M. L. Castillon (1765) Essai sur les Erreurs et les Superstitions Chapitre XII (pp. 213-225)

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CHAPITRE XII.

Continuation du même sujet.

CES Augures romains ne laissoient pas, malgré leur majesté, d'être souvent des personnages très-risibles. Ils étoient gravement fourbes, & même assez indécemment impies. Ce qu'il y avoit, à mon avis, de plus penible dans leur charge, c'étoit d'être sérieux dans les fonctions les plus bisarres que la folie humaine ait jamais instituées. Ils ne rioient jamais dans l'exercice ridicule de ces fonctions ; ils prononçoient d'un ton auguste, des oracles fort bouffons ; & c'est là ce qui les distinguoit des interprêtes, ou plus cruels, ou plus comiques, des arrêts du destin chez la plûpart des autres peuples. Dans l'Isle Formose, ce sont toujours des femmes qui remplissent cette importante dignité. Ce sont elles qui annonçent la volonté des dieux. Elles prononcent, ou plutôt elles balbutient des discours très-bizarres ; elles font des contorsions fort singulières ; elles poussent des hurlemens affreux ; & quand elles se sont bien échauffées à force de cris, de mouvements rapides, & de gestes outrés, elles s'arrêtent tout-à-coup, s'écrient qu'elles voyent les dieux, se roulent violemment par terre, montent sur les toits des pagodes, se découvrent jusqu'au dessus de la ceinture, se fouètent jusqu'à se déchirer, lâchent tout aussi abondamment qu'elles peuvent, leur urine sur la foule dévote. Après cette opération, qui n'est pas la moins plaisante, elles se dépouillent entièrement, descendent toutes nues, & se lavent en présence des spectateurs émerveillés. A Madagascar ce sont encore des femmes qui ont l'avantage exclusif de parler à la divinité ; & c'est par leur bouche que la divinité ne manque pas de recommander au peuple de croire aux jours, aux heures, aux instans heureux ou malheureux. Aussi les femmes de Madagascar croiroient-elles avoir commis un crime presque impossible à expier, si ayant eu le malheur d'accoucher dans un tems déclaré sinistre, elles avoient négligé de faire dévorer leur enfant par les bêtes féroces, de l'avoir enterré vivant, ou au moins de l'avoir étouffé.

Ainsi l'homme toujours aveugle, & partout stupidement féroce, à constamment aimé à se représenter l'Etre suprême sous les traits d'un tyran destructeur, avide de carnage, & toujours altéré du sang de ses enfans, comme si Dieu pouvoit se plaire à voir égorger en son nom, ses plus parfaites créatures. C'étoit, dit Hérodote, ce principe farouche qui inspiroit aux Scythes d'immoler la centième partie de leurs prisonniers à Mars exterminateur. C'étoit également cette fausse & cruelle idée qui engageoit les Gétes à renoncer, une fois tous les ans, à la douceur & à la bienfaisance de leur caractère. Ils s'assembloient, & celui d'entr'eux que le sort désignoit pour porter les vœux de ses concitoyens au barbare Zamolxis, étoit précipité tout nud du faite d'une tour sur un bataillon hérissé de javelots ; si la victime expiroit à l'instant, la Nation enchantée croyoit que Zamolxis étoit satisfait de l'hommage ; mais si le malheureux respiroit après sa chûte, les Gétes consternés le regardoient comme un méchant réprouvé par Zamolxis, & l'affreux sacrifice recommençoit encore. Jamais pendant son régne, raconte Diodore, Amestris ne négligea de faire enterrer, une fois chaque année, douze hommes vivans, ni de sacrifier quatorze enfans des plus illustres & des premières Maisons de ses états ; & jamais ses stupides Sujets ne manquerent d'attribuer le bonheur de ce régne & la gloire de l'empire à la réconnoissance des dieux pour la piété de la Reine. Oléarius observe qu'autrefois les Sybériens se disputoient l'honneur de périr sous le couteau des Prêtres, que les plus Riches même corrompoient pour en être égorgés. Une suite de désastres que le sang des citoyens sacrifiés n'avoit pût arrêter, fit changer l'ordre des sacrifices : le peuple décida que ce seroient les Prêtres qu'on immoleroit ; parceque leurs ames plus pures étoient aussi plus dignes d'aller offrir aux dieux les vœux de la patrie. Voyez, s'écrie Kaempfer, les fanatiques Japonnois entourer & suivre le char qui porte dans les rues la statue d'Amida, idole affreuse & toujours ensanglantée : voyez les plus zélés de cette troupe frénétique céder à leur yvresse, accourir, percer la foule, se jetter sous les roues du char, qui écrase leur membres, & trouver de grandes douceurs dans la plus cruelle des morts. D'autres, ajoute Villela, croyant devoir à Amida ou à Xaka un sacrifice solemnel, assemblent leurs amis, leurs parens, les Prêtres & le peuple ; ils se font attacher une énorme pierre au col, & on les lance dans la mer. Quelques-uns aiment mieux mourir publiquement de faim ; quelques-autres pensent qu'en s'étranglant ils se rendront plus agréables à la divinité ; d'autres en avalant du poison ; plusieurs en se perçant le sein d'un poignard, consacré dans le temple à ce barbare usage. Phillips, Roger & Baldæus racontent qu'ils ont vû les imbéciles habitans du Maduré & des rives du Gange aller interroger leurs Prêtres, pour sçavoir d'eux qu'elle est l'austérité, & quels sont les tourmens qu'ils doivent éprouver, afin de desarmer les dieux : les uns sont condamnés à rester assis ou debout, dans la même attitude, pendant plusieurs années ; les autres à porter des chaînes accablantes ; quelques-uns à rester pendant un tems fixé, suspendus par les pieds au-dessus d'un bucher embrasé ; les plus opulens finissent par assouvir l'avarice des Prêtres qui leur font croire qu'ils ont reçu du ciel la permission de transporter sur les vaches les péchés des riches Indiens ; expiation ruineuse, puisqu'elle coute, pour la faute la plus légère, deux cens vaches au moins, qui, une fois chargées des fautes des pécheurs, appartiennent aux Bramanes. Ces Prêtres imposteurs n'ont-ils pas persuadé encore aux habitans u maduré que le démon se plait à entrer dans le corps des plus riches, d'où il ne pourra sortir qu'à force de trésors, de terres & de vaches qu'on offrira aux Prêtres, & de coups de bâton que ceux-ci donneront dans le temple aux prétendus possédés ? Le dernier des trois Voyageurs, Baldæus, dit qu'il y a à Canara, entre Cananor & Mongalor, une espèce d'ordre religieux, fort puissant, & respecté jusqu'à l'idolâtrie : tous ceux, ajoute-t'il, de cet ordre ont tout ce qu'ils désirent, & ne font rien : leur unique occupation est de rester dans les pagodes, &, à des jours marqués, de sortir nuds dans les rues, les parties de la génération ornées de sonettes ; lorsqu'on les entend passer, les femmes de toute condition, la Reine même & ses filles se hâtent d'accourir à eux, de s'incliner, de prendre, & de baiser …. Quel monstrueux mêlange de zèle & d'indécence, de vice, de crapule & de dévotion ! Que font ces Hottentots, serrés les uns contre les autres, les bras croisés, les yeux stupidement baissés, dans un profond silence, & prosternés devant un vase plein de lait ? Ils demandent au ciel, répond Choisy qui les a vus, de la pluye & des paturages.

Combien la superstition a dégradé les hommes ; jusques à quels excès de folie & de barbarie elle les a portés ! Il y a dans le Pégu un temple où l'on renferme les filles les plus belles & de la plus haute naissance : ces vierges sont servies avec le plus profond respect ; elles jouissent des honneurs les plus distingués ; mais tous les ans une d'elles est solemnellement sacrifiée à l'Idole de la nation. C'est un beau jour pour tout le peuple, excepté pour la victime, que le jour de ce sacrifice : c'est communément la plus belle des vierges consacrées qui a l'honneur d'être choisie : le prêtre la dépouille, & le barbare l'étrangle, fouille dans son sein, en arrache le cœur, & le jette au nez de l'Idole.

Dans cette Isle Formose dont j'ai parlé dans le chapitre précédent, il y a encore une superstition qui mérite d'être rapportée : il est défendu aux femmes d'accoucher avant l'age de 35 ans, & c'est le comble de l'abomination que de violer cette loi : toutes celles qui deviennent enceintes avant le tems prescrit, courent se prosterner aux pieds de la Prêtresse, qui les foule inhumainement à ses pieds, jusqu'à ce qu'elles soient avortées.

Les superstitions des Giagues sont moins douces que celles des habitans de l'Isle Formose & du Pégu ; aussi y sont-ils plus fortement & plus religieusement attachés ; car il est bon d'observer que, par une raison inconcevable, plus un culte est absurde & cruel, plus le peuple le pratique. Un Giague se croit invulnérable quand, après avoir pilé un de ses enfans dans un mortier, & l'avoir fait bouillir avec quelques racines, de l'huile & quelques végétaux, il en a composé une pâte, dont il a eu soin de se frotter. Le Roi des Giagues ne sort qu'une fois l'année de son palais, ou, pour parler plus juste, de son antre. Cette fête est solemnelle & attendue par ses courtisans avec d'autant plus d'impatience, que le Prince fait égorger, suivant l'usage tous ceux qui se rencontrent sur son passage, & qu'il donne gracieusement à manger à sa suite. La Reine des Giagues (ce peuple est plus souvent gouverné par des Reines que par des Souverains) observe aussi fort réligieusement un autre usage très-ancien dans ses États. Quand elle a déclaré la guerre à quelque puissance étrangère, avant que d'entrer en campagne, elle fait assembler devant elle ses plus belles Sujettes & ses plus beaux guerriers ; là, sous ses yeux, ils jouissent dans mille différentes attitudes, des plaisirs de l'amour : le peuple & la Souveraine croyent que rien n'est plus propre à se rendre le ciel favorable que cette singulière cérémonie. Les Giagues pensent, à cet égard, comme pensoient jadis les Babyloniens ; car on sçait que chez eux les femmes étoient obligées de se prostituer au moins pendant tout un jour dans le cours de la vie, en expiation de leurs fautes : ce préjugé étoit même si fort, & il alla si loin, qu'une femme, de quelque haut rang qu'elle fut, ne pouvoit, sans crime, se refuser aux desirs du premier Etranger qui vouloit jouir d'elle pour se purifier. Or, qui a dit aux Giagues qu'ils ne font qu'imiter les Babyloniens ? Les habitans de la Grande-java vont, à plus légère incommodité, trouver leurs Prêtres, qui leur demandent s'ils ont envie de mourir ; au moindre signe de consentement que donnent les malades, les Prêtres se jettent sur eux, les égorgent, & se répaissent de leur chair. A Lao…. Mais mon dessein n'est pas de rassembler ici toutes les superstitions qui inondent la terre. Je n'écris que pour m'amuser, pour m'instruire, & ces images affligeantes ne peuvent me plaire, ni m'éclairer.



James Eason or Please use the first address: this one's special.

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