M. L. Castillon (1765) Essai sur les Erreurs et les Superstitions Chapitre XXV (pp. 364-383)
PARCE qu'un homme en a tué beaucoup d'autres, il ne s'ensuit pas toujours qu'il soit cruel, sanguinaire, inhumain. Il faut avant de décider, examiner dans quelle position il s'est trouvé. voilà ce que répondent les Musulmans, quand on leur parle de l'excessive sévérité de leur Prophète. Peuvent-ils le justifier ? Y a t'il quelque situation, à moins que ce ne soit celle de la défense de soi-même qui excuse le meurtre ? Le fondateur de l'Islamisme étoit-il dans ce cas ? Non ; mais ces actes de barbarie le rendoient respectable ; son ardeur à les commettre, persuadoit au peuple qu'il étoit autorisé par le ciel, qui lui avoit donné le droit de vie & de mort sur les Croyans ainsi que sur les infidèles, & tout cela tournoit au profit de ses vues. Mais, usa-t'il souvent de ce droit de vie & de mort ? On est assez dans l'habitude en Europe de regarder Mahomet comme le monstre le plus féroce qui ait paru sur la terre. On croit qu'il a été plus inhumain que Phalaris, plus atroce que Néron, Commode, & tant d'autres scélérats, dont les noms, pour l'honneur de l'humanité, devroient être effacés des fastes de l'histoire. On se trompe pourtant, il y a bien de la différence de lui à ces Tyrans. Mahomet, il est vrai, a répandu beaucoup de sang ; il a sacrifié à son ambition un très-grand nombre de victimes ; mais beaucoup moins qu'on ne le pense, & qu'il eut pu en immoler. Il est bon d'observer encore, qu'à quelques homicides près, il n'a été cruel que dans des circonstances où il étoit bien difficile qu'il épargnât, sans se perdre lui-même, ceux qu'il faisoit assassiner. Veut-on qu'un conquérant, que le Fondateur d'un Empire & d'une religion telle qu'est l'islamisme, ait toujours de la douceur, de l'équité, de la modération ? Veut-on qu'il laisse exister, au milieu d'une foule docile & qui lui est dévouée, quelques incrédules remuans & hardis, qui couvriront de ridicule, ses miracles, ses prophéties, ou qui dévoileront les vrais motifs de son zèle apparent, de son feint enthousiasme, & qui feront connoître le danger de ses préceptes, l'imposture de ses recits ? Que seroit devenu Mahomet ? Que seroit devenue sa doctrine ? Dans quel nouvel abîme d'idolatrie & de corruption les Arabes, ses disciples, feroient-ils retombés, s'ils se fussent doutés de la fourberie de leur Prophète, de ses desseins, de ses vues, du mépris qu'il faisoit & du ciel & des hommes ? D'ailleurs, pour aller jusqu'au trône, Mahomet n'avoit plus qu'un très-petit espace à franchir, & il falloit ou renoncer pour toujours à s'y asseoir, ou répandre le sang de quelques obstinés qui vouloient absolument l'empêcher d'y monter. Quel parti devoit-il prendre ? Il choisit le plus sur, parcequ'il vouloit regner ; & voilà quelle à été la véritable cause des meurtres dont il s'est couvert. Toutefois est il bien prouvé qu'il en ait commis autant qu'on le dit ? Il s'en faut, si l'on retranche de la nombreuse liste de ses assassinats, la quantité prodigieuse de Mécréans, que ses soldats ont égorgés, ou pour les convertir à l'Islamisme, ou sur le refus qu'ils ont fait de se convertir. Quant à ceux qu'il a tués lui même de sang froid, ou qu'il a fait tuer, je n'en trouve dans tout le cours de sa mission apostolique & conquérante, que sept cens vingt, ou sept cens vingt deux (car le nombre n'en est pas exactement fixé, même par les Docteurs Mahometans). Or, de ces sept cens vingt-deux victimes, il n'y en a presque aucune que Mahomet n'ait fait mourir pour des raisons qu'il trouvoit très-plausibles, & qu'il avoit grand soin de faire expressément approuver par l'Ange Gabriel.
Le premier de ceux qui périrent par ses coups, ou par ceux de son fidèle Omar, fut un de ses disciples, homme très-inconsidéré, & qui avoit osé appeller à Omar, d'une sentence que l'Apôtre venoit de prononcer. Omar ne jugea point l'appel ; mais de son cimetère il fendit en deux l'appellant, pour le punir de n'avoir pas voulu acquiescer à la décision d'un Juge aussi intègre & aussi éclairé. Mahomet fut si content de cette décision, qu'il donna à Omar le surnom d'Al Faruk ou de Séparateur; puisqu'il sçavoit si bien, dit-il, distinguer le vrai d'avec le faux. Les Musulmans sont encore assez embarrassés de décider quel des deux a été le plus admirable dans cette occasion ; d'Omar, qui a montré une si sainte indignation contre un homme qui osoit douter de l'équité du Prophète, ou de Mahomet qui en approuvant ce meurtre, a fait si éminemment connoître son amour pour la justice & la certitude où il étoit de l'équité de ses jugemens.
La seconde victime immolée à la gloire de Mahomet étoit bien plus coupable, il étoit important qu'elle périt. Mahomet récitoit quelques versets de l'Alcoran, très-sublimes comme ils le sont tous. Al-Nodar, jeune incrédule, écouta fort attentivement ces versets, & sortit : on lui demanda quel étoit le sens des paroles que Mahomet venoit de prononcer. L'impie répondit en jurant, qu'il n'y entendoit rien, & que l'Apôtre se mocquoit de débiter d'un air si grave, de si mauvais contes de vieille. On sent combien Mahomet étoit intéressé à ne pas laisser impunis des propos aussi licentieux. Dès le soir même il fit égorger Al-Nodar, & tous dirent : le Prophète a bien fait ; loué soit le Prophète qui a vengé le ciel, auteur de l'Alcoran.
Okba ne pouvoit éviter la mort qu'il avoit bien méritée. Mahomet n'étoit encore qu'un particulier ordinaire, qu'Okba l'entendant parler de ses vues de réformation, eut l'insolence de lui donner un coup de pied, & de lui cracher au visage ; Mahomet lui jura qu'il se vengeroit dans la suite, & qu'il lui couperoit la tête. Il lui tint parole ; car Ali lui coupa la tête par ordre du Prophète. Il eut réellement été fort indécent, disent les Musulmans, que Mahomet publiquement reconnu Prophète & maître de l'Arabie, eut laissé exister un homme qui l'avoit si cruellement outragé ; la vie de l'impie Okba blessoit évidemment la religion.
Mahomet invita les Juifs établis à Médine, d'embrasser l'Islamisme : ils rejettèrent l'invitation. Le Prophète irrité, leur fit la guerre ; ils furent obligés de se rendre à discrétion, au nombre de sept cens, & la discrétion de l'Apôtre fut d'ordonner qu'on les massacrât tous, sans distinction d'âge ni de sexe. Ces Juifs étoient fort riches ; Mahomet réfléchit, & leur laissa la vie, à condition qu'ils lui remettroient tout ce qu'ils possédoient, & qu'ils s'en iroient exactement tout nuds ; ce qui fut strictement exécuté. Il n'y a point de Derviche qui puisse retenir ses larmes à ce trait de clémence de Mahomet ; ses disciples pensèrent comme les Derviches, & ils ne pouvoient assez admirer la douceur de l'Apôtre, qui maître de prendre les biens & la vie de 700 Juifs, s'étoit contenté de s'emparer de tous leurs biens, leur avoit laissé la vie, & même la liberté d'embrasser l'Islamisme.
Caab, Poëte satyrique, ne se contenta point d'être incrédule, il eut la témérité de faire des vers très-mordans contre le Prophète & contre l'Alcoran, double atrocité qui méritoit, suivant les sectateurs de Mahomet, les plus cruels supplices. Mahomet fut cependant plus doux que ne l'eussent été ses prosélites ; il fit seulement assassiner Caab, qui fut trop heureux de ne pas périr d'une mort plus violente.
L'Islamisme faisoit de rapides progrès ; tout le monde croyoit, toutes les villes de l'Arabie ouvroient leurs portes au Prophète ; un seul Arabe, Sofian, résista au torrent, & entreprit d'arrêter les armes de l'Apôtre. Mahomet envoy à poignarder Sofian, & sa troupe fut dispersée. Les Musulmans eussent bien désiré que le Prophète, moins indulgent, eut exterminé les complices & les soldats de Sofian, mais plus humain qu'eux Mahomet fut satisfait du sang du plus coupable.
Saad, l'un des Généraux de Mahomet, fut envoyé contre les Koréid'hites, qui renfermés dans une forteresse s'y défendirent pendant vingt-cinq jours ; mais ils furent alors obligés de se rendre. Saad les prit, les enchaîna, & décida que les hommes seroient passés au fil de l'épée, que les femmes & les enfans seroient esclaves, & que leurs biens seroient partagés entre le Prophète & ses sectateurs. On amena cette foule de malheureux devant l'Apôtre, qui s'écria que Saad avoit prononcé un jugement divin, & en conséquence il fit massacrer sous ses yeux sept cens Koréid'hites ; les femmes & les enfans furent tous emmenés en captivité. Les disciples de Mahomet furent d'abord surpris de cet acte de rigueur ; on dit même que quelques-uns d'entr'eux trouvèrent un peu dur ce massacre ordonné & exécuté avec tant de sang froid ; mais le Prophète les convainquit sans peine de la grande équité de cette exécution ; il leur prouva que les Khoréid'hites ayant été sommés de se rendre de la part de l'Envoyé de Dieu, & ne s'étant point soumis tout de suite, ils avoient été rebelles à Dieu lui-même, contre lequel ils avoient eu l'exécrable audace de combattre ; que ce crime étant irrémissible par sa nature, c'eut été en lui un crime plus grand encore, s'il eut pardonné à ces sept cens coupables. La force de cet argument pénétra si fort les partisans du Prophète, qu'ils s'étonnèrent de ce que les femmes & les enfans des Khoréid'hites, qui avoient en quelque sorte partagé leur faute, ne partageoient pas aussi leur châtiment. mais il falloit que Mahomet laissât toujours, même dans ses vengeances, échapper quelque trait d'indulgence & de générosité. Les Musulmans ne manquent pas de célébrer par de grandes réjouissances l'anniversaire de ce pieux massacre.
Salam étoit un Juif fort indiscret, & qui osa insulter Mahomet au sein de ses triomphes ; Mahomet simple particulier eut méprisé peut-être les injures du Juif ; mais Apôtre, il eut manqué au respect qu'il se devoit, s'il eut laissé une telle licence impunie ; il fit égorger Salam, & cet acte de justice fut & est regardé encore comme une des actions les plus illustres de son apostolat.
Huit Oraïnites vinrent à Médine, & embrassèrent l'Islamisme ; ils y demeurèrent quelques tems ; mais trouvant que l'air de la ville ne leur convenoit pas, ils se retirèrent à la campagne, dans le lieu où passoient les troupeaux de Mahomet, & par son ordonnance ils burent du lait de ses chamelles, & même de leur urine pour se guérir, faveur que tout Arabe eut payé de son sang. Mais par la plus noire ingratitude ils s'enfuirent, & emmenèrent les chameaux. Le Prophète informé du vol, envoya à la poursuite des Oraïnites ; ils furent pris & conduits aux pieds de Mahomet. Il leur reprocha l'atrocité de leur crime, leur fit voir combien il étoit affreux de voler les chameaux d'un Apôtre, qui, comme tout le monde le sçavoit, appartenoit au ciel, lui & conséquemment tout ce qu'il possédoit. Ensuite pour expier cette horrible profanation Mahomet fit couper les pieds & les mains des huit Oraïnites, leur fit crever les yeux, & les fit attacher à des croix, où ils expirèrent. Cet exemple qui, comme on voit, étoit un peu sévère, inspira aux Musulmans le plus grand respect pour les chamelles de Mahomet, & pour tout ce qui lui appartenoit. Les Derviches, toutes les fois qu'on leur a pris, ou qu'on veut leur prendre quelque chose, ont grand soin de citer la punition des Oraïnites ; & comme ils prétendent appartenir aussi directement au Prophète, que ces chamelles appartenoient à Mahomet, cette autorité ne manque pas de faire une très-grande impression sur l'esprit du Cadix.
Osaïr, homme ambitieux, vindicatif & fort entreprenant, résolut de venger le meurtre de Salam ; il souleva par ses clameurs les Juifs de Khaibar, qui éblouis par ses promesses, le nommèrent leur chef. Mahomet averti du complot, envoya Abd'allah vers l'impie Osaïr. Abd'allah suivi de trente hommes, l'attira dans une embuscade, le perça de son épée, & massacra les Juifs de Khaibar. Dans cette occasion, Mahomet ne fit que se défendre contre Osaïr ; qui avoit mérité le sort qu'il éprouva.
Les Mecquois avoient longtems résisté à la force & aux exhortations du Prophète ; mais enfin ils firent, à l'exemple du reste de l'Arabie, obligés de se soumettre. Mahomet se rendit maître de la Mecque ; sa victoire fut ensanglantée par le massacre d'une foule de malheureux immolés à la gloire de la nouvelle religion. Après ces premiers momens de carnage, Mahomet parut tranquille, & la fureur de ses partisans assouvie. Il déclara même publiquement que désormais la Mecque seroit un azile inviolable. Cependant après avoir été solemnellement inauguré sur la colline d'Al-Safar ; après avoir reçu le serment de fidélité du peuple, le ciel lui rappella le souvenir de quelques anciennes injures, & il jura au même instant de retracter sa promesse ; non qu'il ne put oublier des outrages ; mais pour venger le culte qu'il avoit établi, & pour donner un exemple capable d'effrayer à jamais les impies. Il proscrivit donc ceux qui avoient témoigné le plus d'animosité contre lui. Quelques-uns des proscrits obtinrent grâce ; car quel homme, disent les Musulmans, fut plus doux que notre Prophète ? On n'est pas d'accord sur le nombre de ceux qui furent égorgés. On sçait seulement que Mahomet fit poignarder Mekias, qui outre ses anciennes fautes, avoit eu la témérité de boire du vin, malgré la défense expresse que Mahomet venoit de faire de cette liqueur. Abd'allah, fils de Kathal, joignoit à un débordement scandaleux une irréligion outrée ; il avoit tué un Musulman, & il menoit avec lui deux prostituées qui chantoient publiquement des vers satyriques contre Mahomet : il fut proscrit, comme il le méritoit : il alla se cacher dans l'intérieur de la Caaba ; il y fut découvert, & tué par ordre du Prophète, qui avoit le privilège de violer les asyles, quand il étoit question de faire exécuter ses ordres. Ses sectateurs, même les plus zélés, murmurèrent, & trouvèrent barbare cet homicide, commis dans le sanctuaire le plus sacré de la terre. Mahomet leur déclara qu'il avoit reçu une permission particulière de violer l'immunité de la Caaba pour une heure. Les Musulmans admirèrent les privilèges de l'Apôtre, & gardèrent le silence.
Al Howaireth, l'un des plus distingués Koreishites, haïssoit Mahomet ; il l'avoit insulté, & l'on assure même qu'il avoit outragé Fatime, & la belle Zeynah ses deux filles chéries : Al Howaireth fut traîné aux pieds de Mahomet. Celui-ci remit son glaive au redoutable Ali, qui d'un coup abattit la tête du brutal Howaireth : grand & mémorable exemple contre les impudiques ! Hareth qui n'avoit ni la naissance, ni le crédit d'Al-Howaireth, avoit tenu aussi des propos insolens contre l'Apôtre. Mahomet fit un signe, & ali abattit de con cimetère, la tête du coupable, dont le nom fut dès-lors en exécration parmi les fidèles Croyans.
Kariba, Ommsaad, & une servante d'Abdallah, expirèrent dans les supplices, sous les yeux, & par ordre de Mahomet, qui punissoit dans la première, l'une des deux prostituées d'Abdallah, ses vices & les vers satyriques qu'elle avoit eu l'audace de chanter ; dans la seconde l'indiscrétion qui lui avoit fait révéler quelques actions secrètes & galantes du Prophète ; dans la troisième, les services qu'elle avoit rendus à son maître, incrédule & proscrit.
Voilà quels furent à peu-près tous ceux que Mahomet se crut obligé d'immoler à sa gloire & aux progrès de sa doctrine, dont ces malheureux retardoient la propagation, autant qu'il leur étoit possible. Le danger qu'il y avoit à les laisser exister ne justifie point Mahomet ; mais ce danger pourroit dumoins prouver que des motifs indispensables l'ont porté, sans être barbare, à des excès de cruauté. D'ailleurs, ces injustices,, ces meurtres, ces assassinats, rendoient si respectable celui qui les commettoir ; ses prosélites avoient tant de docilité à les croire expressément ordonnés par le ciel ; & cette erreur étoit si favorable à l'Islamisme, que l'humanité est, en quelque sort, redevable à Mahomet, de n'avoir pas été plus féroce, & de n'avoir pas grossi les flots de sang qu'il a versé.
James Eason or Please use the first address: this one's special.