans une bonne ame encores qu'ils sachent qu'elle ne vault rien, n'ayant aucunes vertus qu'on luy attribue, sont souvent contraints de permettre aux malades d'en user parce qu'ils la desirent & en veulent. Et que s'il advenoit qu'ils mourussent sans en avoir pris, les parens donneroient tous la chasse ausdits Medecins, & les deseriroient comme la faulse monnoye. D'avantage disoit que tout homme qui entreprend à descrire de choses d'importances, & notamment de refuter quelque opinion receue de long temps, il ressemble au Hibou ou chatuant lequel se monstrant en quelque lieu eminent se met en butte à tous les autres oyseaux, qui le viennent becqueter & courir sus à toute reste.

Aussi ie vous discourus pareillement que la Licorne n'a nulle vertu contre les venins comme le monde luy attribue par ce que tous venins ne font pas leurs effects d'une mesme façon: Car il y en a de chauds, de froids, de secs, d'humides: Autres qui operent par qualité occulte & secrette, & que chacun a son propre accident lequel doit estre guari par son contraire. Partant la Licorne ne peut resister à tous venins, comme il sera demonstré cy apres.

Je vous feis pareillement un petit discours de la Peste, ou i'ay monstré que la Licorne n'a nulle force & vertu pour contrarier au venin pestiferé. Ou ie me suis efforcé tant qu'il m'a esté possible d'enseigner les ieunes Chirurgiens qui sont appellez à penser les pestiferez: Ou ie suis bien asseuré qu'il y en a qui ne virent iamais aposteme, ny charbon ny pourpre pestiferé, à qui ce petit traicté pourra grandement servir. Außi que les pauvres malades touchez de ceste contagion delaissez de tout secours de pourront eux mesmes aider à leur guarison à raison que i'ay escrit en langage vulgaire, & fort familier, & les remedes aisez à cognoistre, & la maniere de les preparer & comme il les fault diversifier, si bien que toutes personnes s'en pourront aider. Or i'en ay escrit ce me semble le plus pres approchant de la verité, par ce que i'ay esté touché de ce mal, & souffert l'aposteme soubs l'aisselle, & le charbon au ventre: Et s'il est bien seant à un vieil Capitaine de parler de la guerre, & au Marinier de discourir de la navigation, aussi ne me sera il pas mal seant apres avoir longuement exercé la Chirurgie, specialement à l'endroit des pestiferez, de mettre derechef en lumiere ce petit extrait du vingtcinquiesme livre de mes œuvres pour enseigner les ieunes Chirurgiens, & les pauvres malades delaissez de tout le monde pour se secourir eux mesmes.

Ayant entendu ces discours me priastes (ce que ie receu pour commandement) les mettre par escrit à fin d'envoyer ces abus à vaul'eau, & que le monde n'en fust plus trompé, lors ie vous dis que i'en avois aucunement escrit en mes œuvres: Vous me repliquastes que plusieurs ne pourroient avoir toutes mes œuvres, & qu'ils auroient tout ces discours plus facilement & à meilleur prix: Ce que volontiers ie vous accorday. Toutefois ie croy que ce ne sera sans contredit: Mais i'espere qu'en serez le protecteur & defenseur, veu la grande authorité & credit qu'avez en toute la France: Car l'ors que ce petit livre sera en lumiere ie ressembleray au Hibou, & croy qu'il y aura quelque Gay ou meschant Corbeau ennemy de la verité & de la Republique qui me caiolleront & becquetteront. Mais ie leur tendray volontiers mes espaules pour me battre fort (toutefois sans me faire aucun mal) & s'ils me peuvent assaillir de quelque bon traict de raison ou d'experience, tant s'en fault que ie m'en trouve offensé qu'au contraire ie leur en sçauray fort bon gré de m'avoir monstré ce qu'onques ie n'ay peu apprendre des plus doctes & signalez personnages qui furent & sont encore en estime pour leur doctrine singuliere. Voyla Monseigneur ce qu'il me semble de la Mumie, de la corne de Licorne, & de la Peste. Priant Dieu

Monseigneur vous donner & à Madame vostre compagne, ensemble à tous ceux de vostre maison prosperité en ce monde, & fœlicité perpetuelle.

Vostre treshumble & tresaffectionné serviteur à iamais. A. PARÉ.


Discours de la Licorne


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