M. L. Castillon (1765) Essai sur les Erreurs et les Superstitions Chapitre XVI (pp. 261-270)

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CHAPITRE XVI.

De la naissance de Mahomet.

LES Editeurs de Moreri, sçavans fort estimables, mais souvent très-mal informés & trop légers dans leurs assertions, prétendent que Mahomet est né dans la lie du peuple : c'est un erreur, & ce n'est pas la seule qu'on trouve dans ce Dictionnaire, qu'on eut dû rédiger avec un peu plus de soin. Mahomet est sorti d'une des premières familles de la tribu de Koreish, qui étoit la plus ancienne & la plus distinguée des tribus Arabes. Ce fut même l'élévation de sa naissance, le rang & l'autorité des parens du Prophète qui sécondèrent ses premières entreprises. Tous les Ecrivains raisonnables conviennent, d'après les Historiens orientaux, que Mahomet descendoit de Galeb, fils de Fehr, surnommé Koreish, guerrier puissant & redouté. Il est aisé de voir les preuves de cette descendance dans Abulseda, Pocock, Gagne, Al-Janahi, le Comte de Boulainvilliers, &c., auteurs qui me serviront de guides dans la plûpart des faits que j'ai à raconter.

Abd'allah, pere de Mahomet, étoit fils d'Abd'al-Motalleb, fils de Hashem, Prince des Koreishites, Gouverneur de la Mecque & Intendant de la Caaba. Les vertus de Hashem, sa générosité, ses exploits héroïques lui avoient fait donnes la surnom d'Alola (le sublime): il avoit de l'autorité sur les Chefs des tribus du voisinage, & tous les Grands de la nation le reconnoissoient pour leur superieur. Abd'allah qui étoit le mieux fait & le plus agréable des Arabes, épousa la belle Amenah, & non Emina, comme dit M. Bayle dans son Dictionnaire (art. Mahomet). Aménah étoit la plus aimable, la plus sage des jeunes filles en l'Arabie, & d'une des premières Maisons de sa tribu.

Ce fut de ces époux que Mahomet réçut le jour ; il naquit à la Mecque le premier lundi du mois que les Arabes appellent le premier Rabi. Cette époque se rapporte au 22 avril de l'année 578 de l'ére chrétienne, 6163 ans depuis la création. Quand Mahomet eut commencé de répandre sa doctrine, il dit à ses confidens, & tous les Ecrivains de sa religion n'ont pas manqué de dire d'après lui, que sa naissance avoit été précédée & suivie d'une étonnante quantité de prodiges, plus extraordinaires les uns que les autres. Je n'en rapporterai que quelques-uns, afin de donner une idée de la crédulité des Arabes, & du génie de l'imposteur qui les persuadoit.

Au même instant, disent tous les Auteurs Mahometans, où le Prophète sortit du sein de sa mere, une lumière éclatante brilla d'un feu tout extraordinaire dans la Syrie entière ; elle éclaira les villes, les villages, les châteaux, & les places publiques. Mahomet, continuent-ils, sorti à peine du sein de la belle Amenah, s'échappa des mains de l'Accoucheur, & se jettant à genoux, le visage élevé vers le ciel, il prononça d'une voix ferme & distincte, ces mots sacrés, Allah, Achat, Allah, &c.; c'est-à-dire, Dieu est grand: il n'y a qu'un Dieu, & je suis son Prophète. Ceux qui furent témoins de ce prodige, restèrent pendant quelques momens tout surpris, tout stupéfaits de crainte, de respect & d'admiration. Revenus de leur premier étonnement, ils prirent ce merveilleux enfant, l'examinèrent, & le considérant avec attention, ils observèrent qu'il étoit circoncis, & qu'il étoit venu au monde, les vaisseaux ombilicaux coupés. Tout le monde convient que la seconde fois que Mahomet articula des sons, les démons, les mauvais génies, les esprits de ténèbres furent précipités du haut des étoiles & des signes du zodiaque, dans les abymes éternels, & que des lors seulement ils cessèrent d'animer les Idoles, de rendre des oracles, de séduire & de pervertir l'espèce humaine.

Ce fut aussi dans les mêmes circonstances, disent toujours les Docteurs Mahometans, que les Persans virent pour la première fois s'éteindre sur l'autel le feu sacrée de Zoroastre, qui pendant plus de mille ans avoit brûlé sans interruption. A l'instant même où ce feu s'éteignit, une partie du palais du Roi de Perse s'écroula, & la sécousse fut si violente, que quatorze fortes tours qui composoient cette partie, tombèrent sur leurs fondemens. Cosroés qui régnoit alors, fut effrayé de ces prodiges : il appella le Mubadam, ou le grand Pontife des Mages, & lui ayant demandé ce que lui présageoient ces désastres : grand Roi, répondit le Mubadam, écoute, & tremble. J'ai eu la nuit dernière un songe dont le souvenir remplit mon cœur de trouble & mon ame de terreur. J'ai vû un chameau vigoureux & plein de fierté, combattre quelque tems, & terrassé bientôt par un cheval Arabe. Je pleurois sur le sort du vaincu, quand un nouveau spectacle est venu m'agiter. J'ai vû le Tigre impétueux enfler ses flots, surmonter ses bords, & inonder la campagne. Malheureux Roi ! ce songe est peut-être un avertissement que les dieux m'ont envoyé, pour t'apprendre par ma bouche, que dans peu tu recevras quelque funeste nouvelle du côté de l'Arabie. Cosroés plus effrayé du songe du Pontife que de la chute de son palais & de l'extinction du feu sacré, dépêcha promptement un messager vers Nooman, Prince Arabe, auquel il ordonna de venir incessamment, & d'amener avec lui un habile Interprète des songes. Nooman vint, accompagné du sçavant Abd'al Mallih. Cosroés raconta à l'Interprète Arabe tous les prodiges qui venoient d'arriver. Abd'al ne se sentant pas assez illuminé pour expliquer tant & de si suprénantes choses, pria Cosroés de lui permettre d'aller consulter son oncle, l'infaillible Satih, qui étoit le Devin le plus célèbre de l'Arabie. Cosroés y consentit, & Satih répondit à son neveu : dis au Roi Cosroés, ô Roi ! voici ce que les dieux t'annoncent : la chute de ces quatorze tours, ce tremblement de terre, l'extinction du feu sacré, ce fier chameau terrassé par un cheval Arabe, ce débordement du tigre signifient visiblement la chute de la famille royale des Sassanides, & le conquête de l'Empire Persan, après les régnes de quatorze Rois.

Pendant que ces phénomènes & ces présages sinistres affligeoient Cosroés, la joie pénétroit de ses transports la famille du nouveau prophète. Le septième jour après sa naissance, Abd'al Motalleb, son grand pere, invita les principaux Koreishites à un grand festin ; ils s'y rendirent tous ; sur la fin du répas, ils prières le sage Motalleb de donner, suivant l'usage, un nom à son petit-fils. Je le nomme Mahomet, s'écria le Vieillard d'un ton d'inspiration. Pourquoi donc, dirent les Koreishites, vous éloigner ainsi de nos anciennes coutumes, & par quelle raison refusez-vos de donner à cet enfant le nom de quelqu'un de sa famille ? Puisse, répliqua Motalleb, puisse le Très-haut glorifier dans le ciel celui qu'il a créé sur la terre ! car Mahomet signifié LOUÉ, GLORIFIÉ.

Un malheur imprévu vint changer en tristesse & en larmes les douceurs que goûtoit Motalleb, & le bonheur de sa famille. Mahomet n'avoit que deux mois quand Abd'allah, son pere, mourut à Yathreb, petite ville qui depuis a pris le nom de Médine, c'est-à-dire, la Ville du prophète. Je ne sçais dans quels Auteurs Bayle a trouvé que ce fut deux mois avant la naissance de son fils qu'Abd'allah mourut : quels qu'ils soient, ils se sont trompés ; les Ecrivains orientaux sont tous d'accord sur la date de cette mort, qu'ils placent à la fin du second mois de la vie de Mahomet.

Accablée de la perte qu'elle venoient de faire, tout entière à la douleur, & noyée dans ses larmes, Amenah dans le trouble qui l'agitoit, n'étoit point en état d'allaiter son fils ; elle le confia d'abord à Thawiba, Servante de son oncle, & ensuite à la jeune Halima, de la tribu des Saadites. Celle-ci emporta son nourrisson dans le désert, où son mari vivoit avec la petite tribu des Saadites, séparée du reste des Arabes.



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