Epistre de la corne de Licorne

Ambroise Paré, De la Licorne
A note to Pseudodoxia Epidemica, Book III, chapter 23

From Discours d'Ambroise Paré, Premier Chirurgien du Roy. Paris: 1582, folios 15-43.

DISCOURS DE LA LICORNE.

Chapitre I.

Par ce que plusieurs s'estiment bien asseurez, & munis contre la Peste, & toutes sortes de poizons & venins, par le moyen de la corne du Licorne ou Monoceros, prise en pouldre, ou en infusion: i'ay pensé faire chose agreable & profitable au public, si par ce discours i'examine cest opinion tante inveteree, & toutefois fort incertaine. Premierement on entend par ce mot de Licorne, une beste naissante en fort lointain païs, ayant une seule corne au front, qui est prise comme chose miraculeuse contre tous venins, & fort estimee des Roys, Princes, & grands Seigneurs, & mesme de vulgaire. Les Grecs l'appellent Monoceros, & les Latins Unicornis. Et de pouvoir dire & asseurer à la verité quelle est ceste beste, il est fort difficile, mesme que aucuns doutent que ce ne soit une chose faulse, & controuvee par le vulgaire, lauelle avec le temps soit venuë en opinion, & que quelqu'un en peult avoir escrit, soit par simplicité, ou delectation, voulant emplir ses livres de choses merveilleuses & extravagantes, se souciant bien peu si elles estoient vrayes, ou faulses. De faict la description de ladicte Licorne porte avec soy une doubte manifeste, veu que les uns disent que c'est une best incognue, & estrange, & qu'elle naist aux Indes, les autres en Æthiopie, d'autres és terres neufues, les autrs és deserts: dont on peult coniecturer (comme dit André Baccy, medecin tres docte, en son livre De la nature de la Licorne) que ce peu de cognoissance que l'on en a eu iusques à present en notre Europe, comme d'une chose estrange, a esté donnee par gens barbares, lesquels, comme il appert, n'ont peu dire autre chose, sinon qu'elle naist és deserts, & qu'elle est solitaire, & hante les lieux inaccessibles, & partant que c'est une chose qui se voit fort rarement. Qui demonstre assez, que ces gens là n'en sçavent rien au vray, & qu'ils n'en parlent que par opinion & par ouyr dire.

Chapitre II.

D'avantage les autheurs qui en ont escrit du commencement, estoient fort peu renommez, & n'en faisoit on pas grand cas. Car le premier qui en a escrit (comme on peult voir en Pline au livre 8. chap. 21.) fut Ctesias, duquel Aristote en son livre 8. de son histoire des animaux, chap. 28. parle comme d'un autheur peu croyable. Or touchant Ælian, il semble qu'il en doibt avoir parlé à la verité, comme ne faisant profession que de parler des animaux: & toutefois lon voit qu'il est en doubte, en parlant tousiours en ces termes, On dict, ils disent, on entend. Et ce parce que tous les autheurs qui en ont escrit iusques à present, en ont tous parlé diversement. De faict, que comme ils sont differents en la description des lieux, où naist ladicte Licorne, ainsi font ils de la forme d'icelle. Les uns disent, qu'elle ressemble à un Cheval, les autres à un Asne, les autres à un Cerf, les autres à un Elephant, autres à un Rhinoceros, autres à un levrier d'attache. Bref chacun en dict ce qu'il en a ouy dire, ou ce qu'il luy plaist de controuver. les uns en font deux especes, d'autres trois. Il y en a qui disent qu'elle a la corne du pied entiere comme celle d'un cheval, autres fendue comme celle d'une Chevre, autres comme d'un elephant, comme Pline, & Ælian. Or lesdits autheurs ne discordent pas seulement pour le regarder des lieux de la naissance, ny de la forme de ladicte Licorne, mais aussi en la description to le corne d'icelle. Car les uns la figurent noire, les autres de bay obscur, & qu'elle est blanche en bas, & noire en hault. Un autre dict, que vers le hault elle tire sur le pourpre, un autre, qu'elle est polie, & d'autres que depuis le hault iusques en bas elle est rayee tout à l'entour, comme une coquille de Limaçon, par un artifice tresbeau. Plus les uns la descrivent moins large, les autres plus longue. Conclusion, tous different, tant les anciens que les modernes: mesmes ils se sont trouvez confus en l'experience de plusieurs cornes pretendues de Licornes, qui se trouvent és thresors des Roys & Princes Chrestiens, en ce que lesdites cornes ne se sont trouvees toutes propres à un mesme usage: mais en certaines choses ils ont trouvé vray ce qu'en ont dict les Anciens, & on beaucoup d'autres, non. Et ce qui en faict douter d'avantage, ce sont les promesses excessives, & incroyables, que quelques uns mettent en avant des vertus de ceste corne contre la peste, le spasme, mal caduc, & contre tous les venins. Et pour le faire croire aux Princes, ils disent qu'il n'est besoin en prendre par la bouche, comme l'on faict de la theriaque, & autres alexitaires preservatifs, mais qu'il suffist que cest corne soit tenue seulement à l'opposite du lieu où fera le venin, & que subit le venin se descouvre. Et pour faire croire ces miracles, ils se veulent prevaloir de quelques tesmoignages des anciens, que les Roys d'Indie faisoient faire des tasses de certaines cornes,1 où personne qu'eux ne beuvoit, & que par ce moyen ils s'asseuroient d'estre exempts de toutes maladies incurables, & que le iour qu'ils avoient beu dans ces tasses, ils ne devoient craindre aucun venin, ny autres adversitez. Bref, une infinité d'autres promesses impossibles, lesquelles d'autant qu'elles excedent toute creance humaine, d'autant donnent elles occasion à ceux qui ont quelque peu d'esprit, de tenir pour faux tout le reste qui en a esté dit, & escrit.

Chapitre III.

Quelques'uns pourroient penser, veu la conformité de ces deux noms, Rhinoceros, & Monoceros, c'est à dire Licorne, que ce fust tout un. Mais si cela estoit vray, il n'y auroit desia plus de doute qu'il ne fust des Licornes: d'autant qu'il est tout certain, que le Rhinoceros a esté veu plusieurs fois aux spectacles publiques des Romains. que si c'est un autre animal different, comme il est à presupposer, il sourd une aultre difficulté plus grande. Car parmy tant d'animaux que l'on menoit de toutes les parties du monde es merveilleux spectacles de Rome, il ne se trouve point que l'on ayt iamais veu une seule Licorne. Et quand l'Amphitheatre de Diocletian fut dedié, l''on y mena pareillement de tous costez un bien grand nombre d'animaux fort estranges, & ne lit on point qu'il se soit faict iamais une plus grande recherrche, qu'au temps de Gordian. Car voulant triompher des Perses, & celebrer la fest seculiere pour ceste annee glorieuse, qui estoit mil ans apres l'edification de Rome, que Philippe premier Empereur Chrestian son successeur a depuis encores celebré, il y feist conduire des Ours, des Lions, des grands Cerfs, des Rhinoceros, Taureaux sauvages, Sangliers, Chameaux, Elephans, Tigres, Ellens, Porcsespics, Civettes, Crocodiles, Chevaux sauvages, & marins, appellez Hippopotames, & autres innumerables animaux cruels & farouches, dont la plus par se trouve és deserts d'Ægypte, & és isles lointaines: entre lesquelles fust grand' merveille que la Licorne ne fut point amenee avec les autres animaux. Quand Gordian voulut triompher des Perses, la Licorne n'y estoit, & ne precedoit tous les autres animaux à cause de sa rareté si elle se trouve, comme l'on dict, en ces costes là: Qui me faict croire que la Licorne se trouve bien rarement. Et semble, à veoir cest variteté d'opinion entre les autheurs qui en ont escrit, attendu aussi les promesses excessives & incroyables (comme a esté dit) de Ælian, & autres, que ce soit une chose fabuleuse. Cest argument aussi pris des triomphes des Empereurs seroit par moy mal conduit, & ne conclurioit pas, s'il n'estoit prouvé; comme ie fais au 7. chap. de ce traicté, par l'authorité de Pausanias, que Monoceros & Rhinoceros sont divers animaux. Parquoy ce seroit alleguer faulx contre moy, qu'il eust des Licornes en ces triomphes, pource que on y vit des Rhinoceros, qui sont autres animaux que la Licorne: veu que le Rhinoceros a deux cornes au nez au dire de Pausanias, & la Licorne n'en a qu'une, comme monstre le nom Monoceros.

Chaptire IIII.

Aucuns sont d'opinion, que la corne que l'on monstre pour corne de Licorne, est une dent de Rohart, qui est un poisson de mer. Autres disent que l'on ne peut iamais prendre vive la Licorne, d'autres di[s]ent en avoir veu une troupe comme l'on voit icy les moutons. Partant ces choses considerees, le lecteur en croira ce qu'il voudra. Et quant à moy, ie croy que la Licorne n'a encores esté descouverte, ou pour le moins bien rarement, & que ce n'est qu'une imposture de vendre tant de corne de Licorne, que l'on faict accroire, comme l'on en peut tirer de grandes coniectures de ce que ie diray cy apres. Æneas Silvius Picolomini, qui a esté depuis Pape Pie second, en son livre de l'Asie chap. 10 escrit de l'authorité d'un Nicolas Venetien, que vers la fin d'Asie, en une province nommee Marcino, entre les montaignes de l'Inde, & de Cathay, il se trouve un animal, qui a la teste comme un porc, la queue comme un bœuf, de couleur & grandeur d'un Elephant, avec lequel il a une perpetuelle inimitié, portant une seule corne au front, d'une couldee de long, laquelle est fort prisee en ces regions la, pur estre (comme ils disent) bonne contre tous venins. Marc Paul Venetien en tesmoigne de mesme, lequel a demeuré long temps au service du grand Cham de Tartarie, où il a faict plusieurs voyages lointains en Indie, & entre les autres choses dignes de memoire, il escript, qu'au Royaume de Basine, où les gens sont du tout barbares, & brutaux, la Licorne se trouve, qui est une beste sans proportion peu moindre qu'un Elephant, ayant la teste semblable a un pourceau, & si pesante, que tousiours la tient basse, & courbee. elle aime q ademeurer à la fange, ayant une seule corneau milieu du front, de couleur noire, & longue de deux couldees. Aloysius Cadamustus en sa Navigation chap. 5. dict, qu'en une certaine region des terres neuves l'on trouve des Licornes, que l'on prend vives. Louys de Barthene Espagnol, en son voyage d'Æthiopie, & mer Rouge, descrit avoir veu en la Mecque, cité principale de l'Arabie, dedans le Serrail du Roy, deuxx Licornes, l'une semblable à un cheval de trente mois, & l'autre à un poullain d'un an, ayant chacun une corne au front, l'une de trois brassees de long, & l'autre de deux, ayant la couleur d'un cheval bay, la teste de cerf, le col court, peu de crins, les iambes menues, l'ongle fendu comme une chevre. Pline dit, que la corne de la Licorne est noire, solide, & non creuse par le dedans. Solinus & certains autres autheurs la descrivent de couleur de pourpre, & non noire. Or pour le desir que i'ay tousiours eu de sçavoir la verité touchant ce que lon pourroit souhaiter de la Licorne, sçachant que Louys Paradis, Chirurgien natif de Vitry en Partos, à present demeurant en ceste ville de Paris, avoit long temps voyagé, ie le priay me dire s'il n'avoit point veu de Licornes. Il me dist, qu'il en avoit veu une en Alexandrie d'Ægypte, & un Elephant au logis du Gouverneur de la ville, que Prestre-Iehan envoyoit au Grand-seigneur, de grandeur d'un grand levrier d'attache, non si gresle par le corps. Son poil estoit de couleur de Castor, fort lissé, le col gresle, petites aureilles, une corne entre les deux aureilles fort lissee, de couleur obscure, bazannee, de longueur d'un pied de Roy seulement, la teste courte & eiche, le muffle rond, quasi semblable à celuy d'un veau, les yeux assez grands, ayant un regard fort farouche, les iambes seiches, les pieds fendus comme une biche, la queuë ronde & courte comme celle d'un cerf. Elle estoit tout d'une mesme couleur, fors un pied de devant, qui estoit de couleur iaulne. Son manger estoit de lentilles, poix, febues, mais principalement des cannes de succre. Ce fut au moys d'Avril mil cinq cens soixante & treize. Il s'enquist par un truchement de ceux qui avoient amené ladite Licorne, s'il y avoit beaucoup de pareils animaux en ceste province. On luy fit response qu'ouy, & que c'estoit un animal fort furieux & tresdifficile à prendre, principalement lors qu'ils sont en rut, & que les habitans du pays les craignent plus que nul autre animal feroce. Ledict Paradis affirme, qu'ils luy monstrerent un fragment de corne de Licorne, qui estoit comme de couleur du dedans d'une piece de Rheubarbe freschement rompue. Albert escrit avoir veu une corne de Licorne, & mesme maniee de sa main propre, large en sa base d'une palme & demie, & en diametre large de dix pieds, sans aucune raye, & au demeurant semblable à une corne de cerf. Et par la proportion de ceste longueur & grosseur, si nous considerons la grandeur de la teste qui doibt produire & soustenir une si desmesuree corne, & venans par là à coniecturer quel doibt estre tout le corps, nous serons contraints de confeser, que cest animal doibt estre aussi grand qu'un grand Navire,, & non comme un elephant. Quant à moy, ie croy que ceste corne doibt estre quelque corne, os ou areste de quelque monstre marin merveilleusement grand. Munster, lequel (comme dit Matheole) n'a iamais veu de Licornes qu'en peinture, dict icelles estre semblables, non à un cheval, mais à un poulain de trois mois, ayant les pieds non semblables à ceux d'un Elephant, mais fendus comme ceux d'une chevre: Au reste, portant une corne eslevee au front, noire, & longue de deux ou trois couldees. Quant à la beste, elle est de couleur d'une Belette, ayant la teste comme un Cerf, le col non pas fort long, & garni de peu de crins, pendans seulement d'un costé, les iambes gresles & minces, les cuisses heronieres, fort couvertes de poil. Toutefois Cardan, contredisant à tous deux, dict ceste beste porter au milieu du front une corne longue non de deux ou trois couldees, mais de deux ou trois doigts seulement. André thevet en sa Cosmographie, de l'authorité & receit d'un Saugeat, Seigneur Turc, faict mention d'une Licorne veuë par ledict Seigneur, grande comme un taureau de cinq ou six moys, portant une seule corne, droict au sommet de la teste, & non au front, ainsi que l'on dict des autres, ayant les pieds & iambes peu differentes des Asnes de nostre Europe, mais le poil long, & les aureilles semblables à celles d'un Rangiferé. Garcias ab Horto, Medecin fort celebre du Viceroy d'Indie, dict qu'au promontoire du Cap de bonne Esperance, lon a veu un animal terrestre, lequel aussi se plaisoit d'estre dedans la mer, ayant la teste & la perruque d'un cheval, & une corne longue de deux palmes, qui est mobile, laquelle il tourne à son plaisir, tantost à dextre, tantost à senestre, en hault & en bas. Cest animal, dit-il, combat contre les Elephans tres-cruellement. La corne d'iceluy est fort recommandee contre les venins. André Thevet en sa Cosmographie, dit qu'il s'en trouve une autre en Æthiopie, prsque-semblable, nommee Camphur, en l'isle de Moluque, qui est amphibie, (c'est à dire) vivant en l'eau & en la terre, comme le Crocodile. Ceste beste est de grandeur d'une biche, ayant une corne au front, mobile, de longueur de trois pieds & demy, de grosseur comme les bras d'un homme, pleine de poil autour du col, tirant à la couleur grisastre. Elle a deux pattes comme celle d'une Oye, qui leur servent à nager, & les autres deux pieds de devant comme ceux d'un Cerf ou biche: & vit de poisson. Il'y en a quelques uns qui se sont persuadez que c'estoit une espece de Licorne, & que sa corne est fort ricche, & excellente contre les venins, la figure de laquelle c'est ici representee.

FIGURE DU CAMPHUR.
Camphur


Chapitre V.

Idatz Aga, Orateur de soliman, atteste avoir veu en l'Arabie deserte, des Licornes courantes çà & là à grands troupeaux. Quant à moy, iecroy que c'estoient plustost des Dains, ou Chevres de ce pays là, & non des Licornes. Philostrate en la vie d'Apollonius Tyaneus, chap. I. liv. 3. dict, qu'aux marests voisins du fleuve Phasise trouvent des Asnes sauvages, portans une corne au front, avec laquelle ils combattent furieusement comme taureaux: De laquelle corne les Indiens font des tasses, qui guarentissent l'homme de toute sorte de maladie le iour qu'il y a beu, & s'il est blessée ce iour la, l ne sent aucune douleur. D'avantage, il peut passer par le travers d'un feu sans se brusler nullement. Mesme il n'y a venin ny poison beu, ou autrement pris, qui luy puisse nuire: & que pour ceste cause il n'y a que les roys qui boiivent dans lesdites tasses: de faict, que la chasse desdits Asnes, n'est permise qu'aux Roys du pays: & donques on dit, qu'Apollonius regarda curieusement ceste beste sauvage, & avec grande admiration considera sa nature. Quoy voyant Daniys, luy demanda s'il croyoit ce qu'on disoit de la vertu desdites tasses: Ie le croiray, dit-il, quand i'entendray que le Roy de ce pays sera immortel. Response que ie delibere doresnavant faire à tous ceux qui me demanderont, si ie croy que l'on dit des vertus de la corne de Licorne.

Chapitre VI.

Moindre n'est la contrarieté des autheurs touchant le naturel de ladite Licorne. Car Pline au lieu dessus allegué, la dict estre la plus furieuse de toutes les bestes: mesme qu'elle heurle fort hideusement, & que iamais on ne la prend vive. Cardan la dict pareillement estre fort cruelle, comme naissant és lieux deserts d'Æthiopie, en terre orde, & entre les crapaux & bestes venimeuses. Gesnerus dict, que le Roy d'Æthiopie en l'Epistre Hebraique qu'il a escrite au Pontife de Rome, dit, que le Lion craint infiniment la Licorne, & que quand il la voit, il se retire vers quelque gros arbre, & se cache derriere ledit arbre. Lors la Licorne le voulant frapper, fiche sa corne bien avant dans l'arbre, & demeure là prise, & lors le Lion la tue: toutefois il advient aucunefois autrement. Autres au contraire la disent fort doulce, benigne, & d'une mignotise la plus grande du monde, pourveu que l'on ne l'offense point. Louys de Barthame en ses Navigations cy dessus alleguees, est de ceste opinion, nyant les Licornes estre cruelles, comme en ayant veu deux envoyees d'Æthiopie au Soudan, qui les faisoit nourrir en la Mecque, ville de l'Arabie heureuse (où est le sepulchre de Mahommet) enfermees en certains treillis qui n'estoient nullement farouches. Thevet dit avoir voyagé en ceste region la, & s'estre enquis diligemment des habitans: n'avoir toutefois iamais sçeu rencontrer homme qui en eust veu, ou qui eust peu rapporter quelque certitude de la figure & nature de ceste beste.

Otho dict avoir veu, & manié à rome, au magazin du thresor des Papes, une corne de Liccorne, qui estoit luisante, & polie comme yvoire & qu'il fut fort esmerveillé de la voir si petite, se prenant à rire, veu qu'elle n'avoit à grand' peine que deux palmes de longueur: on luy dist que par le trop grand & frequent usage de l'avoir maniee, elle estoiit devenue ainsi petite. Il y en a aussi, qui est gardee par grande singularité dans le cœur du grand temple de Strasbourg, laquelle est de longueur de sept pieds & demy. Encore lon a couppé furtivement le bout de la poincte, laquelle sans cela, feroit encore plus longue. Elle est par le bas de la grosseur d'un bras, & va en tortillant comme un cierge qui est tors, & s'estend vers la poincte en forme de pyramide, estant de couleur noirastre par dehors, comme un blanc sally pour avoir esté manié, & par dedans elle est blanche comme yvoire, ayant un trou au milieu comme pour mettre le petit doigt, qui va tout au long. Les cornes qui se monstre aux festes solennelles publiquement à Venize au temple de S. Marc, different de ceste la en grandeur, couleur, & figure, tellement qu'il n'y a nulle conformité entre elles. Pareillement en l'Eglise de sainct-Denys en France il y a, à ce qu'on dict, une corne de Licorne, qui en grosseur, longueur, & figure, se rapporte aucunement à celle de Strasbourg. Or si lesdites cornes ne sont de vrayes Licornes, de quelles bestes sont elles? dira quelqu'un. Thevet a opinion, que telles cornes ne sont que dents d'Elephans, ainsi cernellees, & mises en œuvre: Car ainsi, dit il, les desniaiseurs qui se trouvent en levant, vendent les rouelles de dens de Rohart pour cornes de Licornes, les creusent, & allongent à leur aise. Et à la verité ceste corne de Licorne estant bruslee, rend & respire semblable odeur que l'hyvoire. Et afin que ceste façon de contrefaire ne semble impossible, Cardan dit, que les dents des Elephants se peuvent amollir, & estendre comme les cornes de Beuf.

FIGURE D'UN ELEPHANT.
Parey's Elephant


Louys de Paradis, chirurgien natif de Vitry en partois, duquel i'ay faict mention cy devant, dit avoir veu en Alexandrie d'Egypte deux Aiguilles, appellees les Aiguilles de Cesar, hautes & grandes à merveilles, neantmoins chacune toute d'une piece: & tient on pour vray, qu'elles sont de pierres fondues. Hors ladite ville environ huict cens pas, il y a une Colomne, qui s'appelle la Colomne de Pompee, de merveilleuse grosseur & haulteur, tellement que c'est tout ce que peult faire le plus fort homme, de getter une pierre sur le sommet d'icelle. La grosseur est telle, que cinq hommes ayans les bras estendus, ne la pourroient entourer: neantmoins on dit qu'elle est toute d'une piece, & de diverses couleurs de pierres, comme noire, grise, blanche, incarnate, & dit on qu'elle est aussi de pierres fondues: que si ainsi est, que de telle matiere on ayt peu construire lesdites aiguilles & colomne, qui empeschera que l'on ne puisse contrefaire des cornes de Licornes?

Chapitre VII.

Pausanias escrit, que le Rhinoceros a deux cornes, & non une seule: l'une sur le nez, assez grande, de couleur noire, & de grosseur & longueur de celle d'un Buffle, non toutefois creuse dedans, ny tortue, mais toute solide, & fort pesante: l'autre luy sort au hault de l'espaule assez petite, mais fort aigue. Par cela apparoist que ce ne peut estre la Licorne, laquelle, n'en doit avoit qu'une, comme testifie son nom Monoceros. On dit qu'il ressemble à l'Elephant, & quasi de la mesme stature, sinon qu'il a les iambes plus cortes, & les ongles des pieds fendus, la teste comme un pourceau, le corps armé d'un cuir escaillé & tresdur, comme celuy du Crocodile, ressemblant aux bardes d'un cheval guerier. Festus dit, que quelques-uns pensent que ce soit un bœuf sauvage d'Egypte.

Figure du Rhinoceros armé de toutes pieces.
Parey's Rhinoceros

Chapitre VIII.

Andre Barcy2 dit, qu'il y a des Medecins Portugais, qui ont demeuré long temps és terres neusves pour rechercher des choses rares & pretieuses, lesquels afferment qu'ils n'ont iamais peu descouvrir de la Licorne, sinon que les gens du pays di[s]ent, que c'est seulement une corne de Rhinoceros, & qu'elle est tenue au lieu de Licorne, & comme preservatif contre tous venins. toutefois Pline escrit particulierement en son li. 8. chap. 20. que le Rhinoceros est une espece d'animal cruel, different de la Licorne, & dit, que du temps de Pompee le grand il fut veu un Rhinoceros, qui avoit une corne sur le nez. Or le Rhinoceros estant merveilleusement ennemy de l'Elephant, il aiguise sa corne contre un rocher, & se met en bataille contre luy valeureusement comme un taureau, & demeure vainqueur, & tue tue l'Elephant: duquel combat Saluste du Bartas en son 6. livre de la Sepmaine faict mention par ces vers:

Mais ceste esprit subtil, ny cest enorme corps
Ne le peult guarentir des cauteleux efforts
Du fin Rhinoceros, qui n'entre onc en bataille,
Conduict d'aveugle rage, ains plustost qu'il assaille
L'adversaire Elephant, affile contre un roc
De son armé museau le dangereux estoc:
Puis venant au combat, ne tire à l'aventure
La roideur de ses coups sur sa cuirasse dure:
Ains choisist, provident, soubs le ventre une peau,
Qui seule craint, le fil de l'aiguisé cousteau.

FIGURE DU COMBAT DU RHINOCEROS CONTRE L'ELEPHANT.
Combat du rhinoceros


Chapitre IX.

Il se trouve és Indes plusieurs sortes d'animaux, ayans une sseule corne, comme vaches & taureaux, chevaux, asnes, chevres, dains, Monoceros: autres ayans deux corne, & plus: Et pour la renommee des vertus que lon attribue à la Licorne, il est vray-semblable, que chacune nation se plaist à luy donner le nom de Licorne.3 Thevet tome 2. liv. 23. chap. 2. dict, qu'en la Floride se trouvent des grans Taureaux, ques les Sauvages appellent Butrol, qui ont les cornes longues seulement d'un pied, ayant sur le dos une tumeur, ou bosse comme d'un chameau, le poil long par dessus le dos, de couleur fauve, la queuë comme celle d'un Lion. Cest animal est des plus farouches qu'on sache trouver, à cause dequoy iamais ne se laisse apprivoiser, s'il n'est desrobé, & ravy petit à sa mere. Les sauvages se servent de leur peau contre le froid: & sont ses cornes fort estimees, pour la proprieté qu'elles ont contre le venin: & partant les Barbares en gardent, àfin d'obvier aux poisons & vermines qu'ils rencontrent allant par pays.

FIGURE DU TAUREAU DE LA FLORIDE.
Taureau de la Floride


Chapitre X.

En l'Arabie prs la mer rouge il se trouve une autre beste, que les Sauvages appellent Pirassoipi, grande comme un Mulet, & sa teste quasi semblablee, tout son corps velu en forme d'un Ours, un peu plus coloré, tirant sur le fauveau, ayant les pieds fendus comme un Cerf. Cest animal a deux cornes à la teste fort longues sans rameures, hault eslevees, qui approchent des Licornes, desquelles se servent les Sauvages lors qu'ils sont blessez, ou mords des bestes portans venin, les mettant dedans l'eau par l'espace de six ou sept heures, puis apres font boire ladite eau au patient. Et voicy le portraict tiré du 5. livre de la Cosmographie d'André Thevet. Les Sauvages l'assomment, quand ils la peuvent attraper, puis l'escorchent, & la mangent.

FIGURE DU PIRASSOIPI, ESPECE DE
Licorne d'Italie.4
Le Pirassoipi


Chapitre XI.

Hector Boëtius au livre qu'il a escript de la description d'Escosse, dict, que l'animal, duquel cy apres suyt l'effigie, se nomme Elephant de mer, & est plus gros qu'un Elephant: lequel habite en l'eau, & en la terre, ayant deux dents semblables à celles d'un Elephant, par lesquelles lors qu'il veult prendre son sommeil, il s'attache & pend aux rochers, & dort si profondement, que les mariniers l'appercevans ont le loisir de prendre terre, & le lier avec de grosses cordes en plusieurs endroits. Puis meinent un grand bruit, & luy gettent des pierres pour le resueiller: & lors tasche à se getter comme de coustume avec grande impetuosité en la mer. Mais se voyant pris, se rend tellement paisible, que lon en peult facilement iouyr, l'assoment, & en tirent la graisse, puis l'escorchent pour en faire des courroyes: lesquelles par ce qu'elles sont fortes, & ne pourrissent, sont fort estimees, & encore plus ses dents, que par artifice ils dressent, & creusent, & les vendent pour corne de Licorne, comme on faict celless du Rohart, & de l'Elephant.

FIGURE D'UN ELEPHANT DE MER
Elephant de mer


Chapitre XII.

Il se voit au gouffre d'Arabie un poisson, nommé Caspilli, armé d'aiguillons, dont il en a un au milieu du front comme une corne longue, de quatre pieds, fort aigu. Iceluy voyant venir la Baleine, se cache soubs les ondes, & choisit l'endroit plus aisé à blesser, qui est le nombril, & la frappant, il la met en telle necessité, que le plus souvent elle meurt de telle blessure: & se sentant touchee au vvif, commence à faire un grand bruit, se tourmentant, & battant les ondes, escumant comme un verrat, & va d'une si tresgrande fureur & roideur, se sentant pres des abboys de la mort, qu'elle culbute & renverse les navires qu'elle rencontre, & faict tel naufrage, qu'elle les ensevelist au profond de la mer. Ledict poisson est merveilleusement grand, & fort, & lors que les Arabes le veulent prendre, ils font comme au Crocodile, sçavoir est avec une longue & forte corde, au bout de laquelle ils attachent une piece de chair de Chameau, ou autre beste: Et lors que ce poisson apperçoit la proye, il ne fault à se getter dessus, & l'engloutir. Et estant l'hameçon avallé, & se sentant picqué, il y a plaisir à luy voir faire des saults en l'air, & dedans l'eau: puis estant las, les Arabes le tirent à coups de fleches, & luy donnent tant de coups de levier, qu'ils l'assomment: puis le mangent, & gardent sa plus grande corne, pour en user contre les venins, ainsi que les autres font des cornes de Licornes.

FIGURE DU POISSON NOM-
mé Caspilly.
Le poisson Caspilly


Chapitre XIII.

Andre Thevet en sa Cosmographie, dit, que courant fortune en l'Ocean des costes d'Affrique, visitant la guinee & l'Anopie, il a veu le poisson cy apres representé, ayant une corne sur le front en maniere d'une scie, longue de trois pieds & demi, & large de quatre doigts, ayant ses pointes des deux costez fort aigues. Il se combat furieusement de ceste corne. Ceux de la guinee l'appellent en leur iargon Vletif. Defunct Monsieur le Coq, auditeur en la Chambre des Comptes à Paris, me donna une corne dudit poisson, qu'il gardoit en son cabinet bien cherement: lequel sachant que i'estos curieux de rechercher les choses rares, & monstreuses, desira qu'elle fust mise en mon cabinet, avec mes autres raritez. Ladite corne est longue de trois pieds & demy, pesant cinq livres ou environ, ayant cinquante & une dent, aigues, & trenchentes, longues du travers d'un poulce & demy, estans icelles dents 25. d'un costé, & 26. de l'autre. Ceste corne en son commencement est large d'un demy pied ou environ, allant tousiours en diminuant iusques à son extremité, où elle est obtuse, ou mousseuse, estant platte, & non ronde, comme les autres cornes. Le dessus est de couleur comme d'une sole, & le dessous aucunement blanc, & fort poreux. Il s'en trouve d'autres moindres, & plus petites, selon l'aage du poisson. Plusieurs estiment ledit animal estre une Licorne marine, & s'en servent contre les morsures & picqueures de bestes venimeuses, comme l'on faict de la corne de Licorne. Le populaire l'estime estre une langue de Serpent, qui est chose faulse.

FIGURE DU POISSON NOMME VLETIF,
espece de Licorne de mer.
Vletif


Chapitre XIIII.

Gesnerus dit, qu'en la merr Oceane naist un poisson, ayant la teste d'un Porc sanglier, lequel est de merveilleuse grandeur, estant couvert d'escailles mises par grand ordre de nature, ayant les dents canines, fort longues, trenchantes, & aigues, semblables à celles d'un grand Porc sanglier, lesquelles on estime estre bonnes contre les venins, comme la Licorne.

FIGURE DU POISSON AYANT LA TESTE
d'un Porc sanglier.
Poisson a la porc

Ainsi voit on comme chacune nation pense avoir la Licorne, luy donnant plusieurs vertus, & proprietez rares & excellentes: mais ie croy qu'il y a plus de mensonge que de verité. Or qui a esté cause de la reputation de la Licorne, ç'a esté ceste proprieté occulte, que l'on luy attribué de prserver de peste, & de toutes ortes de venin. dont quelques uns voyans que l'on en faisoit si grand cas, poulsez d'avarice, ont mis en avant certains fragments de quelques cornes, disans, & asseurans que c'estoit de la vraye Licorne: & toutefois le plus souvent ce n'est autre chose que quelques pieces d'ivoire, ou de quelque beste marine, ou pierre fondue. Parlez aujourd'huy à tous les Apothicaires de la France, il n'y a celuy qui ne vous die & asseure avoir de la Licorne, & de la vraye, & quelquefois en assez bonne quantité. Or comment se pourroit faire, veu que la plus part des escrivains disent, que le naturel de la Licorne est de demeurer aux deserts, & és lieux inaccessibles, & s'esloigner si fort des lieux frequentz, que c'est quasi une chose miraculeuse d'en trouver quelquefois une corne, qui peut avoir esté apportee par les inondations des eaux, iusques aux rivages de la mer, & ce quand l'animal est mort? qui est toutefois une chose encore douteuse: car la pesanteur de la corne la feroit plustost aller au fond. Mais c'est tout un: posons qu'il s'en trouve quelquefois une, comment seroit-il possible que ces trompeurs en fussent tous si bien fournis? A cela cognoist on qu'il y a bien de l'imposture. Et certes n'estoit l'authorité de l'escriture saincte, à laquelle nous sommes tenus d'adiouster foy, ie ne croirois pas qu'il fust des Licornes. Mais quand i'oy David au Psalme 22. verset 22. qui dit, Delivre moy, Seigneur, de la gueule du Lyon, & delivre mon humilité des cornes des Licornes: lors ie suis contraint de le croire. Pareillement Esaie chap. 34. parlant de l'ire de Dieu contre ses ennemis, & persecuteurs de son peuple, dit, Et les Licornes descendront avec eux, & les taureaux avec les puissans. I'alleguerois à ce propos une infinité de passages de l'escriture saincte, comme le chap. 28. du Deuteronome, le 39. chap. ver. 12. & 13. de Iob, les Psalmes de David, 28. 77. 80. & plusieurs autres, si ie ne craignois d'accedier le Lecteur. Il fault donc croire qu'il est des Licornes.

Chapitre XV.

Cela supposé, & qu'il se trouve quantité de cornes de Licornes, & que chacun en ait, à sçavoir si elles ont telles vertus & efficaces contre les venins & poizons, qu'on leur attribue: Ie dy que non. Ce que ie prouveray par experience, authorité, & raison. Et pour commencer à l'experience, ie puis asseurer, apres l'avoir esprouvé plusieurs fois, n'avoir iamais cognu aucun effect en la corne pretenduë de Licorne. Plusieurs tiennent, que si l'on la faict tremper en l'eau, & que de ceste eau on face un cercle sur une table, puis l'on mette dedans ledit cercle un Scorpion ou Airaignee, ou un Crapault, que ces bestes meurent, & qu'elles ne passent aucunement par dessus le cercle, voire que le Crapault se creve. Ie l'ay experimenté, & trouvé cela estre faulx, & mensonger: car lesdits animaux passoient & repassoient, hors du circuit du cercle, & ne mouroient point. Mesmement ne me contentant pas d'avoir mis un Crapault dedans le circuit de l'eau, où la Licorne avoit trempé, par dessus lequel il passoit & repassoit: ie le mis tremper en un vaisseau plein d'eau, où la corne de Licorne avoit trempé, & le laissay en ladite eau par l'espace de trois iours, au bout desquels le Crapault estoit aussi gaillard que lors que ie l'y mis. Quelqu'un me dira, que possible la corne n'estoit de vraye Licorne. A quoy ie repons, que celle de sainct Denis en France, celle du Roy, que l'on tient en grande estime, & celles des marchans de Paris, qu'ils vendent à grand pris, ne sont donques pas vrayes cornes de Licornes: car ç'a esté de celles la que i'ay faict espreuve. Et si on ne me veut croire, que l'on vienne à l'essay comme moy, & on cognoistra la verité contre le mensonge. Autres tiennent, que la vraye Licorne estant mise en l'eau, se prend à bouillonner, faisant eslever petites bulles d'eau comme perles. Ie dis que cela se faict aussi bien avec cornes de bœuf, de chevres, de mouton, ou autres animaux, avec dents d'Elephant, tests de pots, tuilles, bois, & pour le dire en un mot, avec tous autres corps poreux. Car l'air qui est enclos en iceux, sort par les porositez, pour donner place à l'eau, qui cause le bouillonnement & les petites bubes qu'on voit eslever en l'eau. Autres disent, que si on en faisoit avaller à un Pigeon ou Poullet, qui eust pris de l'arsenic, sublimé, ou autre venin, qu'il n'en sentiroit aucun mal. Cela est pareillement faulx, comme l'experience en fera foy. Autres disent, que l'eau, en laquelle aura trempé ladite corne, esteint le feu volage, appellé herpes miliaris. Ie dy que ce n'est pas la vertue de la corne, mais la seule vertu de l'eau, qui est froide & humide, contraire au mal qui est chaud & sec. Ce qui se trouvera par effect, en y appliquant de la seule eau froide, sans autre chose. Et pour prouver mon dire, il y a une honeste dame, Marchande de cornes de Licornes en ceste ville, demeurant sur le pont au change, qui en a bonne quantité de grosses, & de menues, de ieunes, & de vieilles. Elle en tient tousiours un assez gros morceau, attaché à une chesne d'argent, qui trempe ordinairement en une aiguiere pleine d'eau, de laquelle elle donne assez volontiers à tous ceux qui luy en demandent. Or n'agueres une pauvre femme luy demanda de son eau de Licorne: Advint qu'elle l'avoit toute distribuee, & ne voulant renvoyer ceste pauvre femme, laquelle a ioinctes mains la prioit de luy en donner pour esteindre le feu volage qu'avoit un sien petit enfant, qui occupoit tout son visage, en lieu de l'eau de Licorne, elle luy donna de l'eau de riviere, en laquelle nullement n'avoit trempé la corne de Licorne. Et neantmoins ladicte eau de riviere ne laissa pas guarir le mal de l'enfant. Quoy voyant, ceste pauvre femme dix ou douze iours apres vint remercier Madame la marchande de son eau de Licorne, luy disant que son enfant estoit du tout guary. Ainsi voyla comme l'eau de riviere fut aussi bonne que l'eau de sa Licorne: Neantmoins qu'elle vend ladicte corne pretendue de Licorne beaucoup plus chere que l'or, comme on peut voir par la supputation. Car à vendre le grain d'or fin xj. deniers pite la livre ne vault que sept vingts huict escus sol: Et la livre de corne de Licorne à vendre dix sols le grain, comme lon le vend; revient à douze cens soixante & dix escus sol. Et me semble, qu'à ce pris la bonne femme ne vend pas moins sa icorne, que feist un certain marchand Tudesque, lequel en vendit une piece au Pape Iules troisiesme douze mil escus, comme recite André Baccy, Medecin de Florence, en son livre de la nature de la Licorne. Mais laissans ces bons marchans, revenons à l'experience. On dit davantage, que la corne de Licorne sue en presence du venin. Mais il est impossible, parce que c'est un effect procedant de la vertu expultrice. Or ladicte ccorne est privee de telle vertu: Et si on l'a veu suer, cela a esté par accident, veu que toutes choses polies, comme le verre, les mirouërs, le marbre, pour quelque peu d'humidité qu'ils reçoivent mesmes de l'air excessivement froid & humide, apparossent suer: mais ce n'est vraye sueur. Car la sueur est un effect d'une chose vivante. Or la corne de Licorne n'est point une chose vivante, mais pour etre polie, & fresche, elle reçoit un ternissement de l'air froid & humide, qu la faict suer. Autres disent, que la mettant pres le feu, elle rend une odeur de musc: aussi que l'eau où elle aura trempé, deviendra laicteuse, & blanchastre. Telles choses n se voyent point, comme l'experience le monstre.

Chapitre XVI.

Quant à l'authorité, il se trouvera la plus part des doctes gens de bien, & experimentez medecins, qui asseureront ceste corne n'avoir aucune des vertus que lon luy atribue. S'il fault commencer aux Anciens, il est certain que Hippocrates, ny Galien, qui toutefois se sont servis de la corne de Cerf, & de l'Ivoire, n'ont iamais parlé de ceste corne de Licorne, ny mesme Aristote, lequel toutefois au chap. 2. du liv. 3. des Parties des animaux, parlant de ceux qui n'ont qu'une corne, faict bien mention de l'asne Indien, & d'un autre nommé Orix, sans faire aucune mention de la Licorne: combien qu'il parle en ce lieu des choses de moindre consquence. Or s'il fault venir aux modernes, Christophle l'André, Docteur en medecine, en son opuscule de l'Oecoatrie,5 escrit ce qui s'ensuit. Aucuns Medecins font un grand cas de la corne d'une beste, nommee Monoceros, que nous appellons vulgairement la Licorne, & disent, qu'elle guaranttit de venin, tant prise par dedans, qu'applique par dehors. Ils l'ordonnent contre le poison, contre la peste, voire desia creée au corps de l'homme, & pour le dire en un mot, ils en font un alexitaire contre tous venins. Toutefois estant curieuxx de si grandes proprietez, qu'ils attribuent à ladicte corne, ie l'ay bien voulu experimenter en plus de dix, au temps de pestilence: mais ie n'en trouvay aucun effect louable, & me reposerois aussi tost sur la corne de Cerf, ou de Chevre, que sur celle de la Licorne. Car elles ont une vertu d'absterger, & mundifier: partant elles sont bonnes à reserrer gencives flestries, & molles. Davantage lesdictes cornes estans bruslees & donnees en brevage, apportent merveilleux confort à ceux qui sont tourmentez de flux dysenteriques. Les Anciens ont laissé par escrit, que la corne de Cerf redigee en cendre, est une plus que credible medecine à ceux qui crachent le sang, & à ceux qui ont choliques, iliaques passions, nommees Miserere mei & comme chose de grande vertu, la meslant aux collyres pour faire seicher les larmes des yeux. Voila ce que ledict l'André a escrit de la corne de Licorne.

Rondelet dit, que toutes cornes en general n'ont ny saveur, ny odeur, si on ne les brusle. Parquoy ne peuvent avoir aucune efficace en medecine, si ce n'est pour desseicher. Et ne suis point ignorant, dit il, que ceux qui tiennent telles cornes pour leur profit, ne donnent à entendre au peuple, qu'icelles ont grandes & inestimables vertus par antipathie de chasser les serpens & les vers, & de resister aux venins. Mais ie croy, dit il, touchant cela, que la corne de Licorne n'a point plus grande efficace, ny force plus asseuree, que la corne de Cerf, ou que l'ivoire: qui est cause, que fort volontiers en mesmes maladies i'ordonne la dent d'Elephant aux pauvres, & aux riches celles de Licornes, parce qu'ils la desirent s'en proposans heureux succez. Voila l'advis de Rondelet, lequel indifferemment en pratiquant pour mesmes effects, en lieu de la Licorne ordonnoit non seulement la corne de Cerf ou dent d'Elephant, mais aussi d'autres os.

Ie me suis enquis de monsieur Durer, pour la grande asseurance que i'avvois de son hault & tant celebre sçavoir, quelle opinion il avoit de la corne de Licorne: Il me respondit, qu'il ne pensoit icelle avoir aucune vertu contre les venins: ce qu'il me confirma par bonne, ample, & vallable raison, & mesme me dit qu'il ne doutoit de le publier en son auditoire, qui est un theatre d'une infinité de gens doctes, qui s'y assemblent ordinairement pour l'ouyr.

Ie veux bien encore advertir le Lecteur, quelle opinion avoit de ceste corne de Licorne feu Monsieur Chappelain, premier Medecin du Roy Charles IX, lequel en son vivant estoit grandement estimé entre les gens doctes. Un iour luy parlant du grand abus qui se commettoit en usant de la corne deLicorne, ie priay (veu l'authorité qu'il avoit à l'endrot de la personne du Roy nostre maistre, pour son grand sçavoir & experience) d'en vouloir oster l'usage, & principalement d'abolir ceste coutume qu'on avoit de laisser tremper un morceau de Licorne deans la coupe où le Roy beuvoit, craignant la poison. Il me feit response, que quant à luy, veritablement il ne cognoissoit aucune vertu en la corne de Licorne: mais qu'il voyoit l'opinion qu'on avoit d'icelle estre tant inveteree, & enracinee au cerveau des Princes, & du peuple, qu'ores qu'il l'eust volontiers ostee, il croyoit bien que par raison n'en pourroit estre maistre. Ioint, disoit il, que si ceste superstition ne profite, pour le moins elle ne nuict point, sinon à la bourse de ceux qui l'acheptent beaucoup plus qu'au poids de l'or, comme a esté monstré cy devant. Lors ie luy repliquay, que pour le moins il en voulust doncques escrire, à fin d'effacer la faulse opinion de la vertu que l'on croyoit estre en icelle. A quoy il respondit, que tout homme qui entreprend d'escrire de chose d'importance, & notamment de refuter quelque opinion receuë de long temps, ressemble au Hibou, ou Chahuant, lequel se monstrant en quelque lieu eminent, se met en butte à tous les autres oyseaux, qui le viennent bequeter, & luy courent sus à toute reste: mais quand ledit Hibou est mort, ils ne s'en soucient aucunement. Ainsi rapportant ceste similitude à luy, il me dit, que de son vivant il ne se mettroit iamais en butte pour se faire becqueter des envieux & mesdisans, qui entretenoient le monde en opinions si faulses & mensongeres: mais il esperoit qu'apres sa mort on trouveroit ce quil en auroit laissé par escrit. Considerant donc ceste response qu'il me feit lors, ioint aussi qu'on n'a rien apperceu de ses escrits depuis sa mort, qui fut il y a environ onze ans, ou plus, ie m'expose maintenant à la butte qu'il refusa pour lors. Que s'il y a quelqu'un qui puisse m'assaillir de quelque bon traict de raison ou d'experience, tant s'en fault que ie m'en tienne offensé, qu'aucontraire ie luy en sçauray fort bon gré, de m'avoir monstré ce qu'onques ie n'ay peu apprendre des plus doctes & signalez personnages, qui furent, & sont encore en estime, pour leur doctrine singuliere, ny mesme d'aucun effect de nostre Licorne. Vous me direz, puis que les Medecins sçavent bien, & publient eux mesmes, que ce n'est qu'un abus de ceste pouldre de Licorne, pourquoy en ordonnent ils? C'est que le monde veult estre trompé, & sont contraints lesdits Medecins bien souvent d'en ordonner, ou pour mieux dire, permettre aux patiens d'en user, parce qu'ils en veulent. Que s'il advenoit que les patiens, qui en demandent, mourussent sans en avoir pris, les parens donneroient tous la chasse ausdits Medecins, & les descrieroient comme vieille monnoye.

Chapitre XVII.

Venons maintenant à la raison. Tout ce qui resiste aux venins, est cardiaque, & propre à corroborer le cœur. Rien n'est propre à corroborer le cœur, sinon le bon air & le bon sang: pour autant que ces deux choses seulement sont familieres au cœur, comme estant l'officine du sang arteriel, & des esprits vitaux. Or est-il que la corne de Licorne n'a aucun aïr en soy, ny aucune odeur, ou bien peu, estant toute terrestre, & toute seiche. D'avantage elle ne peult estre tournee en sang, parce qu'elle n'a ny chair, ny suc en soy: qui est cause qu'elle n'est chylifiee, n'y par consequent sanguifiee. Il s'ensuit donques qu'elle n'a aucune vertu pour fortifier & defendre le cœur contre les venins. Voire mais, dira quelqu'un, en tant d'opiates, electuaires & epithemes que l'on faict pour le cœur, qu'y a-il de tel, qui contienne en soy un bon air? Si a: sçavoir est le conserves de bourrache, buglosse, violiers de Mars, de roses, de fleurs de Rosmarin, la confection d'Alkermes, le mithridat, le theriaque, l'ambre, le musc, la civette, le safran, le canfre, & semblables, lesquels mesme l'on delaye en bon vin & fort vinaigre, en eau de vie, pour appliquer sur le cœur, ou pour donner en breuvage. toutes lesquelles choses ont en soy, & rendent de soy une odeur, c'est à dire, un air ou exhalation fort souefue, benigne, & familiere à la nature & substance du cœur entant qu'elles peuvent engendrer, multiplier, esclaircir, & subtilier les esprits vitaux, par similitude de leur substance aëree, spirituelle, & odorante. Ouy; mais au Bol d'Armenine, en la terre sigilee, en la corne de cerf, en la racleure d'yvoire, & de corail, n'y a-il rien de spiritueux, & aëré? Non certes. Pourquoy donc sont ils mis entre les remedes cardiaques? Pource que de leur faculté & vertu astringente fondee en la terrestrité de leur substance ils ferment les conduits des venins & arteres, par lesquelles le venin & air pestilent pourroit estre porté au cœur. Car ainsi sont ils ordonnez profitablement aux flux de sang, & vuidanges immoderees. Ils sont donc appellez Cardiaques, on pas que de soy & par soy ils fortifient la substance du cœur par aucune familiartié ou similitude, mais par accident, parce qu'ils bouschent le passage à l'ennemy, l'arrestant en chemin, à ce qu'il ne se gette dedans la citadelle de la vie.

Chapitre XVIII.

Quant aux perles & autres pierres precieuses, ie suis de l'advis de monsieur Ioubert, Medecin ordinaire du Roy, lequel au chap. 18. d'un traicté qu'il a escrit de la Peste, dit ainsi. Ie ne sçay que ie doy dire touchant les pierres precieuses, que la plus grand' part des hommes estiment tant, veu que cela sembla superstitieux, & mensonger, d'asseurer qu'il y a une vertu incroyable & secrette en elles, soit qu'on les porte entieres sur soy, ou que l'on use de la pouldre d'icelles. Or icy ne veux-ie encore oublier à mettre en mesme rang l'or potable, & les chesnes d'or, & doubles Ducats, qu'aucuns ordonnent mettre au restaurans pour les pauvres malades, attendu qu'il y a aussi peu d'asseurance qu'en la Licorne, voire moins. Car ce qui n'est point nourry, ne peult bailler nourriture à autruy. Or il est ainsi que l'or n'est point nourry. Parquoy il semble que ce soit une piperie de luy attribuer la vertu nutritive, soit qu'il soit reduit en forme potable, qu'ils appellent, ou qu'il soit bouilly avec dess restaurans.

Chapitre XIX.

Cecy me faict souvenir du pied d'Hellend duquel plusieurs font si grand cas, specialement luy attribuans la vertu de guarir de l'Epilepsie. Et m'estonne d'où ils prennent ceste asseurance, veu que tous ceux qui en ont escrit, ne font que dire, On dit, On dit: ie m'en rapporte à Gesnerus, & à Apollonius Menabenus. Et quand ce ne seroit que la misere de l'animal, qui tombe si souvent en Epilepsie (dont les Allemans l'appellent Hellend, qui signifie misere) & neantmoins ne s'en peult guarentir, encore qu'il ait tousiours son ongle quant & quant soy: il me semble que cela est suffisant pour revoquer en doubte les vertus que l'on luy attribue. Mais pour ne nous esloigner de nostre propos, retournons à la Licorne.


DES VENINS.

Chapitre XX.

Or posons le cas que la corne de Licorne resiste à quelque espece de venin, ce que ie croy piteusement: pour le moins me confessera on qu'elle ne peut resister à toutes les sortes. Car elle feroit son operation par ses qualitez manifestes, & si elles sont chaudes, elles serviront contre le venin froid seulement, & non contre le chaud, & ainsi des autres qualitez: Et si elle operoit par une vertu specifique, ce feroit par occculte convenance qu'elle auroit avec une sorte de venin, laquelle toutefois elle n'auroit avec l'autre. Or il en y a de plusieurs & diverses sortes, à sçavoir de l'air corrompu, de fouldres, tonnerres, esclairs, ou de bestes, plantes, & mineraux, ou par artifice & sublimations des meschans traitres, empoisonneurs, & parfumeurs, desquelles choses se prennent les differences. Car tous venins ne font pas leurs effects d'une mesme sorte, & ne procedent lesdits eeffectz d'une mesme cause. Car les uns operent par l'excez des qualitez elementaires, qui dominent en eux: les autres par leurs qualitez specifiques ou secretes, dont les uns tuent plustost, les autres plus tard. Aussi tous venins ne cerchent pas premierement le cœur pour luy nuir, mais autres certains membres, comme l'on voit les Cantharides, qui offensent la vessie, la cigue le cerveau, le Lievre marin les poulmons, la Torpille stupefie & engourdit les mains, & autres membres qu'elle touche, voire seulement la rets où elle est prise. Autres blessent autres parties, puis apres le cœur. D'avantage les humeurs de nostre corps se pourrissent, & acquierent venenosité, ce qui est prouvé par Gal. au 6. livre des lieux offensez. Or lesdits venins ne tuent seulement, estans pris par la bouche, mais aussi appliquez exterieurement. Semblablement les bestes ne tuent pas seulement par leurs morsures, & picqueures, ou esgratigneures, mais aussi par leur bave, ou par le seul attouchement, ou par halaine ou regard.

Chapitre XXI.

Les venins qui operent par leurs qualitez manifestes, causent au malade des accidens, desquels ils monstrent certains signes apparens. Exemple. Ceux qui ont une chaleur excessive, subit ils enflamment la langue, & le gosier, l'estomac, & les intestins, & generalement toutes les parties interieures, avec grandes alterations, & inquietudes, & sueurs continuelles. Et s'ils ont fort grande chaleur acre, & mordante, ils causent à l'estomac & aux boyaux ulceres, & douleurs poignantes, & intolerables, & grandes ventositez, que l'on oit bruire dans le ventre, & les malades ne se peuvent tenir en place, & ont une insupportable soif. Apres ces accidens surviennent vomissemens, avec sueurs tantost chauldes, tantost froides, & des desfaillances, puis la mort.

Les venins qui sont d'une excessive froideur, causent au malade un sommeil profond, tel que bien souvent on ne les peult esveiller qu'à bien grand' peine. Ils estourdissent le cerveau, de sorte que les patiens font plusieurs mouvemens desordonnez, tant de la bouche que des yeux, des bras & iambes, comme s'ils estoient yures ou insensez. D'abondant il leur survient grandes sueurs froides, & ont la couleur du visage livide, & iaunastre, & fort hideuse à voir, & ont tout le corps stupide & endormy, & s'ils ne sont bien tost secourus, ils meurent.

Les venins secs rendent la langue aride, & la gorge seiche, avec une soif que lon ne peut esteindre: le ventre se reserre, & toutes les parties interieures, ainsi que le parcheemin faict devant le feu. A ceste cause les patiens n'urinent qu'à grande difficulté, ou du tout point: tout le corps devient aride & sec, & ne peuvent dormir, ny demeurer en place.

Les venins humides causent perpetuel sommeil, flux de ventre, avec relaschement de tous les nerfs & ioinctures, tellement que les yeux semblent sortir hors de la teste. Il s'ensuit aussi une pourriture des mains, des pieds, nez, & aureilles, & une soif extreme, pour la chaleur estrange, qui provient de la grande pourriture, puis la mort s'ensuit.

Chapitre XXII.

Que si chaque accident est guary par son contraire, comment nostre chere & bien aimee Licorne pourra elle estre bonne contre tous venins? Or si le venin opere par qualité occulte, le prognostie, & la cure en sont fort difficiles: & alors fault avoir recours aux alexitaires, ou contrepoisons, appellez par les Arabes en leur iargon Bezahar, c'est à dire, conservateur de vie, qui ont une proprieté incognue, & principalement par le Theriaque: par ce que en sa composition y entre de la chair de vipere, qui est un serpent venimeux, qui par sa similitude de substance attire le venin, ainsi que l'Aimant faict le fer, & l'ayant attiré, les autres simples qui entrent en sa composition, le resolvent, & consomment, & confortent le cœur, & autres parties nobles. Partant elles resistent à tous venins, pareillement au naturel des bestes, plantes, & mineraux, & non aux artificiels: desquels à la mienne volonté que iamais homme n'eust mis la main à la plume pour en escrire, & n'eussent iamais esté inventez à fin que lon n'eust à combattre que les naturels des bestes, par ce qu'on s'en fust mieux gardé que de ceux qui sont faicts par la malice des traitres, meschans, bourreaux, empoisonneurs, & parfumeurs: lesquels en font de cruels, que si on en met mesmes dessus une selle de cheval, ils font mourir ceux qui auront esté quelque temps dessus. Desquels les Turcs & autres barbares usent souvent en leurs fleches & dards, pour faire mourir leurs ennemis, & les cerfs & autres bestes sauvages qui en sont frappez.

Chapitre XXIII.

Pour la curation fault noter, que lon doibt tousiours commencer à tirer le venin par la voye où il est entré. Comme s'il a esté baillé par odeur, fault faire esternuer: si par le boire ou manger, par vomissements: si par le siege, par clystres: si par le col de la matrice, par syringues, pessaires, & fomentations: si par morsures, ou egratigneures, ou bave des animaux, par remedes exterieurs, qui amortissent & consomment la virulence du venin, voire promptement, à fin qu'il n'entre dedans le corps, & ne corrompe les parties nobles, desquelles tout venin de son naturel ne demande que la ruïne & destruction. Et si par nonchalance, ou ignorance, les remedes propres sont delaissez, & intermis au commencement, en vain seront appliquez en autre temps, principalement si le venin a desia saisi les parties nobles. D'avantage fault que le contrepoison soie plus fort que le poison: autrement ne le pourroit surmonter, & vaincre: qui se fera en changeant une qualité contraire contre une contraire. Pareillement fault eviter le dormir auu commencement, iusques à ce que la force du venin soit amortie. Car par le dormir le sang & les esprits se retirent au centre du corps, & par ce moyen le venin est porté aux parties nobles qui les infecte.

Chapitre XXIIII.

Or nos humeurs se corrompent & tournent en pourriture, & venenosité. Ce qui est prouvé par Gal. au livre des lieux offensez, par crapuler, & manger sans avoir appetit, & par une trop grande plenitude, & obstruction, ou intemperature, ou malignité de matiere, qui se faict principalement par la mauvaise maniere de vivre, ccomme avoir beu des vins aigres, poulsez, esventez, & corrompus, & mauvaises eaux, comme celles qui sont bourbeuses, & marescageuses, dedans lesquelles se desgorgent les esgouts puants & corrompus, sans qu'iceux ayent aucun cours, ou apres avoir mangé meschantes viandes, comme grains pourris herbes, fruits sauvages, pain d'avoine, de poix, de febues, de fougere, d'ardoise, de gland, de chien dent, troncs de choux, & autres semblables aliments non accoustumez: comme il advient par une grande famine, ou aux villes & places assiegees. Tels aliments engendrent pourriture, & venenosité en nos humeurs, qui causent la peste, & autres mauvaises maladies en nos corps: comme un chancre qui ronge & corrode la chair & les os. De faict que nous voyons souvent, que par la malice des humeurs venimeux les parties se mortifient, & pourrissent. Ce qui est prouvé par Hippocrates sect. 3. liv. 3. des Epid. où il dit avoir veu des charbons en temps de peste si estranges, & hideux à voir, que c'estoit chose admirable. Car il s'y faisoit des inflammations douloureuses, gangrenes, & mortifications, & ulceres, qui rongeoient toute la chair, les nerfs, & les os: tellement qu'ils tomboient toutes en pieces pourries. Aux uns toute la teste se peloit, & le menton, de sorte que lon voyoit les os tous desnuez & descouverts. Aux autres les pieds, & les bras tomboient (le semblable ie proteste avoir veu advenir à l'hostel dieu de Paris, & ailleurs) & ceux qui reschappoient, desiroient estre morts, pour la grande deformité & impuissance qui leur restoient en leurs membres. Ainsi de recente memoire on a veu advenir à Monsieur Boucquet, Chanoine de Nostredame de Paris, le soir faisant bonne chere, ne sentant aucune douleur, on luy trouva un pied le lendemain tout mortifié, sans aucun sentiment, de couleur plombine, & noirastre, froid comme la glace, où ne fut en la puissance tant des Medecins que des Chirurgiens, y pouvoir donner ordre. I'estois d'avis qu'on luy coupast le pied, & d'autres avec moy: mais ledict Boucquet nous dist, qu'il vouloit mourir doulcement: toutefois au contraire, ce fut fort douloureusement. Par ce que la gangrene chemina iusques à la cuisse, les vapeurs de laquelle le feirent mourir en peu de iours. On pourroit icy amener plusieurs histoires semblables, qui sont advenues pour la venenosité des humeurs: mais il suffira pour le present de celle-cy.


Du Venin de l'air.

Chapitre XXV.

L'air est venimeux & corrompu par certaines vapeurs meslees avec luy: comme apres quelque grande bataille, par le moyen de laquelle plusieurs corps sont demeurez morts, & non enseveliss en terre: comme aussi plusieurs charongnes de chevaux, & autres bestes, dont sortent plusieurs vapeurs putredineuses, & malignes. Ou apres un grand tremblement de terre, par la saillie d'un air corrompu, lequel avoit esté long temps retenu en ses entrailles, sans avoir esté esventé, où il avoit acquis une pourriture, & lors qu'il est espars parmy l'air que nous attirons, il nous empoisonne: comme par une seule respiration estant aupres d'un pestiferé, on peut prendre la peste. Aussi l'air se corrompt, quand plusieurs corps peris par naufrage sont iettez par les flots au rivage de la mer, ou quelques grands poissons, ainsi que de nostre temps une Balaine fut putrefiee en la coste de Toscane, & y causa la peste. L'air aussi peult estre infecté par les vapeurs de quelques lacs, estangs bourbeux & marescageux, eauxx croupies és maisons, où il y a des esgouts, & conduits soubs la terre, qui ne l'escoulent point, & se corrompent en esté, dont s'eslevent certaines vapeurs par la grande chaleur du Soleil: comme lon trouve par escrit, qu'à Padouë il y avoit un puis, que lon avot long temps tenu couvert, puis ayant esté descouvert en temps d'esté, il en sortit une si grande exhalation putride, que tout l'air circonvoisin en fut corrompu: dont proceda une peste merveilleuse, qui dura long temps, & dont grand nombre de peuple mourut. Ie diray d'avantage, que depuis quelques annees on a veu aux faulxbourgs sainct Honoré de ceste ville de Paris, mourit cinq hommes ieunes & forts, en curant une fosse, où l'esgoust du fiens des pourceaux avoit long temps croupy, sans qu'on luy eust donné air: & fut on contrainct remplir ladicte fosse, & l'estoupper promptement, pour obvier à plus grand accidens. Il y a pareillement du venin en l'air, qui accompagne les tonnerres & esclairs, lequel tue ceu qui en sont frappez, qui se faict par une certaine venenosité sulphuree: ce qu'on cognoist aux corps qui en sont frappez: Et si les betes mangent ceux qu'il aura tuez, elles meurent enragees.

Chapitre XXVI.

Et quant au feu de fouldre (ce que nous dirons en passant)il est plus chaud & plus actif que nul autre feu. Parquoy à bon droict il est appellé le feu des feux, à cause qu'il a une chaleur si tres-vehemente, & plus subtile que l'air. Ce qui se voit, parce qu'il fond le fer d'une picque sans brusler le bois: aussi fond l'or & l'argent en une bourse, sans l'endommager: brise les rochers. Partant il ne se fault esmerveiller, s'il fracasse, & brise, & comminue les os à ceux qu'il touche. Pareillementl'esclair estaint la veuë à ceux qui le regardent. Aussi le tonnerre par son grand bruit & tintamarre tue les enfans au ventre de leurs meres. Ce qui est prouvé par Herodian en la vie des Empereurs.

Sur Martia noble Dame Romaine
Tomba du ciel de la fouldre soudaine:
Sans que son corps fust bleße & attainct,
Son enfant fut dedans son ccorps estainct.

Et partant nous pourrons dire, qu'aux fouldres & tonnerres il y a quelque divinité, ce qui se peult prouver par David, Psal. 104. qui dict:

Et fouldre & feu, fort prompts à ton service,
Sont les sergens de ta haulte iustice.

Chapitre XXVII.

L'air pareillement est infecté par parfums & odeurs, par l'artifice des traistres parfumeurs, & empoisonneurs, lequel air nous convient attirer pour la conservation de nostre vie: car sans luy nous ne pouvons vivre. Or nous l'attirons par l'attraction qui se faict des poulmons, & des parties pectorales, dediees à la respiration, ou par le nez, ou par les ventricules du cerveau: pareillement par la transpiration insensible, qui se faict par les petits pores ou pertuis de tout le corps respondans aux emboucheures des veines & arteres, esparses par tout le cuir. Ce qui se faict, tant pour la generation de l'esprit de vie, que pour rafreschir, & entretenir nostre chaleur naturelle. Pour cest cause s'il est envenimé, il altere nos esprits: il corrompt aussi les humeurs, & leur communique sa qualité venimeuse, & infecte toutes les parties nobles, & principalement le cœur. Et alors il se faict un combat entre le venin, & nature, laquelle (si elle est plus forte) par sa vertu expultrice le chasse dehors par sternutations, vomissements, sueurs, & flux de ventre, ou par autre maniere: comme par flux de sang, ou par les urines. Au contraire, si le venin est plus fort, nature demeure vaincue, & par consequent la mort s'ensuit, avec griefs & divers accidens, selon la nature, & qualité du venin.

Chapitre XXVIII.

Or le venin pris par l'odeur & parfums est merveilleusement subtil, parce qu'il n'a affaire d'aucun humeur qui luy serve de conduite pour entrer en nostre corps, & git en iceluy. Car la vapeur estant subtile, est facilement portee avec l'air que nous inspirons, & expirons. Et si quelqu'un me vouloit obiecter, que par une torche ou Casole, encore qu'il y eust quelque poison, neantmoins il ne pourroit empoisonner, attendu que le feu purifie, & consomme le venin. Response: Nonobstant que le feu brusle une alumette sulphuree, toutefois la flamme est trespuante, sentant le soulphre. Semblablement, le vois d'Alœs ou de Genievre, ou autre de bonne senteur, pendant qu'il brusle, ne laisse à rendre une odeur plaisante. Or si on veult voir l'experience, ie mettray sur le bureau le Pape Clement, oncle de la Royne mere du Roy, qui fut empoisonné de la vapeur d'une torche envenimee. Matheole sur ce propos parlant des venins, dit, qu'en la place de Senes il y avoit deux Charlatans, l'un desquels ayant empoisonné un œillet, le bailla à fleurer à son compagnon, qui (l'ayant odoré) subit tomba en terre tout roide mort. D'avantage, un quidam de recente memoire, Chirurgien de grande experience, ayant fleuré une pomme de senteurs envenimee, subit le visage luy enfla, & eut une grande vertigine, de façon qu'il luy sembloit que tout tournast ce dessus dessoubs, & perdit pour quelque temps la parole, & toute cognoissance: & n'eust esté qu'il fut promptement secouru par sternutations & autres choses, il fust allé avec le Pape Clement. Le vray Alexitaire de ce parfums envenimez est, de ne les fleurer ny odorer, & fuit tels parfumeurs comme la peste, & les chasser du Royaume de France, & les envoyer avec les Turcs, & autres infideles, ou aux deserts inaccessibles avec les Licornes.

Fin du discours de la Licorne, & des Venins.


NOTES

1. Philostrat. chap. 1. liv. 3.

2. Sic; sc. "Baccy" or "Bacci".

3. The phrase is repeated twice in the text (i.e., il est vray-semblable, que chacune nation se plaist à luy donner le nom de Licorne, il est vray-semblable, que chacune nation se plaist à luy donner le nom de Licorne. and paraphrased in the margin.

4. Sic. Note also that the "licorne" appears to have two horns.

5. Sic. The margin reads Oeocatrie. Christofle Landré, Oecoiatrie, or L'ecoiatrie (Lyons, 1558). Sheppard (Lore of the Unicorn Chap. V note 122) describes it as "one of the strangest and one of the foulest books in the world, written by a remarkable man — a sort of minor Rabelais — of whom it is to be wished that we knew more."


This page is by James Eason.


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